Élisée fils de Saphat

17.
Le scrupule de conscience

Rappelez-vous la précieuse déclaration de 1 Jean 1.7 : Le sang de son Fils Jésus-Christ nous purifie de tout péché. Le monde, dans l’Eglise, comme en dehors de l’Eglise, ne veut point entendre parler du sang de Christ. Il considère la doctrine claire et simple de l’expiation comme un fruit de l’obscurantisme. Et, parmi ceux qui désirent avoir part aux bienfaits de l’économie évangélique, il en est peu qui ne trahissent, par leur éloignement pour cette doctrine, le caractère mensonger de leur piété.

Le sang de l’Agneau est le centre même du christianisme. C’est la base du temple du Nouveau Testament. Faites-le disparaître, ce temple lui-même disparaît. Niez sa vertu, vous niez par cela même le salut de Christ. Quelle est, je vous prie, la couleur qui ressort le plus dans le livre entier des révélations ? Quelle est la couleur qui paraît dans la première promesse de grâce, dans le sacrifice d’Abel, dans les sacrifices des patriarches, sur le seuil des maisons qu’épargna l’ange exterminateur, dans les types et les cérémonies du tabernacle ? Quelle est la couleur de la grande prophétie du chapitre 63me d’Esaïe ? Et quelle est la couleur favorite de l’économie nouvelle ? N’est-ce pas la couleur rouge, la couleur du sang ? Et la blancheur même de la robe des bienheureux, d’où provient-elle, si ce n’est du sang de l’Agneau ?

Le sang de son Fils Jésus-Christ nous purifie de tout péché. Contribue à nous purifier ? — Non, mais nous purifie. — Nous excite à nous purifier ? — Non, il nous purifie lui-même. — Nous purifie de l’amour du péché ? — Non, il nous purifie du péché. — Oui du péché de paresse et d’indolence ? — Ouvrez les yeux : il nous purifie de tout péché. — Le sang ? dites-vous. — Oui le sang. Vous aimeriez mieux que ce fût autre chose, par exemple, le saint modèle de Christ ou sa doctrine, mais l’apôtre ne l’entend pas ainsi. C’est le sang, dit-il, le sang de Christ qui purifie de tout péché.

De tout péché ! Que ces paroles ont un effet magique sur ceux qui savent ce que c’est que le péché et qui se reconnaissent pécheurs ! C’est comme l’eau courante pour le cerf altéré, c’est un frais gazon pour la brebis qui erra longtemps loin de toute pâture ; mais pour le comprendre, il faut être ou avoir été soi-même comme ce cerf, comme cette brebis. — De telles paroles ne luisent que dans les ténèbres ; mais alors ce sont des étoiles, ce sont les lampes des tabernacles de paix !

Mais comment comprendre que le sang de Jésus-Christ purifie de tout péché ? — Comme un enfant même le pourrait, en prenant les termes de cette déclaration dans toute leur simplicité. Celui pour qui le sang de Christ a coulé est purifié devant Dieu. C’est ici, mes frères, que nous ne pouvons nous accorder avec les exigences d’une partie de nos auditeurs. Nous devrions, à les entendre, ne pas insister si exclusivement sur la vertu du sang de Christ. C’est-à-dire que nous devrions rétrécir l’étendue de la bonne nouvelle. Ils voudraient au moins que nous tempérassions nos expressions par une foule de mais et de si, que nous ajoutassions, par exemple, à la consolation des promesses, la restriction qu’il n’y a de purifiés par le sang de Christ que les péchés dont on s’est d’abord repenti et corrigé ; c’est-a-dire, qu’ils voudraient nous engager à fouler aux pieds le sang de la nouvelle alliance ! Ah ! lors même que je devrais à jamais renoncer à votre approbation, je ne puis vous satisfaire en ce point ; je ne le pourrai jamais. Je continuerai à proclamer l’efficacité du sang de l’Agneau et je ne croirai jamais l’avoir fait avec assez de force. Celui pour qui le sang de Christ a coulé est pur devant Dieu. Sa vie est irréprochable aux yeux de l’Eternel, quelle que soit l’apparence qu’elle puisse revêtir aux yeux des hommes. Le brigand passe du lieu de son juste supplice dans le char de triomphe du Roi des rois. Madeleine est plus pure devant Dieu que toutes les personnes honnêtes et vertueuses qui ont tant de motifs légitimes de condamner sa conduite. Ils sont purifiés l’un et l’autre de tous leurs péchés par le sang de l’Agneau.

