Élie le Tishbite

24.
L’ascension

Il est incontestable, mes frères, que la fausse théologie des temps modernes n’aurait pas à beaucoup près fait autant de mal qu’elle en a malheureusement causé, si elle avait toujours attaqué ouvertement les vérités révélées. Mais elle se gardait bien de le faire, elle ne niait rien positivement et se donnait l’air de croire fermement toutes les doctrines fondamentales de l’église. Le peuple, dans sa simplicité, y fut trompé ; il ne sut pas soulever les masques, il ne distingua pas sous l’ange de lumière l’esprit de mensonge, et fut ainsi conduit sans s’en douter loin du sanctuaire et des eaux vives dans les déserts de l’incrédulité. De tous les articles de la foi, il n’en était à peu près aucun que cette fausse théologie effaçât complètement ; elle les maintenait tous, seulement elle les épurait, disait-elle, et les présentait sous leur forme véritable et dans leur primitive simplicité. Le pauvre peuple croyait tenir encore entre ses mains les fleurs odorantes du jardin de l’Evangile, et voici, elles étaient sèches.

Le Fils de Dieu qu’on présente à ces gens abusés, a été si bien spiritualisé qu’ils ne savent pas même s’il est un personnage historique et réel, ou quelque vain fantôme, quelque idée personnifiée. On recommande sans doute à leur foi un Etre suprême ; mais cet Etre n’a pas de nom, et il siège dans les cieux à une hauteur telle qu’ils doivent renoncer à tout commerce quelque peu intime avec lui. Il est vrai qu’on leur laisse le ciel, mais ce ciel n’existe qu’aussi longtemps qu’ils ne songent pas sérieusement à y entrer, car dès qu’ils en cherchent la route, ils ne savent plus où le trouver, il a disparu. Ils aiment, il est vrai, à penser à la vie éternelle où se retrouveront tous ceux que la mort a séparés pour un temps ; mais si leur cœur venait à éprouver sérieusement le besoin d’une consolation semblable, ils s’apercevraient à instant même que l’éternité qu’on leur annonce n’est qu’un vain son, et que les rives célestes où ils veulent jeter l’ancre, ne sont que des nuages trompeurs.

Pauvre peuple, si indignement trompé ! tu as donc entièrement oublié l’avertissement de l’apôtre : « Prenez garde que personne ne vous séduise par la philosophie et par de vaines subtilités » (Colossiens 2.8). Loin de nous cette théologie qui transforme et change en fumée les plus précieuses réalités ! Nous ne nous laisserons pas enlever le réalisme biblique ; le cœur humain veut des êtres vivants, des faits positifs, des choses substantielles. Nous voulons un Dieu fait homme accessible à notre intelligence comme à notre amour, un Dieu qui veut, et qui agit selon sa volonté, et qui fait entrer dans ses plans les cheveux même de nos têtes ; une Caution qui subit à notre place un vrai jugement et une vraie condamnation ; un ciel dans l’espace que peuplent des êtres visibles ; une immortalité consciente et personnelle ; une réunion de notre âme à son ancien compagnon, le corps. Voilà les réalités qu’il faut à mon cœur. La misère qui m’oppresse, le péché qui m’accable, la mort qui m’attend, sont des maux si positifs, qu’il faut, pour les surmonter et pour m’en délivrer, des remèdes pour le moins aussi réels. Mon âme a faim de justice, et au lieu des fruits de l’arbre de vie, on m’en offre de peints qui peuvent à peine plaire à mes yeux.

Je laisse les ombres de la fausse théologie à qui aime la société des ombres. Je veux vivre parmi les vivants, et me nourrir d’aliments substantiels ; je me plais à ce qui parle à toutes mes facultés, à mon esprit comme à mes sens ; je me plais aux voix qui descendent du ciel, aux apparitions de Dieu revêtant une forme visible, à ces cieux qui s’ouvrent sur la tête d’un Etienne ; j’aime les espérances qu’on peut considérer au grand jour et qui ont leurs racines dans le sol de l’histoire ; j’aime des preuves matérielles de l’immortalité semblables à celle que nous offre aujourd’hui l’ascension d’Élie.

2 Rois 2.11

11 Et comme ils continuaient leur chemin et qu’ils marchaient en parlant, voici un chariot de feu et des chevaux de feu qui les séparèrent l’un de l’autre. Et Élie monta aux cieux par un tourbillon.

