Théologie de l’Ancien Testament

IV. Le problème de la vie. On s’efforce de le résoudre.

§ 245. Le problème.

Ce qui fait naître les premiers doutes dans le cœur de l’Israélite pieux, c’est que manifestement les choses sont loin de se passer dans ce monde comme on pourrait s’y attendre, du moment que c’est un Dieu juste qui le gouverne. Ni dans la vie des peuples, ni dans celle des individus, on ne voit toujours éclater la justice rétributive de Dieu. — Le juste cherchera-t-il à se consoler par des pensées de fatalisme ? Impossible, car à ses yeux le fatalisme c’est la négation même de Dieu, c’est l’athéisme ; autant vaut n’avoir pas de Dieu que d’en avoir un qui ne sait ni punir, ni récompenser. Il faut laisser au méchant le triste honneur de dire : « Dieu n’a rien vu ! » (Psaumes 10.11), et de penser dans le fond de son cœur qu’il n’y a point de Dieu (v. 4). Job, en maintenant son bon droit en dépit des épreuves qui l’assaillent, raisonne comme un méchant, et ses amis ne se font pas faute de le lui faire observer. C’est à ses péchés que doit s’en prendre celui qui souffre : « Pourquoi l’homme vivant murmurerait-il ? Que chacun murmure contre ses péchés. Recherchons nos voies et les sondons, et retournons jusques à l’Éternel ! » (Lamentations 3.39-40) Cependant, d’un autre côté, la loi a assez développé la conscience du juste pour qu’il sache de science certaine que telle souffrance qui lui est infligée n’est décidément pas un châtiment : « Éternel ! écoute ma juste cause !… Que tes yeux regardent à la justice de ma cause… Tu m’as sondé et tu n’as rien trouvé (Psaumes 17.1 ; 18.21 et sq. ; Job ch. 31). Dieu lui-même, en traitant alliance avec l’homme, est entré avec lui dans un rapport de parité ; Il le traite comme une créature libre qui n’a pas uniquement des devoirs à remplir vis-à-vis de son Créateur, mais qui a aussi sa part de droits à faire valoir. Telle est la dignité humaine ! Et c’est pour cela que, lorsque sa conscience ne l’accuse pas, le juste ne doit pas s’envisager comme coupable. Job en dépit de ses amis s’écrie : « Je ne me laisse pas enlever mon innocence ! Je maintiens ma justice et n’y renonce pas ! Ma conscience ne me reproche pas un des jours de ma vie ! » (Job 27.5), et il a raison de parler ainsi, et, lors même que ce langage dénote peut-être une imparfaite connaissance de la corruption humaine, Dieu lui-même prend soin à la fin du livre de justifier son serviteur. Job a bien fait de ne pas se laisser entraîner à mentir pour la plus grande gloire de Dieu (Job 13.7). Jamais on ne reprochera au livre qui renferme ces paroles : « Malheur à celui qui dispute contre celui qui l’a formé ! » (Ésaïe 29.16 ; 45.9-11), défavoriser les prétentions de l’homme, ni d’excuser trop aisément ses murmures. Non certes ! en lui-même l’homme ne possède aucun droit à faire valoir contre son Dieu ; lorsque c’est par incrédulité qu’il murmure, il est grandement coupable. Mais il n’en est pas moins vrai qu’en vertu de l’alliance que Dieu a traitée avec son peuple, l’Israélite pieux a des droits acquis. Au nom même de sa foi, il peut s’étonner d’être appelé à tant souffrir, tandis que le méchant prospère et verdoie ; au nom des promesses faites à l’innocence, il peut se demander pourquoi Dieu se tient éloigné et les yeux fermés dans le temps de la détresse (Psaumes 10.1) ; pourquoi le méchant peut le braver impunément (v. 13) ; pourquoi Dieu regarde si longtemps sans intervenir (Psaumes 35.17). Ces pourquoi et tant d’autres de la même nature (Psaumes  12, 14 et sq.) sont légitimes. Les prophètes aussi gémissent souvent des succès des méchants et de la longueur de la patience de Dieu (Jérémie 12.15 ; ch. 18 ; Habakuk ch. 1). Mais ce sont les destinées des peuples qui les occupent, plutôt que celles des individus ; et la foi qu’ils ont à l’établissement final du règne de Dieu sur la terre et à l’avènement du jour du Seigneur, les consolent en leur montrant que tôt ou tard la justice divine aura son cours. Dans les Psaumes et dans le livre de Job, c’est sur le terrain individuel que le problème demeure posé : pourquoi les justes sont-ils souvent si éprouvés ? pourquoi le bonheur ne vient-il pas plus régulièrement couronner la justice ? Et ici, la pensée du jour du Seigneur ne suffit plus à résoudre la difficulté. La mort surviendra avant l’aurore de cette grande journée.. ;,..

Mais la justice de Dieu n’aura-t-elle pas l’occasion et le temps de se déployer de l’autre côté de la tombe ? Hélas non ! Pas même ceci ! Tous les hommes sont égaux dans la mort (§ 78). Si même le juste a été heureux durant toute sa vie, qu’en aura-t-il donc de plus lorsqu’il sera descendu dans le royaume des ombres ? Puis, cette misérable existence de Schéol peut-elle donc être le dernier mot de la destinée d’un être tel que l’homme ? Pour l’Israélite, l’homme est un être excellent auquel la communion avec son Dieu donne une-importance éternelle, et d’un autre côté la mort, redoutable manifestation de la colère divine contre le péché (Psaumes 90.7-9), rompt cette communion ! Voilà pourquoi les plaintes que renferme la Bible sur la fragilité humaine, sur la mort, sur le tombeau, sont tout autrement tragiques que celles que renferment sur le même sujet les auteurs païens. Les patriarches mouraient rassasiés de jours, comblés des bienfaits de leur Dieu et pleins de joie à la pensée des bénédictions promises à leur postérité après eux ; David exalte la miséricorde du Dieu qui réussit à accumuler tant de grâces signalées dans le si court espace d’une vie d’homme (Psaumes 103.15-18). Mais Ezéchias malade à la mort tremble à la pensée qu’il va être séparé de son Dieu (Ésaïe 38.11), et, dans plusieurs autres Psaumes, David se demande comment il peut se faire qu’un Dieu qui daigne prendre plaisir à être loué par les fidèles, les laisse descendre dans le lieu du silence et permette que se rompent des liens qu’il a lui-même formés (Psaumes 30.10 ; 88.12 ; 6.6). Cette horreur de la mort est infiniment supérieure au mépris de la mort que nous trouvons chez les païens ; car, pour parler avec Luther au Psaumes  110, on ne triomphe pas de la mort en la méprisant, comme se le figurent les fanfarons et les vauriens.

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