Élisée fils de Saphat

18.
Guéhazi

Nous trouvons dans le 21me chapitre de St. Matthieu, le récit d’un événement étrange, qui apparaît comme un nuage menaçant au milieu du ciel serein de l’Evangile. Le Seigneur se rendait de Béthanie à Jérusalem. Il se sent pressé de la faim et s’approche d’un figuier dont le riche feuillage, donnait lieu d’espérer qu’il y aurait des figues à peu près mûres. Car le figuier, comme vous le savez, laisse paraître des fruits avant de pousser les feuilles. Mais il est trompé dans son attente. Cet arbre si beau, si apparent, n’était pas même aussi avancé que plusieurs de ceux qui n’avaient point encore de feuillage. Cet arbre était l’image des hypocrites.

Le Seigneur ouvre sa bouche miséricordieuse pour prononcer une malédiction. Qu’aucun fruit, dit-il, ne naisse jamais de toi. A l’instant même la sève s’arrête, l’arbre se dessèche et meurt, et lorsque les disciples passent le lendemain au même endroit, ils s’écrient tout effrayés : Comment est-ce que le figuier est devenu sec en un instant ? Les arbres qui ne promettaient rien de plus que ce que la saison pouvait faire attendre et dont les branches redressées vers le ciel semblaient réclamer le soleil du printemps, n’avaient point été maudits. C’est ainsi que le Seigneur ne maudit point les âmes sincères qui disent : Je n’ai point encore le fruit, je n’étalerai point un inutile feuillage.

Toute plante que mon père céleste n’a point plantée, dit le Seigneur, sera déracinée. Cette parole est tout aussi consolante pour les croyants qu’elle est terrible pour ceux qui marchent dans leur propre force. Mais j’entends des soupirs qui semblent dire : Suis-je l’ivraie ou l’épi de froment ? Il peut se faire, en effet, que ces paroles épouvantent de vrais enfants de Dieu, surtout ceux qui, sous l’influence d’une éducation pieuse, sont parvenus presqu’insensiblement à la foi et à la vie chrétienne. Mais que personne ne se hâte de douter. Vous savez qu’il y a deux sortes de plantes dans les jardins : les marcottes et ce qui vient de semence. C’est ainsi qu’il y a dans le jardin de Dieu deux sortes de vrais chrétiens. Les premiers ont été engendrés immédiatement à la foi et à la vie de Dieu ; il sera difficile de les ébranler dans la conviction qu’ils ont été plantés par le Père céleste. Les autres, comme les marcottes et les provins ont été pris, pour ainsi dire, de l’arbre de la foi de parents pieux, ou de maîtres et d’amis fidèles. Longtemps il n’y eut en eux aucune vie propre ; mais peu à peu, sous l’influence de la grâce, ils poussèrent une verte racine ; et maintenant ils participent, eux aussi, à toutes les bénédictions de Dieu. C’est donc la racine qui est la chose importante ; cette racine, c’est la foi d’un cœur humilié qui pénètre dans la justice de Christ, qui est pour nous le seul fondement.

2 Rois 5.19-27

19 Ainsi étant parti d’auprès de lui, il marcha environ quelque petit espace de pays. 20 Alors Guéhazi, le serviteur d’Élisée, homme de Dieu dit : Voici, mon maître a refusé de prendre de la main de Naaman, Syrien, aucune chose de tout ce qu’il avait apporté avec lui ; l’Eternel est vivant que je courrai après lui et que je prendrai quelque chose de lui. 21 Guéhazi donc courut après Naaman, et Naaman le voyant courir après lui, se jeta hors de son chariot au devant de lui et lui dit : Tout va-t-il bien ? 22 Et il répondit : Tout va bien. Mon maître m’a envoyé pour te dire : Voici, à cette heure, deux jeunes hommes de la montagne d’Ephraïm sont venus vers moi, qui sont des fils des prophètes ; je te prie, donne-leur un talent d’argent et deux robes de rechange. 23 Et Naaman dit : Prends hardiment deux talents ; et il le pressa tant qu’on lia deux talents d’argent dans deux sacs ; il lui donna aussi deux robes de rechange, et il les donna à deux de ses serviteurs qui les portèrent devant lui. 24 Et quand il fut venu en un lieu secret, il les prit d’entre leurs mains et les serra dans une maison ; après quoi il renvoya ces gens-là, et ils s’en retournèrent. 25 Puis il entra et il se présenta devant son maître, et Élisée lui dit : d’où viens-tu, Guéhazi ? et il lui répondit : Ton serviteur n’a été nulle part. 26 Mais Élisée lui dit : Mon cœur n’est-il pas allé là, quand l’homme s’est retourné de dessus son chariot au devant de toi ? Est-ce le temps de prendre de l’argent et de prendre des vêtements, des oliviers, du menu et du gros bétail, des serviteurs et des servantes ? 27 C’est pourquoi la lèpre de Naaman s’attachera à toi et à ta postérité pour jamais. Et Guéhazi sortit de devant Élisée blanc de lèpre comme la neige.