Vous êtes invités aujourd’hui à une fête de couronnement ; vous devez être les spectateurs d’un des plus brillants et merveilleux événements qui nous soient racontés dans la Bible. En glorifiant un de ses serviteurs, le Seigneur veut vous faire connaître quelle est votre propre gloire, si vous êtes ses enfants. Vous n’avez donc rien à envier au Tishbite, et vous pouvez admirer dans sa gloire la vôtre propre.

Après avoir indiqué le point de vue auquel il faut nous placer pour bien comprendre notre texte, nous examinerons d’abord l’ascension même, puis la signification de ce fait extraordinaire.

I

Élie et Élisée traversent la contrée solitaire qui doit être le théâtre d’un miracle dont un seul homme sera témoin. C’est le soir, sans doute. Ils marchent, mais non plus en silence, leurs langues sont déliées et ils s’entretiennent de Dieu et de leur œuvre. Cependant la nature s’apprête à la solennité du couronnement ; les nuages s’amoncellent sur leurs têtes comme un dais immense que dore le soleil couchant ; les arbres des forêts s’agitent, la voix du Jourdain s’élève plus imposante, et les premiers grondements du tonnerre retentissent dans l’air comme les salves des cieux. Jehovah descend de son trône au milieu de la tempête comme au jour où le Sinaï trembla sous ses pas ; il vient dans toute sa majesté, en présence des armées célestes, à la rencontre d’un pécheur, d’un enfant de la poudre, qu’il recevra comme un fils bien aimé et qu’il introduira par la main dans le sanctuaire.

Que signifie une telle gloire accordée à un pauvre mortel ? L’entrée triomphale du Fils de Dieu même dans la cité des cieux n’a pas été plus imposante que celle du Tishbite. Et le Tishbite cependant était, saint Jacques l’a dit, un homme tel que nous ; s’il a été traité en roi, nous donc le serons aussi, et son exemple nous apprend notre propre grandeur et nous fait relever notre tête qu’attend une couronne. Mais prenons y garde, mes frères, ce n’est point là une apothéose de la nature humaine ; ce n’est point la chair qui est ici glorifiée, ce n’est pas pour le fils d’Adam que se préparent ces célestes couronnes. Non, non, Élie n’était par lui-même qu’anathème comme nous tous. Ce que le Seigneur couronne, c’est sa propre œuvre dans une créature qui de corps et d’âme était morte dans ses péchés ; et ce qui triomphe, ce n’est point le pécheur ; c’est la miséricorde divine, cette libre grâce de Dieu qui efface les péchés à cause du second Adam, du vrai Melchisédec. C’est cette grâce qui célèbre son jour de fête, c’est elle que magnifie la nature et dont l’orage chante les louanges. Le Seigneur, en glorifiant Élie, ne fait que déclarer qu’il tient pour juste quiconque croit et s’attache, comme l’a fait Élie, au grand Médiateur. « Voyez, voyez, dit le Seigneur, aux anges, aux hommes et à l’enfer, voyez ce que peut le mérite de Christ, voyez la puissance du sang qui crie de meilleures choses que celui d’Abel, voyez quelle est l’efficace de ce sacrifice de l’Agneau qui est immolé dès le commencement. » Tel est le point de vue où nous devons nous placer pour bien comprendre l’ascension d’Élie.

II

Tout préoccupés des choses dont ils s’entretenaient en marchant, les deux amis avaient à peine pris garde à l’approche de l’orage et au bruit lointain du tonnerre. Mais bientôt ils lèvent les yeux en haut, et voici, le moment est arrivé, Jehovah s’avance. Élisée frémit, Élie avec une majesté toute royale relève la tête. Ils sont là, debout et silencieux, au milieu du tourbillon. Quel tumulte dans la nature entière ! quels éclats de foudre dans la hauteur ! quelle étrange agitation dans les nuées ! Il s’y fait une large ouverture, et de ce portail se précipite, on dirait un astre enflammé, un torrent de feu. Tout le désert en est illuminé, les sombres rochers se changent en autels ardents, le Jourdain semble rouler des flammes. Mais qu’est-ce donc qui se précipite ainsi des cieux vers la terre ? C’est un chariot de feu, ce sont des coursiers de feu : les deux prophètes les distinguent. Élisée supporte à peine ce spectacle ; Élie est calme, ses traits n’expriment que la joie du triomphe. Le chariot touche le sol à quelques pas d’eux ; un conducteur invisible tient les rênes, et les chevaux s’arrêtent.

