Élie le Tishbite

25.
Le cri d’adieu

Nous lisons Marc 5.14, que Jésus-Christ reprocha aux apôtres leur incrédulité. C’est un reproche qu’il leur a fait certainement dans bien d’autres circonstances, c’est le péché contre lequel il s’est élevé le plus souvent et avec le plus de force. Car l’incrédulité est la source de tous les péchés, le verrou d’airain à la porte des cieux, la plus affreuse des chaînes par lesquelles Satan tient l’homme captif.

Quelle chose hideuse que l’incrédulité sous quelque face qu’on la regarde ! Elle ne sait que détruire, miner, couvrir de ténèbres. Elle éteint le soleil et tous les astres des cieux. Elle trouble et salit le sources de la vie. Elle étend tout autour d’elle la nuit et la mort, et n’enfante que des monstres. Ne convertit-elle pas le monde en un lieu désert, que jamais l’Eternel ne visite, où jamais les anges ne descendent des cieux, où nulle main invisible ne donne à manger aux oiseaux, ne pare les campagnes, ne dirige les événements, où tout est mis en mouvement non par un souffle vivifiant, mais par des ressorts mécaniques et des rouages, où nul amour ne veille, silencieux et caché, sur les créatures ? Le monde n’est plus qu’un grand cimetière, et la nature, le jardin de Dieu, qu’une galerie d’automates ; l’histoire, cette merveilleuse toile que tisse l’éternelle volonté, se change en un pêle-mêle d’événements accidentels ; l’homme, cet élève d’un maître tout puissant, n’a dans le cours de sa vie plus d’autre chef que le hasard et soi-même, et la prière est une formalité superflue, un non-sens. Voilà ce que sait faire l’incrédulité : tout détruire, tout ravager, bannir du monde et de la vie humaine les choses invisibles et éternelles, réduire en poussière les derniers débris des cieux que la terre possède encore, fermer comme à de triples verrous toutes les portes des régions supérieures.

Mais la foi ouvre ces portes. Elle peuple la nature et la vie d’hôtes célestes. Elle voit l’aurore d’un monde invisible jeter ses douces lumières sur le monde visible, et à ses yeux la terre apparaît comme un théâtre de miracles et de faits divins qui se succèdent sans interruption. Partout elle aperçoit les traces du Dieu triple et un qui parcourt en tout sens sa création ; les tempêtes sont des anges qu’il envoie, les foudres des messagers qui partent à son commandement. La foi nous donne des ailes puissantes, à, nous vermisseaux de la poussière ; la foi, la foi seule porte en ses mains les clefs des régions d’au delà la tombe.

Il est vrai, l’esprit de l’homme naturel a dans un sens une grande et admirable portée. Ainsi que dans l’arrière-saison, dit un auteur, le vent enlève et promène à travers les airs, au dessus des monts et des vallées, la légère araignée suspendue aux fils de la vierge, ainsi notre esprit tend la toile de ses pensées d’un astre à un autre et de voies lactées en voies lactées, et parcourt en quelques instants des espaces que le cordeau, même quand il serait porté par le rayon lumineux, atteindrait à peine après des milliers d’années. Et cependant comme il est petit en réalité au milieu de ses excursions sublimes ! et que ce hardi navigateur de l’océan céleste a la vue courte et l’intelligence bornée ! Il ne peut lever un seul de ces voiles éclatants devant lesquels il passe ! et tout en pressentant l’existence d’un monde mystérieux derrière ces lumineuses murailles entre lesquelles il navigue, il est contraint d’avouer que ses regards ne franchissent pas ces hauts et épais remparts et n’atteignent pas à ces terres qui lui restent inconnues. Parqué entre les étroites limites de ce monde, il ne peut faire autre chose que jouer sans grand profit avec des voiles et des enveloppes, et quelque puissant et hardi que soit le vol de ses pensées, il ne franchit pas les limites des choses visibles. Mais aussitôt qu’il consent à s’asseoir, en enfant docile, aux pieds de la Parole révélatrice, et que renonçant à ses propres forces, il se confie aux ailes de la foi, la prison s’ouvre, les fers se brisent, la vallée des larmes est inondée des douces lueurs de l’éternité, le cœur plein de désirs sait où trouver calme et repos dans les orages de la vie, et ce que le tombeau lui enlève, le ciel le lui rend glorifié et pour toujours.

2 Rois 2.12

12 Et Élisée le regardant criait : « Mon père, mon père ! chariot d’Israël et sa cavalerie ! » Et il ne le vit plus, Et prenant ses vêtements, il les déchira en deux pièces.

L’histoire nous conduit encore une fois dans ce désert où nous avons été témoin d’un fait, unique dans les temps antérieurs à Christ tant par son éclat que par son sens profond. Élie, que nous avions suivi dans sa carrière, et qui avait à la fois gagné nos cœurs et excité toute notre admiration, nous ne le trouvons plus sur la terre ; Élisée est seul dans le désert du Jourdain. Qui décrira ce qui se passait alors au dedans de lui ? Notre texte nous permet de jeter un coup d’œil dans son âme. Son regard d’adieu, son cri d’adieu, sa tristesse dans cet adieu, sont les trois points que nous méditerons aujourd’hui.

