Le Réveil au Pays de Galles

III
Antécédents et débuts du Réveil actuel

Pour que surgisse un puissant Réveil, semblable à celui qui a secoué récemment et qui secoue encore tout le Pays de Galles, il faut la réunion de deux conditions qui paraissent au premier abord opposées : un progrès extraordinaire du mal et une incubation sourde du bien.

Très souvent, les Réveils sont précédés d’une période où le mal grandit au point de devenir comme intolérable. Le Réveil Gallois n’a pas échappé à cette règle. Les Gallois s’accordent à reconnaître que les heureux effets des Réveils antérieurs avaient peu à peu disparu, l’impulsion donnée s’étant ralentie, arrêtée, si bien qu’il régnait dans leur pays, avant le Réveil, une profonde dégradation, un alcoolisme croissant, une décadence toujours plus rapide de la foi religieuse. Ils insistent sur le sommeil, sur la torpeur qui avait envahi les nombreuses Eglises du pays et sur le relâchement qui s’était produit dans les mœurs, en sorte que l’intempérance, la débauche elle-même, le jeu et les divertissements de la pire espèce avaient envahi jusqu’aux plus modestes villages. Les lieux de culte étaient de plus en plus désertés ; les parties de football — grandes occasions de paris — remplaçaient pour les jeunes gens les réunions de prières. La lecture des romans et la légèreté des conversations avaient démoralisé la jeunesse. Mme Saillens assure qu’Evan Roberts lui-même était un si passionné liseur de romans qu’il aurait refusé de recevoir la visite d’un ami pour ne pas interrompre une lecture commencée. Les jours de fête, la police de Cardiff et des autres villes constatait un nombre toujours plus considérable d’arrestations pour délits commis en état d’ivresse. Dans les mines, la grossièreté des ouvriers, leurs jurements et leurs blasphèmes faisaient frémir les chrétiens qui se trouvaient parmi eux. Au cours du Réveil, à l’une des réunions, on mit dans la main du président un papier sur lequel il était écrit : « Priez pour les jeunes filles employées dans les magasins, afin que leur manière de parler soit plus honnête. Leurs conversations sont si épouvantables dans la rue, qu’elles font trembler les hommes. « Est-ce possible ? demanda le président à l’auditoire, qui lui répondit : « Oui ! Il n’y a donc pas lieu de s’étonner que le Rév. William Morris, de Treorchy (comté de Glamorgan) ait pu s’écrier :

« La génération future semblait nous promettre des matérialistes, des positivistes, consacrés à Mammon ou à l’athéisme, ne se souciant absolument pas de leur âme et rayant de leurs calculs le mot : éternité. Mais voici que l’Esprit de Dieu a glorieusement arrêté la décadence de notre race. Nos jeunes gens et nos jeunes filles sont ramenés dans la bonne voie pour un noble dessein, pour une noble vie et pour un noble idéal. Ce réveil est le salut des jeunes et le salut de notre nation pendant une crise terrible de notre histoire. »

Cependant, ces progrès du mal ne suffiraient pas à amener un Réveil, s’il n’y avait que cela. Pour qu’un Réveil éclate, il faut que tout élément de vie religieuse n’ait pas disparu. Si l’irréligion et l’immoralité étaient universelles et radicales, ce serait fini, et nul Réveil ne serait possible. Il y a des Eglises qui ont disparu : les Eglises d’Asie Mineure du temps de saint Paul, du temps de l’Apocalypse. D’ailleurs, la psychologie montre qu’il faut, pour qu’un Réveil puisse se produire, une incubation plus ou moins prolongée. Il en est, à ce point de vue, des Réveils collectifs comme des conversions individuelles : les conversions les plus brusques, les plus violentes, les plus dramatiques supposent tout un travail de préparation préalable. Ce travail est le plus souvent sourd, caché, enveloppé, ignoré du moi officiel, si je puis ainsi dire. Le moi officiel ne s’en aperçoit qu’à l’instant où la vie intérieure, grossie par cet emmagasinement prolongé, fait irruption soudaine dans la conscience ; et c’est pourquoi, pour le moi officiel de l’individu qui se convertit, comme pour les spectateurs étrangers qui jugent le fait à un point de vue extérieur, la conversion est instantanée. En réalité, elle le paraît, elle ne l’est pas. Il n’y a pas de conversion brusque. De même, il n’y a pas de Réveil brusque : tout Réveil est toujours préparé par une période plus ou moins longue de rumination, d’intussusception, d’enveloppement mystérieux, d’absorption, d’incubation — d’incubation de ce qui doit précisément éclater enfin.

C’est encore, me semble-t-il, ce que nous constatons au Pays de Galles. A coup sûr, le Réveil y a été préparé par le consciencieux travail accompli depuis des années au sein des Églises. Les Écoles du Dimanche, nous l’avons dit, avaient formé sinon la totalité, du moins une grande partie de la population à la connaissance de la Bible : aussi plusieurs mauvais sujets, plusieurs pécheurs scandaleux, venant à se convertir, ont-ils eu tout de suite sur les lèvres des expressions bibliques et de nombreux passages pour exprimer soit leur repentance, soit leur foi nouvelle et leurs sentiments de joie, de reconnaissance, d’adoration. Le Pays de Galles est un pays dans la vie duquel la prédication a toujours joué un grand rôle ; il a produit beaucoup de grands prédicateurs, et le peuple est saturé de sermons. L’activité persévérante des pasteurs, comme celle des moniteurs et des monitrices, a porté ses fruits. Dans un des principaux foyers du Réveil, à Neath, on s’est réuni dans une salle pouvant contenir deux mille personnes, dont le nom est significatif : Salle du mouvement en avant (Forward Movement Hall). Récemment construite, elle est la résultante des préoccupations de progrès qui ont dû frayer la voie au Réveil. D’après Mrs. Penn-Lewis, le Mouvement en avant a indiscutablement préparé le Réveil, car pendant les treize années qui ont précédé le Réveil, il a organisé des réunions agressives (aggressive work) dans diverses localités galloises, amenant un grand nombre de conversions et enseignant aux convertis à travailler eux-mêmes au salut des âmes. Les débuts même du Réveil sont étroitement liés au Mouvement en avant. Car le Rev. Seth Joshua qui, après une mission à New Quay, emmena avec lui les jeunes gens et les jeunes filles réveillées de New Quay en mission à Newcastle Emlyn où était Evan Roberts, qui reçut alors le baptême du Saint-Esprit, — le Rev. Seth Joshua était un évangéliste du Forward Movement.

J’ai parlé de salle construite. Les innombrables chapelles (temples des Églises non conformistes) qui s’élevaient partout, prêtes à abriter les assemblées, témoignaient déjà, à elles seules, de la préparation du Réveil. Elles ont été bâties avec l’argent fourni par le zèle des troupeaux eux-mêmes et pour répondre à des besoins dès longtemps existants. A Rhos, un laïque m’énumérait les dons offerts par les mineurs pendant les années immédiatement antérieures au Réveil pour la réparation d’une chapelle et des salles adjointes, et j’étais confondu, stupéfait, d’une telle générosité ! Ailleurs, on parle d’ouvriers mineurs qui s’étaient cotisés pour fonder une bibliothèque circulante de plusieurs milliers de volumes ; ces gens-là n’étaient donc ni des vauriens ni des dormeurs invétérés ; en tout cas, leur soif de connaissance était bien éveillée.

Ainsi, en dépit, à côté et au-dessous des progrès du mal, il y avait au Pays de Galles, avant le Réveil, une incubation lente du bien.

Aussi bien, on peut dire que, précisément, les progrès de l’immoralité et de l’impureté, dans un milieu donné, peuvent et doivent avoir pour effet d’affliger, d’effrayer, de scandaliser ce qui reste d’élément moraux et religieux, — s’il en reste, — de les amener à soupirer après une métamorphose, un renversement d’orientation, à prier pour un Réveil, et ainsi, en fortifiant, en exaspérant par le contraste la piété et la moralité de quelques-uns, de provoquer le travail sourd de réaction, de germination et d’incubation préalable à l’explosion du Réveil. Et comment ne pas se rappeler ici ces lignes tout récemment écrites par un éminent chrétien anglais :

« Quand Dieu a résolu d’accorder de grandes bénédictions à une église, voici comment il s’y prend. Deux ou trois membres de cette église s’attristent de sa chute profonde et en deviennent troublés jusqu’à l’angoisse. Peut-être ne se disent-ils rien de leur tristesse commune, mais ils se mettent à prier avec un zèle, une instance infatigables. La passion du Réveil de leur église devient la règle de leur vie. Ils pensent au Réveil dans leur repos, ils y pensent dans leur sommeil, c’est le souci dévorant de leur vie. Un lourd fardeau les oppresse, sans cesse ils souffrent en eux-mêmes pour les pécheurs qui périssent ; ils sont en travail d’enfantement pour les âmesa ».

aLa Vertu de la Violence (The Virtue of Violence). British Weekly, du 14 sept. 1905, traduit par E. Ponsoye. Foi et Vie, 16 oct. 1905, p. 615.

