Théologie de l’Ancien Testament

§ 246. Solutions proposées dans quelques Psaumes.

Il y a toute une série de Psaumes, 3, 4, 5, 7, 9 et d’autres encore, où l’on peut dire que le nœud de la difficulté est tranché bien plutôt que dénoué. Le juste, qui n’est déjà plus qu’à deux doigts de sa perte, ne périra cependant pas. S’il périssait, l’Éternel ne serait pas l’Éternel. Il sera donc sauvé à cause du grand nom de Dieu. Et c’est aussi parce qu’il y a un Dieu dans le ciel, que l’impie qui se croit le plus en sûreté sera certainement atteint par la justice divine, et qu’il est impossible qu’il y échappe. La dure réalité a beau contredire carrément la ferme espérance du juste opprimé ; il prie et ne doute aucunement de sa prochaine délivrance.

Quant aux Psaumes de vengeance, dont les plus forts sont les 59, 69 et 139, et dont nous voulons dire ici quelques mots, dès qu’on les comprend, on ne s’en scandalise plus. Ce n’est point une passion humaine qui y parle ; ces imprécations ne sont point inspirées par un esprit de vengeance personnelle ; mais uniquement par le zèle pour Dieu et pour sa maison. « Les blâmes de ceux qui Te blâmaient sont tombés sur moi (Psaumes 69.10). — Ne haïrais-je pas ceux qui Te haïssent, ô Éternel ? Et ne serais-je pas indigné contre ceux qui s’élèvent contre Toi ? Oui ! je les hais d’une parfaite haine et je les tiens pour mes ennemis » (Psaumes 139.21). Il y a sans doute dans cette manière d’appeler la vengeance céleste sur les méchants, une dureté que le Sauveur condamnera, quand il la verra se manifester chez ses disciples (Luc 9.55) ; mais n’oublions pas que, si les deux alliances diffèrent complètement quant à l’esprit qui s’y manifeste, la nouvelle n’en annonce pas moins pour les derniers temps, elle aussi, un grand jugement. Seulement, l’alliance de la loi, habituée à voir tous les comptes se régler ici bas, ne se représente pas la patience de Dieu aussi longue que le peut faire l’alliance de la grâce.

Mais nous avons laissé la foi aux prises avec les plus décourageantes réalités. Que fera le fidèle, quand l’épreuve viendra coup sur coup confondre son espoir et déjouer ses plus pieux calculs ? Que fera-t-il, quand tout paraîtra lui crier : C’est en vain que tu as lavé tes mains dans l’innocence ! (Psaumes 73.13)

Ne nous attendons pas à trouver dans les Psaumes une réponse dogmatique à cette grave question, des lumières nouvelles jetées sur cette redoutable obscurité. La solution qu’ils proposent est éminemment subjective et personnelle : le fidèle se sent si fort uni à son Dieu, cette communion occupe une si grande place dans ses sentiments, qu’il n’a rien à envier aux méchants qui en sont privés, quelque heureux qu’ils puissent être du reste, humainement parlant ; et rien non plus à redouter de la mort ni du Schéol, car une communion aussi intime ne peut pas être éphémère. Déjà dans Psaumes 4.8, David, dans une position désespérée et tout entouré d’amis découragés, est plus véritablement heureux, parce qu’il a Dieu avec lui, que ses ennemis triomphants. Mais voyez surtout le Psaume 16. Parce que l’Éternel est son bien suprême et qu’il se tient toujours à sa droite, le Psalmiste sait (v. 10) que « Dieu ne l’abandonnera pas dans le sépulcre et qu’il ne permettra point que celui qui l’aime voie le tombeau. Il lui montrera les sentiers de la vie ; en sa présence on trouve plénitude de joie, et à sa droite des plaisirs pour toujours. » Hupfeld lui-même a reconnu que c’est faire tort à ces versets que de n’y voir, comme dans Psaumes 48.14 ; 68.20, que l’expression de la confiance que nourrissait le Psalmiste d’être délivré d’un danger de mort. David, au moment où il les a écrits, s’élançait pour ainsi dire au-delà des limites trop étroites des révélations de l’ancienne alliance. La pensée de devenir la proie de la mort et du Schéol et d’être privé de son Dieu, lui était intolérable. Sa foi et son cœur le rendent prophète.

