Théologie de l’Ancien Testament

§ 135. Le Naziréat.

De tous les vœux, c’est ici le plus important. Philon

l’appelle ἡ μεγάλη εὐχη (De Ebriet. § 1). Nazar, נצר signifie séparer, mettre à part ; Niphal : se séparer, s’abstenir. Le Naziréen, c’est donc celui qui se met à part, mais pour se consacrer au service de l’Éternel, bien entendu ; il y a cette notion positive dans le Naziréat, (Nombres 6.2, 5 : pour se donner à l’Éternel), bien que étymologiquement ce soit un vœu négatif.

[On a proposé une autre étymologie. Néser signifie couronne ; on a dit que Naziréen signifie couronné, couronné d’une abondante chevelure ; et, en effet, dans Genèse 49.26 ; Deutéronome 33.16 ; Lamentations 4.7, le mot Nazir signifie prince. Mais ce sont là deux significations parallèles : Nazir dans le sens de séparé et Nazir dans le sens de prince viennent tous deux de Nazar. séparer, distinguer.]

Samson, Samuel et Jean-Baptiste sont voués dès avant leur naissance à un Naziréat perpétuel. Mais la loi ne parle que d’un naziréat temporaire et volontaire (Nombres 6.4-21), qui consiste à s’abstenir absolument pendant toute la durée du vœu de ce qui provient de la vigne, et de toute espèce de boisson fermentée, car c’est évidemment dans ce sens tout général qu’il faut prendre le mot שכר (Philon, De vict. § 13), à ne se point couper la chevelure ni la barbe, et à éviter toute souillure pour un mort, même pour un proche parent.

[Samson n’est soumis qu’aux deux premières de ces trois défenses (Juges 13.4 et sq.), Samuel qu’à la seconde (1 Samuel 1.11), et Jean-Baptiste qu’à la première (Luc 1.15). Le Naziréat de Samson et de, lean-Baptiste commence dès avant leur naissance. La Mischna Sota 3, 8. prétend que le père seul avait le droit de vouer son fils au Naziréat avant sa 12e année. Mais on ne voit pas comment cela peut s’accorder avec 1 Samuel 1.11. — On a voulu faire de Elie un nazaréen à cause de 2 Rois 1.8, Baal Séar, בעל שער, que la Vulgate traduit ii tort par Vir pilosus et les Septante par ἀνήρ δασὺς. Cela veut dire simplement qu’il portait le rude manteau des prophètes. Plus tard, la tradition distingua (Mischna Nasir 1.2) du Naziréat perpétuel, le Naziréat de Samson. Quand on avait fait vœu de Naziréat perpétuel, on osait se couper les cheveux quand ils devenaient par trop longs, comme le faisait, par exemple. Absalon (2 Samuel 14.26), dont on se plaisait à faire un naziréen. Le naziréen à la manière de Samson n’osait se les couper en aucun cas ; en revanche, lorsqu’il avait été involontairement souillé (Nombres 6.9), il n’était pas tenu à offrir les sacrifices de purification prescrits par la loi, parce que Samson n’en a point offert après s’être approché du corps du lion (Juges 14.8), non plus qu’après Juges ch. 15.]