Mais c’est affreux ! dites-vous. Chacun pourra dire que ses péchés sont lavés par Christ. Chacun ? non, vous vous trompez. Celui qui est d’accord avec le péché ne peut le dire, ou, s’il le dit, c’est le diable qui l’aveugle. Ceux pour qui le sang de Christ a coulé reçoivent l’esprit de Christ. C’en est fait pour eux de l’empire du péché, et s’il paraît les dominer encore parfois, c’est comme un brigand qui les terrasserait à l’improviste, ce n’est point comme un maître volontairement accepté. Christ est leur maître ; c’est à Lui qu’ils veulent obéir. Le péché est leur ennemi. Tel est l’esprit de ceux à qui est appliqué le sang de Christ. Ils ne sont point saints en eux-mêmes ; ils sont pécheurs. Mais ils aiment vraiment la sainteté et protestent en paroles et en actes contre le diable et contre ses souillures.

Mais leur grande assurance ne doit-elle pas produire une sécurité charnelle ? Bien au contraire, mes amis. Le sang de Christ rend la conscience délicate. Vous vous figurez que lorsque le péché reparaît dans leur cœur ou dans leur vie ils se tranquillisent aussitôt en disant : Le sang de Christ a expié tout cela ! Mais ce n’est pas ainsi qu’on apaise sa conscience. L’esprit de vérité ne le permettrait pas. Ce n’est point par une simple opération de mémoire et d’intelligence qu’on s’applique le sang de Christ, c’est par la foi, et la foi n’est point un instrument qu’on puisse manier à son gré. C’est ainsi que même les régénérés peuvent être engagés dans des combats dont le monde ne se doute point. Il est vrai que celui qui a beaucoup de foi jouit d’une paix d’autant plus constante ; car il demeure éternellement vrai que le sang de Christ a aboli nos péchés une fois pour toutes, et l’âme qui peut le croire le plus fermement est celle dont on verra le plus prospérer la sanctification.

J’ai cru devoir m’expliquer avec quelque étendue sur ce grand sujet ; et je me réjouis de ce que mon texte de ce jour m’en a fourni l’occasion favorable.

2 Rois 5.18-19

18 L’Eternel veuille pardonner ceci à son serviteur ; c’est que quand mon maître entrera dans la maison de Rimmon pour se prosterner là, et qu’il s’appuiera sur ma main, je me prosternerai dans la maison de Rimmon  ; l’Eternel, dis-je, veuille me le pardonner, quand je me prosternerai dans la maison de Rimmon. 19 Et Élisée lui dit : Va en paix.

Notre texte nous met en présence d’un trait qui paraît inconciliable avec l’idée que nous avons cru pouvoir nous faire de l’état spirituel de Naaman ; d’un trait qui est devenu pour plusieurs une pierre d’achoppement et de scandale, et qui demande, par cela même, le plus sérieux examen. Je suis donc appelé aujourd’hui à vous en présenter l’apologie, l’explication et les conséquences pour nous-mêmes. Que le Seigneur daigne nous conduire par son esprit de lumière et de vérité !

I

Elle est, sans contredit, surprenante, cette circonstance qui nous présente tout à coup non seulement le caractère de Naaman, mais encore celui du prophète, sous l’aspect le plus équivoque. On est tout interdit en entendant sortir de la bouche d’un homme qui venait de manifester une foi si ferme des paroles comme celles-ci : Que le Seigneur me pardonne lorsque j’entrerai avec mon maître dans la maison de Rimmon et que je me prosternerai devant cette idole ! — On est plus interdit encore en voyant Élisée, au lieu de protester de toutes ses forces contre une demande en apparence si pusillanime, non seulement ne pas la condamner, mais encore lui dire avec approbation : Va en paix. Comment nous expliquer ces choses ? Il n’est peut-être aucun passage de la Bible qui ait plus embarrassé les commentateurs ; il est peu de passages, aussi, qui aient plus flatté les désirs secrets des âmes hypocrites et chancelantes. Naaman est devenu pour plusieurs le patron chéri de l’indécision, de la lâcheté et des accommodements avec le monde, et il se sont servis de l’autorité du prophète Élisée pour s’affermir dans leur triste état. Naaman et Élisée leur ont fourni les feuilles de figuiers dont ils se sont couverts devant Dieu et devant leur propre conscience.