Eh bien ! mes frères, approchons-nous aussi et considérons de près ce char merveilleux. Peu nous importe tout ce que l’incrédulité a cru y voir, tout ce qu’elle a voulu en faire. Au reste les fidèles eux-mêmes ont parfois été éblouis par l’éclat de ce miracle, et les uns ont cru remarquer que ce char de feu n’était qu’un nuage doré par le soleil couchant, tandis que d’autres, lisant au psaume 68 que le char de l’Eternel est mille milliers d’anges, et confondant la simplicité et l’exactitude de l’histoire avec les images de la poésie, ont avancé que le char d’Élie était une troupe d’anges disposée en la forme d’un chariot attelé. Mais le texte nous parle d’un char et de chevaux, et ce sont donc des chevaux et un char qui ont enlevé Élie. La plume qui a écrit ce récit, nous la croyons infaillible, quoique en dise une génération légère, incrédule et moqueuse. Il est bien vrai que des questions de tout genre se présentent à notre esprit : D’où viennent les chevaux ? D’où vient le char ? Y a-t-il dans le ciel des chevaux et des chars ? Et y monte-t-on en char ? Ou bien y a-t-il quelque étoile où habitent des créatures semblables aux nôtres, mais plus subtiles, mais éthérées, mais affranchies des lois de la pesanteur, mais lumineuses ? et serait-ce de cet astre inconnu qu’est parti le chariot qui venait chercher Élie ? Ou le Tout-Puissant a-t-il par sa parole créé du néant ce char et ces chevaux aériens ? Mes frères, je l’ignore. Que savons-nous de ce qui existe au delà de l’étroit espace où nous sommes confinés ? et l’histoire naturelle de notre petite et opaque planète n’est-elle pas à celle de l’univers ce qu’est mon jardin à la terre entière ? Quelle folie n’y aurait-il donc pas à faire de la limite de nos expériences celle des possibilités ! Qu’un autre brûle les ailes de sa foi à ce char de feu ! nous y montons avec Élie et traversons les airs avec chants de triomphe. Qu’un autre s’effraie de ces coursiers de feu ! nous nous plaisons à les considérer, et nous nous réjouissons de voir un jour la contrée d’où ils viennent. — Sans doute la foi en ces chevaux n’est pas ce qui nous sauve, comme aussi nul ne sera damné pour n’y avoir pas cru. Néanmoins c’est une question d’une très grande importance que de savoir si Élie a été enlevé, oui ou non, sur un char et par des chevaux de feu. Car si une seule colonnette de l’édifice biblique se brise, tout le temple en est ébranlé ; si je puis suspecter la fidélité historique d’un seul passage de l’Ecriture, tout le sol scriptural tremble sous mes pieds. Mais nous ne sommes pas de ceux qui doutent ; nous croyons. Et quel gain remportent-ils de leurs doutes ? L’honneur d’avoir nié ce que nous affirmons, et rien de plus. Ils s’en vont l’âme vide et sottement orgueilleux de leur fausse sagesse, tandis que nous avec notre superstition, célébrons une joyeuse fête dans le désert du Jourdain et glorifions le Dieu qui accorde de tels honneurs à ses serviteurs. Ils ne voient que nuages et brouillards, et le ciel s’ouvre à nos regards. Les lois de leurs sciences physiques les tiennent enchaînés à la terre, et nous, cédant à des forces attractives qu’ils ne connaissent pas, nous planons au dessus des étoiles. Enveloppés de mille voiles impénétrables, ils murmurent leur : Etre ou n’être pas, et nous, nous volons comme la gaie alouette au dessus de leurs têtes, et nous posons en esprit dès cette vie sur les montagnes éternelles du bienheureux avenir.