Au reste, pas question de célibat ni de retraite ; les Naziréens restaient dans leur famille, et c’est à tort que l’Église catholique les a considérés comme les précurseurs des moines. D’après la Mischna Nasir 1.3 et Josèphe Bell. jud. 2.15, 1, on ne pouvait pas faire vœu de Naziréat pour moins de 30 jours et l’on s’en tenait le plus souvent à ce minimume. — Le Naziréen, qui se trouvait souillé pour avoir involontairement touché un mort, devait se raser « au jour de sa purification » (Nombres 6.9), c’est-à-dire, d’après Nombres 19.11, au septième jour ; puis, le lendemain, il avait à offrir deux tourterelles ou deux pigeonneaux ; l’un, en sacrifice pour le péché ; l’autre, en holocauste, « et le prêtre fera ainsi propitiation pour lui. » Après cela, il consacrera ou sanctifiera de nouveau sa tête et, en offrant un agneau d’une année en sacrifice pour le délit, il recommencera son Naziréat à tous nouveaux frais. Son temps une fois accompli, il présentera, un triple sacrifice, un agneau d’un an en holocauste, une brebis d’un an en sacrifice pour le péché et un bélier en sacrifice de prospérité ; plus, une corbeille de pains sans levain et autres offrandes (Nombres 6.15). Puis ses cheveux étaient coupésf à la porte du sanctuaire et jetés dans le feu du sacrifice de prospérité. Le tout se terminait par l’élévation de certaines parties du bélier.

e – Les Rabbins avaient tiré de nombre de trente de la valeur numérique du ל qui précède le nom de Jéhovah : « à l’Éternel » (Nombres 6.5-6, 8 et sq.).

f – Nous disons coupés, car chez les Juifs c’était un opprobre que d’avoir la tête rasée. — Du temps de Josèphe, il y avait dans le temple une place spéciale où su faisait cette cérémonie. C’était à l’angle sud-est du parvis des femmes. D’après la Mischna Themura, 6.4, et Maïmonides, la chevelure du naziréen souillé n’était pas brûlée, mais enterrée.

Le Naziréat n’est pas une institution d’origine mosaïque. Il était déjà connu lorsque l’Éternel donna la loi qui le concerne. Voyez Nombres 6.2. Diodore de Sicile raconte qu’Osiris, partant pour l’Ethiopie, lit vœu de ne pas se couper les cheveux jusqu’à son retour en Egypte, et que les parents promettaient quelque chose de semblable lorsqu’un de leurs enfants tombait malade (1.18 et 83). Cela a engagé Spencer et J.-D. Michaélis à attribuer au Naziréat une origine égyptienne. Mais nous retrouvons des vœux semblables chez d’autres nations encore : Achille aux funérailles de Patrocle coupe sa belle chevelure et la dépose dans les mains de son meilleur ami, pour être brûlée avec son corps (Illiade 23, 141 et sq.)g ; en sorte que la question de l’origine du Naziréat est loin d’être encore élucidée.

g – Voyez aussi Plutarque, Thésée V, et Lucien : De Dea Syra.60.

[Vatke, pour prouver que le Naziréat n’est pas originaire d’Egypte, prétend, dans sa « Religion de l’A. T., » page 283, que la défense de boire du vin suppose un peuple établi dans le pays de Canaan. Mais cette objection est sans fondement. La vigne était cultivée en Egypte, ainsi que nous le voyons par l’histoire de Joseph, et les découvertes modernes ont pleinement confirmé les données de la Bible à cet égard. Voyez Hengstenberg. « les Livres de Moïse et l’Egypte, » page 12 et sq.]

Si nous nous demandons maintenant quel en est le sens, il nous paraît évidemment résulter de Nombres ch. 6, que c’est une consécration à Dieu de la personne tout entière. Mais est-il nécessaire, pour arriver à ce résultat, de suivre toute la série d’idées de Vilmar, qui dit que le vin étant le symbole de la culture, ainsi que les soins donnés aux cheveux, le Naziréen, qui ne boit point de vin et qui laisse sa chevelure inculte, se met par là même à l’abri de ce que la civilisation a de dangereux comme puissance qui éloigne de Dieu ? Nous ne le pensons pas ; il suffit de remarquer avec Philon (De Vict. § 13) et Maïmonides (More Nebochim 3, 48), que les vœux du Naziréat ont un grand rapport avec ceux de la prêtrise. Voyez pour le vin Lévitique 10.9 et sq. ; pour les cadavres, Lévitique 21.11. Un Naziréen est un prêtre laïque et temporaire.

