Théologie de l’Ancien Testament

3. LA  SAGESSE

§ 235. Remarques préliminaires.

Nous abordons ici un autre domaine que celui de la Loi et de la Prophétie. La Loi renferme les ordres, les commandements que Dieu donne à l’homme ; elle est l’exposé des droits de Dieu. La Prophétie révèle le conseil de Dieu, le but qu’il se propose en dirigeant comme il le fait les divers événements de l’histoire. Dans les Proverbes, Job, l’Ecclésiaste et quelques Psaumes, qui sont les principaux monuments de la Sagesse, — nous dirions presque de la philosophie, — de l’Ancienne alliance, nous avons les produits d’une inspiration moins directement divine. Sans doute un cœur sage et intelligent est un don de Dieu (1 Rois 3.12 ; Ecclésiaste 2.26) ; l’esprit de l’homme est une lampe divine (Proverbes 20.27) ; l’homme n’a d’intelligence que parce que son âme lui vient de Dieu (§ 65). Mais il n’en est pas moins vrai que la sentence, משל (Maschal) du sage ne peut pas être mise sur le même pied que la parole de l’Éternel dans le sens précis de ce mot. La sentence du sage est le produit de son expérience et de sa réflexion.

[Le mot de משא, massah, qu’on a traduit par « Instruction, » dans Proverbes 30.1 ; 31.1, pourrait faire penser à une instruction reçue de Dieu. Mais c’est bien probablement un nom propre. Nous avons à plusieurs reprises fait remarquer que la révélation de l’A. T. ne donne relativement que peu de chose sous la forme d’une doctrine pure et abstraite. Presque toujours c’est par des faits ou des ordonnances que l’Éternel forme la conscience de son peuple.]

La Sagesse est à la révélation ce que les plantes sont au sol qui les produit. L’histoire de la révélation et les lois théocratiques ont en quelque sorte créé un terrain sur lequel se développe maintenant une sagesse non seulement pratique, mais aussi théorique. Les lumières fournies par l’Esprit de Dieu sont pour l’Israélite une continuelle occasion de réflexion ; songeant à l’histoire du monde et à son histoire individuelle, il cherche à rester fidèle au point de vue de la révélation ; il cherche à en tirer les conséquences ; il cherche même, en continuant les lignes dont l’A. T. ne trace que le commencement, à arriver à l’intelligence de telle difficulté que la révélation indique, mais qu’elle ne résout pas. Le résultat de toutes ces recherches est ce que l’A. T. appelle la « Choquemah, חכמה », c’est-à-dire ce qui est ferme, constant, bien établi, ce que l’imprévu ne peut pas modifier, ce qui peut servir à l’homme de norme sûre dans tous ses jugements et dans toutes ses décisions.

[Schultens, dans son livre De defectibus hodiernis linguææ hebræ, page 406. prétend que la חכמה est un résumé concis, la quintessence des connaissances religieuses des Israélites : « Densa et finna compactio, » dit-il, « πυκνότης » Mais, d’après l’arabe, c’est bien plutôt un décret, une sentence qui coupe court à une difficulté. Kimchi, dans une note sur 1 Rois 3.12, définit ainsi le sage : « Nos rabbins, dont la mémoire soit en bénédiction, appellent sage celui qui donne une base solide à son enseignement, celui dont toute la doctrine est bien arrêtée dans son cœur. » Gusset ajoute : « La sagesse n’est pas tant la science elle-même que la force avec laquelle les choses connues s’emparent de l’âme. »]

Certainement, s’il y avait une partie de l’A. T. dont on put dire qu’elle renferme la Philosophie des Hébreux, ce seraient bien les livres que nous avons nommés. Leurs auteurs sortent du domaine de la Théocratie, de son histoire, de ses institutions ; ils font du monde et de la nature l’objet de leurs méditations : voilà la Physique des Grecs. Ils méditent également sur la vie humaine et sur la conscience : voilà la morale des philosophies païennes.

[La logique, en revanche, ne trouve pas son pendant dans la littérature canonique, ni même dans la Sapience ou l’Ecclésiaste. Il faudrait descendre jusqu’au Talmud pour trouver quelque chose qui y correspondît.]

Mais il y a une différence essentielle entre la Sagesse de l’A. T. et n’importe quelle philosophie. La foi au surnaturel préside à tous les raisonnements du sage hébreu : elle manque aux plus sages d’entre les Hellènes.