I

Tel qu’un aigle royal, Élie sur son char de victoire plane entre le ciel et la terre ; les crinières flottantes des coursiers brillent comme des rayons du soleil sur les sombres nuées, leurs hennissements sont des tonnerres, sous leurs pas jaillissent mille éclairs, et les roues rapides semblent d’étincelantes étoiles. A cette vue, Élisée chancelle sous le poids des sentiments qui l’accablent. — Mais est-ce donc bien un fait réel que celui qu’il croit voir ? Veille-t-il, et tout cela n’est-il point un vain songe ? — Non, non, ses yeux ne le trompent point, ce n’est point un rêve, une vision, c’est bien dans le désert qu’il se trouve, tout à l’heure Élie était à ses côtés et lui parlait ; voici son manteau qui descend à lui du haut des airs, et qu’il touche et saisit de ses mains. Son ami, son père spirituel est bien réellement enlevé dans les cieux, Sur un chariot de feu, aussi réellement que Noé a vogué en sûreté dans l’arche au dessus des flots du déluge, aussi réellement que Moïse à la tête de son peuple passait à pieds secs à travers les liquides murailles de la mer Rouge. Qui jamais a été témoin d’un tel spectacle ? Certainement, Élisée dans ce moment le plus solennel de sa vie n’eût pas supporté les violentes agitations de son cœur, si une main divine ne l’avait soutenu et fortifié.

Heureux Élisée à qui il a été donné d’assister à une pareille scène ! Mais heureux nous aussi qui y voyons ce qu’il y a vu, et qui par la grâce de Dieu ne sommes plus du nombre de ceux desquels le Seigneur a dit : « Tu as caché ces choses aux sages et aux intelligents. » De même que, à l’ouïe des paroles que le Père fit entendre du ciel au dessus de son Fils : « Et je l’ai glorifié et le glorifierai encore, » la foule ne distinguait point les mots divins, qui ne formaient à ses oreilles qu’un bruit confus, et disait : Il a tonné, (Jean 12.29), ainsi les sages et les intelligents du monde, en face de cette ascension d’Élie qui nous ravit, n’y voient qu’un orage ordinaire, et le char de feu se résout en un coup de foudre qui a malheureusement atteint le pauvre prophète. Mais c’est là la malédiction de ces gens, qu’en entendant ils n’entendent point, qu’en voyant ils ne voient point, qu’à leurs yeux de myopes les choses les plus merveilleuses se rapetissent en trivialités, et que rien ne leur parle et ne leur plaît que le mensonge sous le déguisement de la vérité ; mais la vérité jette sur elle voile sur voile, vêtement sur vêtement, afin qu’ils ne puissent ni la découvrir ni la toucher.

Vous savez, mes amis, de quelle importance il était pour Élisée d’être témoin de l’élévation de son maître. Cette grâce était pour lui la garantie que sa demande lui serait accordée, ou plutôt la vue de cette ascension était elle-même l’exaucement de sa demande. Il avait été par là comme introduit dans les mystérieux abîmes de l’amour paternel de Dieu et de sa miséricorde envers les pécheurs ; et les vraies relations du Très-Haut avec ses enfants d’adoption lui apparurent sous un jour qui le cédait à peine en pureté et en clarté à celui de l’Evangile, dont la pleine lumière éclairait l’Apôtre des gentils quand il annonçait aux pécheurs convertis qu’il n’y a plus de condamnation sur eux en Jésus-Christ, que même ils sont aux yeux de Jehova la justice de Dieu, et qu’ils lui sont agréables comme l’est le reflet de sa gloire, Christ lui-même. Élisée se voyait ainsi élevé subitement à un degré de connaissances évangéliques que son maître lui-même n’avait pas atteint au moins dans les premiers temps de son pèlerinage ; et ce fut sous le char de feu d’Élie qu’il fut proprement consacré, oint et préparé aux fonctions de prophète de la nouvelle alliance, lui qui était membre de l’ancienne et qui vivait au temps de la loi et des figures. — Chose surprenante. De nos jours encore, le chrétien n’est initié à la vie vraiment évangélique, à cet état de l’âme qui forme une entière et complète opposition à celui de la loi chrétienne, que dans une situation semblable à celle d’Élisée, sous un ciel ouvert, dans la contemplation d’une ascension, mais d’une ascension bien plus importante et significative que celle du Tishbite. Pour pénétrer dans le lieu très saint de l’économie nouvelle, où le plus petit est supérieur au plus grand des prophètes, à Jean-Baptiste, et où l’on commence déjà à goûter la joie et le repos du paradis dans le sein de l’éternel amour, il faut avoir saisi par le cœur dans sa vraie signification le Christ élevé au ciel, et compris la parole de Paul : « Christ est entré, non dans le lieu très saint fait de mains d’hommes, qui est l’image du véritable, mais dans le ciel même, pour comparaître maintenant pour nous devant la face de Dieu » (Hébreux 9.24) ; il faut, en d’autres termes, avoir connu Christ comme étant le prêtre selon l’ordre de Melchisédec et notre représentant dans les cieux. Fort peu de chrétiens ont une notion juste et distincte de cette continue comparution du médiateur glorifié ; et en effet ce n’est point chose facile de comprendre ce grand mystère. Paul en parle comme « d’une nourriture solide qui est pour les hommes faits » (Hébreux 5.14) et quand il se dispose à en donner l’explication, il dit « qu’il va laisser les éléments chrétiens pour passer à la perfection » (Hébreux 6.1). Qu’est-ce donc que le sacerdoce de Melchisédec qui est attribué à Christ ? Je vais essayer de vous le dire en peu de mots.