Qui ne se sentirait profondément affligé de voir se terminer de la sorte le récit qui, jusqu’ici, avait rempli nos cœurs d’une joie sans mélange. C’est ainsi que même les choses les plus belles ici-bas ne peuvent demeurer hors des atteintes du péché ; mais ce triste appendice ne vous sera point inutile. C’est comme le fond obscur qui fait ressortir bien plus encore la droiture d’Élisée et la pureté de Naaman. Consacrons donc quelques instants de réflexion à un incident si propre à nous suggérer des pensées salutaires. Nous considérerons d’abord l’état d’âme de Guéhazi ; puis son action criminelle et enfin son châtiment. Que le Seigneur nous donne des oreilles attentives !

I

Celui à qui nous avons à faire n’est point un mauvais sujet de la lie de la société ; c’est l’élève, le serviteur et le compagnon d’Élisée. Il ne pourrait l’être, s’il ne s’était passé une fois en lui quelque chose de semblable à une conversion. Il est difficile de dire en quoi consiste proprement cette impression religieuse. Cette régénération apparente, soigneusement analysée, n’aurait sans doute laissé voir autre chose que l’ivresse passagère et les sentiments enthousiastes de la jeunesse. Ne voit-on pas souvent s’offrir pour le service des missions des personnes dont l’ardeur et le zèle sont tels, qu’il est difficile de reconnaître au premier abord que ce n’est autre chose qu’une fleur brillante de la chair ? Plus souvent encore, on voit s’unir avec amour au peuple de Dieu des personnes qui n’ont encore rien compris au péché, et qui ignorent ce que c’est que le besoin de rédemption. — Est-il donc possible que le christianisme possède quelque attraction pour la chair ? Oui mes frères : L’imagination, par exemple, trouve un aliment dans le champ de l’histoire sacrée ; la sensibilité dans la contemplation des scènes touchantes de la vie des personnes pieuses ; l’intelligence se plaît à déchiffrer les mystères des Saintes Ecritures ; et la conscience elle-même trouve une jouissance pharisaïque dans l’observance de certaines pratiques religieuses. — De nos temps, en quelques endroits du moins, le christianisme procure de l’honneur à ceux qui le confessent. La conversion du rationalisme vulgaire à la vérité biblique passe pour le signe d’une intelligence supérieure et souvent il en découle tel ou tel avantage temporel. — Comment donc pourrait-il être impossible que la chair eût parfois l’envie de se revêtir de la robe de la piété !

Je ne sais ce que cherchait Guéhazi parmi les enfants de Dieu ; peut-être était-il attiré par le mystérieux caractère de leur fraternité ; peut-être l’était-il par l’imposant aspect de la carrière des prophètes ; peut-être encore avait-il conçu l’espérance qu’un jour viendrait où il opèrerait lui-même des miracles, brillerait parmi ces hommes si éminents en Israël ; mais ce qui paraît certain, c’est que le jeune homme n’entre point par la porte dans le bercail de son maître, et que ce qui avait, en lui, l’apparence d’une œuvre de Dieu, n’était que l’excitation des émotions et des affections naturelles.