Nous devons hautement protester contre une pareille interprétation. On fait à ces deux hommes une injustice criante, et c’est avec joie que nous allons chercher à présenter leur défense.

Et d’abord quelle opinion devons-nous concevoir des sentiments de ceux qui tordent ainsi le sens de ce passage ? Cette question est la première que nous ayons à nous adresser. « Je désire être un chrétien, pensent-ils, car je voudrais mourir en paix. Mais le royaume des cieux ne vient point avec apparence. Dieu veut que je le serve en esprit et en vérité. Ainsi donc ce qu’on appelle : se ranger ouvertement sous la bannière de Christ, n’est pas absolument- nécessaire. Il n’est pas nécessaire que je déclare à tous ceux qui m’entourent que je me consacre au service de Christ, et que je fasse parade de ma détermination intime. Pourquoi me demandez-vous de me séparer extérieurement du monde et d’abandonner ses usages tant qu’ils ne sont pas évidemment condamnables ? J’adore le Seigneur dans le temple de mon cœur. Pourquoi m’imposez-vous l’obligation de me joindre ouvertement aux enfants de Dieu ? J’élève dans le secret un autel à l’Eternel. Pourquoi me faites-vous un devoir de renoncer à telle ou telle relation, à telle ou telle occupation, à un délassement, à une société agréable ? » — Telles sont les pensées et les personnes, et c’est aussi d’après ces principes qu’elles agissent. Elles désirent se vouer à Christ, mais elles ne veulent point, pour cela, abandonner le monde avec lequel elles s’accordent sur tant de points et avec lequel elles vivent, après comme avant, dans une grande intimité. Elles ploient le genou devant Dieu lorsque cela n’exige aucun sacrifice ; puis, elles rendent hommage aux idoles. Leur inclination les porte vers ce qui est charnel, et la froide intelligence les porte vers les choses de Dieu. Cependant avec ce cœur partagé, avec cette hypocrisie, elles prétendent s’appuyer sur la Bible, et disent : « Nous marchons sur les traces de Naaman ; nous avons pour nous l’approbation du prophète Élisée. » Peut-on entendre, sans indignation, prononcer de telles paroles ? — Elles voudraient représenter Naaman comme un faux frère, dont la confession de foi n’était point sincère, qui n’abandonnait qu’en apparence le service du diable, et qui, tout en proclamant sa prétendue conversion, ne renonçait point au péché, et ne cherchait qu’un moyen de continuer en paix son ancien train de vie. — Quant à Élisée, elles voudraient le faire passer pour un faux prophète qui sanctionne la plus basse duplicité, qui bénit ceux qui renient Dieu, et qui, bien différent d’Élie, son prédécesseur et son maître, établit un moyen terme entre la vérité et l’erreur, et fait des concessions dignes seulement d’un messager de l’enfer. Je voudrais cependant demander à ces personnes si elles sont bien convaincues de ce qu’elles avancent. Je crois qu’elles sont beaucoup moins dans l’erreur qu’elles ne sont rusées et astucieuses. Je pense qu’elles se mentent à elles-mêmes, qu’elles imposent silence à leur conscience. Je ne doute pas que ma supposition ne se trouvât entièrement confirmée si les secrets de leurs cœurs venaient à être dévoilés. Il est impossible qu’elles ne comprennent pas qu’un homme tel que Naaman, ne peut plus vouloir retourner à ses idoles ; et leur conscience doit leur affirmer plus fortement encore, qu’Élisée, l’homme de Dieu, n’aurait pu se laisser entraîner à une action qui, telle qu’on la lui impute, aurait été en opposition directe avec les déclarations les plus expresses de la parole de Dieu. — La Bible ne nous laisse aucun doute sur la manière dont il veut être adoré. Il veut posséder entièrement son peuple, « Il vomit les tièdes de sa bouche. » Tu adoreras le Seigneur ton Dieu et tu le serviras lui seul. Jusques à quand clocherez vous des deux côtés ? si l’Eternel est Dieu, suivez-le, mais si Baal est Dieu, suivez-le. Celui qui n’est pas avec moi est contre moi. Et celui qui n’assemble pas avec moi sera dispersé. Le Seigneur veut des adorateurs qui confessent non seulement de cœur, mais aussi de bouche et par des actes qu’ils Lui appartiennent. Il est dit : « Si tu confesses le Seigneur Jésus de ta bouche, et que tu croies en ton cœur que Dieu l’a