C’est ce qui s’est passé au Pays de Galles. Et ceux qui se sont trouvés excités ainsi par les progrès même du mal à redoubler de prières, ont été très souvent des vieux chrétiens convertis jadis par le grand Réveil de 1859 : ils se sont mis à faire eux aussi, à travers le temps, et d’un Réveil à l’autre Réveil, leur chaîne de prière, comme les Australiens l’ont faite, dans l’espace, d’un quartier à l’autre de Melbourne. Brandons dispersés çà et là dans les églises et recouverts d’une cendre qui n’avait pas réussi à les éteindre, ils ont réagi contre la froideur et les ténèbres environnantes ; ils se sont ranimés, rallumés, et ont ainsi préparé le retour du Réveil.

Il ne faut pas oublier d’ajouter aux causes précédentes, une cause d’un caractère complexe, à la fois politique, nationale, morale et religieuse. Plusieurs mois déjà avant le Réveil, le Pays de Galles n’ait entrepris une résistance héroïque au nouveau système d’éducation du gouvernement anglais — système qui confère un injuste privilège à l’Eglise anglicane, dont l’importance est si restreinte dans la vie nationale du Pays. On se rappelle que l’anglicanisme n’a jamais été bien vu par les Gallois. On a voulu l’imposer avec la conquête, et il reste synonyme de conquête dans l’esprit et les traditions des Gallois. Dès lors, on s’explique fort bien que le nouveau système d’éducation n’ait trouvé nulle part, dans toute la Grande-Bretagne, des adversaires plus acharnés qu’au Pays de Galles. Le Pays de Galles, non conformiste jusqu’à la moelle, ferme champion de la liberté, a été la citadelle de la résistance à la loi scolaire injuste. Cette résistance persévérante, en même temps qu’elle exigeait un déploiement de vigueur morale remarquable, a produit une concentration extraordinaire de l’esprit public sur les questions religieuses, en même temps qu’elle a amené une recrudescence de l’esprit national, toujours liée dans le Pays de Galles à la recrudescence de l’élément religieux. Lorsque le Réveil a éclaté, il est venu fortifier à son tour le mouvement de résistance qui l’avait préparé. Dans le courant de novembre dernier, on a inauguré une nouvelle chapelle. La pierre frontale porte le nom de la nouvelle Eglise : Beulah, et au-dessous, en gallois : 1905, l’année du Réveil et de la Lutte pour la liberté de l’éducation. L’inscription est significative.

Si l’on joint à tout ce qui vient d’être dit sur les progrès du mal et l’incubation du bien, et sur la résistance aux privilèges illégitimes conférés à l’anglicanisme, tout ce qui a déjà été exposé dans les précédents chapitres sur les Réveils antérieurs et sur les Cercles de prières, on aura, je crois, une idée assez complète de ce qui a préparé et amené le grand Réveil gallois de 1904-1905.

Comment a-t-il commencé ?

C’est assez difficile à dire. Il semble avoir jailli spontanément dans différentes églises, sans lien les unes avec les autres. Il en avait été ainsi pour plusieurs des Réveils antérieurs. La cause dernière du déclenchement, là où tout était prêt, il faut la chercher naturellement dans les prières, individuelles ou collectives, qui montaient à Dieu en plusieurs endroits depuis longtemps, en faveur du Réveil.

Quoique le Réveil eût déjà commencé depuis longtemps à Tonypanddy et ailleurs, on s’accorde en général à fixer le vrai point de départ du Réveil en juillet 1903, à New Quay, dans le comté de Cardiganb. New Quay est situé sur le bord de la baie de Cardigan, à 15 milles de distance de la station de chemin de fer la plus rapprochée. C’est là, dans ce lieu écarté, que le Réveil a éclaté avec une intensité décidément contagieuse. Il est intéressant de noter que le district du sud du comté de Cardigan est essentiellement gallois ; c’est à peine s’il y a plus d’une chapelle anglaise dans le rayon de 20 à 30 milles.

b – D’après M. Stead, c’est aussi dans le comté de Cardigan, bien qu’un peu plus au nord que New Quay, qu’éclata le grand Réveil de 1859.

Il y avait à New Quay un ministre nommé le Rév. Joseph Jenkins, dont l’arrière grand-père avait fait partie de la première bande de prédicateurs organisée par Howell Harris. C’était un homme excellent, un chrétien dévoué, et un pasteur fidèle ; mais il sentait qu’il manquait pourtant quelque chose à son ministère et à son Eglise. Pendant le cours de l’année. 1902-1903, il acquit la conviction qu’il y avait lieu d’organiser de nouvelles réunions religieuses, en y introduisant une plus grande liberté de parole et de témoignage. Les réunions qu’il avait en vue ne devaient avoir aucune forme prescrite. Chacune devait prendre spontanément sa propre forme particulière. Les personnes présentes prieraient, chanteraient, parleraient, suivant l’impulsion du moment. Dans ces réunions, le Rév. Jenkins voulait communiquer et répandre ses propres expériences spirituelles. Il les raconta, en effet, déclara qu’il pensait bien avoir été converti (saved) depuis plusieurs années, quoiqu’il n’eût pas joui de la joie qu’apporte d’ordinaire la certitude du salut ; il ajouta que ses efforts pour prêcher Christ avaient été sans aucun doute honnêtes, et qu’il avait fait de son mieux pour profiter spirituellement lui-même de sa propre prédication. Et pourtant, conclut-il, « je n’avais jamais compris l’Evangile comme je le comprends aujourd’hui — la puissance de Dieu pour l’assurance actuelle d’un plein salut ».

Le 16 novembre 1903, le South Wales Daily News publiait un sermon du Rév. Jenkins où se trouve rapporté un fait que M. Stead regarde comme le premier signe extérieur et visible du Réveil :

« Il y a quelque temps, au retour d’un voyage, j’ai appris qu’un seiatc avait été supprimé à cause d’une soirée musicale en ville. Quelqu’un se leva dans une assemblée de l’église et demanda le motif de cette suppression, estimant que le fait d’une soirée en ville n’était pas une raison suffisante. Il fut décidé de rétablir le seiat, et dans cette réunion on vit et on entendit les premières indications de l’aurore qui allait se lever sur l’église. Une jeune fille prononça une prière, et cette prière fut la plus merveilleuse et la plus touchante prière que j’aie jamais entendue. L’effet fut immédiat. Toute l’assemblée fut élevée à un degré supérieur et auparavant inconnu d’expérience spirituelle. Un des diacres les plus âgés, qui était debout près de la porte, s’avança. De chaudes larmes ruisselaient sur son visage. Il s’écria : Tout va bien, je le reconnais. C’est le Saint-Esprit. »

c – Terme gallois qui signifie « séance », réunion de prière dans l’espèce.

Le ministre regardait, écoutait plein de joie. Cependant lui-même n’était pas encore pleinement baptisé du Saint-Esprit. Le travail intérieur qui avait commencé en lui fut accéléré par diverses circonstances convergentes : une lettre reçue d’un de ses amis de l’Inde, quelques paroles d’un autre ami qui lui dit très directement : « Mon ami, j’ai peur que vous ne soyez en décadence spirituelle (back-sliding), car il y a quelque chose dans votre appréciation des choses, et dans les cadences de votre voix qui trahit un sérieux déchet dans votre vie spirituelle, et j’ai remarqué l’absence d’émotion (pathos) dans votre voix quand vous prêchez. Tourmenté de nouveau par le sentiment qu’il ne faisait pas dans son ministère tout ce qu’il aurait pu et dû faire, sentant plus profondément que jamais le besoin d’une puissance nouvelle, le Rév. Jenkins la rechercha par l’étude de la Bible et de livres relatifs à la prière, jusqu’à ce qu’enfin il sentit sa vie spirituelle se réveiller et se développer en lisant le livre du Dr Andrew Murray : Avec Christ à l’école de la prière. Une nuit, il eut une vision très nette de la Croix : le Christ lui apparut…

Il avait déjà eu la satisfaction et l’encouragement de rencontrer un autre ministre avec lequel il s’était senti en pleine communion d’aspirations. Aucun de ces deux pasteurs n’avait assisté à la conférence de Llandrindod qui venait d’avoir lieu (août 1903). Après avoir prié soit ensemble, soit séparément, l’un pour l’autre, ils décidèrent de demander au Conseil Presbytéral (Presbytery) la convocation d’une réunion pour le développement de la vie spirituelle. La réunion eut lieu (en novembre ou décembre). Il y eut, à cette réunion, trois « missionnaires », c’est-à-dire trois messagers qui avaient assisté à la convention de Llandrindod et y avaient reçu une « fraîche inspiration ». L’un de ces trois messagers était une dame qui n’avait encore parlé qu’une seule fois en public : ses paroles touchèrent le cœur d’une jeune fille, que nous allons voir réapparaître dans notre récit.