Élie est là devant le char et les coursiers de feu, calme, sans étonnement comme sans confusion ; car il sait que ses yeux vont contempler de bien autres merveilles, et qu’en lui accordant les honneurs d’un tel triomphe, Jehovah ne fait que se glorifier lui-même. Soulevé par des bras invisibles, il s’élance joyeux sur le char. « Adieu, obscures vallées de la terre, théâtre de mes combats, de mes larmes ! » Les coursiers partent, et prompts comme la flèche, ils montent au ciel par la route aérienne qui aboutit aux portes du palais de l’Eternel. Déjà le désert disparaît aux regards d’Élie ; les roues de feu font jaillir la foudre des nuées qu’elles sillonnent, l’éclair brille sous les pieds des chevaux. Élie est debout, en adoration, levant les yeux, étendant les mains vers le ciel. Et voici son corps se transfigure peu à peu, et il éprouve ce qui arrivera, lors du retour du Prince de la vie, à ceux qui demeureront encore sur la terre et qui seront enlevés à sa rencontre à travers les airs. Les choses anciennes ne sont plus ; tout est fait nouveau ; la mort est absorbée par la vie, et la corruption revêt l’incorruptibilité. Que ressent-il maintenant que la lourde maison d’argile de son corps mortel n’opprime plus son âme et ne la tient plus captive, maintenant que tous ses sens et ses organes ont pris la nature céleste ? Qui dirait tout ce que ses yeux voient, ses oreilles entendent, son cœur sent ? Un nouveau monde s’ouvre tout autour de lui. Oh quelles ravissantes salutations lui arrivent de toutes parts ! quelles gracieuses figures se dévoilent à ses yeux et se pressent, toujours plus nombreuses, autour de son char ! Il n’y a que joie et amour dans leurs regards, et une immortelle jeunesse les entoure d’un charme qu’il n’avait qu’à peine pressenti dans ses rêves terrestres les plus hardis. — Déjà l’atmosphère de notre planète est franchie, déjà les coursiers traversent l’océan de lumière où sont semés les étoiles. Les cieux racontent à Élie la gloire de Dieu, l’étendue lui donne à connaître l’ouvrage de ses mains. Les étoiles lui redisent leur ancien cantique de louanges, qui toujours est nouveau. « Le Seigneur est grand et magnifique », s’écrie à sa droite Orion, et à sa gauche un chœur à mille voix répond : « Et tous les mondes sont remplis de sa gloire. » — Mais le chariot lumineux l’emporte plus haut encore, le monde des astres disparaît au dessous de lui comme dans un abîme sans fond. Quels sont ces accents qui lui arrivent de loin ? Quels sont ces chants dans la hauteur ? Ce sont les chœurs des séraphins près du trône de Dieu, les halleluiahs des intelligences célestes, les cantiques de louange des saints glorifiés. Élie verse ses dernières larmes, larmes de ravissement et de joie inconnues à la terre, et il n’est pas encore entré dans le ciel que le ciel est déjà avec toutes ses délices dans son cœur. — Et les coursiers précipitent leurs pas ; et le prophète voit ouvertes devant lui les portes de diamant de la céleste cité après laquelle il avait si souvent soupiré sur la terre. Il y entre, le paradis étale à ses regards et ses vertes prairies et ses bocages de célestes palmiers. Le char s’arrête. Bienheureux serviteur de Dieu ! Tout autour de toi quelle magnificence ! quelle douce lumière ! que de joies ! Voici les patriarches qui avaient comme toi cherché sans se lasser la cité céleste ; ils viennent te recevoir : « Sois le bienvenu, ô mon fils, » te dit Abraham ; « sois le bienvenu, toi qui as continué mon œuvre, » te dit Moïse. Voici la veuve sous le toit de laquelle tu demeurais à Sarepta. Élie ! voici ton père ! voici celle qui t’a porté dans son sein ! Mais il ne voit, il n’entend rien ! « Où est mon Dieu, » s’écrie-t-il ; et il se prosterne sur les degrés du trône, muet, ivre de joie, anéanti dans l’adoration et l’amour. — Revenez, revenez, mes frères ; il ne nous est pas permis de nous arrêter dans ces hauts lieux ! Nous devons retourner dans la vallée des larmes, mais nous y rapportons le ciel dans nos cœurs, le souvenir et le regret de notre douce et belle patrie !