ressuscité des morts, tu seras sauvé. » — « Quiconque me confessera devant les hommes, je le confesserai aussi devant mon père qui est aux cieux. Mais quiconque me reniera devant les hommes, je le renierai aussi devant mon père qui est aux deux. » Le Seigneur exige que toute notre conduite nous signale comme étant de ceux qui n’appartiennent plus au monde. — Ne vous conformez point au présent siècle nous crie-t-il : Ne portez pas un même joug avec les infidèles ; car, quelle participation y a-t-il de la justice avec l’iniquité ? et quelle communication y a-t-il de la lumière avec les ténèbres ?Quelle part a le fidèle avec l’infidèle ? Quelle convenance y a-t-il du temple de Dieu avec les idoles ? C’est pourquoi sortez du milieu d’eux et vous en séparez, et ne touchez à aucune chose souillée, et je vous recevrai. » — Le Seigneur veut que nous renoncions à toutes choses plutôt que de renoncer à la foi et à la vérité de l’Evangile. « Quiconque aura eu honte de moi et de mes paroles parmi cette nation adultère et pécheresse, le Fils de l’homme aura aussi honte de lui quand il sera venu environné de la gloire de son père, avec les saints anges.Celui qui aime son père ou sa mère, son frère ou sa sœur plus que moi, n’est pas digne de moi. Il n’y a personne qui ait laissé ou maison, ou frères, ou sœurs, ou père, ou mère, ou femme, ou enfants, ou champs pour l’amour de moi et de l’Evangile qui n’en reçoive dés ici-bas cent fois autant et dans le monde à venir la vie éternelle. » — Le Seigneur est si peu satisfait de ce prétendu culte qu’on dit lui offrir en secret qu’il prononce anathème contre ceux dont tout le monde dit du bien ; il attend donc une franche confession de la bouche de ses disciples, c’est pourquoi saint Paul s’adressant à tous les chrétiens s’écrie : « Sortons donc vers lui, hors du camp, en portant son opprobre. » — Le caractère que le Seigneur exige de ses adorateurs ressort pleinement de ces passages. Jugez vous-mêmes si Élisée aurait pu permettre à Naaman de partager son cœur entre le service de Dieu et celui de Bélial. Quelqu’un peut-il sérieusement le croire ? J’en doute. Cependant si je me trompe, et si tu crois réellement, ô mon frère, trouver dans cette circonstance une excuse à ta folie et à ta duplicité, écoute ce qu’il me reste à te dire encore : Tu te persuaderais volontiers que le Syrien est encore quelque peu attaché à ses idoles, et qu’Élisée ne lui en fait point un reproche. Mais écoute, à ta honte, la déclaration de Naaman : « Voici maintenant je connais qu’il n’y a point d’autre Dieu dans toute la terre qu’en Israël. Ton serviteur ne fera plus d’holocaustes ni de sacrifices à d’autres dieux, mais seulement à l’Eternel. » Tu t’imagines que Naaman voulait cacher au monde sa foi et sa nouvelle manière de voir. Mais ne l’as-tu pas entendu faire sa confession devant toute sa suite ? Tu te tranquillises par la pensée que Naaman se propose d’éviter autant que possible toute relation avec d’autres serviteurs de Dieu. Mais c’est si peu son intention qu’il s’efforce de maintenir extérieurement sa communion avec les saints d’Israël en emportant de la terre de ce pays en Syrie. Tu t’imagines que Naaman n’était pas disposé à abandonner son ancienne voie de péché. Mais comment peux-tu concevoir la pensée que, dans ce cas, il aurait osé s’ouvrir à Élisée, duquel il n’aurait pu raisonnablement attendre que du blâme ? Tu crois que Naaman se persuadait à lui-même, qu’il pouvait, à l’abri de la miséricorde divine, continuer à faire des choses que sa conscience même condamnait ; mais dans quelle confusion ne doit pas te jeter son ouverture de cœur, la parfaite sincérité et la scrupuleuse conscience qu’il déploie en soumettant son affaire à la décision du prophète ? Il est donc évident que ceux qui cherchent à s’autoriser de l’exemple de Naaman et à se servir d’Élisée comme d’une égide d’approbation pour protéger leur indécision et leur duplicité en matière religieuse, sont dans la plus triste erreur. — Ils doivent, au contraire, se sentir profondément humiliés et condamnés par la conduite de ces deux hommes. La droiture de Naaman condamne leurs mensonges et le regard franc et assuré d’Élisée confond leur malice et leur ruse.

