Théologie de l’Ancien Testament

§ 8. L’A. T. et le N. T. comparés avec le Paganisme et l’un avec l’autre.

La Révélation se compose de deux grandes parties, l’Ancien et le Nouveau Testament, la préparation et l’accomplissement. Mais ces deux parties sont intimement unies ; elles ne forment qu’une seule grande économie du salut, qui diffère complètement de toutes les religions païennes. St Paul dit que les Païens avant Jésus-Christ étaient séparés de la République d’Israël, étrangers par rapport aux alliances et aux promesses. Israël a de l’espérance, les Gentils en sont privés ; Israël possède le vrai Dieu, les Gentils sont sans Dieu dans le monde. — La loi et les prophètes trouvent leur accomplissement dans l’Évangile : les religions païennes, loin de s’y accomplir, s’y dissolvent, quand elles viennent à le rencontrer. Laissons au Paganisme le mérite d’avoir préparé le terrain à l’Évangile, non seulement négativement, en montrant à l’homme l’insuffisance des religions de son crû et en éveillant en lui le besoin du salut ; mais aussi d’une manière positive, en exerçant de mille manières ses forces intellectuelles et morales. — Mais reconnaissons qu’il lui manque bien des choses. Il lui manque toute cette série d’interventions divines qui, dans le Judaïsme, fraient la voie à Christ ; il lui manque jusqu’à la connaissance du projet que Dieu a formé de sauver le monde ; (Ésaïe 41.22 ; 43.9 ; 44.7 et sq.) ; il ne peut pas même offrir un pied-à-terre à la colombe de l’arche. Ce n’est pas chez les Gentils que l’Évangile se développera d’abord. Car si la civilisation païenne peut être transformée par l’Évangile, elle n’est pourtant pas la condition sine qua non de l’influence salutaire du Christianisme (1 Corinthiens 1.18-30). Comme il lui manque le sentiment de la sainteté et par conséquent celui du péché, qui est encore toute autre chose que le sentiment de l’injuste, le Paganisme n’a précisément pas ce qui lui aurait été nécessaire pour que l’œuvre du salut eût pris naissance dans son sein.

Faisons le compte du Paganisme. Qu’avait-il à léguer aux races nouvelles lorsque son beau temps fut passé ? Quel était le capital acquis par ses oracles et ses devins ? Qu’était-il en état d’offrir à ses adeptes en fait de connaissances solides, de vraies consolations et de vivifiantes espérances ? Les devins ont parcouru la terre et sondé le ciel dans l’espoir d’y découvrir des signes de la volonté de Dieu ; ils sont même allés heurter aux portes de l’empire des morts ; ils ont interrogé le cœur de l’homme, pensant peut-être, en prêtant une oreille bien attentive, y surprendre l’écho de quelque voix divine ; et pourtant ils n’ont point connu le conseil du Dieu vivant. En dépit de toutes ses recherches le Paganisme, au terme de son développement, est là sans savoir que faire, sans rien comprendre aux voies de Dieu, ni à la marche de l’histoire. Ou bien peut-être, tandis que les devins désespèrent d’eux-mêmes, les poètes, les philosophes, les hommes d’Etat sont-ils plus heureux et voient-ils se développer chez eux la connaissance du conseil divin ? Non ! partout on retrouve la pensée d’une Providence qui prend note du bien et du mal dont, elle est l’invisible témoin ; preuve irréfragable de cet empire de la conscience qui fait de l’homme un être naturellement religieux. Mais, à côté de cette croyance, il y en a une autre qui hante le paganisme comme son mauvais génie. C’est la pensée de l’aveugle destin, dont Wuttke a dit avec tant de justesse qu’il est la mauvaise conscience du paganisme et qu’il constitue une éternelle accusation contre les dieux, leur reprochant de n’être pas ce qu’ils devraient être ; leur remontrant qu’ils sont de ce monde au lieu d’exercer sur le monde une influence bienfaisante ; leur prouvant ainsi qu’ils portent en eux un germe de mort. Le monde est-il le jouet du hasard, ou bien la justice aura-t-elle le dernier mot dans l’histoire ? Voilà la grande question. Les sages y répondent diversement. Elle revient toujours se dresser devant tous les esprits sérieux.