III

L’ascension d’Élie brille comme une des plus belles constellations dans le firmament, parfois bien sombre, de l’ancienne alliance ; et elle a été sans doute pour plusieurs hébreux ce qu’est pour nous l’ascension du Sauveur : une preuve inébranlable de la réalité des choses célestes, une douce et consolante promesse de l’immortalité bienheureuse. Combien souvent n’aura-t-elle pas, pendant les temps de la loi, fait lever dans la sombre nuit qui entourait le lit d’un mourant la douce lumière de l’amour céleste ; fortifié le fidèle succombant sous les maux de la vie et qui, tel qu’Élie sous le genêt et en Horeb, n’en pouvait déchiffrer les énigmes ; rassuré sur l’amour de Dieu et sa miséricorde, le pécheur que ses péchés accablaient d’un poids que les sacrifices et les types de la loi ne pouvaient alléger ; soutenu dans leur marche vers le monde avenir, dont on n’avait alors qu’une bien imparfaite connaissance, des âmes qui en auraient à peine pu trouver et suivre le chemin, si le char de feu ne leur en eût indiqué la direction ! C’est ainsi que ce fait éclatant a répandu pendant des siècles sa bienfaisante lumière sur les âmes accablées et lasses de la vie, et tempéré la sévérité de l’ancienne alliance. Tout n’y puisaient pas le même genre de consolation, mais tous lisaient sur cet arc-en-ciel qui unissait la terre aux cieux, des promesses bien supérieures à celles que rappelait l’arc-en-ciel de Noé. Ceux d’entre les Hébreux qui étaient instruits dans la sagesse divine, pouvaient même découvrir dans ce fait deux miracles, et apercevoir à travers l’ascension d’Élie une ascension à venir infiniment plus glorieuse et plus importante, qui seule rendait la première possible. Car il y avait là évidemment un type de l’entrée triomphale que ferait un jour dans le sanctuaire des cieux le Sauveur promis, le sacrificateur selon l’ordre de Melchisédec. Il est vrai que l’ombre typique semble au premier abord surpasser en éclat le corps véritable. Mais si l’on regarde au delà des apparences, on reconnaît bientôt qu’il n’en est point réellement ainsi. Jésus-Christ s’élève aux cieux par sa propre force, et il y monte sans bruit, sans pompe extérieure, comme quelqu’un à qui ces chemins sont bien connus, et qui, maître de l’univers, n’a besoin d’aucun aide. L’éclat de la majesté royale ne peut qu’être obscurci par les accessoires avec lesquels on penserait la relever ; la simplicité sied au souverain, les vêtements brillants et parés à ses serviteurs ; et c’est précisément l’absence de toute pompe qui donne à connaître que l’ascension de Jésus est celle du Fils de Dieu.

Mes frères, cette abondante source de consolations que l’ascension d’Élie avait ouverte aux Hébreux, n’est point tarie pour nous, heureux enfants de l’alliance nouvelle. Nous possédons sans doute bien d’autres espérances d’immortalité, mais le ravissement d’Élie a encore un très grand prix par la grandeur des détails, par la vivacité des couleurs, par l’éloquence avec laquelle il nous parle du monde avenir.

