Théologie de l’Ancien Testament

§ 209. Suite. Les facultés de l’âme ne sont point supprimées, mais elles prennent au contraire un nouvel essor dans l’état d’inspiration.

Il y a du vrai et du faux dans l’opinion de Hengstenberg. Du vrai, car la Bible nous montre parfois des prophètes écrasés en quelque sorte par l’Esprit de Dieu. Saül saisi par l’esprit prophétique se déshabille et prophétise ainsi tout un jour et toute une nuit (1 Samuel 19.24).

[גם הוא « lui aussi ; » donc les autres prophètes en faisaient, autant. — Cela rappelle d’une manière frappante la Pythie de Delphes qui, dans son extase, déchirait ses vêtements. Au reste, ces états violents ne se rencontrent guère que chez les plus anciens, prophètes.]

Si les prophètes sont, quelquefois appelés, des insensés, משגעים (2 Rois 9.11 ; Osée 9.7 ; Jérémie 29.26), cela provient peut-être de ces états violents tout autant que du contenu souvent si étonnant de leurs discours. — Du faux, car ce sont là des apparitions anormales, et ordinairement, — et même dans les cas sur lesquels Hengstenberg appuie sa théorie, — les prophètes ont conscience de ce que l’Esprit saint leur annonce, ils peuvent le répéter, le coucher par écrit ; bref, ils se trouvent dans un état de réceptivité passive.

Ainsi Esaïe, au milieu de sa vision, ch. 6, a conscience de soi, car il sent qu’il est pécheur, v. 5, puisque ses péchés sont expiés, v. 7, et il finit par se déclarer prêt à aller où Dieu l’enverra.

Jérémie a conscience de soi lorsque Dieu lui apparaît pour la première fois, car il se sent trop jeune et trop faible pour répondre à la vocation qui lui est adressée (Jérémie 1.6), et lorsqu’enfin il cède à la pression divine, c’est, que sa conscience lui interdit de regimber plus longtemps contre les aiguillons (Jérémie 17.16).

Amos, qui d’ailleurs sait assez que sans Dieu il n’y aurait point de prophètes, représente cependant son ministère comme le résultat d’une libre entente entre l’Éternel et lui : Deux (hommes) marcheront-ils ensemble, s’ils n’en sont d’accord ? (Amos 3.3)

Ezéchiel tombe à demi-mort devant l’éclat de la vision céleste (Ezéchiel 1.28), mais pour percevoir la révélation, il doit, se relever (Ézéchiel 2.1). Il se relève, en effet, dans la force de l’Esprit qui entre en lui (v. 2), et ce n’est qu’alors, lorsqu’évidemment il a repris tous ses sens, que Dieu, commence à lui parler.

On en peut dire exactement autant de Daniel (x, 8–10). Voyez aussi Apocalypse 1.17.

Les prophètes se rappellent ce qui leur a été montré et dit ; ils sont en état de le raconter eux-mêmes (Zach. ch. 1). Comment en serait-il ainsi, s’ils avaient perdu connaissance pendant que Dieu leur parlait ? C’est même là une des différences essentielles qu’il y a entre le prophétisme et le somnambulisme ou le chamanisme.

[Les Chamans sont des ascètes bouddistes dont les pratiques nous sont surtout connues parle voyage de Matjuschkin. Voyez Tholuck, 1. c, page 8. Ils ne se rappellent, non pins que les somnambules, absolument rien de ce qui leur est arrivé dans leurs extases.]

Daniel est plusieurs jours malade à la suite d’une vision (Daniel 8.27) ; l’état visionnaire fait donc jusqu’à un certain point violence à la vie naturelle ; mais on n’est pas pour cela en droit de parler d’une diminution, d’un écrasement de la vie personnelle chez les hommes à qui Dieu parle. Loin de là, le prophète se sent intérieurement élevé à un niveau supérieur de vie spirituelle et morale. Après avoir reçu des communications divines et s’être trouvé sous le poids de la main de Dieu, הזקת היד, Esaïe déclare ne plus pouvoir marcher sur la voie large (Ésaïe 8.11). Grâce à l’Esprit de Dieu qui le fortifie, Jérémie sent qu’il sortira vainqueur des positions les plus critiques où il pourra se trouver (Jérémie 1.19 ; 15.20 ; 20.11). Comparez Habakuk 3.19 : « L’Éternel est ma force, Il rendra mes pieds semblables à ceux des biches et me fera marcher sur les lieux élevés où le Seigneur m’a placé ! » et 1 Samuel 10.6, 9, où l’esprit prophétique donne à Saül un autre cœur.

En résumé, l’Esprit de Dieu ne supprime ni ne diminue la vie personnelle des prophètes, il l’élève au contraire à un niveau supérieur. — Mais reste toujours la question psychologique : que se passe-t-il dans l’âme des prophètes en état d’inspiration ?

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