Mais comment se fait-il qu’Élisée lui eût accordé entre tous ses compagnons le privilège de l’accompagner dans ses voyages et de jouir de sa précieuse société ? Vous m’en demandez trop, mes bien-aimés ! qui peut le savoir ? — Sans doute le prophète avait conçu de brillantes espérances au sujet de ce jeune homme si bien doué ; et en apercevant ses côtés faibles, il avait cru bon de le prendre sous sa direction immédiate, afin qu’il ne pût pas être mal dirigé. Mais le prophète ne supposait pas qu’il pût être si odieusement trompé par l’objet de son affection. Vous vous souvenez des réflexions que nous vous avons présentées au sujet de la scène de la résurrection de Sunem. Mais ce que nous lisons dans notre texte nous présente le mauvais état spirituel de Guéhazi sous des couleurs tout autrement sombres. Hélas ! ce jeune homme, a, dès le commencement, mal interprété l’inscription placée à l’entrée du royaume de Dieu et il n’a pas lu ces mots : Celui qui n’abandonne pas tout ce qu’il possède ne peut être mon disciple. — Le songe qui l’a attiré dans la compagnie des saints, s’est dissipé et la réalité ne lui offre point ce qu’un calcul égoïste lui avait fait espérer. Il s’était représenté je ne sais quel paradis, et ne trouve au contraire qu’un désert dans la vie sérieuse des fidèles. Il demeure pourtant parmi eux, mais par force, et c’est pour lui comme un cachot ; douloureusement déçu, il n’est pas assez sincère pour avouer sa méprise, il est trop lâche pour rompre ses pesants liens. Hypocrite, il brûle intérieurement de l’amour du monde, tout en ayant l’air de le mépriser profondément. Tandis que l’œil de son corps se lève vers les cieux, celui de son âme convoite les jouissances de l’Egypte. Ah ! que n’a-t-il la force de se libérer, de dire ouvertement qu’il regrette de s’être uni aux frères et d’avoir échangé les jouissances et les plaisirs du monde contre la sobriété et les privations de sa situation actuelle. Mais il demeure sous son déguisement ; il s’associe encore à la manière de vivre des fils des prophètes et de son maître ; mais la corruption de ce sépulcre blanchi s’étend d’autant plus, qu’elle est plus profondément cachée sous les dehors d’une vie pieuse.

Hélas ! j’ai bien peur que, parmi nous, il ne se trouve aussi des Guéhazi ! Je pourrais presque sans craindre de me tromper, désigner du doigt ceux qui ressemblent au serviteur du prophète. Eux aussi se rangèrent jadis avec une sorte d’enthousiasme sous la bannière de Christ, et s’associèrent avec joie aux pensées, au langage, aux habitudes des enfants de Dieu. A cette heure même ils marchent encore avec les frères, mais comme des gens qui se seraient égarés dans un faux sentier et qui voudraient pouvoir le quitter ; comme des personnes qui auraient engagé imprudemment leur parole, mais qui n’osent la retirer de peur de se dégrader à leurs propres yeux et à ceux des autres. — Mais je vous en conjure, ne craignez pas de la reprendre ! On vous pénètre déjà assez ; on sait, sans avoir reçu votre aveu, que dans le fond de vos cœurs vous appartenez au monde, et que les formes du christianisme que vous revêtez, sont pour vous comme une lourde chaîne. Oh ! nous vous libérerions volontiers de la gêne du langage chrétien. Nous vous dispenserions volontiers de rester parmi nous, car vous ne faites autre chose que de faire tomber l’opprobre sur notre roi, et vous trahissez par vos œuvres le sanctuaire auquel votre bouche rend hommage. Ne souillez pas davantage les parvis du Seigneur. Déposez votre masque inutile. Soyez au dehors comme au dedans les enfants du monde. Fréquentez les bals, les théâtres, au lieu des saintes assemblées. Dites aux fous et aux moqueurs : « Nous sommes des vôtres. » Par là vous rendrez vraiment service à notre cause que vous ne faites que compromettre et rendre suspecte.

Mais reprenons notre récit. Naaman, profondément heureux de la grande bénédiction qui lui a été accordée, vient de quitter le prophète. Élisée est ému, son cœur déborde de reconnaissance envers Dieu à cause de la miséricorde qu’il a déployée en faveur de cet étranger. Les anges de Dieu célèbrent sur leurs harpes des hymnes de louange. L’âme de Guéhazi s’émeut aussi. Quand le soleil brille, les chantres des airs ne s’émeuvent pas seuls ; les basilics et les vipères s’agitent aussi dans les broussailles. Eh bien, le serpent s’agite dans le cœur de Guéhazi. Guéhazi ne se réjouit pas. — Guéhazi est triste et sombre. — C’est la un signe caractéristique ; car, s’il ne se réjouit pas de la conversion d’un pécheur, c’est qu’il n’est pas né de Dieu. Satan fait de même en pareil cas, il s’attriste et il blasphème. Mais quelle est donc la cause de la mauvaise humeur de Guéhazi ? Il est fâché de ce qu’Élisée est désintéressé et de ce qu’il a refusé les dons du Syrien. Il est désolé de voir lui échapper la part qu’il espérait d’un butin si considérable. Oh ! à quel degré de maturité sont parvenus en cet homme les germes de corruption ! C’est ainsi que la convoitise ayant conçu, enfante le péché, et que le péché étant consommé engendre la mort !

