Théologie de l’Ancien Testament

§ 108. Les garants ou vengeurs du sang.

C’est ici le lieu de parler d’une loi qui a évidemment pour but d’assurer l’intégrité de la famille. Mais avant de dire loi, nous devrions dire usage ; car, en effet, c’est un antique usage que celui en vertu duquel le plus proche parent de l’homme qui avait été tué, pouvait et devait user de représailles sur le meurtrier. Nous ne citerons pas Genèse 4.14 : « Quiconque me trouvera, me tuera ; » Caïn ne faisant ici que d’exprimer le trouble de sa conscience ; — ni Genèse 9.6, où Dieu ne fait que de poser d’une manière tout à fait générale le principe que le sang du meurtrier doit être répandu par l’homme. Mais dans Genèse 27.45, quand Rébecca s’écrie : « Pourquoi serais-je privée de mes deux fils en un même jour ? » il y a une allusion évidente à la vengeance du sang : Si Esaü tue Jacob, il sera tué lui-même par le garant du sang. Là où l’Etat n’est pas encore assez développé pour s’occuper de la répression des crimes, il est bien naturel que ce soit la famille qui y pourvoie. Tel a du moins été le cas chez les Arabes, les anciens Grecsc, les Romains et les Germains.

c – Voyez Nægelsbach, Théologie d’Homère, 2e édition. § 292. sq.

Mais cette coutume si ancienne et si générale, Moïse, en lui donnant droit de cité dans son code, lui a fait subir l’influence profonde du principe théocratique. Aux yeux des Hellènes, le meurtrier ne péchait ni contre la divinité, ni contre la société ; mais uniquement contre la famille de sa victime. Pour Moïse, l’homme étant fait à l’image de Dieu, le meurtre est un péché qui atteint le Créateur et qui doit être puni par l’extermination du coupable de dessus le sol théocratique souillé par l’effusion du sang, (Genèse 9.5-6 ; Nombres 35.33)d. Au fond, c’est Dieu qui est le véritable vengeur du sang, le vrai rechercheur des meurtres, דרש דמים (Psaumes 9.12 ; 2 Chroniques 24.22). C’est à Lui que crie le sang répandu (Genèse 4.10). Aussi est-ce un devoir, un devoir religieux, et non pas une affaire d’honneur, que de venger le sang. Mais la famille aussi étant lésée par le coup qui a frappé l’image de Dieu, le soin de châtier le malfaiteur est confié à celui des proches auquel incombe d’une manière générale la tâche de maintenir la famille dans son intégrité. Il s’agit en quelque sorte de racheter le sang enlevé à la famille. De là le nom de rédempteur, racheteur du sang, גאל הדם (Nombres 35.19 ; Deutéronome 19.6,12), ou de Goël, rédempteur, sans aucune détermination (Nombres 35.12 ; Job 19.25). Toute la famille avait l’œil à ce que le sang de l’un de ses membres fût vengé (2 Samuel 14.7). Si le plus proche parent refusait d’agir, le suivant devait prendre sa place, comme pour le lévirat, et l’on peut supposer également qu’en l’absence de tout parent, le ministère public intervenait.

d – La vie humaine est si précieuse que l’animal lui-même qui a tué un homme doit être lapidé. Exode 21.28. sq.

Voici du reste, sous trois classes, quelques détails que nous fournissent encore les trois passages capitaux sur l’objet qui nous occupe : Exode 21.12-14 ; Nombres 35.9-34 ; Deutéronome 19.1-15 :