On distingue d’ordinaire le sacerdoce de Christ sur ta terre et son sacerdoce dans le ciel. Par le premier, on entend son sacrifice expiatoire, par lequel il détruisit la sentence de condamnation prononcée sur les siens, et effaça, déchira l’obligation qui était contre nous. C’est là ce qu’il fait en qualité de véritable Aaron. L’Ecriture dit expressément que Dieu lui imputait nos péchés afin que en lui nous devinssions la justice de Dieu. Quand il est question du sacerdoce céleste, on se représente, et avec raison, les pleins-pouvoirs en vertu desquels Christ distribue maintenant aux pécheurs, selon sa volonté, les dons et les biens qu’il a acquis par son sang ; et quand à cette fonction on a joint son intercession auprès du Père, on pense avoir entièrement épuisé l’idée du sacerdoce céleste. Et cependant on n’en connaît encore qu’une face, et la plus sublime reste voilée, l’œil intérieur n’a pas encore aperçu les vraies consolations et la vraie félicité que recèle ce mystère. Il y a bien plus qu’intercession, il y a comparution, représentation. Plusieurs d’entre vous conviendront certainement avec moi que la pensée de Christ intercédant pour eux ne leur a jamais procuré une solide et positive consolation. Et en effet, cette pensée s’accorde mal avec l’élévation de notre Seigneur ; s’il faut encore qu’il prie pour les siens, il n’a donc pas entièrement accompli son œuvre ; et d’ailleurs pourquoi devrait-il rappeler à son Père l’œuvre de la rédemption, qui est aussi l’œuvre du Père ? Je n’ai jamais pu écarter ces doutes de mon esprit, et quand je voulais saisir la pensée d’un Intercesseur céleste, qui me paraissait si douce et si consolante, elle disparaissait toujours et s’évanouissait au milieu de ces objections. Or, voici que je trouve que la Bible ne nous parle nulle part d’une intercession du Médiateur glorifié dans le sens littéral du mot. Saint Jean nous dit que nous avons un avocat auprès du Père, (1 Jean 2.1) ; Saint Paul (Hébreux 7.25), que Jésus-Christ est vivant, non point pour intercéder pour nous comme nos traductions le portent, mais pour nous représenter, pour comparaître à notre place. L’intercession tombe donc, mais pour faire place à quelque chose d’infiniment plus grand, plus sublime, à la comparution. Qu’est-ce que la comparution de Christ d’après la Bible ?

Jésus-Christ a pris notre place de la crèche au berceau. L’enseignement de l’Ecriture sur ce point est aussi positif et certain que sur aucun autre. Christ a pris nos péchés et notre condamnation. Ce qu’il a fait, c’est nous qui le faisions ; ce qu’il souffrit, c’est nous qui l’avons souffert. Après qu’il eut accompli toute justice, c’est-à-dire après que nous l’avons accomplie en lui, et qu’il eut vidé à notre place la coupe de la malédiction jusques à la lie, il retourna, au milieu des chants de triomphe de tous les cieux, au lieu d’où il était descendu. Et que fait-il maintenant dans le ciel ? Il comparaît maintenant devant la face de Dieu pour nous, dit l’Ecriture. Il se présente au Père avec ses cicatrices glorifiées, qui sont les signes de son ineffable obéissance ; il s’offre à son Père dans sa beauté et se tient perpétuellement devant ses yeux. Et le Père le contemple avec la plus intime bienveillance, et prend plaisir en sa beauté. Christ est l’objet de sa joie, de sa dilection. Il l’était sans doute de toute éternité, mais maintenant il l’est non plus seulement comme la Parole qui était au commencement avec Dieu, il l’est aussi comme le second Adam, comme le Fils de l’homme, comme le chef de son église, comme la caution de ses rachetés. Il fait plus maintenant que se présenter au Père, il représente en même temps dans sa personne devant le Père tous ses membres. Ainsi que autrefois le Père éternel a vu toute la race humaine dans le seul Adam, ainsi voit-il maintenant toute la race des fidèles en Christ, leur prêtre accompli qui se tient devant lui. Il aperçoit dans la figure de Christ notre figure, dans l’obéissance de Christ notre obéissance, dans la beauté de Christ notre beauté, et en étendant sur Christ sa grâce et sa dilection, il l’étend aussi en lui sur nous. Voilà pourquoi l’Ecriture nomme partout l’amour de Dieu pour ses enfants « un amour en Jésus-Christ. » Que ne puis-je vous expliquer ce mystère par un exemple tiré de la vie commune ? mais il n’existe sur la terre nulle relation semblable. Cependant, supposez que le roi Pharaon se fût imaginé les autres fils de Jacob semblables à Joseph, et aussi aimables que lui : il les aimerait dès lors du même amour dont il aimait Joseph, et leur destinerait les mêmes honneurs et les mêmes privilèges qu’il lui avait déjà accordés. Ce serait donc en Joseph que Pharaon considérerait Ruben, Siméon, Benjamin et les autres, en Joseph qu’il les aimerait ; Joseph représenterait ses frères devant le roi, et lui offrirait en sa personne les leurs. Eh bien, c’est ainsi que Christ nous représente, cependant avec cette différence essentielle que nous sommes aussi beaux que le plus beau d’entre les fils des hommes, non pas seulement dans l’imagination du Père, mais réellement et véritablement, parce que Christ a accompli toute justice à notre place par une substitution mystérieuse. — Au reste (à peine y a-t-il besoin de le dire), Dieu sait fort bien qu’en nous-mêmes nous sommes encore de pauvres pécheurs, et aussi nous fait-il passer par toutes ces nombreuses épreuves dont les flammes nous purifient par la souffrance. Mais il ne nous juge plus d’après ce que nous sommes par nous mêmes. Il nous aime en son Bien-Aimé d’une indicible affection, malgré toutes nos faiblesses et nos imperfections, il n’admet plus aucune accusation contre nous ; et maintenant que nous savons que Christ et nous sommes un devant Dieu, nous ne nous étonnons plus d’entendre dire au Sauveur : « De même, c’est-à dire, au même degré que le Père aime le Fils, ainsi aime-t-il les fidèles. »