Le monde est et a toujours été trop étroit pour l’homme. Jamais l’homme n’a pu supporter la pensée d’être confiné dans le domaine des choses périssables et d’en partager peut-être même le sort final ; pressentant une meilleure existence, il a en tous lieux aspiré à franchir les limites des choses visibles, à déchirer le voile qui ferme son horizon, il a cherché en tout temps un monde meilleur, invisible, éternel, dans lequel il se transporterait par la foi pour y oublier si possible les douleurs de la terre, et qui serait le port de refuge où il sauverait son âme dans le naufrage de la mort. Mais soit qu’il prît pour y arriver les ailes de l’imagination, soit qu’il en cherchât la route avec le secours de la spéculation, tous ses efforts ont été inutiles ; ils n’ont fait que prouver, d’une part, que sous toutes les zones et à tous les degrés de civilisation, l’esprit de l’homme a le sentiment de sa nature immortelle et la profonde conviction qu’il est appelé à vivre par delà la nuit du tombeau et les horreurs de la corruption, et, d’autre part, qu’abandonné à lui-même, il ne peut qu’errer, qu’élever en vain vers le ciel les regards scrutateurs de ses yeux voilés, que porter une main débile sur les puissants verrous de la porte des cieux, qui ne s’ouvre qu’à la voix de l’Eternel. Jusqu’où sont parvenus dans la connaissance du monde invisible les plus célèbres des philosophes ? Ecoutez les Xénophon mettre dans la bouche de Cyrus ces paroles que le roi mourant adresse à ses enfants : « Je ne puis me représenter que l’âme ne doive vivre qu’aussi longtemps qu’elle demeure dans ce corps mortel, et qu’en se séparant de lui elle cesse d’exister. J’aime mieux croire qu’elle acquerra alors plus d’intelligence, plus de pureté. » Quelle vague espérance ! Le plus grand des sages de la Grèce, Socrate, disait à ses juges : « Nous allons nous séparer. Je marche à la mort, vous marchez à la vie. Qui de nous deux prend la meilleure route ? C’est ce que nul ne sait, si ce n’est Dieu ! » Quelle pauvre consolation sur le bord du tombeau ! Cicéron disait : « Je ne prétends pas que ce que je dis de l’immortalité, soit aussi certain qu’un oracle des dieux ; car je n’ai sur ce sujet que des conjectures ! » C’est donc appuyé sur des hypothèses que ce Romain, si versé dans la philosophie, va à la rencontre de la mort ! Et soyez en certains, chers frères, les sages des temps actuels, pour autant qu’ils ne croient pas à l’évangile, sont comme ces païens, toujours flottant entre le doute et la certitude, entre la crainte et l’espérance ; et s’ils croient à une existence éternelle de l’âme, cette foi est d’ordinaire si faible, si chancelante que la mort s’en rit, et que ce bouclier de verre se brise en mille éclats au premier hurlement du sépulcre.

Au milieu de ces sages qui, après des milliers d’années de spéculations, nous disent qu’il se pourrait qu’il y eût un monde avenir et que l’âme fût immortelle, se présente le chrétien, le regard rayonnant, la tête levée, et s’écrie : « O mort, où est ton aiguillon ? O sépulcre, où est ta victoire ? Nous savons, ajoute-t-il avec assurance, que si notre tente terrestre est détruite, nous avons dans le ciel un édifice qui vient de Dieu, une maison éternelle qui n’a pas été faite par les hommes. » Et si vous lui demandez d’où lui vient ce savoir, sur quoi repose une telle espérance, il ne vous expose point des raisonnements, des opinions, des rêves, il vous cite la parole d’un homme sur les lèvres duquel les mortels et les démons se sont en vain efforcés de surprendre une erreur, d’un homme qui donnait pour base à ses paroles des miracles, d’un homme qui, pour prouver que la mort doit rendre un jour sa proie, rappela d’un signe les morts de la corruption et sortit lui-même victorieux de son tombeau. Ecoutez ses paroles : « Dans la maison de mon Père sont plusieurs demeures. S’il n’en était pas ainsi, vous dirais-je que je vais vous y préparer des places ? Je pars dans ce but, mais je reviendrai vers vous pour vous prendre avec moi, afin qu’où je serai, vous y soyez aussi. » Vous le voyez, le voile est levé, les barrières qui séparent les deux mondes sont écartées par une main puissante, et pour connaître les choses futures nous n’avons qu’à regarder. Il est bien vrai que l’œil qui aperçoit ces ravissantes merveilles, c’est la foi. Mais avec quelle netteté, quelle précision elle les voit quand elle les regarde à travers les paroles de cet homme qui parle et agit comme un Dieu, comme le Dieu des cieux ! Et quelle perspective ouvre à notre espérance et à nos soupirs ce Jésus qui connaît aussi bien le royaume des esprits que le domaine des choses visibles ! Nous montre-t-il, à un horizon nuageux, des formes vagues et incertaines, un océan désert et sans bords où reviennent se perdre les âmes humaines, une existence en dehors du temps et de l’espace dont on ne peut se faire aucune idée ? Non, non : il nous fait voir, à la portée de notre intelligence, une maison aux contours précis, une tente céleste, le palais de notre Père ! « Ce sont des images, » dites-vous. Oui sûrement ; mais les images de Celui qui est la vérité ont une réalité profonde, et sont plus que des figures de rhétorique et des jeux de l’esprit. Le ciel sans doute n’est point un édifice avec toit et murailles. Mais il est un lieu réel, une demeure habitée, où l’on se connaît et où l’on vit dans des relations intimes et personnelles. Puis cette demeure c’est, dit Jésus, « la maison de mon Père, » c’est-à-dire, on y vit avec le Père de la grande famille, près de lui, autour de lui, dans l’amour et la paix. Oh ! qu’il nous est précieux d’avoir des renseignements aussi certains sur le monde avenir, et sur les places qui nous y attendent dans la maison de notre Père ! Fatigués des misères de la terre, nous pouvons fuir en esprit dans ce monde meilleur, dont la porte nous est toujours ouverte. Au milieu de l’agitation du temps, nous savons qu’il est quelque part une terre où habite une paix éternelle ; sous nos yeux tout se flétrit et passe, là fleurissent des roses immortelles ; nos oreilles sont déchirées par les dissonances de la terre, là, nous le savons, tout est harmonie ; et de la mer en tourmente nous voyons le port paisible où les tempêtes ne pénètrent pas. Notre corps est encore prisonnier, mais déjà notre esprit est libre et vole aux cieux.