Peu après, un dimanche soir, en janvier 1904, le Rév. Jenkins prêcha sur ce texte : « La victoire qui triomphe du monde, c’est notre foi. Il se sentit comme mystérieusement poussé à décrire le monde, tel qu’il le voyait apparaître à ses yeux comme dans une vision. Rentré chez lui, il était sur le point d’aller se reposer, lorsqu’il entend quelqu’un frapper à sa porte. Il ouvre, et voici une jeune fille timide et modeste qui entre. C’était la jeune fille déjà mentionnée, Miss Florrie Evans, dans l’âme de laquelle un travail intérieur avait commencé lors de la réunion de novembre ou décembre 1903. Pendant quelques minutes, elle resta debout, hésitante, silencieuse, comme si elle ne pouvait pas parler ; enfin, elle parla : « Voilà une demi-heure que je me promène devant la porte de la maison, tâchant de trouver le courage d’entrer. J’ai essayé de vous rencontrer dans le couloir du temple, mais vous ne m’avez pas remarquée en sortant. Je suis allée à votre rencontre lorsque vous vous rendiez chez vous. Vous m’avez dit simplement : Bonsoir ! Mais c’est la question de mon âme qui me pèse lourdement sur le cœur, qui me tue. Je ne puis pas vivre comme cela ! J’ai vu le monde dans votre sermon, ce soir. Je suis sous ses pieds. Venez à mon secours. » Après avoir causé quelques instants avec elle, le pasteur constata que la jeune fille pensait être sauvée (convertie), mais qu’elle avait peur de céder entièrement au Sauveur, de le reconnaître pour son Maître. Il lui demanda : « Pouvez-vous dire à Jésus-Christ : Mon Seigneur ? — Non, répondit-elle, je vous comprends, mais je ne le puis pas. Est-ce que je sais ce qu’il me demandera de faire ? Des choses bien difficiles, peut-être. — Oui, dit le pasteur, ce sont des choses difficiles qu’il vous demandera. Le chemin qui mène à la paix et aux joies de l’Evangile est étroit. La jeune fille ne put arriver ce soir-là à se remettre entièrement à Jésus comme à son Seigneur. Le pasteur lui conseilla de prier jusqu’à ce que son âme fut disposée à accepter les conditions divines. Elle promit de suivre ces conseils et partit…

Le dimanche suivant, en février 1904, M. Jenkins se sentit poussé à introduire quelque élément nouveau dans la réunion d’activité chrétienne tenue après le culte du matin ; il lui vint à l’esprit de demander aux jeunes gens un témoignage, un témoignage défini, de ce que le Seigneur avait fait pour leurs propres âmes. Deux ou trois jeunes gens prirent la parole, « Je vous remercie », interrompit le pasteur, « mais tout cela, ce ne sont que des discours, ce n’est pas de l’expérience, ce n’est pas du témoignage. Il y eut un long et pénible silence. A la fin, une jeune fille se leva : c’était la jeune fille dont nous avons déjà parlé deux fois, Miss Florrie Evans. Les mains jointes, les yeux pleins de larmes, elle s’écrie d’une voix tremblante et avec une profonde émotion : « Si personne ne parle, je dois dire que j’aime le Seigneur Jésus de tout mon cœur. » L’effet de cette parole fut électrique et inexprimable. Instantanément l’Esprit de Dieu sembla être tombé sur l’assemblée. Ce fut une émotion indescriptible, un déluge de larmes. L’un après l’autre, les gens se levèrent et firent leur confession publique avec des larmes et des actions de grâce. Le Réveil était commencé. Un membre de la société d’activité chrétienne qui avait préparé un travail sur l’existence de Dieu, ne put se résoudre à le lire. Il déclara que spirituellement le meeting était très en avance sur son essai. Les membres avaient les preuves de l’existence de Dieu dans leurs propres cœurs. Il n’y avait pas l’ombre d’un doute sur l’existence de Dieu. N’était-Il pas en cet instant même présent parmi eux, transformant la vie de chacun ? — Tel est dans sa touchante simplicité le début de ce prodigieux mouvement. A partir de ce jour, le mouvement religieux s’étend et grandit. De dimanche en dimanche, il devient toujours plus puissant. Les hommes âgés viennent en grand nombre dans les réunions de jeunes gens. Peu à peu, on voit les hommes de la campagne se rassembler d’une distance de dix-huit kilomètres dans la petite ville tranquille de New Quay, pour y subir les merveilleuses influences du Saint-Esprit. Trois jeunes filles de cette ville, qui ont été les premières à sentir ces influences, ont aidé d’une manière remarquable à réveiller les Églises de leur profond sommeil. Un soir une d’entre elles priait ainsi : « Rends-moi intègre, rends-moi pure. Toi, tu es pur, tu es véritable, la vérité même, toute la vérité. Oh ! la vérité infinie… elle m’accable… O Dieu, de vérité ! » Une autre s’écriait : « Oh ! merci de ta miséricorde, de ta miséricorde envers une grande pécheresse telle que moi. Je te rends grâce, O Jésus, tu es un grand Sauveur ! Rends-moi pure, rends-moi blanche, tu ne pourrais pas faire de moi une grande âme, je ne suis qu’une petite créature. Rends-moi pure, brillante, transparente : une petite perle brillante dans ta couronne bénie ! » La troisième de ces jeunes filles était une cantatrice renommée ; elle a consacré entièrement sa voix magnifique au service de Jésus-Christ. On se souviendra longtemps de cette voix qui retentit dans la Foire aux vanités de Cardigan, lorsqu’elle suspendit soudain toutes les transactions en chantant un des plus beaux cantiques gallois, qui a pour sujet Jésus vainqueur de tous ses ennemis.

Bientôt, sous la direction de leur ministre, le Rev. Jenkins, les jeunes gens de New Quay se mirent à tenir des réunions dans le sud du comté de Cardigan, et le Réveil se répandit de lieu en lieu avec une telle rapidité, qu’on aurait dit, rapporte-t-on, un incendie sur le flanc des collines.

On a parfois prétendu — et M. Sead s’est fait l’écho de ce bruit — que le célèbre pasteur de Londres, F. B. Meyer, l’un des membres assidus et des chefs influents des Conventions de Keswick, avait eu une part directe dans la préparation et l’éclosion du Réveil. En avril 1903, il aurait parlé devant un nombreux auditoire au Pays de Galles de la puissance du Saint-Esprit, qui ne peut être obtenue que par les chrétiens qui sont résolus à donner en tout la première place à Jésus-Christ. Il aurait demandé à ses auditeurs s’ils étaient préparés à exalter Jésus-Christ tout de suite. Ils se seraient levés immédiatement tous ensemble, chantant avec la plus grande ferveur : Crown him ! crown him ! crown him ! (Couronnez-le !) A la fin de cette réunion, plusieurs auraient déclaré à M. Meyer leur résolution. de tenir une réunion de prière chaque jour, toute la journée, pendant un mois, en vue d’obtenir la puissance du Saint-Esprit, et dans l’espoir de provoquer un Réveil dans le Pays de Galles. Suivant d’autres, les assistants auraient promis de prier un jour par mois pour un Réveil. D’après tous, Evan Roberts aurait assisté à la réunion et aurait fait ladite promesse. Nous n’avons aucune raison de mettre en doute l’exactitude de ces récits, sauf en ce qui concerne la présence et l’engagement d’Evan Roberts. Non seulement Evan Roberts n’a jamais fait spontanément allusion à ce fait, mais un pasteur gallois, dont le témoignage se trouve publié dans une des brochures du Western Mail, étant allé interviewer Evan Roberts, celui-ci a déclaré qu’il n’avait jamais vu ni entendu le Rév. Meyer, et que c’est à peine s’il connaissait son nom. L’histoire religieuse d’Evan Roberts qui, peu à peu ou tout à coup, tantôt d’une façon progressive et continue, tantôt par des crises discontinues et brusques, a fait de lui le revivaliste actuel, a commencé plus de douze ans avant le Réveil, et le Rév. Meyer n’y a joué aucun rôle.

En août 1904, une seconde convention fut tenue à Llan-drindod. Les témoignages rendus dans les réunions montrèrent la profondeur de l’œuvre déjà accomplie en 1903. Un ministre, écrivant dans le journal gallois appelé le Goleuad, dit qu’à cette conférence « plusieurs virent une porte d’espérance pour un Réveil au Pays de Galles dans l’avenir prochain. » Et, au sujet des témoignages rendus dans les réunions, le même auteur écrit :

« C’étaient de véritables délices d’entendre des pasteurs et des laïques exprimer le changement qui s’était opéré dans leur ministère et dans leur propre vie personnelle depuis la Convention de 1903. On a fait de nombreuses allusions à une consécration plus intense, à des habitudes rejetées, à une plus pleine dépendance vis-à-vis du pouvoir du Saint-Esprit, à la nouvelle naissance de plusieurs âmes qui a résulté de tout cela. Plusieurs ont attesté que la Bible était un livre nouveau pour eux ; d’autres que la prière était plus aisée et plus puissante qu’autrefois… Il est manifeste que de meilleurs jours sont sur le point de luire, et bénis soient ces croyants qui sont disposés maintenant à se consacrer eux-mêmes comme dignes médiumsd pour le Saint-Esprit dans le prochain Réveil. »

d – L’expression est intéressante ; elle est à rapprocher de ce que nous avons dit à la fin du chapitre premier sur la suggestion.

Pendant cette même conférence, il y eut, à ce qu’on raconte, une réunion de prières convoquée à minuit, où tous les assistants se consacrèrent de nouveau à Dieu pour son service, et demandèrent d’une manière précise et définie au Seigneur de susciter quelqu’un pour lancer le Réveil.