II

Quelle était la pensée et l’intention de Naaman ? Nous allons chercher à l’expliquer. Tout rempli d’une joie triomphante, il vient de se consacrer sans réserve au Dieu vivant ; mais en examinant quelle devra être sa vie à l’avenir, un scrupule s’élève dans son âme ; ce scrupule lui cause une inquiétude qui ne peut être apaisée que par la pensée qu’il est encore à portée d’Élisée pour lui demander ses conseils et ses directions. Je suis, se dit-il, sur le point de retourner à Damas. Mon roi ne me renverra sans doute pas à cause de ma nouvelle foi, mais un des offices de ma place est d’accompagner le roi au temple de Rimmon et de lui présenter la main lorsqu’il se prosterne devant l’idole et lorsqu’il se relève. Voici, j’ai renoncé à l’odieux culte des idoles, comment ferai-je donc à l’avenir ? Devrai-je refuser d’accompagner le roi ? Dans ce cas-là, je perdrai certainement ma place et avec elle toute mon influence sur Ben-Hadad et sur son peuple. Me soumettrai-je à ce qu’exige l’accomplissement de ma charge ? Mais comment concilier ceci avec le caractère de serviteur de Jéhovah ? En agissant ainsi ne pécherai-je pas contre Lui et contre sa parole ? Ne me rendrai-je pas coupable de reniement envers son saint nom ? Telles sont les pensées qui agitent et tourmentent le cœur de Naaman. C’est tout entier qu’il veut appartenir au Seigneur. Il ne veut servir que Lui. Il veut lui conserver tous ses droits intacts ; mais il ne sait que faire en cette circonstance. Plutôt que de pécher, en assistant à cette cérémonie, il renoncerait à la faveur de son maître, à sa place, à son influence, à la vie même ; c’est pourquoi, il ouvre son cœur au prophète et lui soumet ses scrupules. Son embarras et l’angoisse de son cœur se trahissent par des mots entrecoupés : L’Eternel veuille pardonner ceci à ton serviteur, c’est que quand mon maître entrera dans la maison de Rimmon pour se prosterner là et qu’il s’appuiera sur main, je me prosternerai dans la maison de Rimmon ; — l’Eternel, dis-je, — veuille me le pardonner quand je me prosternerai dans la maison de Rimmon. Sans doute ce langage est étrange. Naaman ne fait pas une demande directe, mais il exprime seulement le désir que Dieu use de miséricorde envers lui, comme si l’Esprit parlant en son cœur lui démontrait que toute apparence d’idolâtrie est inconvenante de la part d’un serviteur de Jéhovah. Telles sont sans doute aussi ses pensées ; mais il désire savoir si ce ne serait point là un de ces actes qui, bien que condamnables en apparence, peuvent être supportés par Celui qui juge des intentions du cœur. Élisée doit trancher la question.