Prenez, par exemple, Démosthènes. Dans les premiers temps de sa carrière, il montre la justice divine présidant aux destinées des peuples ; il annonce prophétiquement la chute de toute puissance qui s’appuie sur le mensonge et le parjure ; il reconnaît bien qu’il faut toujours s’attendre aux coups imprévus du sort, mais il pense que le sort ne peut agir que quand les dieux l’autorisent à punir ou à récompenser. Et, sur le soir de sa vie, il n’a rien à dire pour expliquer le malheur de sa patrie, si ce n’est peut-être que des temps fâcheux sont venus pour l’humanité toute entière, et qu’Athènes a naturellement dû prendre sa part des maux universels.

Ou bien prenez Plutarque. Dans son remarquable ouvrage sur les Renvois de la justice divine, il montre une intelligence profonde des jugements de Dieu ; mais dans ses consolations à Apollonius et dans son livre sur la Fortune des Romains, il dit que l’histoire du monde ne se peut expliquer que par la combinaison de ces deux principes étrangers l’un à l’autre, le hasard et la justice ; il reconnaît que dans les choses de la terre la loi suprême est la loi du changement. De même, dit-il, que dans la nature la terre solide s’est peu à peu formée par suite des luttes violentes des autres éléments, de même dans l’histoire les plus grands empires, poussés par le destin, se sont brisés les uns contre les autres ; il s’est produit alors un grand désordre, un chaos du sein duquel est sorti enfin l’empire romain. Le Temps, qui s’est entendu avec la Divinité pour fonder Rome, en a fait un heureux mélange de hasard et de justice, de bonheur et de vertu, pour qu’elle offrit aux hommes une demeure stable, un établissement inébranlable.

En niant, la Bible en main, toute différence essentielle entre les deux Testaments, nous nous trouvons combattre Schleiermacher, qui dit dans sa Dogmatique qu’il y a bien une relation historique entre le Christianisme et le Judaïsme, mais que, du reste, le Christianisme diffère autant du Judaïsme que du Paganisme. Plus est grand le nombre des personnes qui partagent cette manière de voir, particulièrement dans ces dernières années, plus il est nécessaire de l’examiner soigneusement.

Schleiermacher cite d’abord, à l’appui de son opinion, le fait que le Judaïsme a dû commencer par être transformé et par subir l’influence du Paganisme, pour pouvoir donner naissance au Christianisme. Mais c’est là un fait que nous contestons absolument. A quoi donc le Seigneur se rattache-t-il dans le sermon sur la montagne ? Serait-ce par hasard à ce Judaïsme bâtard d’Alexandrie, si profondément modifié par l’influence de la Philosophie grecque ? N’est-ce pas plutôt à la Loi et aux Prophètes ? Cela est si évident, qu’à la thèse de Schleiermacher j’en oppose une toute contraire, et que je prétends que c’est le Paganisme qui a dû subir l’influence du Monothéisme pour pouvoir accepter le Christianisme ; or telle a été effectivement auprès des Païens la mission des Juifs dispersés par tout le monde.

Quand ensuite Schleiermacher fait remarquer que bien des Païens ont accepté l’Évangile sans avoir passé par le Judaïsme, — cela est très vrai. Mais n’oublions pas que la Loi, qui est le grand pédagogue pour amener à Christ, a été en partie remplacée chez les Païens par la conscience (Romains 2.15), et que l’Évangile lui-même débute par la prédication de la loi : Amendez-vous et vous convertissez ! C’est là le résumé de la prédication de Jean-Baptiste et le commencement de celle du Seigneur.

En troisième lieu, Schleiermacher objecte que, si Jésus a été un Juif, l’Évangile a pourtant trouvé chez les Païens un bien meilleur accès que chez les Israélites. Mais pourquoi les Juifs se sont-ils endurcis ? Parce qu’ils avaient déjà une fortune spirituelle, dont ils crurent pouvoir se contenter, tandis que les païens se sentaient pauvres. Les Gentils cherchent Dieu, dit fort bien Nägelsbach, — c’est là le trait fondamental de leur développement religieux. Mais, ajoute-t-il, ils ont cherché sans trouver. Leurs soupirs sont touchants, mais impuissants. Aucun d’eux n’a réussi à découvrir le vrai Dieu.