Au mois de septembre 1904, le Rev. Seth Joshua, évangéliste rattaché au « Mouvement en avant » (Forward Movement), visita New Quay pour y tenir une mission, et il y trouva le Saint-Esprit à l’œuvre d’une façon si remarquable que tout de suite il dit : « Je sens que cela présage un grand Réveil. » L’Esprit passait et soufflait sur les réunions comme un vent puissant. Le chant, les prières, les témoignages, les exhortations, étaient comme chargés d’un fluide vital. Les réunions étaient terminées deux ou trois fois, mais elles recommençaient de nouveau, de nouvelles voix se faisant entendre immédiatement après la bénédiction pour implorer encore le pardon ou pour rendre joyeusement des actions de grâces. Des hommes et des femmes robustes et vigoureux pleuraient en écoutant des prières de jeunes filles. Plusieurs des jeunes gens avaient manifestement reçu un baptême de puissance. L’amour, parmi les croyants, était intense, et la tendresse des prières d’intercession irrésistible.

De New Quay, l’évangéliste alla à Newcastle Emlyn, où il y a une école préparatoire pour les jeunes gens qui se destinent au ministère. Au service dirigé par Mr. Joshua, quelques étudiants reçurent manifestement le pouvoir du Saint-Esprit, parmi lesquels Sidney Evans, le camarade et l’ami d’Evan Roberts, et Evan Roberts lui-même.

Evan Roberts est né en 1878, à Loughor, ville du comté de Glamorgan, à l’extrémité occidentale du pays, dans le district de Swansea (sur le canal de Bristol). Il a six frères et trois sœurs. Sa famille appartient à l’église méthodiste. Son père, mineur de profession, était un homme pieux qui avait à cœur d’élever sa nombreuse famille dans la crainte de Dieu. A la naissance de chacun des dix enfants, l’humble cottage a retenti de cantiques de louange, et de ferventes prières sont montées à Dieu. L’ardent désir de la mère de famille était que l’un au moins de ses sept fils prêchât un jour l’Evangile. Lorsque Evan vint au monde, elle s’écria : « Voilà encore un fils pour le service de Dieu ! Peut-être sera-t-il un jour un prédicateur ! »

C’était un enfant obéissant, plein de respect pour ses parents et un excellent écolier. « Si difficile que fût une leçon, affirme un de ses camarades, Evan la savait toujours. » Grand amateur de jeux, énergique et courageux, prêt à défendre les petits, il se faisait aimer de chacun.

A mesure qu’il grandissait, il trouvait mille moyens de seconder sa mère. Il avait douze ans, lorsqu’un accident de mine blessa son père au pied assez grièvement. A peine convalescent il regagna son poste, où sa présence était indispensable. Evan demanda à l’accompagner, et il sut se rendre fort utile à son père.

C’est ainsi qu’à l’âge de douze ans, le jeune Roberts dit adieu à son enfance en devenant le bras droit de son père et en s’initiant aux rudes labeurs des mineurs. En effet, lorsqu’au bout de quelques mois son père fut entièrement rétabli, Evan commença aussitôt le travail régulier de garçon de mine au charbonnage de Broadoak (Loughor), et là encore, sa bonne humeur et son caractère énergique ne lui firent point défaut.

Rien d’étonnant à ce que sa piété s’affermît et s’approfondît graduellement dans de pareilles circonstances. Il ne se rattachait point, d’ailleurs, à une union chrétienne, pas même à un chœur. En sortant de la fosse, il se rendait vite à la maison et se plongeait dans ses livres. Son père se plaignait qu’on ne pût l’en arracher avant trois ou quatre heures du matin.

Son premier travail religieux fut la création d’une école du dimanche pour les enfants des mineurs. Il demanda et obtint pour cette école l’usage des bureaux de la mine inoccupés le dimanche. Il se mit de tout son cœur à cette entreprise et bientôt son école était connue dans tout le district. Nombre d’enfants y venaient nu-pieds et en haillons. Il réussit à leur trouver des amis pour compléter leur accoutrement, et finalement le pasteur consentit à incorporer cette école dans la sienne qui n’avait pas eu, jusqu’alors, d’enfants de cette classe.

Tout en travaillant à la mine, le jeune Evan ne perdait pas de vue son ambition suprême de devenir un prédicateur. En attendant, il faisait luire sa lumière à la maison. Avec son frère Dan, et en s’accompagnant d’un harmonium, il faisait retentir le chaud nid familial des cantiques de Sion, et les soirées du dimanche étaient consacrées à des cultes domestiques pleins de saveur et de vie. Pendant longtemps la Bible avait formé à peu près toute sa bibliothèque. Il ne se lassait pas de l’étudier. On ne le voyait jamais, pour ainsi dire, sans son exemplaire des livres saints. Tout en descendant dans la fosse, dans la benne comme dans les galeries souterraines, il mettait à profit chaque minute de loisir, grâce à sa lampe de mineur. Pendant qu’il travaillait, il plaçait sa Bible dans quelque trou ou quelque angle commode près de l’endroit où il travaillait, afin de l’avoir sous la main quand il pourrait s’asseoir une ou deux minutes, pour en parcourir les pages bien-aimées, debout parfois, ou assis sur un bloc de houille. Un jour, une explosion assez grave se produisit. Le futur revivaliste gallois échappa à tout accident dangereux, mais les feuillets de sa Bible furent écorchés par l’explosion enflammée.

Il avait environ vingt ans lorsqu’il commença à se former une bibliothèque en suivant les conseils d’un diacre. Dès qu’il put garder pour lui une partie de son gain, il se procura des livres qu’il étudiait pour se délasser de ses huit heures de mine. Comme beaucoup de Gallois, il était — et il est — poète, et plusieurs belles strophes de sa composition ont paru dans le Cardiff Times, sous la signature Bivlchydd.

Pensant que la sténographie pourrait lui être utile, et connaissant, à une lieue de là, un ami qui pouvait la lui apprendre, le voilà qui, durant trois mois, s’astreint à faire journellement deux heures de marche pour acquérir cette science.

Pour compléter ses connaissances en tous genres, il se mit encore à apprendre le métier de forgeron auprès d’un oncle à qui il tint à payer pour cet apprentissage 150 francs de ses économies. Au bout de peu de mois, il était devenu un excellent ouvrier.

Mais il ne prêchait pas encore. Il avait bien été invité à le faire dans une chapelle, mais n’ayant pas encore reçu le mot d’ordre d’En-Haut, il avait décliné cette invitation. Un soir, un jeune diacre plein de zèle déclarait dans son allocution que si quelqu’un désirait recevoir le Saint-Esprit en vue du service de Dieu, il n’avait qu’à le demander avec une entière persévérance. Ces paroles firent une profonde impression sur Evan Roberts. De retour chez lui, il se mit en prière. Il pria longtemps avec instance, restant sur ses genoux presque tout le matin. Lorsqu’il se releva, il était résolu à entrer à l’école préparatoire de Newcastle-Emlyn, pour étudier ensuite la théologie. Sa mère fut au comble de la joie en voyant ainsi se réaliser le grand espoir de sa vie. La famille tint à contribuer aux dépenses qui, d’ailleurs, furent en partie couvertes par de petites corvées joyeusement acceptées.

Mais ici nous avons le propre récit d’Evan Roberts, nous allons donc lui laisser la parole.

Le document dont nous reproduisons la traduction intégrale et aussi exacte, que possible, a été publié pour la première fois par le Western Mail auquel il avait été envoyé par le Rév. Thomas Francis, ministre méthodiste à Gorseinon. C’est Evan Roberts lui-même qui a dicté ce récit en gallois au Rév. Francis, le mercredi 28 décembre 1904. Le Rév. Francis l’a traduit en anglais en s’efforçant, dit-il, « de conserver la forme et la vivacité du gallois, sacrifiant le style et la correction pour obtenir une transcription littérale fidèle. C’est là, assure-t-il, ce qui explique le caractère abrupt et raide de certaines phrases. »

Ce récit se trouve reproduit à la fin de la troisième brochure publiée par le Western Mail. Il a été aussi inséré in-extenso ou en partie dans une grande quantité de journaux religieux anglais.

« Pendant treize ans j’ai prié pour recevoir le Saint-Esprit ; je fus conduit à prier ainsi par l’incident suivant : William Davies, le diacre, dit un soir à la Sociétée : Soyez fidèles ! Supposez que l’Esprit descendît et que vous fussiez absent de l’Assemblée ? Rappelez-vous Thomas, et combien il perdit à ne pas être présent le soir de la Résurrection !

e – Probablement la Société d’activité chrétienne.