[Le Naziréat n’impliquait pourtant aucun service dans le sanctuaire. 1 Samuel 1.11,24 est n cas extraordinaire. — On a conclu de l’histoire de Samuel que le genre de vie du naziréen favorisait l’esprit de prière. Cela se peut. Mais il ne faut pas oublier que Samuel était prophète en même temps que naziréen. — On ne peut prouver que les femmes qui servaient dans le sanctuaire fussent des naziréennes (Exode 38.8 ; 1 Sam.2.22).]

Quant à ses cheveux, s’il les laisse croître, c’est qu’ils doivent vraiment être sa couronne (Nézer), la marque de sa consécration â Dieu

[On pourrait être tenté de voir dans la défense qui est faite aux prêtres de se raser la tête, une analogie nouvelle entre le Naziréat et la prêtrise (Lévitique 21.5), en même temps qu’une opposition à la coutume des prêtres égyptiens qui se rasaient soigneusement, d’après Hér. 2.36. Mais il faut renoncer à cette idée, car Ézéchiel 44.20, défend aux prêtres de porter la chevelure longue (Péra, פרע), que Nombres 6.5, exige précisément du naziréen.]

La tiare du grand prêtre est aussi appelée une couronne dans Exode 29.6 ainsi que l’huile de l’onction dans Lévitique 21.12. Voyez aussi, Jérémie 7.29. Mais il y a plus. Les cheveux jouent un rôle capital dans le Naziréat : « Sanctifier sa tête » (Nombres 6.9, 11), est synonyme de « être Naziréen. » Dans le fait qu’on se laisse croître la chevelure, il y a évidemment plus que la marque de la disposition toute négative à renoncer au mondeh. Qu’est-ce, d’après Lévitique 25.5-11, que des ceps Nazaréens ? Ce sont des ceps qui dans les années de sabbat ou de jubilé, ont produit des grappes d’eux-mêmes et sans avoir été cultivés ; la consécration des ceps à Dieu n’est complète que lorsqu’on les a laissés déployer librement leur force de végétation, et que leur produit, perdu pour une année, ne risque pas d’être employé d’une manière profane par les hommes. Eh bien ! il y a quelque chose de semblable chez les Naziréens. Leur chevelure est le symbole, — chez Samson elle est même le siège, — de la force et de la plénitude de vie qui les animent. Ces cheveux, il n’y faut point toucher durant toute la durée du vœu : la personne tout entière du Naziréen appartient à Dieu et toutes ses forces sont consacrées à son service. Ils constituent ainsi un ornement sacré, semblable au diadème qui désigne à première vue le grand prêtre comme une personne consacrée à Dieu (Exode 28.36). La libre croissance de la chevelure est donc le pôle positif du Naziréat, et la défense de toucher un mort en est le pôle négatif. A l’horreur de la mort répond la recherche de la vie.

h – Les lépreux se rasaient la tête, quand ils étaient guéris et qu’ils pouvaient rentrer dans la société de leurs semblables. Mais ce serait une erreur que de rappeler cette ordonnance à propos de Nombres 6.18.

[Les cheveux et la barbe sont les symboles de la force et de la virilité. Les couper et les offrir aux mânes d’un ami, c’est lui faire hommage de toute sa force. Le nombre sept dans Juges 16.13, à propos des tresses de Samson, n’est pas indifférent : c’est le chiffre de l’alliance. Ces cheveux sont la marque de l’alliance de Samson avec Dieu Mais l’histoire de Samson montre précisément que Bæhr a eu tort d’insister exclusivement sur le caractère moral de ce symbole, comme il le fait quand il dit que cette abondante chevelure est une marque de santé, d’exubérance de vie, de santé de l’âme, de consécration à Die », de sainteté. — Baumgarten, dans son commentaire sur Nombres ch. 6, et les Actes des apôtres, rapproche de la loi du Naziréat 1 Corinthiens 11.3-16 et voit dans la longue chevelure une marque de subordination. Mais cette notion ne correspond point d’une manière satisfaisante aux diverses dispositions de la loi qui nous occupe. — Vitringa, dans ses Observ. sac, édition de 1723, I, page 70, prend tout au contraire la longueur des cheveux comme un « symbolum libertatis et naturæ indomitiæ. » Il cite à l’appui de son idée Deutéronome 32.42 et Psaumes 68.22 ; puis, spiritualisant ce symbole, il y trouve la marque de l’état de liberté parfaite où sont transportés les enfants de Dieu. Voyez aussi son traité intitulé : Typus Simsonis mystice expositus, dans le 6e livre de ses Obs. sac, page 507.]