Naaman poursuit gaiement sa route. Élisée, pressé de prier et de rendre grâces, rentre dans sa cabane. Mais Guéhazi demeure encore un instant enseveli dans ses pensées, et enfin il s’écrie : Voici, mon maître a refusé de prendre de la main de ce Syrien aucune chose de tout ce qu’il avait apporté. Il ne pourra assez louer la générosité du prophète. Mais quel profit en aurai-je, s’il remporte à Damas son or et son argent ? Quel bonheur si ce trésor dédaigné me tombait entre les mains ! J’achèterais des vignes et des oliviers, j’aurais des troupeaux et des serviteurs autour de moi. Mais il est encore près ; saisissons l’instant favorable, courons après lui. Oui, l’Eternel est vivant que je courrai après lui et que je prendrai quelque chose de lui. C’est ainsi qu’il se parle à lui-même, et sa funeste résolution est prise. Remarquez la ruse tortueuse et la bassesse de cet homme. Il ne peut se dissimuler que le prophète a agi magnanimement, en refusant le présent. Cependant, il foule aux pieds ce bel exemple, et se prépare à agir d’une manière directement opposée. Il sait bien qu’il imprimera ainsi aux yeux de l’étranger une tache honteuse sur la conduite de son maître. Mais cela ne l’empêche point de prêter l’oreille aux conseils de sa cupidité. Il sait qu’il peut attirer sur tout le peuple de Dieu l’accusation de duplicité et d’avarice ; mais que lui importe ! Il ne pense qu’à son propre avantage, et il est déjà assez impie et assez dépravé pour prendre à témoin de son odieuse action Celui qui ne peut la voir qu’avec horreur. L’Eternel est vivant, dit-il, comme en se raillant d’Élisée, qui, lui aussi, a employé cette formule pour refuser les dons de Naaman. L’Eternel est vivant que je courrai après lui et que je prendrai quelque chose de lui.

II

Ayant ainsi parlé, Guéhazi s’élance à la poursuite de Naaman. Le Syrien aperçoit le serviteur d’Élisée et le reconnaît. Aussitôt il fait arrêter son chariot, en descend, et court au devant de Guéhazi. Nouvelle preuve de son humilité, de son respect et de sa profonde reconnaissance envers le prophète. « Tout va-t-il bien ? » demande-t-il avec inquiétude. « Tout va bien, » répond Guéhazi. Il se dit envoyé par son maître, puis, prévoyant que Naaman ne croira pas que le prophète redemande maintenant le don qu’il vient de refuser, il invente toute une histoire avec la plus inconcevable audace. Il raconte que deux fils des prophètes, venus des montagnes d’Ephraïm auprès de l’homme de Dieu, sont dans la plus grande détresse, qu’Élisée voudrait bien pouvoir les secourir, mais que n’ayant pas le moyen de le faire, il recourt à Naaman avec une entière confiance, et lui demande un talent d’argent et deux robes de rechange. Oh ! nos cœurs ne s’embrasent-ils pas d’indignation à l’ouïe de cet infâme mensonge ! Quelques pièces d’argent suffiront pour décider ce misérable à vendre aux païens l’honneur de Jéhovah et de son peuple.

Heureusement, il ne réussit point à porter le trouble dans l’âme de Naaman qui, dans la haute opinion qu’il a conçue du peuple d’Israël et des fils des prophètes, ne suspecte point la vérité de Guéhazi, et ne consentirait jamais à douter de la pureté des sentiments d’Élisée. Le Seigneur garde les simples. Le Syrien croit tout ce que lui raconte le jeune homme, et il se réjouit de trouver enfin le moyen de donner au prophète un témoignage de sa reconnaissance et de faire quelque bien au peuple de Dieu. Il presse Guéhazi d’accepter deux talents d’argent au lieu d’un, tandis que l’hypocrite feint de ne pas vouloir les accepter. Il lui donne tout aussi volontiers deux robes de rechange, il veut même en charger deux de ses serviteurs, afin qu’ils les emportent là où Guéhazi leur dira d’aller. Ne nous semble-t-il pas que Guéhazi dut être accablé de honte ? Mais non, son front est d’airain, il est ravi du succès de son artifice ; il se retire avec son trésor et ne songe qu’à la difficulté de le déposer en un lieu sûr. Le misérable ! Oh ! qu’il vaut mieux être à la place de celui qu’il abuse ! O pureté d’intentions, véracité, simplicité de cœur, magnifiques perles de la parure du chrétien ! Que ne sommes-nous tous reconnaissables par cet ornement ! Mais les caractères tels que celui de Naaman deviennent tous les jours plus rares !