Voilà, mes chers frères, ce qu’est le sacerdoce de notre Melchisédec dans le ciel. Nous pouvons dire avec l’Apôtre, en prenant tous les mots dans leur plein sens : « Nous sommes déjà assis dans les lieux célestes » (Ephes.2.6). Ce n’est point dans notre bouche un langage insensé et téméraire que de dire, que celui qui veut nous connaître sous notre vraie forme, doit contempler Christ dans sa gloire. Il n’est point absurde à nous d’affirmer que Dieu, qui est assis là haut sur son trône, nous porte dans les bras de son amour ; et nous pouvons nous réjouir sans puéril orgueil, de ce que le ciel est notre maison paternelle, qui nous est toujours ouverte et où nous ne pouvons être que les bien-venus. Mais il s’agit de saisir ce mystère par le cœur, d’une manière vivante, et pour cela nous devons comme Paul ne vouloir autre chose que d’être trouvés en Christ (Philippiens 3.19). Si tu refuses d’accepter ton pardon tant que tu ne seras pas saint, c’est que tu veux être trouvé dans ta sainteté. Doutes-tu de la miséricorde de Dieu parce que tu juges ta foi trop imparfaite encore : c’est que tu veux être trouvé dans ta foi. Penses-tu que Dieu ne peut pas t’aimer, aussi longtemps que tu sens une telle sécheresse dans ton cœur : c’est que tu veux être trouvé dans tes sentiments. Te figures-tu que Dieu prendra davantage plaisir en toi, si tu lui offres un jour telle ou telle vertu dans toute sa beauté : c’est donc dans tes vertus que Dieu doit te trouver. Non, non, envisage avec Paul toutes choses comme une perte et comme des ordures (Philippiens 3.7-8), et réjouis-toi de ce que Dieu te trouve en Christ. Toi aussi, considère-toi comme toujours présent en Christ devant le Père, et ton cœur se remplira de plus en plus d’un sentiment ineffable de joie à la pensée vivante que l’Eternel t’aime. O mes frères ! que se passe-t-il en nous quand l’amour du Père en Christ commence à éclairer notre âme, et que nous acquérons la conscience de notre pleine et parfaite adoption ? Qui se sent reposer avec Christ dans le sein de Dieu, qui par la foi sait vivre et respirer dans cet amour comme dans son véritable élément, possède une joie qui subsistera intacte jusques au jour du jugement. Il est comme un arbre planté près des eaux courantes, et il s’écrie avec Paul : « Je puis tout en Christ qui me fortifie. » Il a déjà vaincu le monde, et marchant dans les lieux célestes, il voit abattus à ses pieds le péché, la mort et le diable.

Vous le voyez, mes frères, nous acquérons la pleine possession des grâces vraiment évangéliques, de la même manière qu’Élisée fut transporté dans l’élément de la nouvelle alliance : sous le ciel ouvert, et en contemplant avec les yeux d’une foi vivante une ascension dont celle du Tishbite n’était que la figure.

II

Élisée suit des yeux le char de feu qui s’éloigne, et tout un ciel d’espérances nouvelles et de consolations inconnues s’ouvre subitement à son âme, et inonde de joie son cœur, qui est presque trop étroit pour les contenir toutes. Mais il n’en sent pas moins toute la grandeur de la perte qu’il fait, et peu s’en faut que sa douleur ne surmonte sa joie. Dans ce combat intérieur de sentiments opposés, il s’écrie : « Mon père, mon père ! Chariot d’Israël et sa cavalerie ! » Tel est son cri d’adieu à son ami qui disparaît dans la nue, telle est l’inscription qu’il place en quelque sorte sur son arc-de-triomphe. Paroles significatives qui nous rappellent toute la gloire dont Dieu avait revêtu Élie, en même temps qu’elles nous dévoilent un trait de son caractère qui ne s’est présenté que rarement à nous dans son histoire. Élisée le nomme son père. « Mon père, mon père, » s’écrie-t-il, et le nom de père n’a peut-être jamais été prononcé sur la terre avec une plus vive émotion, avec une affection plus intime. Nous, qui n’avons rencontré Élie pour ainsi dire qu’accomplissant les redoutables jugements de son Dieu, nous sommes surpris des relations d’amour filial qui unissaient à lui Élisée. En nous approchant de ce fils du tonnerre, le sentiment qui nous dominait était bien moins celui d’une intime confiance que d’une respectueuse vénération, et à le voir si sérieux, si majestueux, nous l’aurions pris plutôt pour un être d’un monde supérieur à qui nos affections du cœur devaient être étrangères. Mais Élisée, qui avait appris à le connaître aussi aux heures paisibles de la prière, avait senti battre un cœur aimant sous l’armure céleste et sous le rude manteau, et vu l’homme dans le héros de Dieu. Oh quel tendre père, quel ami compatissant le char de feu lui enlevait ! Avec quel amour il prenait part à tout ce qui intéressait ses compagnons de pèlerinage ! Comme il savait bien relever les faibles, consoler les affligés ! Comme son cœur était ouvert à tout ce que la terre lui offrait de beau ou d’émouvant ! Et dans le moment même où, terrible, l’épée nue de l’Esprit à la main, il combattait les ennemis de son Dieu, comme il accueillait avec affection quiconque venait se réfugier près de lui ! Oh que de douleurs, de regrets, d’affection, de reconnaissance il y avait dans l’adieu d’Élisée : « Mon père, mon père ! »