Je me dis alors : je veux recevoir le Saint-Esprit à tout prix ! Et par tous les temps, en dépit de toutes les difficultés, j’allais aux réunions. Bien souvent, en voyant d’autres garçons partir en canot avec la marée, je fus tenté de faire volte-face pour me joindre à eux. Mais non. Je me disais : Souviens-toi de ta résolution d’être fidèle, et j’allais à la réunion : réunion de prière le lundi soir à la chapellef, réunion de prière le mardi soir à Pisgah pour l’Ecole du dimanche ; réunion de l’Egliseg le mercredi soir ; réunion de la Ligue de l’Espoirh le jeudi — j’assistai fidèlement à toutes ces réunions pendant des années. Pendant dix ou onze ans j’ai prié pour un Réveil. Je pouvais passer des nuits entières à lire des récits de Réveils ou à parler sur les Réveils. C’était l’Esprit qui me poussait ainsi à penser à un Réveil.

fChapel : sans doute l’Eglise méthodiste.

gChuich : serait-ce l’Eglise anglicane ?

hBand of Hope désigne une ligue cadette de tempérance.

Un vendredi soir du printemps dernier (1904), tandis que je priais près de mon lit avant de me coucher, je me sentis emporté dans une immense étendue, en dehors du temps et de l’espace (I was taken up to a great expanse — without time and space). C’était la communion avec Dieu. Auparavant je n’avais qu’un Dieu lointain. Ce soir-là, j’eus peur, mais cette peur ne s’est plus jamais renouvelée. Je tremblais si fort que le lit en fut secoué, et que mon frère, réveillé, me saisit, pensant que j’étais malade.

Après cette expérience, je fus réveillé chaque nuit vers une heure du matin. Ceci est d’autant plus étrange que je dormais ordinairement comme une pierre, sans qu’aucun bruit dans ma chambre pût me réveiller. A partir d’une heure, j’étais saisi (taken up) dans la communion divine pendant environ quatre heures. Ce que c’était, je ne puis vous le dire, si ce n’est que c’était divin. Vers les cinq heures il m’était de nouveau permis de dormir (I was again allowed to sleep) jusque vers neuf heures.

A cette heure-là, j’étais de nouveau saisi (taken up), emporté dans la même expérience que celle des premières heures du matin, jusqu’à environ midi ou une heure.

On me questionnait à la maison. On me demandait pourquoi je ne me levais pas plus tôt, etc., etc.

Mais ces choses étaient trop divines pour que j’en pusse rien dire. Cela dura environ trois moisi. Quand je partis pour l’école de Newcastle-Emlyn — oh ! j’eus peur de perdre la communion. J’avais mis à part une demi-heure par jour pour elle. Et pendant la première semaine j’accomplis très bien ma tâche scolaire. Mais après cela tout mon temps fut saisi (taken up). Un gros rhume me mit au lit pendant quatre jours, mais jour et nuit, ce n’était que prière ; la dernière de ces quatre nuits, j’étais baigné de sueur — résultat du refroidissement et de la communion avec Dieu (the result of the cold and of communion with God).

i – Pendant ce temps, Evan Roberts se préparait pour l’examen d’entrée à l’Ecole préparatoire de Newcastle Emlyn.

Je me levai le dimanche. Le Rév. Seth Joshua était là. Le mardi soir, il y avait une réunion de prière, et Sydney Evans et d’autres vinrent me voir et me demandèrent si je me proposais d’y aller. »

Interrompons ici le récit pour noter quelques remarques.

Ce n’est pas à tort, certes, que Mme Saillens qualifie ce récit d’étrange. La psychologie religieuse pourrait bien, je crois, en trouver d’aussi étranges dans les récits d’expériences religieuses ; elle aurait peut-être de la peine à en trouver qui le soient plus.

Il est important d’observer que ce n’est pas le salut, le pardon, la conversion, que recherche Evan Roberts pendant ses treize années de prières. De même que la jeune fille de New-Quay se considérait comme « sauvée », mais souffrait de ne pas se sentir entièrement consacrée à Jésus-Christ comme à son Seigneur, de même Evan Roberts se considère comme sauvé, mais soupire après une autre et supérieure bénédiction : le baptême du Saint-Esprit. Ce désir est intense chez Evan Roberts. C’est comme une idée fixe, une obsession, pendant treize ans. Et pendant ces treize années s’accumulent dans le fond de son être toutes les impressions, religieuses produites par des prières répétées, par une assistance régulière aux réunions de la Société d’activité chrétienne et à toutes les réunions de prière possibles, tous les soirs de la semaine. Et à cette idée fixe du baptême du Saint-Esprit, se joint l’idée fixe du Réveil. C’est comme une incubation prolongée. Le subconscient d’Evan Roberts se charge progressivement, se charge sans cesse, jusqu’à ce que se produisent les décharges électriques que nous constatons dans les extraordinaires expériences de Loughor, de Newcastle-Emlyn, de Blaenannerch.

La première expérience, celle de Loughor, est des plus curieuses : c’est une sensation de mouvement ascensionnel (taken up), de dilatation (expanse), et en même temps d’abolition du temps et de l’espace. Certaines sensations physiques sont à coup sûr à la base de cette expérience analogue à celle de plusieurs mystiques. Ce qui est surprenant, c’est de voir cette expérience durer pendant des heures, et se reproduire, toujours pendant une durée de plusieurs heures, chaque jour durant trois mois. Il est surprenant aussi de voir Evan Roberts réussir pendant une semaine à mettre à part une demi-heure par jour pour jouir de cet état : il pouvait donc s’y mettre et en sortir à volonté ? En tout cas, Evan Roberts note fort bien les résultats physiques de cette expérience religieuse : le tremblement nerveux qui le saisit la première fois, tremblement si intense qu’il agite et secoue le lit et réveille le frère d’Evan, et puis, à Newcastle-Emlyn, la sueur abondante que provoque le prolongement de cette expérience durant quatre jours. Il est vrai qu’avec une calme impartialité faite pour dérouter un lecteur inaccoutumé à la psychologie religieuse, Evan reconnaît que le rhume produit par le refroidissement pouvait bien être aussi, en même temps, une cause de cette sueur abondante. Mme Saillens a supprimé dans sa traduction les mots bizarres : « résultat du refroidissement et de la communion avec Dieu. »

Avant de reprendre la suite du récit fait par Evan Roberts au Rév. Francis, ouvrons une parenthèse pour intercaler, à sa juste place, le récit d’Evan Roberts à M. Stead :

Voici, dit M. Stead, le récit qu’il me fit de sa conversion, comme nous prenions le thé ensemble à Mardy, le dimanche après-midi :

Depuis longtemps, bien longtemps, j’étais fort troublé dans mon âme et dans mon cœur par la pensée de la faillite du Christianisme. Oh ! cela me paraissait une telle faillite — une telle faillite — et je priais, et je priais, sans que rien m’apportât aucun soulagement. Mais une nuit, après avoir de nouveau prié à ce sujet dans une une grande angoisse, je m’endormis ; et à une heure du matin, je fus soudainement réveillé et je me trouvai, plein d’une joie et d’une crainte indicibles, dans la présence même du Dieu tout puissant. Pendant quatre heures j’eus le privilège de lui parler face à face comme un homme parle face à face avec son ami. A cinq heures, quand cette apparition prit fin, il me sembla que je retombais du ciel sur la terre.

Ne rêviez-vous pas ? lui demandai-je.

Nullement. J’étais bien éveillé. Et ce ne fut pas seulement ce matin-là, mais tous les matins pendant trois ou quatre mois. Toujours j’ai joui pendant quatre heures de cette merveilleuse communion avec Dieu. Je ne puis la décrire. Je la sentais (I felt it), et elle paraissait changer toute ma nature, et je voyais les choses sous une lumière différente, et je compris que Dieu allait agir dans ce pays et non seulement dans ce pays, mais aussi dans le monde entier.

Excusez-moi, dis-je, mais en ma qualité de vieil interviewer, j’aimerais savoir si, lorsque l’extase mystique eut cessé, vous mîtes sur le papier tout ce que vous vous rappeliez de ces heures de communion avec Dieu.

Non, je n’écrivis rien. Cela dura jusqu’à mon départ pour Newcastle-Emlyn, où je désirais me préparer en vue du ministère. J’aurais voulu retarder ce moment, craignant de perdre mes quatre heures de communion avec Dieu chaque matin. Mais mon entrée au séminaire était chose décidée. Et les choses arrivèrent comme je l’avais redouté. Pendant un mois entier, Il ne vint plus. Je restai dans les ténèbres. Mon cœur devint dur comme la pierre. Même la vue de la croix ne m’émouvait plus. Enfin, à ma grande joie, Dieu revint à moi et m’accorda de nouveau sa glorieuse communion, et il me dit que je devais aller parler aux gens de mon village. Mais je n’allai pas. Je ne me sentais pas capable de parler à mes plus proches parents, à mes voisins et à mes amis.

Puis-je vous demander si celui dont vous parlez vous apparut sous les traits de Jésus-Christ ?

Non, dit M. Roberts, ce n’était pas Jésus-Christ, c’était Dieu en personne.

Dieu le Père Tout-Puissant ? repris-je.

Oui, dit M. Roberts, et le Saint-Esprit.

Pardonnez-moi de vous avoir interrompu, et continuez, je vous prie.

Je n’allai pas chez les gens de mon village, mais je restai troublé et mal à mon aise…j

j – Ce récit se trouve dans la brochure de Stead : The Revival in the west, p. 42-45. Il en a paru dans les journaux religieux de langue française (La Pioche et la Truelle, L’Eglise libre. La Vie nouvelle) diverses traductions dont aucune n’est intégrale. Celle même qui est renfermée dans la traduction française de la brochure de Stead par M. Rochat présente des lacunes Je me suis servi librement de ces traductions diverses en les combinant les corrigeant et les complétant d’après le texte anglais.