Mais quel fruit ce malheureux retire-t-il de son larcin ? Ecoutez, mes frères, et soyez saisis de crainte. Guéhazi permet que les deux serviteurs l’accompagnent jusqu’à une colline située à peu de distance de la ville ; mais il n’ose pas s’aventurer plus loin. Il prend, sans doute sous quelque autre prétexte, les talents et les robes des mains des serviteurs, les remercie hypocritement, et va cacher son trésor dans la maison d’un ami, en attendant de pouvoir en disposer. Voici donc la crainte et l’angoisse, ces deux compagnes du péché qui s’emparent déjà de son âme. Ce n’est pas le regard de Dieu qu’il redoute, c’est celui des hommes. Un bruit d’orage commence à gronder au dedans de lui ; son cœur est oppressé, mais il rassemble toute son énergie pour comprimer les terreurs qui l’agitent.

Guéhazi retourne auprès d’Élisée avec la candeur apparente de l’innocence. Il a l’air de dire : Je ne crains pas tes regards. Mais ce masque lui refuse le service qu’il en attend. Le regard scrutateur du prophète se fixe sur lui et Élisée lui demande : D’où viens-tu Guéhazi ? Cette question, dit un judicieux auteur, aurait dû l’avertir, comme le roulement lointain du tonnerre et l’engager à chercher un abri contre l’orage. Mais il espère encore pouvoir tromper l’esprit prophétique. Ton serviteur, répond-il, n’a été ni ici, ni là. Comme l’éclair dont la rapide lumière suffit pour montrer le danger, mais non pour conduire à la délivrance, une terrible réponse le surprend et l’accable : Mon cœur n’est-il pas allé là, quand l’homme s’est retourné de dessus son chariot au devant de toi.

Concevez-vous la honte, la confusion et l’étonnement de ce fils de perdition, en voyant son hypocrisie dévoilée ! Le malheureux ! le voilà confondu, obligé de se dire : Élisée sait tout. Dieu lui a fait entendre mes mensonges ; il a vu toute ma fraude. Oui, l’œil d’Élisée avait même pénétré au delà ; il savait l’usage que Guéhazi voulait faire de ces trésors frauduleusement acquis : Est-ce le temps, lui dit-il, de prendre de l’argent et de prendre des vêtements, des oliviers, des vignes, du menu et du gros bétail, des serviteurs et des servantes… Élisée voulait dire : « Ton crime est encore aggravé par les circonstances dans lesquelles il a été commis, » En effet, en agissant ainsi dans ces temps malheureux, où, plus que jamais, les fidèles devaient s’attacher à glorifier leur sainte cause ; en obscurcissant l’œuvre éclatante que Dieu venait d’accomplir par Élisée, et dont l’impression semblait devoir, momentanément du moins, éloigner du crime les cœurs les plus durs ; en donnant au monde un prétexte d’accuser d’hypocrisie les saints de Dieu, et de douter qu’il y ait jamais eu sur la terre une seule âme vraiment pieuse ; en bravant audacieusement l’esprit de prophétie, Guéhazi rendait son péché encore plus hideux et plus exécrable, et commettait presque ce péché contre le St.-Esprit, dont il est dit que seul il ne pourra être pardonné.