Plus que quelques mots sur les sacrifices que l’on offrait quand on avait achevé son temps de Naziréat. Ils étaient, nous l’avons vu, au nombre de trois : d’abord un holocauste, qui formait le point de départ et la base de tout ce qui suivait ; puis un sacrifice pour le péché, qui était destiné à expier les manquements de moindre importance qui avaient pu se produire durant le Naziréat ; et enfin, un sacrifice de prospérité, pour lequel il fallait une victime plus précieuse que pour les deux premiers ; car c’était l’acte central de toute la cérémonie. Ce sacrifice de prospérité avait ceci de particulier, d’abord que le Naziréen jetait sa chevelure dans le feu de l’autel, puis que l’on élevait ou tournoyait un plus grand nombre de morceaux de viande que dans les autres sacrifices de prospérité, pour indiquer une communion toute particulière avec Dieu.

[La chevelure n’était pas jetée dans le feu de la chaudière où l’on cuisait la viande destinée au repas. Cela avait pour but de préserver de toute profanation cette chevelure qui avait fait l’ornement du naziréen, et en même temps de la livrer définitivement à celui en l’honneur duquel elle avait été portée, ce qui était aussi le cas des parties de la victime que l’on consumait sur l’autel.]

On comprend après ceci que dans Amos 2.11, les vocations au Naziréat soient considérées, aussi bien que celles au prophétisme, comme une grâce toute spéciale de Dieu envers son peuple.

[Plus tard, quand nous parcourrons l’histoire des Juges, nous dirons encore quelques mots des Naziréens ; mais dans les livres postérieurs il n’en est plus jamais fait mention, quoique les Réchabites, qui ne buvaient point de vin non plus (Jérémie 35.8), leur ressemblent passablement. Le légalisme qui se développa après l’exil remit le Naziréat en vogue. Voyez 1 Maccabées 3.49. Très souvent quand on se trouvait dans quelque détresse, on promettait à Dieu de se faire naziréen, si l’on était délivré (Josèphe. bell. jud. 2.15. Mischna Nasir 1.6). Rien de plus fréquent dans ce temps-là que la formule : Je me fais naziréen, si… Siméon le Juste s’élève contre la légèreté avec laquelle on faisait parfois ces vœux, qui étaient devenus une affaire d’habitude ou de mode. Dans la vie de Jean-Baptiste et de Siméon le Juste, ils apparaissent au contraire avec tout leur sérieux. Actes 18.18 ne peut pas être considéré comme un exemple de naziréat, mais seulement comme un vœu destiné à remplacer celui de naziréat, qu’il était fort difficile d’accomplir en pays païen et loin du sanctuaire. Ce qui avait pu en donner l’idée à Paul, c’est que les païens avaient aussi l’habitude de se couper les cheveux en certaines occasions et qu’il est également question de la chevelure dans la loi sur le naziréat. Quant à Actes 21.24, tout ce que nous pouvons dire pour expliquer ce verset, c’est que les cérémonies qui accompagnaient la rentrée dans la vie ordinaire étant fort coûteuses, on considérait comme une œuvre de charité et une marque de sympathie l’assistance qu’on pouvait offrir dans des cas pareils à des personnes nécessiteuses.]

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