1° Nombres ch. 35 distingue deux sortes de cas qui appellent la vengeance du sang : a) v. 16 à 18, lorsqu’un homme en frappe un autre avec un instrument de fer, avec une pierre, ou avec un bois dont, quand on les prend à la maine, on risque de tuer ; c’est-à-dire quand on frappe quelqu’un de telle sorte que la mort n’a rien d’étonnant ; b) v. 20, quand on frappe une personne n’importe avec quoi, par haine et dans l’intention de la tuer. — Le malheureux, au contraire, qui aura causé la mort de l’un de ses frères sans le vouloir, sans mauvaise intention, ב.ֻבלי–דעת, ou בלא טדיה (v. 22. Exode 21.13 ; Deutéronome 19.4), peut fuir dans l’une des six villes de refuge instituées en vue de cas semblables, trois en deçà et trois au delà du Jourdain (Deutéronome 4.41 ; Josué 20.1-9). Les anciens de la ville de refuge vers laquelle il a dirigé ses pas, prennent rapidement une première connaissance de l’affaire et le mettent à l’abri des coups du garant du sang, jusqu’à ce que l’assemblée, עדה, de tous les habitants du lieu où le meurtre a été commis (Nombres 35.24), ait attentivement étudié le cas par l’entremise de ses propres anciens (Deutéronome 19.12)f. Si le fugitif se trouvait être coupable d’un meurtre volontaire, il devait être livré au garant du sang. L’autel même ne le protégeait plus, à supposer qu’il osât en saisir les cornes (Exode 21.14). S’il était constaté qu’il n’avait pas voulu frapper sa victime, il avait à demeurer dans la ville de refugeg jusqu’à la mort du souverain sacrificateur alors en charge (Nombres 35.28 ; Josué 20.6). S’il en sortait auparavant, le garant du sang pouvait lui courir sus (v. 27), comme il l’avait pu faire déjà avant qu’il eût atteint la ville de refuge et pendant qu’il cherchait à l’atteindre (Deutéronome 19.6). Ce séjour forcé dans la ville de refuge n’était pas un simple exil : il fallait que le meurtrier, quoique involontaire, fût isolé, mis à part, que le peuple, en général, fût préservé de son commerce jusqu’à ce que sa peine fût expiéeh, et cette expiation parait avoir consisté dans la mort du souverain sacrificateur, laquelle a, pour les péchés commis pendant tout le temps de son ministère, la même valeur expiatoire qu’avait pour les péchés d’une année son grand sacrifice du jour des expiations.

e – Ou bien : parce qu’ils remplissent la main.

f – C’est ainsi du moins que nous paraissent devoir être combinés ensemble les trois passages cités.

g – Il y avait à Athènes un exil semblable pour des cas analogues. Voyez Herrnann, Antiquités grecques, § 104.

h – Un péché, même involontaire, est un péché. Lévitique 4.1.

[Bæhr, d’après Maïmonides, expliqua autrement l’influence de la mort du souverain sacrificateur. Cette mort, dit–il, était un événement si important, à cause de la haute position du souverain sacrificateur, qui était le chef de la théocratie et le représentant du peuple tout entier, — qu’elle faisait oublier toute autre mort.]

2° Quant aux meurtres volontaires, aux assassinats, il n’y avait pour de pareils crimes d’autre expiation possible que la mort du coupable (Nombres 35.31-33)i. C’est le droit du talion dans toute sa rigueur. Nul sacrifice ne peut être offert en faveur d’un tel coupable ; — nulle amende ne peut le racheter, non pas même, dit Maïmonides, si avant d’expirer la victime lui a pardonné. Nouvelle et assez remarquable différence entre la législation de Moïse et celles des autres peuples de l’antiquité, qui toutes autorisent le meurtrier à chercher à entrer en accommodement avec la famille intéresséej. — Moïse ne prescrit rien contre le garant qui négligerait de venger le sang répandu.

i – Le sang répandu souille le pays et il n’y a point d’expiation (de purification) pour le pays, si ce n’est par le sang du coupable.

j – Au moyen de la ποινή, chez les Grecs. Voyez le Coran lui-même Sar. II, 173.

3° Celui qui a donné la mort à l’un de ses frères est seul responsable de son action. Le garant du sang ne peut pas s’attaquer à sa famille. Mais il se peut que, dans la pratique, on se soit écarté de cette règle et que ce soit pour faire rentrer dans la bonne ornière que le Deutéronome ait ajouté la recommandation positive de ne jamais faire mourir personne pour le péché d’autrui (Deutéronome 24.16 ; 2 Rois 14.6). On ne sait pas au juste combien de temps subsista en Israël la vengeance du sang. Il résulte de 2 Samuel 14.6-11, qu’elle était encore en pleine vigueur sous David.

[2 Samuel 3.27 ne peut pas être cité comme un exemple de vengeance du sang. Celait à la guerre et dans un cas de légitime défense qu’Abner avait tué Hasaël ; ce n’était pas là une mort qui criât vengeance ; aussi Joab a-t-il été puni de son meurtre. 1 Rois 2.5.]

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