Oui, mes frères, le triomphe d’Élie nous annonce la gloire qui nous attend. Quand les cigognes à l’approche de l’hiver s’apprêtent à partir pour des climats plus chauds, l’une d’elle, qui est leur guide, se place en tête de la colonne, et aussitôt toute la troupe s’envole avec des cris joyeux. Ainsi Élie, qui était un homme comme nous, s’est envolé le premier du désert, et nous nous envolons avec lui sur les ailes de l’espérance. Quand après l’hiver un arbre commence à pousser ses boutons et qu’une première fleur s’épanouit, nous nous réjouissons à la vue de cette seule fleur parce que nous voyons que l’arbre vit et qu’il étalera bientôt toute sa parure printanière. Ainsi dans le désert, sur l’arbre spirituel dont la racine est Christ, se voit un rameau qui verdit et dont le bouton s’épanouit en une fleur d’une beauté merveilleuse. Nous le remarquons avec un vif plaisir, et nous pensons que tous les autres rameaux verdiront de même et produiront de semblables fleurs. Monte, monte aux cieux, hardi voyageur ! Nous te suivons. La porte est ouvert, le chemin frayé, le passe-port signé, les droits d’entrée payés, et l’on nous attend à l’hôtellerie. Nous ne serons pas enlevés sur un char de feu, mais les anges nous porteront. Nous il est vrai, nous mourons dans la nuée et n’y sommes pas transfigurés ; mais qui sait cependant tout ce qui se passe derrière ce voile ?

Je ne puis quitter le lieu d’où Élie a monté an ciel, sans diriger vos regards sur un spectacle qui offre un contraste extraordinaire. Voilà une colline funèbre, une croix sanglante, tout autour une nuit profonde, et de l’obscurité sortent des cris d’angoisse et des gémissements. C’est ainsi que meurt un juste ; et Élie le pécheur est enlevé vivant au ciel ! Là expire, abandonné de Dieu, un homme irréprochable ; et ici triomphe sur un char de feu un transgresseur de la loi. Là la plus belle des étoiles du matin s’éteint dans la nuit du tombeau, et ici un criminel entre dans le paradis sans passer par la mort et au milieu d’un cortège d’anges. Là un agneau sans tache perd sa vie avec son sang sous l’épée de la justice divine ; et ici un vermisseau souillé repose en paix aux pieds du Seigneur ! Quelles oppositions ! quels monstrueux contrastes ! et cependant, quelle connexion intime entre ces faits disparates ! Car l’un suppose et produit l’autre. Le Fils de Dieu a fait échange avec le pécheur ; il est devenu le péché d’Élie, et Élie avait été fait sa justice. Il a pris sur lui le châtiment du coupable, et le coupable a hérité sa félicité ! Il a été maudit au lieu du transgresseur, et le transgresseur est béni à sa place. Voilà pourquoi le Dieu Emmanuel meurt sur la croix comme un pécheur, et le pécheur Élie monte au ciel comme un Dieu. C’est le sang, le sang qui découle de cette croix, qui fait que le char de feu s’élance à travers les airs jusques au trône de Dieu.

Maintenant venez, et quittons pour aujourd’hui le désert du Jourdain ; mais comment nous en éloignerons nous ? Ce sera en chantant avec les anges et les saints glorifiés : « L’agneau qui a été immolé est digne de recevoir puissance, richesse, sagesse, force, honneur, gloire et louange. » Amen.

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