Dans la brochure anglaise (The Revival in the West), M. Stead commente au bas des pages le récit qu’on vient de lire par des notes intéressantes que le traducteur suisse, M. Rochat, a supprimées, sans doute parce qu’il a craint qu’elles ne nuisissent à l’édification des lecteurs qu’il avait en vue. Mais il vaut la peine sinon de traduire in-extenso ces commentaires de M. Stead, tout au moins de les indiquer. Ils ont une incontestable valeur psychologique et montrent par le fait qu’il est tout à fait possible d’être un emballé pour le Réveil et pourtant d’avoir et de conserver dans son esprit des préoccupations de psychologie religieuse.

Donc, dans une première note, M. Stead rapproche l’expérience d’Evan Roberts d’une expérience religieuse analogue faite par M. J. Addington Symonds, une fois qu’il était sous l’influence du chloroforme (la citation de Symonds est empruntée à l’ouvrage de William James sur les variétés de l’expérience religieuse) ; il renvoie aussi aux expériences religieuses de Mme Guyon (avec citation de James à l’appui). — Relevant les mots où Evan Roberts déclare : « Je sentais la communion avec Dieu, et elle semblait changer toute ma nature, et je voyais les choses sous une lumière différente, et je savais que Dieu allait agir dans ce pays et non pas dans ce pays seulement, mais dans le monde entier », M. Stead fait observer dans une autre note que ce genre de vision mystique qui rend un homme capable (à ce qu’il croit) de comprendre le secret de Dieu dans la création et l’arrangement de l’univers, a été commun à tous les grands saints, et même à des gens qui n’étaient pas proprement des saints ; il cite particulièrement Walt Whitman, George Fox, Ignace de Loyola, sainte Thérèse, Jacob Bœhme. — A propos de la déclaration d’Evan Roberts : « Je n’écrivis rien », M. Stead reproduit deux phrases de W. James sur l’absorption mystique des Sufis en Dieu et « l’incommunicabilité du transport propre à tout mysticisme ». — Enfin pour illustrer la confession d’Evan Roberts : « Ce n’est pas Jésus-Christ qui m’est apparu, c’est Dieu en personne et le Saint-Esprit », M. Stead rapporte que si George Fox avait coutume de causer avec Jésus-Christ, sainte Thérèse, comme Evan Roberts, parlait avec Dieu. (Ici se place une citation de sainte Thérèse d’après W. James.)

M. Stead contredit sur un point les remarques que nous présentions plus haut au sujet du récit Francis. Il semble croire que le récit de l’expérience religieuse de Loughor est le récit de la conversion d’Evan Roberts. Et à l’appui de son interprétation, pour prouver qu’Evan Roberts n’était pas chrétien, quoiqu’il fût membre dune Eglise et moniteur d’une école du dimanche, il cite ces paroles prononcées à Trecynon, le 14 novembre, par Evan Roberts lui-même : « Pendant des années j’ai été un fidèle membre de l’Eglise, un travailleur zélé et un généreux donateur. Mais j’ai récemment découvert que je n’étais pas un chrétien et qu’il y avait des milliers de personnes dans la même situation que moi. C’est seulement depuis que j’ai fait cette découverte qu’une nouvelle lumière est entrée dans ma vie. Elle brille sur tous les hommes, s’ils veulent seulement ouvrir leurs yeux et leurs cœurs ». Je ne sais toutefois si M. Stead n’attribue pas une importance excessive à ces paroles, et si Evan Roberts, quand il dit : « Je n’étais pas chrétien », ne tombe pas dans ce travers fréquent chez les hommes religieux de déprécier leur propre passé religieux sous le coup d’une nouvelle et forte expérience qui éclipse à leurs yeux les expériences anciennes. Peut-être aussi Evan Roberts veut-il dire seulement : je n’étais pas un chrétien plein et complet, un chrétien normal, comme l’est celui qui a reçu le baptême du Saint-Esprit. Et cette dernière interprétation est, je crois, la plus probable. M. Stead lui-même écarte l’allégation d’après laquelle Evan Roberts aurait été puissamment influencé par le Rév. F.-B. Meyer à une convention religieuse en août 1903, et il dit : « Suivant le récit de M. Roberts lui-même, il semble avoir été surtout dominé dans ses dévotions par la conviction affligeante de la faillite du Christianisme. » Voilà, me semble-t-il, en effet, ce qui préoccupait Evan Roberts, non pas son salut personnel, mais les succès du Christianisme dans le monde, non pas sa conversion individuelle, mais un baptême du Saint-Esprit qui le rendît capable de travailler au Réveil de ses frères. — Il est bien vrai que dans le récit Francis, Evan Roberts déclare que jusqu’à l’expérience de Loughor, Dieu avait été pour lui un Dieu éloigné, tandis que dans cette extase mystique il devint un Dieu de près. Mais il n’est pourtant pas nécessaire de passer par des extases mystiques analogues à celle que décrit Evan Roberts pour être proprement un chrétien. — La preuve que c’est la pensée du Réveil qui hante Evan Roberts plutôt que celle de sa propre conversion, c’est que le résultat de son expérience mystique, il l’a dit lui-même à M. Stead, c’est de lui faire voir les choses sous une lumière différente et de lui faire connaître que Dieu allait agir dans le pays de Galles, et non seulement dans le pays de Galles, mais dans le monde entier. Aussi bien, dans une conversation avec le Councillor Johnson à Newcastle-Emlyn vers la fin de mars, Evan Roberts a déclaré que les récits des journaux étaient incorrects : « Ce qu’ils appellent ma conversion se rapporte à une expérience très différente qui a suivi ma conversion très longtemps après : il s’agit de l’expérience du baptême du Saint-Esprit. »

Le récit Stead confirme le récit Francis sur un point curieux. Nous allons voir en effet que dans le récit Francis, Evan Roberts déclare que, à Newcastle-Emlyn, il aimait le Père et le Saint-Esprit, mais n’aimait pas le Fils ; et l’expérience de Blaenannerch semble avoir consisté surtout à le courber sous l’amour de Dieu en Jésus-Christ, Jésus-Christ crucifié, comme nous allons le constater. Eh bien ! au cours du récit Stead, Evan Roberts déclare que dans l’expérience de Loughor, c’est Dieu le Père qui lui apparaît, et le Saint-Esprit — mais pas Jésus-Christ. Il semblerait presque — sans doute ce serait fausser les choses que de l’affirmer nettement — mais il semblerait presque que l’expérience de Loughor est simplement une expérience religieuse au sens général, une expérience mystique, et que l’expérience de Blaenannerch est seule, est enfin une expérience essentiellement et spécifiquement chrétienne. Ce ne serait pas la première fois que pareil phénomène pourrait être observé. Dans le livre de la Mort à la Vie, on peut constater que Haslam, par exemple, a passé par deux conversions qui méritent bien toutes deux ce titre, mais dont la première était simplement religieuse, et la seconde seule réellement chrétienne. Il semble en avoir été ainsi de Jonathan Edwards, avec cette différence que sa seconde conversion a été lente et progressive.

M. Stead nous donne ce détail intéressant, c’est que pendant les derniers mois de son séjour à Loughor, avant de partir pour l’Ecole préparatoire de Newcastle-Emlyn, Evan Roberts, très fervent dans la prière, évangélisait avec ardeur son prochain, tenant dans son petit logement des réunions si fréquentes, si prolongées, si ardentes, que sa propriétaire finit par avoir peur de lui et lui signifia son congé, estimant que « dans son enthousiasme il était possédé ou un peu fou » (possessed or somewhat mad).

Evan Roberts était depuis peu dans l’Ecole de Newcastle-Emlyn, lorsqu’il fut l’objet de la visitation divine qui aboutit à faire de lui le revivaliste extraordinaire qu’il a été de 1904 à 1905. Depuis plusieurs jours il avait vaguement conscience de je ne sais quelle influence mystérieuse. Voici comment il décrit, dans le récit Francis, ce qui se passa alors :

« Il y avait, dit-il, des réunions à Blaenannerch. A ce moment, je sentis que l’Esprit venait sur moi, et il vint si irrésistible que je me précipitai vers la chapelle sans prendre mon pardessus. L’influence commença. J’étais prêt à prier — à prier pour que la puissance fût donnée aux jeunes filles venues de New-Quayk de peur que les gens se confient en elles. J’avais prié pour elles à la maison, le lundi soir. Mais il ne me fut pas permis de prier publiquement le mardi soir. Ce jour-là j’avais demandé où était le Diable (That day I had asked where the devil was). J’étais dur (hard). Je pouvais regarder à la croix sans sentir (without feeling). Je pleurais à cause de la dureté de mon cœur, mais je ne pouvais pas pleurer à cause de Christ. J’aimais le Père et l’Esprit, mais je n’aimais pas le Fils.

k – C’était une délégation de la Société d’activité chrétienne de New Quay, envoyée en mission à Newcastle Emlyn et aux environs.