Le prophète ne se méprend point sur les intentions de cet homme droit de cœur. S’il avait eu quelque raison de les suspecter, il ne l’aurait sans doute point épargné ; il lui aurait répondu avec une dignité sévère : « Tu n’entreras point dans la maison de l’idole ! » — Mais il sait que le désir le plus sincère de cet homme est de vivre pour la gloire du Seigneur ; ce n’est pas en secret qu’il veut adorer le Dieu d’Israël, mais dans son pays et à la vue de son peuple ; c’est pourquoi la question n’est pas de savoir s’il peut rendre un culte aux idoles, mais s’il peut assister au culte que leur rend son maître, comme sa charge lui en fait un devoir, devoir officiel sur lequel le peuple ne saurait se méprendre. Naaman ne veut ni sacrifier aux idoles, ni les adorer ; il se propose, au contraire de faire connaître par tous ses actes qu’il est serviteur du Dieu d’Israël. Élisée le sait ; c’est pourquoi, souhaitant que cet homme consciencieux conserve une place dans laquelle il peut exercer une grande influence, il lui dit : « Va en paix, » et termine ainsi ses incertitudes et ses angoisses. Quoi ! Élisée lui permet d’entrer dans la maison de l’idole ? Élisée ne s’y oppose point. Mais n’est-ce point autoriser un véritable péché ? Nullement, mes frères. L’action d’entrer dans un temple idolâtre, n’est-ce pas elle seule un péché ? Je me représente, par exemple, qu’un païen malade dise à un missionnaire chrétien : « Accompagne-moi dans la maison de mon dieu, afin que je l’adore. S’il ne me répond pas, je croirai que ton Dieu est le vrai Dieu et que l’idole n’est rien. » Le missionnaire l’y conduirait donc, le païen s’appuierait sur son épaule et afin de l’aider et de le soutenir il s’agenouillerait même à ses côtés. Pensez-vous qu’il péchât en agissant ainsi ? — Qui oserait l’affirmer ? — Non, en pareil cas l’acte extérieur est complètement indifférent ; il ne devient coupable que lorsque les intentions elles-mêmes sont coupables ou lorsqu’il peut en résulter du scandale. Mais, direz-vous, n’aurait-il pas été plus beau que Naaman renonçât à tout ce qui pouvait le rapprocher du culte des idoles ? Je ne le nierai pas. Mais ce qui paraît le plus brillant, n’est pas toujours ce qui a le plus de valeur au poids du sanctuaire. Élisée ne répond pas à Naaman qu’il lui est permis de se prosterner devant l’image de Rimmon, il ne se prononce pas davantage dans le sens opposé ; il ne se sent pas appelé à mettre sous le joug cet homme si bien disposé, ni à le charger de toute sortes de préceptes légaux. Le prophète eût pu faire ce qu’il eût voulu de son prosélyte. Naaman était soumis d’avance à tout ce qu’il aurait exigé de lui ; s’il lui avait ordonné de renoncer même à retourner dans sa patrie, de renoncer à ses dignités et à ses privilèges, certainement il l’eût fait aussitôt. Mais plus le prophète en est convaincu, plus il apporte de ménagement dans l’exercice de son influence. Il n’accable pas le nouveau converti de lourdes exigences, il ne cherche pas à se rendre maître de sa foi. Il ne se conduit pas comme ces étroits formalistes, qui n’agissent que selon la lettre et non selon l’esprit ; il considère la position de cet homme d’un œil sage et tendre, et il y a égard, et au lieu de trancher ce nœud comme nous l’aurions pu faire au moyen de quelque paragraphe d’un code de morale, ou par quelque argument tiré de notre propre fonds, il le délie dans la liberté de l’Esprit avec un saint libéralisme. Entrant entièrement dans la position et dans les pensées du Syrien, il le renvoie en lui disant : Va en paix. Je ne sais si par ces mots en paix il a voulu lui dire : Va, s’il t’est possible de marcher en paix dans cette voie, et sans recevoir de reproches de ta conscience. Mais ce qui est clair comme le jour, c’est que le prophète, loin de concevoir des craintes et des soupçons sur la fermeté et la constance de son prosélyte, se confie joyeusement au Seigneur et à son Esprit, sous la direction duquel il sait qu’est Naaman. Il sait que le chemin, que celui-ci doit suivre, lui sera montré, et ces paroles d’adieu : « Va en paix » signifient : « Va, je n’ai nulle crainte à ton égard. Tu es sous une haute protection. Celui qui t’a reçu avec tant de miséricorde te guidera aussi en toute vérité.