Quelles sont les sources de la sagesse aux yeux des sages de l’ancienne alliance ? L’observation de la nature et de ce qui se passe ici-bas, l’expérience des générations passées, les traditions antiques (Job 12.7-12 ; 5.27 ; 8.8 ; Ésaïe 40.21-28). Il est vrai ; mais tout cela est humblement subordonné à la foi. Les Hellènes cherchent dans le monde lui-même la solution des problèmes que le monde pose à tous les esprits réfléchis : D’où venons-nous ? Où allons-nous ? L’Israélite sait qu’il y a au-dessus du monde un Dieu, un Dieu vivant, unique auteur et tout-puissant conservateur de l’univers qu’il gouverne à son gré, auquel il donne des lois et qu’il jugera avec justice. Et, sachant cela, il ne cherche ni, comme le prétend Bruch, à s’élever au-dessus de la révélation, à l’éclipser par des lumières nouvelles tirées de son propre fonds et supérieures à celles que fournissent les Livres saints ; ni, à la façon des philosophes d’Alexandrie, à compléter la révélation en la combinant avec des documents étrangers, et à lui faire violence pour la mettre d’accord avec ces derniers.

[Les Proverbes, Job et l’Ecclésiaste, non seulement ne contestent aucunement la valeur de la loi ; mais même quand le doute s’empare du cœur de l’homme et qu’on pourrait croire qu’il n’y a plus de Dieu rémunérateur, la foi reprend le dessus et elle a enfin l’occasion de se changer en vue, comme dans le dénouement du livre de Job. — ou bien elle continue a attendre avec résignation, mais avec confiance, comme dans l’Ecclésiaste.]

Le sage Israélite s’en tient à ce que Dieu lui a révélé : il cherche a agrandir le cercle de ses connaissances, mais sans jamais perdre de vue le double fanal de la Loi et de la Prophétie. Il ne lui vient pas même à l’esprit de chercher à prouver l’existence de Dieu, car c’est l’insensé, נבל, qui dit dans son cœur qu’il n’y a point de Dieu. S’il commence, comme Socrate, par ne rien savoir, son ignorance est d’une tout autre nature que celle du sage d’Athènes. Prenez, par exemple, Proverbes 30.1, dont le sens probable, moyennant quelques modifications dans la ponctuation, est le suivant : « Je me suis fatigué pour Dieu, fatigué pour Dieu, puis je disparus » ; c’est-à-dire : Tous mes efforts pour apprendre à mieux connaître Dieu n’ont abouti à rien.

[C’est Hitzig qui a le premier proposé ce sens. Zœckler l’a suivi dans son excellent commentaire des Proverbes. Simple changement de points voyelles. Au lieu de : « Leithiel Leithiel veouccal, » lisez : » Laïthi El, Laïthi El, va ekel. »]

« Je suis, v. 4, plus ignorant qu’il n’est permis à un homme de l’être (בעד מאיש, jusqu’à n’être plus un homme. ) je n’ai pas le sens commun. Je n’ai pas appris, v. 3, la sagesse et je n’ai pas acquis la connaissance du Saint. Qui est monté au ciel, v. 4, et qui en est descendu ? Qui a assemblé le vent dans ses poings ? Qui a serré les eaux, dans sa robe ? Qui a dressé toutes les bornes de la terre ? Quel est son nom et quel est le nom de son fils, si tu le connais ? » Après avoir ainsi opposé sa propre ignorance à la prétendue sagesse des sages de ce monde, « . Je ne suis cependant pas sans lumières ! » semble-t-il dire : « Toute la Parole de Dieu est épurée, v. 5, c’est un bouclier pour qui se confie en Lui. N’ajoute rien à ses paroles, de peur qu’il ne te reprenne et que tu ne sois trouvé menteur. »

Ainsi donc, le sage de l’ancienne alliance commence bien aussi par abattre l’échafaudage de sa sagesse proprea. Mais ce n’est pas pour se remettre immédiatement à le reconstruire à nouveaux frais. C’est pour donner toute gloire à la parole révélée et pour adopter la base inébranlable de la crainte de Dieu, qui est à ses yeux le grand principe subjectif de toute vraie connaissance (§ 240).

a – C’est tout à fait Socrate se moquant des μετεωρολόγοις de ceux qui discourent sur ce qui se passe dans les nuages.

chapitre précédent retour à la page d'index chapitre suivant