Le mercredi, j’allai à Blaenannerchl. Le matin je rencontrai dans la Boutique (la maison du Rev. Evan Phillips) l’employé de la gare, et je lui dis que j’étais comme une pierre — j’étais comme si quelqu’un avait balayé en moi tout sentiment. Et j’étais convaincu qu’il fallait ou que je sois jeté sur un lit de maladie ou que je reçoive l’Esprit avec puissance.

l – Il y avait en effet à ce moment-là une Convention à Blaenannerch, petite ville située à huit milles de Newcastle Emlyn. Cette Convention était présidée par les mêmes trois messagers de Llandrindod qui avaient visité New Quay vers la fin de 1903. — D’après le reste du récit, il est manifeste que c’est seulement le jeudi qu’Evan Roberts est allé à Blaenannerch avec le Rév. Seth Joshua, les jeunes filles de New Quay, Sydney Evans et un groupe d’étudiants de Newcastle Emlyn.

Mag Phillips m vint à moi. Il y avait une réunion de prière en train dans la maison. J’avais deux raisons pour n’y pas entrer : la première, la crainte de faire parler de moi parce que j’étais sorti de l’Ecolen ; la seconde était que je voulais parler à Mag de l’état de son âme.

m – La fille du pasteur.

n – Evidemment sans permission.

Priez pour moi et je prierai pour vous, lui dis-je ; et les larmes jaillirent de ses yeux.

Nous fûmes bénis tous les deux le même jour, moi le matin et elle l’après-midi. Je ne me rappelle rien sur ce mercredi, si ce n’est que je reçus quelque chose vers 3 heures et demie et que je demandai à Mag si elle avait prié pour moi à ce moment, sur quoi elle me répondit : « J’ai prié pour vous tout le jour, Roberts, mon enfant ». Quand je revins le mercredi soir à l’Ecole, les jeunes filles de New-Quay essayèrent de m’influencer (tried to influence me), mais rien ne me touchait. Et elles dirent : Ne pouvons-nous rien faire pour vous ?

Non, dis-je. Je n’ai qu’à attendre le feu. J’ai construit l’autel ; j’ai empilé le bois et préparé le sacrifice ; je n’ai plus qu’à attendre le feu.

Vers 9 heures et demie, le lendemain matin, le feu tomba, et il n’a pas cessé de brûler depuis.

Ce matin-là, le jeudi, nous partîmes pour Blaenannerch vers six heures. Tantôt joyeux, tantôt triste, tantôt dur et froid — mes sentiments varièrent ainsi pendant le voyage ce matin.

Nous chantions dans le breako et mes sentiments étaient très variés — tantôt haut, tantôt bas.

o – D’après Mrs Penn-Lewis, ils chantaient un cantique qui commence ainsi : « Il est en train de venir — il est en train de venir — le pouvoir du Saint-Esprit. — Je le reçois — je le reçois — le pouvoir du Saint-Esprit » (p. 44).

La réunion de sept heures du matin était consacrée à répondre à des questions posées par les assistants. Le R. W. W. Lewis présidait. A la lin, le Rév. Seth Joshua pria, et dit au cours de sa prière : « Seigneur, accorde-nous telle et telle grâce (qu’il énuméra) et courbe-nous (bend us)p. Il ne dit pas : «  Seigneur, courbe-nous », comme si c’était là sa demande principale. C’est l’Esprit qui mit, en ce qui me concernait, l’accent sur ces mots : courbe-nous. « Voilà ce qu’il te faut », me dit l’Esprit. Et tandis que je sortais de la réunion, je priais : « O Seigneur, courbe-moi. »

p – En gallois : pyg ni. On peut aussi traduire : subjugue-nous, dompte-nous, ploie-nous.

A la table du déjeuner, chez le Rév. M. P. Morgan, Mag Phillips m’offrit le pain et le beurre. Je refusai, ayant assez mangé. Au même moment, le Rév. Seth Joshua étendait la main pour prendre le pain et le beurre, et cette pensée me frappa :

Est-il possible que Dieu m’offre l’Esprit et que je ne sois pas préparé à le recevoir, tandis que d’autres sont prêts à le recevoir, mais qu’il ne leur est pas offert ? Maintenant, j’eus l’impression d’une plénitude qui m’étouffait.

En nous rendant à la réunion de neuf heures, le Rev. Seth Joshua fit cette remarque : « Nous allons avoir aujourd’hui une réunion merveilleuse. A quoi je répondis : « Je me sens presque prêt à éclater. »

La réunion ayant été ouverte fut livrée à l’Esprit. J’avais l’impression que je devrais prier. Comme l’un après l’autre le faisaient, je posai la question au Saint-Esprit : Dois-je prier maintenant ? — « Attends un moment », répondait-il. Pendant que les autres priaient, je sentais une force vivante venir en mon cœur. Elle m’empêchait de respirer, et mes jambes flageolaient et après chaque prière je demandais : « Dois-je prier maintenant ? La force vivante allait croissant et j’étais prêt à éclater. Et tout à coup quelqu’un termina sa prière — mon cœur étant en ébullition. J’aurais éclaté si je n’avais pas prié. Ce qui me mettait en ébullition, c’était ce verset : « Dieu a montré son amour envers nous…q. Je tombai à genoux, les bras étendus sur le banc d’en face, et les larmes et la transpiration coulèrent abondamment. Je crus que c’était du sang. Madame Davies, de Mona, New-Quay, vint essuyer mon visage. A ma droite était Mag Phillips, et à ma gauche Maud Davies. Pendant environ deux minutes, ce fut effrayant. Je criai : « Courbe-moi ! courbe-moi ! courbe-nous ! » Puis : « Oh ! oh ! oh ! oh ! » et Madame Davies dit : «  O merveilleuse grâce ! » « Oui, répondis-je, ô merveilleuse grâce ! » Ce qui me courbait, c’était la pensée de Dieu recommandant son amour, tandis que moi je ne voyais rien en lui qui méritât recommandation. Après que j’eus été courbé (bent), une vague de paix vint sur moi et l’auditoire chanta : « J’entends ta voix bien-venuer. Et tandis qu’on chantait, je pensais à ceux qui seraient courbés au jour du jugement, et je fus rempli de compassion pour eux, et je pleurai.

q – Rom.5.8. La version anglaise traduit : God commending His Love, Dieu recommandant son amour.

r – Cantique anglais bien connu.

Depuis ce moment-là, le salut des âmes devint le fardeau de mon cœur. A partir de ce jour, j’ai brûlé ardemment du désir de parcourir tout le Pays de Galles, et même, si c’eût été possible, j’aurais voulu payer Dieu pour qu’il me permît d’y aller. On fît un plan de campagne, et huit d’entre nous devaient parcourir le pays et je paierais tous les frais.

Un samedi, après-midi, quelques-uns d’entre-nous allèrent à New-Quay pour conférer sur ce projet. Je n’avais que deux heures environ à rester, ayant promis de retourner à Newcastle Emlyn, pour l’amour d’une âme. Les autres restèrent et continuèrent à prier pour ce projet, mais aucune lumière ne vint. Après ma merveilleuse expérience à Blaenannerch, j’avais demandé à Dieu d’enflammer six âmes dans l’Eglise, à Newcastle-Emlyn, et six furent enflammées, et aussitôt je reçus l’ordre de retourner chez moi, à Loughor. La vision me fut donnée le dimanche, au service du soir, juste avant que le Rév. E. Phillips commençât à prêcher. »



Les revivalistes de Loughor

Dans le récit qu’on vient de lire, Mme Saillens a supprimé une phrase que j’ai rétablie. La suppression s’explique aisément, car au premier abord on ne voit pas trop ce que la phrase peut bien vouloir dire :

C’est au début de la mission, à Newcastle-Emlyn, des jeunes filles de New-Quay : « Il ne me fut pas permis de prier publiquement le mardi soir. Ce jour-là j’avais demandé où était le diable. J’étais dur. Je pouvais regarder à la croix sans rien sentir… » Pourquoi donc Evan Roberts avait-il demandé où était le diable ? Est-ce parce qu’il doutait intellectuellement de son existence et considérait ce doute comme un péché ? Est-ce qu’il voulait abandonner Dieu pour servir le diable ?… Il faudrait plus de détails pour pouvoir bien pénétrer dans l’intérieur d’un état d’âme qui a pu se dépeindre en ces mots étranges : « J’aimais le Père et l’Esprit, mais je n’aimais pas le Fils ! »

Telle a été ma première impression. Mais en y revenant, et en poursuivant mes études et mes lectures sur le Réveil, il m’a semblé que quelque lumière jaillissait peut-être, sur cette phrase énigmatique, d’une allocution prononcée au mois de juin par Evan Roberts à Conway. Dans cette allocution, après avoir dit que la première question à résoudre c’est celle-ci : « Y a-t-il un Dieu ? » et avoir confessé : « En quelques occasions, après avoir lu quelques livres, j’ai dit en moi-même : Il n’y a point de Dieu ; mais, chers amis, un jour Dieu a mis sa main sur moi, et maintenant je sais qu’il y a un Dieu… — après avoir dit cela et avoir conclu : « Réaliser qu’il y a un Dieu, c’est le premier pas (the first step) », il continue : « Mais vous devez aussi croire qu’il y a un diable. Quelques-uns ont dit qu’il n’y a pas de diable. Mais — et ici Evan Roberts redouble d’énergie et d’animation — « si nous pouvons dire qu’il n’y a pas de diable, le diable nous tient dans ses griffes. Supposez que nous disions qu’il n’y a pas d’ennemis dans le pays, et que l’ennemi soit tout près… Nous devons chercher ce grand ennemi dans toutes les directions, ces jours-ci. Chers amis, le diable fait de son mieux, ou plutôt il fait le pire qu’il peut, contre nous tous. Heureusement que c’est un ennemi fini (finite), tandis que Christ, notre Sauveur, est un être infini (infinité). — Evan Roberts aime assez à parler de l’Infini. — Mais il me semble que ce passage nous autorise à croire que lorsque Evan Roberts, à New-castle-Emlyn, demandait où était le diable, c’est que, pour une raison ou pour une autre, il doutait de l’existence du diable à ce moment-là, et douter de l’existence du diable lui paraît très grave, très dangereux, très coupable.