« Chariot d’Israël et sa cavalerie ! » Élie, tu étais l’armée des Hébreux, leurs chars de bataille, leur bannière, leurs remparts, leurs invincibles bataillons. Quel magnifique témoignage, et quel témoignage bien mérité ! Dieu avait réuni en Élie la force de toute une armée. Élie parlait, et les chevaux et les cavaliers s’arrêtaient comme frappés de la foudre. Il menaçait, et les tyrans se taisaient dévorant leur secrète fureur. Il commandait au nom de Dieu, et le feu s’unissait à l’épée pour exterminer jusqu’au dernier rejeton, toute une famille royale qui avait déclaré la guerre au peuple du Seigneur. Il s’irritait en esprit, et son indignation se changeait en une flamme qui consumait les satellites d’un roi impie. Il priait, et le feu du ciel descendait sur l’autel ; il faisait un signe, et le Kison roulait vers la mer les corps des prêtres de Bahal égorgés par le peuple. Ses reproches foudroyaient les blasphémateurs ; un seul de ses regards, sa simple présence forçait à s’humilier les esprits les plus hautains. A de si éclatantes victoires sur d’aussi puissants ennemis, qui ne reconnaîtrait qu’Élie valait à lui seul une armée ? qui ne verrait tous les chariots et toute la cavalerie d’Israël fondre en la personne d’Élie sur les forces de l’enfer ? Et quelle muraille cet homme n’était-il pas autour des serviteurs de Jehova ! quel rempart autour de la vraie Sion ! Comme par sa parole et son exemple il relevait le courage des sept mille abattus et tremblants ! Comme il se tenait pour eux à la brèche devant Dieu pour que leur foi ne défaillît pas ! Les plus téméraires ennemis de Dieu se lassèrent enfin d’attaquer les protégés d’un homme, de la bouche duquel sortait un feu dévorant, et qui sans armes visibles, leur était plus redoutable que toutes les légions des Syriens et des Philistins. Et c’est Élie qui est retiré de la terre ? Qui défendra désormais la cause de Dieu et repoussera ses ennemis ? « O mon père, mon père ! Chariot d’Israël et sa cavalerie ! »

Depuis longtemps l’église de Dieu n’a plus possédé de héros qui méritassent le titre qu’Élisée donne à son père. Les temps où nous vivons sont mauvais ; tandis que le royaume des ténèbres semble célébrer sa pentecôte, et compte une foule de hardis guerriers, l’église est pauvre en forces spirituelles. Mais, Dieu l’a promis, un temps viendra où le Seigneur des armées disposera la maison d’Israël comme un cheval enharnaché pour le combat, et ses héros fouleront l’ennemi sous leurs pas comme la boue des chemins (Zacharie 10.3, 5) ; un temps où Sion enverra sur le champ de bataille des combattants plus puissants et plus impétueux encore que le Tishbite, et dans la force de l’esprit de son Dieu, renversera en peu d’instants la Babylone de l’antéchrist. Jusques à cette époque les saints doivent avoir patience (Apocalypse 14.12) ; et d’ailleurs nous n’oublierons pas que dans les temps anciens, a dit un poète, c’était le cèdre et le palmier qu’on estimait le plus, et que la nouvelle alliance aime au contraire la faible vigne et les délicates tiges qui sont chargées d’épis.