III

Ce qui précède me paraît suffisant pour laver de tout reproche la conduite de Naaman et d’Élisée. L’application que nous pouvons nous en faire ressort d’elle-même. Nous nous adresserons d’abord à ceux qui se font juges au milieu de nous. Que cette histoire soit pour eux un avertissement qui les fasse souvenir de ne jamais condamner qui que ce soit avec précipitation. De ce que vous entendez dire que tel ou tel frère a paru dans quelque réunion mondaine, il ne s’en suit pas qu’il ne soit pas chrétien. Il peut y être allé avec une grande répugnance, parce que les devoirs de sa charge l’y appelaient ou que son prince lui demandait de l’y accompagner. Ne dites pas que dans le dernier cas il eût dû sacrifier la faveur de son prince, son influence et sa sphère d’activité, plutôt que de participer à de telles folies ! Un jugement semblable, malgré son apparence héroïque, ne serait que prématuré et irréfléchi. Il pourrait arriver aussi que cet homme eût été attiré dans ce lieu par une tentation du diable, et qu’il y eût souffert au point de ne jamais songer à y retourner. Dans ce cas, vous auriez condamné un enfant de Dieu, parce qu’il a été forcé de laisser une plume de son aile dans les serres du vautour ! Oh ! gardez-vous, mes frères, gardez-vous des jugements, ou au moins, commencez par vous juger vous-mêmes. Dans votre vie retirée ne vous conduisez-vous pas plus mal que ceux qui vivent sur les grands théâtres du monde, et ne pourriez-vous souvent vous appliquer cette parole : Vous payez la dîme de la menthe, de l’aneth et du cumin, et vous laissez les choses les plus importantes de la loi, c’est-à-dire la justice, la miséricorde et la fidélité ; vous coulez le moucheron et vous avalez le chameau. Que se passe-t-il dans vos soirées ? Faut-il vous le dire ? Vous commencez par une conversation religieuse, afin de vous constituer, en quelque sorte, en assemblée chrétienne et de vous arranger avec votre conscience ; puis tout prend une autre tournure et l’on voit s’accomplir ce qui est dit dans le 3me chapitre de St.-Jacques : La langue est un petit membre, mais elle peut se vanter de grandes choses. Voilà aussi un petit feu, combien de bois allume-t-il ? Non, mes frères, il ne faut pas qu’il en soit ainsi. Si chacun balayait d’abord devant sa propre porte, cela vaudrait mieux que de commencer par s’occuper de celle du voisin. Souvenez-vous que de la mesure dont vous aurez mesuré les autres, vous serez aussi mesurés ; mais que celui-là ne sera point jugé qui se juge lui-même.

Ma seconde remarque sera pour vous, âmes opprimées, qui vous trouvez comme exilées au milieu des manifestations de l’incrédulité et du vice ; pour vous, enfants de Dieu, qui êtes isolés au milieu de familles mondaines ou dans des ateliers où vous devez assister à des spectacles pires peut-être que tout ce qui a pu se passer dans le temple de Rimmon. Ah ! je vous plains, pauvres captifs ! Souvenez-vous de ces paroles du Seigneur : Vous aurez de grandes tribulations dans le monde. — Mais ayez la paix en Lui. — Lors même que vous traversez ces demeures du diable, vous ne faites point corps avec lui. Protestez par vos paroles et par votre exemple contre les sentiments impies qui sont exprimés autour de vous et possédez vos âmes par la patience. Endurez les ardeurs de la fournaise jusqu’à ce que l’Eternel vous donne une issue. Amassez des charbons ardents sur la tête de vos ennemis, toutes les fois que vous en aurez l’occasion. Donnez gloire à Dieu de ce qu’il vous soutient et vous fortifie par son esprit de vérité. Que l’exemple du juste Lot vous console ! combien n’a-t-il pas été tourmenté par les méchants ! Rappelez-vous Joseph en Egypte, Daniel à Babylone et n’oubliez pas la prière de votre souverain sacrificateur : Je ne te prie pas de les ôter du monde, mais de les préserver du mal. Souvenez-vous aussi de cette promesse : L’Eternel garde les âmes de ses bien-aimés, et les délivre de la main des méchants.

Ma troisième application sera pour ceux qui, parmi nous, sont encore tièdes et indécis ; pour ceux qui voudraient bien être comptés au nombre des chrétiens, mais qui cependant ne veulent point abandonner le monde. C’est en vain que vous vous efforcez de vous persuader qu’en vivant ainsi vous suivez l’exemple de Naaman. Qu’avez-vous de commun avec lui ? Vous ne pouvez pas même comparer votre position extérieure à la sienne. Si vous renonciez aux voies du monde, loin de perdre une salutaire influence sur vos relations, c’est alors qu’une telle influence vous serait possible. Si vous disiez avec fermeté : « Mes amis, je ne puis, à cause de l’amour qui me lie à Christ, participer à telle ou telle action, » vous n’encourriez sans doute pas de royale disgrâce et vous n’auriez point à craindre d’être renvoyés d’une place importante. Ce qui pourrait vous arriver de pis, ce serait d’être exposés à quelques moqueries, au dédain, au blâme d’une foule ignorante et aveugle. Mais souffrir l’injure pour le nom de Christ, fait partie du lot des rachetés, et celui qui n’est pas marqué de ce sceau de l’Agneau a raison de douter de son christianisme. Le culte de Rimmon n’était qu’un supplice que Naaman se préparait à endurer ; mais votre cœur, à vous, n’est que trop enclin aux vanités de ce monde. Naaman éprouvait du scrupule à participer, même extérieurement, à ce culte idolâtre ; mais vous n’en avez aucun lorsque vous vous abandonnez à vos convoitises. Naaman craignait, par-dessus tout, qu’on l’accusât de renier Jéhovah et de fraterniser avec les païens. Tout au contraire, vous cherchez à éloigner de l’esprit des enfants du monde, tout soupçon de votre communion avec ce peuple qu’ils méprisent. Naaman désirait véritablement vivre selon le Seigneur, et c’est pourquoi il exposa ses scrupules à l’homme de Dieu. Mais vous cherchez à tordre la parole de Dieu afin d’excuser et de pallier votre coupable indécision. Naaman eût renoncé à l’instant, et quoiqu’il eût pu lui en coûter, à rentrer dans le temple idolâtre, si Élisée le lui eût fait envisager comme un péché. Loin d’agir ainsi, vous endurcissez votre cœur contre nos représentations et vous fermez votre oreille à nos avertissements !