Nous citerions Psaumes 17.15 : « Je verrai ta face en justice et à mon réveil je me rassasierai de ta ressemblance », si nous étions de ceux qui trouvent dans ces paroles le réveil du fidèle dans le ciel ou lors de la résurrection. Mais il me paraît plus simple d’opposer ce verset au précédent, v. 14 : bonheur peu enviable des méchants, v. 15 : bonheur bien plus réel des justes, à qui Dieu veut bien se révéler ; et puisque Dieu se donne ainsi à connaître aux justes, qu’il se laisse en quelque sorte contempler par eux, comment ne les exaucerait-Il pas quand ils crient à Lui du sein de leur détresse. Il n’y aurait donc dans cette expression de Psaumes 17.15 : « Se rassasier de la ressemblance de Dieu », rien de plus que dans Psaumes 63.3 : « Mes regards te suivent dans le sanctuaire, pour contempler ta gloire et ta magnificence. » Contempler Dieu, se rassasier de sa ressemblance, c’est se pénétrer profondément du sentiment de sa présence. Psaumes 17.15, nous rappelle Psaumes 4.8 : « Je me coucherai et je dormirai aussi en paix, car c’est Toi seul qui es l’Éternel ; Tu me feras habiter en assurance », et nous serions assez tenté de voir dans Psaumes  17 une prière du soir, et dans le réveil du dernier verset, le réveil naturel du sommeil de la nuit.

[Mais si même il n’est point parlé, dans Psaumes 17.15, d’une vie bienheureuse après la mort, Hupfeld n’en a pas moins raison de signaler l’importance, pour la question qui nous occupe, d’un passage qui montre d’une manière aussi saisissante la vanité des choses d’ici-bas comparées à la vie en Dieu.]

« Dieu délivrera mon âme du pouvoir du Schéol, lisons-nous Psaumes 49.16, et Il me prendra. » (יקחני a pour sujet Dieu, et non pas le Schéol qui est féminin en hébreu.) Voici qui ne peut s’entendre d’une délivrance temporelle, que si l’on fait complètement abstraction du contexte. Le v. 8 parle de l’impossibilité où les hommes se trouvent de racheter leurs frères de la mort et des Enfers. Mais, s’écrie le Psalmiste, moi je crois que Dieu fera en ma faveur ce miracle-là, tandis que les méchants serviront de pâture à la mort (v. 14). Ce verset est aussi intéressant en ce que l’expression : « Il me prendra », est évidemment une allusion à l’histoire d’Enoch où le même mot est employé (Genèse 5.24). Le Psalmiste exprime l’espoir d’être pris, lui aussi, et d’être retiré par son Dieu des sombres régions de la mort pour être introduit dans une vie meilleure.

Reste Psaumes 73.24 : « Tu me conduiras par ton conseil et tu me recevras dans la gloire. » On peut se demander s’il est vraiment question ici de la gloire céleste. Mais le v. 26 : « Que mon cœur et ma chair soient consumés, le rocher de mon cœur et ma part, c’est Dieu à jamais ! » expriment évidemment de la part du psalmiste l’assurance que, lorsque son cœur défaillera à l’heure de la mort, les relations qu’il soutient avec son Dieu ne seront pourtant pas rompues.

En terminant, remarquons avec Delitzsch que ces diverses citations ne renferment pas à proprement parler des déclarations divines. Ce ne sont pas là des paroles de Dieu. Ce sont des justes qui expriment la conviction intime que leur existence ne peut aboutir qu’à la gloire et à une communion éternelle avec Dieu. Comment la chose se pourra faire ? c’est ce qui n’est indiqué nulle part. Aussi, à côté des chants de triomphe de la foi, y a-t-il encore place dans ce temps-là pour la plainte et pour le doute. Le Psaume 78, par exemple, n’aurait jamais été composé, si la pierre qui fermait l’entrée du sépulcre eut dès lors été enlevée, et si les mystères des lieux infernaux eussent déjà été dissipés.

[Je ne trouve la résurrection nulle part dans les Psaumes, ni dans le שובן de Psaumes 90.3, qu’on a traduit parfois par Ressortez-en ! au lieu de : Rentres-y ! ni dans Psaumes 141.7, où je ne puis voir autre chose que la pensée que toutes les persécutions et tous les mauvais traitements concourent ensemble au bien du peuple de Dieu, ni même dans Psaumes 22.30, où יורדי עפר ne peut guère désigner ceux qui rentrent dans la poudre, attendu qu’alors les riches, דשדים du commencement du verset, manquent absolument de terme parallèle.]

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