Cependant, dans un certain sens, on doit dire que maintenant déjà tous les fidèles, et surtout ceux qui savent prier dans l’esprit de la nouvelle alliance et manier l’encensoir de Christ, méritent le titre de chariot d’Israël et sa cavalerie. Tournez vos regards vers Sodome. Pourquoi ces nuages enflammés sont-ils si longtemps suspendus sur cette ville, prêts à éclater et ne le pouvant pas ? Un seul homme les en empêche, seul il protège toute la contrée dont il est le rempart, le bouclier. Un seul juste oppose aux torrents de la colère divine une digue qu’ils ne peuvent franchir. C’est du moins ce que le Seigneur lui même déclare : « Je ne puis détruire la ville aussi longtemps que tu n’en seras pas sorti et ne seras pas à Tsohar » (Genèse 19.22). Allez au désert. Qui est là à genoux, les mains levées au ciel ? C’est Moïse, le serviteur de l’Eternel. Et que voyez-vous là bas dans la plaine ? Quelles sont ces armées aux prises ? C’est Amalec et Israël. Et Amalec cède, fuit, succombe, reste sur le champ de bataille. Qui a gagné la victoire ? L’épée d’Israël ? Nullement, mais ces deux bras élevés vers le ciel, la prière de Moïse. C’est Moïse qui est la cavalerie d’Israël et ses chariots de guerre. — Regardez vers Mitspa dans la plaine. Quelle innombrable armée ! Ce sont les Philistins, et là une petite troupe, pleine d’angoisse et de crainte, sous la bannière de Juda. Mais derrière elle est un homme qui immole un agneau de lait et crie à l’Eternel. Cet homme est Samuel, et tandis qu’il prie, un épouvantable orage fond sur les Philistins, qui sont saisis d’effroi, qui prennent la fuite, qui sont taillés en pièces. Qui les a frappés ? Jehova aux cris de Samuel, et Samuel a été la force armée de Jacob. Voilà ce que peuvent les croyants. La foi saisit la promesse, et par la promesse la toute puissance de Dieu, et ainsi rien ne lui est impossible. Les croyants protègent les villes, décident les batailles, ferment la gueule des lions, renversent les ennemis, exercent des jugements de vengeance, apaisent les flots en tumulte, dissipent les tempêtes. O bienheureuse la contrée qui compte beaucoup de semblables habitants ! Ils lui sont de meilleur secours que des remparts d’airain et des murs de rochers. Heureuse église dont les pasteurs sont des chariots d’Israël et sa cavalerie ! Ils sont ses chariots, quand ils s’élèvent comme Moïse sur le char de feu de l’intercession vers le trône de la grâce ; ils sont sa cavalerie, quand ils attaquent de front les coupables d’entre leur troupeau, et leur disent avec Nathan : « Tu es cet homme là. » Ils sont les chariots d’Israël, quand ils abaissent toutes les têtes élevées, afin que Christ seul soit haut élevé et nul autre ; sa cavalerie, quand revêtus des armes de Dieu ils combattent jour et nuit pour leurs frères contre les forces de Satan et les esprits de mensonge. Demandez, mes frères, à Dieu qu’il fasse de vos docteurs aussi, par son onction divine, de pareils guerriers, et puissiez-vous un jour écrire sur leurs tombeaux, à la gloire de Dieu, les mots qu’Élisée inscrivait sur la colonne triomphale de son ami et maître : « Toi le chariot d’Israël et sa cavalerie. »

III

Le chariot de feu a disparu aux regards d’Élisée, qui ne voit plus que les sombres nuées au dessus de sa tête. La nuit approche, le vent gémit dans les buissons du désert, le Jourdain élève dans le lointain sa voix plus sourde, des fentes des rochers et des forêts retentissent les cris des oiseaux de nuit et les hurlements des bêtes sauvages. Une tristesse sans nom s’empare d’Élisée. Oh qu’un second char de feu ne vient-il l’emporter aussi hors de cette vallée de larmes, vers sa céleste patrie ! « Que je suis malheureux, dirait-il avec le psalmiste, de séjourner en Mésec et de demeurer dans les tentes de Kedar. » Il soupire après la Canaan d’en haut avec une ardeur qu’il n’avait jamais éprouvée, sa tristesse veut se faire jour, si ce n’est pas des paroles, au moins par des signes muets, et Élisée saisit son manteau et le déchire en deux pièces : « O mon père, mon père ! » Pour bien comprendre le deuil d’Élisée nous devrions avoir fait une perte comme la sienne, avoir assisté à la mort d’un Luther, d’un Calvin, ou du moins avoir conduit à sa dernière demeure un Jean Arnd, un Francke, un Bengel. Je me représente que ce qui se passe dans le cercle étroit de la famille à la mort d’un père chéri ou d’une tendre mère, se reproduit sur une plus grande échelle dans toute l’église des saints au départ d’un de ses grands hommes. C’est tout un monde, et non plus une maison, qui s’est converti en une triste solitude ; ce sont des milliers d’âmes qui regardent avec soupirs vers le monde meilleur, et dans lesquelles s’allume, pour ne plus s’éteindre, un saint amour de leur patrie céleste. Elles gardent fidèlement le souvenir de celui qui vient de les quitter ; son image vit et brille au dedans d’elles et les attire en haut, telle que le soleil qui se réfléchit dans les eaux et les élève en même temps vers les régions supérieures. Leurs regrets s’apaisent et se glorifient à la ravissante pensée qu’elles aussi monteront un jour vers la cité sainte, où elles retrouveront tous ceux qui les ont quittées. Car pour la foi il n’est rien de perdu. — De semblables pensées vinrent bientôt consoler Élisée et dissiper sa tristesse. Il a retrouvé sa joie, et il retourne, le front serein, des portes entrouvertes du paradis aux peines et aux travaux de la vie journalière. Et vous, mes frères, qui vous vous éloignez avec regret des déserts du Jourdain et tenez encore vos regards levés vers le ciel où vient de disparaître Élie, vous qui las de la vie soupirez après le départ, prenez patience ; le temps s’enfuit rapidement, bientôt vous êtes au terme ; l’heure va frapper où l’amour éternel vous ouvrira ses bras. — Mais toi, pauvre âme qui ne sais ce que c’est que de soupirer après le repos des cieux, âme inconvertie, qui méprises le sang versé sur la croix, et qui suis d’autres étendards que celui de Golgotha, comment te peindrais-je ta misère ? Pour toi aussi viendra, est venue l’heure du départ. Mais quel est le terme de ton voyage ? Ne le sais-tu pas ? Ne sens-tu pas quelque chose en toi qui crie avec les démons : « Seigneur Jésus, ne nous ordonne pas de descendre dans l’abîme ? » Une vaste perspective s’ouvre aussi devant tes regards, viens aujourd’hui la considérer avec moi, avant qu’aujourd’hui ou demain tu partes pour cette contrée lointaine.