Enfin, — c’est ici le quatrième argument de Schleiermacher — ce que l’A. T. présente de mieux, ce dont le N. T. a le mieux pu tirer parti, se trouve également dans les meilleures productions du paganisme et en particulier dans la Philosophie grecquea ; et en revanche, ce que l’A. T. présente de moindre, c’est précisément ce qui est le plus strictement juif. Il est vrai que le N. T. n’a pas utilisé absolument tout l’Ancien. Mais si nous cherchons à nous rendre compte de ce qui distingue essentiellement la Révélation biblique tout entière d’avec le paganisme, nous arriverons à reconnaître que ce n’est pas l’idée de l’unité de Dieu, car il y a aussi un paganisme monothéiste, mais bien celle de la sainteté de Dieu. Et voilà pourquoi les païens n’ont pas su ce que c’est que le péché, et pourquoi ils ne peuvent disputer aux Juifs l’honneur d’avoir été la souche de l’arbre du salut (Romains ch. 11).

a – Lasaulx a reproduit cette assertion dans sa vie de Socrate.

L’A. T. et le N. T. sont les deux tomes d’un seul et même ouvrage. Cependant il ne faudrait pas les mettre sur le même pied. Sans doute l’Ancien a déjà le sentiment que le règne de Dieu dont il parle est un règne éternel et universel. (Genèse 12.3 ; Ésaïe 45.23 ; 54.10) Mais il n’ignore point que la forme sous laquelle apparaît ce règne dans l’ancienne alliance, est imparfaite et passagère ; il annonce une révélation nouvelle où, Dieu communiquant sa vie aux hommes, ceux-ci pourront accomplir la loi, et où l’ombre des biens à venir sera changée en une réalité (Deutéronome 30.6). Et ce sera précisément quand la théocratie sera tombée en ruine, que Dieu fera une nouvelle alliance avec son peuple (Jérémie 31.31). Il va de soi que ce n’est pas au moment où elle vient d’être promulguée, que la loi peut parler du temps où elle sera abrogée ; elle se serait ainsi considérablement affaiblie elle-même. Moïse entend que le peuple observe toujours ses ordonnances. Mais cela ne l’empêche pas d’annoncer qu’un jour la position du peuple vis-à-vis de celte loi immuable sera changée ; Dieu circoncira les cœurs ; il ne se contentera plus d’ordonner, il donnera la force d’accomplir.

Le N. T. accentue encore davantage ce qui le distingue de l’Ancien. Le décret éternel du salut a été annoncé par les prophètes, mais il n’a été pleinement révélé que lors de son accomplissement (Romains 16.25 ; 1 Pierre 1.10 ; Éphésiens 1.9 ; 3.5). L’éducation de l’humanité est ébauchée par la loi, elle est achevée par la grâce et la vérité qui sont venues par Jésus-Christ (Jean 1.17 ; Romains 10.4 ; Galates 3.24 ; Colossiens 2.17 ; Hébreux 10.1 et sq.). C’est pour cela que le plus petit dans le royaume de Christ est plus grand que tous les héros de l’ancienne alliance (Matthieu 11.11) ; pour cela que lorsque la loi et les prophètes ne sont pas éclairés par la lumière que projette sur eux Celui qui les a accomplis, ils peuvent être appelés de faibles et misérables rudiments (Galates 4.9) ; pour cela qu’il ne faut pas vouloir trouver déjà dans l’A. T. tous les dogmes du Nouveau.

Telle est notre manière de voir à l’égard de l’A. T. Dans le chapitre suivant, nous comparerons avec les principes que nous venons d’exposer ceux qui ont dirigé les théologiens des différents siècles dans l’étude de l’A. T.b

b – Voyez aussi le très intéressant ouvrage de Diestel sur « l’Histoire de l’Église chrétienne ».

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