Élisée a déjà reçu ses instructions touchant le coupable ; il lui annonce au nom de Dieu que : La lèpre de Naaman s’attachera à lui et à sa postérité pour jamais ; et cette parole s’accomplit à l’instant même, car, il sortit de devant Élisée, blanc de lèpre comme la neige. Il était nécessaire pour l’honneur de Jéhovah, de marquer et d’exposer ainsi la brebis galeuse. Il était nécessaire de mettre en évidence aux yeux du monde ce témoignage vivant d’une abominable hypocrisie. Cette même lèpre devait être le monument permanent de la miséricorde de Jéhovah ; car c’était la lèpre de Naaman, et les âmes désireuses de salut devaient y trouver un gage de secours. Mais cette lèpre devait s’attacher à ses enfants à jamais. Nous laisserons à d’autres la tâche de contester avec Dieu. Pour moi, je m’incline et je bénis. Il saurait bien justifier ses voies s’il le jugeait convenable ! — Si d’ailleurs ce mal put rendre aux descendants de Guéhazi le même service spirituel qu’il rendit à Naaman, je ne pense pas qu’ils aient jamais regretté d’avoir servi, durant leur séjour sur la terre, à rappeler sans cesse la justice, la puissance et la miséricorde du Dieu vivant.

Le voilà donc ce triste récit dont il est facile de comprendre et de vous appliquer la signification. Je termine ici. Mais mon cœur me pousse à revenir encore sur mes pas pour vous adresser quelques sincères avertissements. Et d’abord, mes bien-aimés, je vous en conjure par le salut de vos âmes, gardez-vous du levain des pharisiens qui est l’hypocrisie. Soyez candides, soyez sincères, attachez-vous à ce qui est vrai devant Dieu et devant les hommes. Si vous êtes des sépulcres blanchis, défiez-vous de vos masques. L’heure viendra, pour vous comme pour Guéhazi, où vous serez découverts ; probablement déjà sur la terre, incontestablement au jour du jugement.– Sachez aussi que pour plusieurs, l’heure où ils seront démasqués sera celle où mûrira leur perversité et où ils atteindront le dernier degré de l’endurcissement. Lorsque Judas vit que son maître l’avait pénétré, son aigreur contre Jésus monta à son comble et Satan s’empara complètement de lui. Croyez-moi, il en arrive ainsi à plus d’un hypocrite. Avant qu’il s’en doute, la noirceur de son âme vient à être découverte, et le fruit de sa honte n’est pas l’humiliation ou la soumission, mais une haine satanique contre Christ et son peuple, haine qui livre à jamais l’infortuné aux puissances infernales. Puisse la miséricorde de Celui qui bénit les cœurs sincères, mais qui conduit les menteurs à leur ruine, vous préserver d’un sort semblable ! Puisse-t-il vous purifier et vous amener à la vérité. Qu’il vous retire à temps le masque qui vous cache à vous-même votre noirceur et la vraie connaissance de vos péchés et vous ôte le désir de tromper vos semblables. Je vous conjure encore, vous tous qui n’éprouvez pas encore un vrai désir de vous consacrer au Seigneur, abstenez-vous d’un pieux langage qui, loin d’avoir quelque valeur, ne fait que rendre votre position plus désespérée. Car vous ne feriez que fournir une nouvelle preuve de ce qui a été si souvent dit : que les faux frères font plus de tort à l’Evangile (si tant est qu’il puisse recevoir du dommage), que ses ennemis déclarés. Par égard pour nous et pour la sainte cause de Dieu, demeurez en arrière jusqu’à ce que vous puissiez dire en toute vérité avec St.-Paul : Ce qui m’était un gain je l’ai regardé comme m’étant nuisible pourvu que je gagne Christ. Pourquoi voulez-vous porter un joug et nous être un embarras en vous joignant à nos rangs par des motifs impurs qui ne tarderont pas à être connus ? Restez avec ceux à qui vous ressemblez dans le fond de l’âme. Portez la cocarde du maître que vous servez réellement. N’endossez pas l’uniforme de Christ avant que lui-même vous appelle sous ses drapeaux. Le christianisme, cette plante délicate et céleste, greffée sur une tige naturelle, ne porte que des fruits de perdition.

Enfin, mes frères, ne vous laissez pas aveugler et détourner par les tentations de Mammon. Quelques brillantes que soient les perspectives qu’il vous offre, ne croyez pas aux promesses de l’impuissante idole. Ses monceaux d’or ne sont que de l’écume. Son paradis n’est qu’un vain fantôme. Le seul vrai bien, le seul désirable sur la terre ; — c’est la paix de Dieu ! Recherchez-la de toutes vos forces ; elle est digne de vos plus sérieux efforts. La sacrifier comme le fit Guéhazi à un rêve charnel, c’est une folie suggérée par Satan. — Quand je gagnerais le inonde entier, que serais-je qu’une créature misérable, si je n’avais l’amour de Christ pour me consoler. Mais si je le possède je ne demande plus rien ni dans le ciel ni sur la terre !

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