Tu t’avances dans la vie, léger et distrait ; tu cries : « Paix, » quand il y a point de paix ; tu dis : « Point de danger » quand le danger est affreux ; mais tu l’ignores, tu veux l’ignorer. — Ton heure sonne à la tour de l’éternité ; mais nul ange ne part pour te chercher, nul tabernacle de paix ne s’ouvre pour te recevoir. Ton nom ne se trouve point dans le livre de vie. Hélas ! l’ange de mort qui s’approche de toi n’a rien d’attrayant dans ses traits, et sa voix n’est point douce et aimable. Ha ! quelles sont ces mains que tu sens te saisir tout-à-coup sur ton lit de mort ? Ce ne sont pas des mains amies, ce sont celles d’un bourreau ! Malheur, malheur ! ce n’est point à la mort que tu vas, ta mort n’est point un sommeil, tu pars pour le lieu des supplices. Pourquoi ces regards si fixes, si effrayants ? Que signifie cette froide sueur qui dégoutte de ton front ? Est-ce la tristesse selon Dieu ? Homme, dis-nous, est-ce la repentance ? Oui la repentance, mais non celle d’une âme que Dieu arrache aux flammes, c’est celle que le diable se complaît à produire chez ses esclaves. C’est la repentance d’un Judas, la repentance d’un Achab, la repentance d’un Caïn, les angoisses de l’enfer sans la foi, la détresse du péché sans la tristesse selon Dieu, l’effroi du jugement sans amour pour Jésus, le frémissement à la vue de l’ardente colère du Juge sans espoir de rédemption, sans besoin de prier, sans recours au Crucifié. Malheureux, qui te secourra ? Nous t’annonçons la vérité ; tu ne la comprends pas. Nous t’adressons à la croix ; tu secoues la tête. Nous te prononçons le doux nom de Jésus ; tu frémis. Nous voulons prier pour toi, et… nous ne le pouvons, notre langue est liée, nos genoux ne se ploient point, nos bras se refusent à s’élever vers le ciel. Signes affreux ! — Bientôt tu perds connaissance, ton œil s’obscurcit, ton oreille n’entend plus, et le monde se ferme ainsi derrière toi. Te voilà seul, seul, mais avec tes péchés, tes angoisses, tes terreurs. Tu ne vois plus les larmes des tiens, tu n’entends plus les adieux de tes amis. Grand Dieu, quelle solitude, et que la nuée de la mort est pour toi sombre et lourde ! Mais non, tu n’est pas seul ; tu entends autour de toi des bruits confus, et ta chair frissonne ; comme des sifflements des serpents, comme de moqueurs éclats de rire, et tu pressens entre quelles mains tu es tombé. — Enfin le pouls s’arrête, le dernier souffle s’exhale, le cœur se brise sous le coup de la mort, et l’âme sort du corps avec un cri d’effroi. Maintenant tu vois où tu es, tu vois des esprits. Quelles affreuses figures, toutes déformées par le péché, te considèrent de toutes parts et semblent se repaître de ton angoisse ! Ne te le cache pas plus longtemps : malheureux, tu es entre les mains de Satan, tu vas en enfer ! Tu pries tes hideux compagnons qu’ils te laissent retourner dans ton corps et sur la terre ; « jamais, » te répondent-ils. Tu les en supplies ; ils se rient de toi. Tu les en conjures avec d’inexprimables angoisses ; ils se moquent de tes gémissements. Tu les accables d’injures ; ils te demandent avec un calme glacial pourquoi donc tu es venu vers eux, pourquoi tu n’a pas pris le chemin de la croix. « Marche, » te crient-ils, et le voyage commence. — Tu traverses un monde dévasté que Dieu n’a point réparé, un désert silencieux comme le tombeau, sombre comme la grotte funéraire. Tu lèves les regards ; point de ciel azuré, pas une étoile. Tu descends d’abîme en abîme ; partout un affreux silence, seulement de loin en loin passe près de toi quelque ange déchu, et il te semble entendre derrière toi comme le bruit de portes qui se ferment. Et la contrée devient de plus en plus désolée, et l’atmosphère de plus en plus lourde, et tes angoisses s’augmentent encore. Mais quels sont ces accents lamentables qui t’arrivent de loin ? Ce sont les hurlements des damnés, ces grincements de dents dont le Sauveur te parlait sur la terre. Tu approches du terme, la contrée est plus vivante, mais les figures que tu rencontres sont toutes plus hideuses les unes que les autres, tu ne lis sur toutes que le désespoir et la fureur, de toutes les lèvres tu n’entends que le blasphème et la malédiction. Te voilà qui entres dans la géhenne ? Oui, malheureux, dans la géhenne ! Entends-tu ce sourd murmure, ces cris déchirants, ces gémissements qui émouvraient la pierre ? Hélas ! qui versera aux damnés de l’eau dans leur feu qui ne s’éteint point ? qui leur enlèvera ce ver qui ne meurt point ? Ta société sera ce Judas, ce Caïn, ce Néron, ce blasphémateur français qui a plus que tout autre jeté dans le champ la semence de mensonge qui produit maintenant ces fruits empoisonnés. Mais dans la société de l’enfer nul ne s’occupe