Trouvez-vous peut-être que nous vous fassions tort ? Eh bien, précisons notre pensée. Vous faites partie de sociétés où l’on tue le temps en jouant aux cartes. — Cela n’est-il pas permis ? dites-vous.– Non, répondons-nous sans hésiter. Cela n’est point permis à celui qui veut être chrétien ; et sans indiquer ici tous les motifs qui se présentent d’eux-mêmes, il suffit de considérer que c’est un sujet de scandale pour les frères. Vous allez au bal. — Quoi ! dites-vous, ceci est aussi incompatible avec le caractère chrétien ? — Oui, répondons-nous au nom de Dieu. Il ne convient pas que ceux à qui il est ordonné de crucifier la chair avec toutes ses affections et ses convoitises, fréquentent ce domaine de la vanité, de la dissipation et de la sensualité. — Vous allez au théâtre. — Est-ce donc interdit aux chrétiens ? — Oui sans doute. Que sont les théâtres, particulièrement dans leur état actuel, sinon des repaires du mensonge, des lieux où le péché est glorifié, des foyers de corruption, des temples consacrés à la sensualité, des jardins où le diable tend ses pièges et exerce ses tentations, des lieux où tout ce qui est sacré est méconnu, ridiculisé, ou tout au moins profané ! Est-ce donc là la place d’un homme qui a pour unique but de se consacrer au service de Celui qui a dit : « Sortez du milieu d’eux et ne touchez à aucune chose souillée ? » — Vous fréquentez des cercles où, si l’esprit de frivolité n’y domine, nous ne trouverons qu’insipidité, matérialisme et incrédulité. Là non plus n’est pas votre place. — Le christianisme nous renferme-t-il donc dans de si étroites limites ? — Ah ! si vous trouvez que ce sont des limites, c’est mauvais signe. — Mais, que l’Eternel nous pardonne lorsque nous continuerons à fréquenter ces lieux. — Non, le Seigneur ne vous le pardonnera pas, car vous vous mêlez à ces vanités, parce que votre cœur y est incliné, et non parce que votre position vous y oblige. Vous méprisez vous-mêmes ceux qui vous blâment. Eloignez-vous donc de ces sentiers d’injustice, rompez avec le monde ; c’est au nom de Dieu que nous vous en conjurons. — Mais vous ne nous écoutez pas. — Qu’avons-nous besoin d’autres preuves ? Non, vous n’êtes pas des Naaman. — Que Dieu nous accorde la pureté de cœur ; qu’Il nous rende semblables à Moïse qui estima l’opprobre de Christ plus excellent que les richesses de l’Egypte, — semblables à Paul « qui estimait toutes choses comme étant nuisibles et comme des ordures, afin de gagner Christ. » — Loin de nous, ce christianisme à la mode qui s’accommode à tout et qui sous le nom de choses indifférentes, ramène une à une toutes les vanités auxquelles il n’avait renoncé qu’en apparence. — Mais loin de nous aussi ce piétisme étroit et pharisaïque qui, passant légèrement sur les choses essentielles, fabrique une foule de petites lois, de petits règlements ; interdit ceci ou cela ; impose à ceux qui sont appelés à la liberté un joug dont Christ ne chargea jamais son peuple. « Liberté par Le St.-Esprit, » telle est la devise que portent sur leur bannière les enfants de Dieu ! Que l’amour de Christ seul nous presse. L’amour rencontre toujours ce qui est juste. Puisse-t-il être la source d’où découlent toutes les actions de notre vie. Amen ! Amen !

chapitre précédent retour à la page d'index chapitre suivant