de son voisin, chacun a bien assez à faire avec ses propres souffrances, tout cœur est de pierre si ce n’est pour les tortures. — Et tandis que tu considères les malheureux, les rivières de Belial t’enveloppent et t’entraînent dans leurs flots, et des douleurs telles que sur la terre tu n’en imaginais pas même de semblables, fondent sur toi de tous côtés. Quels tourments ! et point de libérateur, plus de sacrifice pour le péché ; au lieu de la compassion, le rire amer. L’amour est un nom inconnu dans ces sombres demeures, et l’espérance non plus ne parcourt point ces ténèbres. Ici point d’horloge qui marque le temps, pour que tu puisses dire : « Dieu soit loué, encore une heure de passée. » Ici nulle aurore ne succède à la nuit, pour que tu te consoles à la pensée que demain peut-être cela ira mieux. Un damné rencontre un autre damné, et lui demande. « Quelle heure est-il ? » Et celui-ci lui répond : « Il n’est ici ni minutes, ni heures, ni années, ni siècles, ni temps, il n’y a que l’éternité. » Et pour reprendre d’autres traits d’un tableau tracé par un grand maître, la seule horloge qu’il y ait en enfer n’a ni aiguille ni chiffres d’heures, et le pendule murmure éternellement : toujours — jamais ; toujours le supplice, jamais la délivrance. — Oh que de ce séjour la terre te paraît belle malgré toutes ses peines et ses douleurs ! Elle s’offre à ton souvenir comme un faubourg des cieux. Ici du moins retentit partout le nom de Dieu. Le soleil qu’il fait lever chaque matin sur la terre, et les ombres paisibles de la nuit qu’il accorde à nos fatigues, les pluies fertilisantes dont il désaltère les campagnes arides, et les doux fruits dont il enrichit nos jardins et nos champs, tout parle encore d’une bonté et d’une miséricorde dont il n’est plus fait mention là bas. La fleur sur la montagne inhabitée, a dans son calice la goutte de rosée qui la rafraîchit ; dans les déserts l’oiseau qui ne sème ni ne moissonne, reçoit une abondante nourriture, et chante son joyeux chant d’actions de grâce ; à l’approche de nos rudes hivers, l’hirondelle fuit sans s’égarer vers des climats plus doux où la conduit quelqu’un qu’elle ne connaît point ; de toutes parts l’oreille attentive saisit le nom d’un Père céleste, que lui répètent sous mille formes diverses de douces voix d’anges, et le désert lui-même porte écrit sur son sol aride que la terre est gouvernée par un Dieu d’une miséricorde infinie. Mais cette miséricorde, rien, absolument rien ne la rappelle dans les prisons des damnés. Nulle part on n’y lit le nom du Dieu qui est amour. Et où donc ce nom serait-il écrit ? Serait-ce sur les chaînes d’obscurité ? Elles ne se rompent jamais. Dans la fumée des tourments ? Elle s’élève d’éternité en éternité. Dans les flammes de cet étang ardent ? mais la repentance ne pourrait pas l’éteindre, quand elle le tenterait avec des torrents de larmes. O Dieu ! dans l’enfer on ne lit sur tous les murs et dans tous les cœurs que cette unique parole : « Notre Dieu est un feu dévorant. » Et toi malheureux, qui fais maintenant l’expérience de cette redoutable vérité, avec quels cris de joie n’accueillerais-tu pas l’invitation qui sur la terre t’a été si souvent adressée, de te réconcilier avec Dieu ! Mais le temps n’est plus où tu pouvais choisir entre la bénédiction et la malédiction. Maintenant la malédiction est ta portion éternelle. Aucun Dieu ne s’occupe plus de toi, aucun Sauveur ne pense à toi, aucun jour de grâce ne se lève pour toi, et les issues de ces régions du péché et de la mort ne s’ouvriront jamais pour toi.

Quel spectacle affreux ! et qu’il est saisissant surtout à côté de celui que naguère nous contemplions avec délices. Alors nous ne pouvions nous résoudre à quitter les régions lumineuses où nous avions en esprit suivi le Tishbite, et à redescendre. dans la vallée des larmes. Aujourd’hui c’est avec angoisse que nous fuyons le lieu que nous avons visité, et nous ne pouvons assez nous réjouir de ce que le retour vers la terre nous est encore ouvert. Noos sommes encore dans le temps de la grâce, la voix de Dieu nous convie à la repentance, notre Sauveur vient nous prendre par la main pour nous amener à la vie. Mais tout a son temps. « Travaillez à votre salut avec crainte et tremblement ; car c’est Dieu qui produit en vous et la volonté et l’exécution selon son bon plaisir. » « Embrassez le Fils, de peur qu’il ne s’irrite et que vous ne périssiez en chemin, car sa colère va s’enflammer. » Notre pèlerinage se terminera ou par une ascension au ciel, ou par une descente aux enfers. Il n’y a pas un troisième lieu. O Jésus, Agneau de Dieu, aie pitié de nous. Aie pitié de nous, Jésus, Jésus !

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