On a vu la rapidité avec laquelle les impressions et sentiments d’Evan Roberts varient et passent d’un extrême à l’autre, sans qu’il explique et sans doute aussi sans qu’il sache lui-même pourquoi et comment : tantôt froid, tantôt bouillant, tantôt dur comme une pierre, tantôt prêt à éclater comme une chaudière sans soupape et surchauffée. Il conservera toute sa vie quelque chose de cette mobilité d’impressions ; seulement, après l’expérience décisive de Blaenannerch, ces variations ne se rapporteront plus d’habitude à sa propre personne, mais au salut des autres âmes ; elles perdront leur teinte individuelle pour recevoir une couleur sociale, altruiste.

Le lecteur français ne peut assurément pas s’empêcher d’être un peu surpris du rôle joué par les jeunes filles dans tout ce récit, spécialement au moment où les jeunes filles de New-Quay entourent Evan Roberts et essaient de l’influencers ; ces mots qui suggèrent d’ailleurs aussi quelque idée de magnétisme, d’hypnotisme, sont moins étonnants pour qui prend en considération les mœurs anglaises, les relations familières des jeunes gens et des jeunes filles, et pour qui se rappelle que les jeunes filles de New-Quay, déjà réveillées, avaient été envoyées en mission auprès des jeunes gens de Newcastle-Emlyn.

s – Mme Saillens traduit : m’interrogèrent. Mais ce n’est pas ce que dit le texte qui est très clair : tried to influence me.

Le mot courbe-nous déclenche pour ainsi dire l’appareil intérieur d’Evan Roberts. Dans une réunion postérieure, au cours de ses tournées revivalistes, il est arrivé à Evan Roberts de dire :

« Notre prière devrait être : O Dieu, ploie-moi ! Certaines personnes ont peur de demander au Ciel de les ployer. II y eut un temps où j’étais de ce nombre. Pendant treize ans j’avais servi Dieu, mais c’était une religion de doutes et de craintes. J’avais le cœur si dur que je pouvais regarder à la Croix sans émotion. Je pouvais penser à l’amour de Dieu sans en être émerveillé ; mais maintenant j’en suis toujours émerveillé, et de plus en plus. Quand pour la première fois je compris qu’il me fallait me ployer, ce fut un moment solennel et terrible ; mais dès l’instant où je me ployai réellement, je criai : « O Saint-Esprit, remplis-moi ! et il vint, et je fus rempli de l’Esprit séance tenante. Ah ! ce fut la vision de l’amour de Dieu qui me ploya, et maintenant cette vision fait fondre mon cœur. »

Sous l’influence des mots courbe-moi qui servent de point de ralliement et de centre de cristallisation au tourbillon des émotions et désirs d’Evan Roberts, se passe une scène curieuse, différente des scènes de Loughor, mais non moins extraordinaire. Evan Roberts décrit fort bien l’invasion progressive en lui, par contagion, d’une force vivante qui se développe et grandit, qui s’empare de lui au point de lui ôter la respiration, de faire vaciller ses jambes, de lui donner la sensation d’une ébullition interne, d’une tension croissante, et finalement de le jeter les bras étendus, pleurant, baigné de sueur au point qu’il se figure que c’est du sang, criant pendant deux minutes d’une façon effrayante, d’abord répétant les deux mots qui avaient pénétré en lui : Courbe-moi ! courbe-nous ! (bend me ! bend us !), puis incapable de prononcer d’autres mots que ces exclamations répétées : oh ! oh ! oh ! oh !

Il est très remarquable aussi que, dès le début, et sans une hésitation, Evan Roberts se croit, se sent sous la direction de l’Esprit, dialogue avec l’Esprit, voit dans tout ce qui monte en lui des profondeurs de son être une suggestion, un ordre, une initiative ou une réponse de l’Esprit.

Le Rév. Thomas Francis qui a traduit en anglais et publié ce récit, ajoute les renseignements suivants :

« Permettez-moi de rapporter un autre aspect de l’opération de l’Esprit pour susciter le Réveil (en gallois Diwygiad). L’incident m’a été raconté par le Rév. Seth Joshua. Il y a environ quatre ans, après une discussion très chaude sur les qualités requises pour la prédication, le pasteur en question se sentit pressé en son cœur de prier Dieu de prendre un garçon de la mine ou du champ, comme il avait pris jadis, Elie de la charrue, pour revivifier son œuvre. Il pria Dieu de ne pas en prendre un de Cambridge, de peur que cela ne favorisât notre orgueil, ni un d’Oxford, de peur que cela ne développât notre intellectualisme — mais de prendre un garçon par lequel l’orgueil humain fut dépouillé. Pendant quatre ans il pria cette prière, et il ne mentionna jamais le fardeau de son cœur à qui que ce fût avant le. matin du jour où Evan Roberts fut baptisé du Saint-Esprit. Etant en voiture pendant le trajet de Newcastle-Emlyn à Blaenannerch, il se sentit contraint de divulguer le secret. Combien mystérieux sont les agissements de l’Esprit, que celui qui sème et celui qui moissonne puissent se réjouir tous les deux ensemble ! »

On comprend bien que la divulgation de ce secret a dû avoir une influence psychologique profonde sur Evan Roberts, dans le tumulte de sentiments, de pensées, d’aspirations où son âme était ce matin-là ballottée. La pensée des quatre années de prières du Rév. Seth Joshua, la pensée que c’était peut-être lui, Roberts, qui allait constituer dans sa personne l’exaucement de ces prières, n’a pas pu ne pas se présenter avec force à son esprit : et aussitôt apparue, elle n’a pas pu ne pas fortifier l’attention expectante chez Evan Roberts, l’espoir qu’il allait enfin recevoir le baptême suprême du Saint-Esprit.

Reprenons maintenant et terminons le récit Stead :

« Je n’allai pas chez les gens de mon village, mais je restai troublé et mal à mon aise. Un dimanche, comme j’assistais au culte, il me fut impossible de fixer mon esprit sur le service en cours, car toujours devant les yeux, comme dans une vision, je voyais la salle d’école de mon village. Et là, assis en rangées, devant moi, je voyais mes anciens camarades et tous les jeunes gens, et je me voyais en train de leur adresser la parole. Je secouai la tête avec impatience et m’efforçai de chasser cette vision. Elle revint avec persistance. Et j’entendis une voix parlant clairement à mon oreille intérieure et me disant : « Va parler à ces gens ». Pendant longtemps, je ne voulus pas. Mais là pression devint toujours plus grande, tellement que je ne pouvais rien entendre du sermon. Enfin je ne pus résister plus longtemps et je dis : « Seigneur, si c’est ta volonté, j’irai ». Alors, en un instant, la vision se dissipa et la chapelle tout entière se trouva remplie d’une lumière si éblouissante que je pouvais à peine discerner le pasteur dans la chaire, et entre lui et moi il y avait une gloire comme la lumière du soleil dans le cielt.

t – Ici encore, M. Stead met une note pour déclarer qu’il y a là un des phénomènes les plus habituels dans l’extase. Et il cite W. James sur la fréquence des phénomènes hallucinatoires ou pseudo-hallucinatoires dans le domaine religieux (visions de saint Paul, de Constantin, du Col. Gardner, de Finney.).

Et alors vous avez repris le chemin de la maison ?

J’allai trouver mon professeur, je lui dis tout et je lui demandai s’il pensait que cela vînt de Dieu ou du diable. Il me dit que le diable ne met pas dans l’esprit ces bonnes pensées et qu’il me fallait aller et obéir à la vision céleste. »

[Voici encore le récit de deux visions qu’il eut à Newcastle Emlyn avant de partir pour Loughor, son village natal. Le premier récit est emprunté au compte rendu d’une réunion publié dans le South Wales Daily News du 19 novembre 1904 : « C’était il y a quelques dimanches à Newcastle Emlyn. Pendant plusieurs jours, j’avais été mortellement angoissé en pensant à la faillite apparente des moyens dont use aujourd’hui l’Eglise ; et je me sentais blessé en esprit à la pensée des attaques si fréquentes que subit l’Eglise de Dieu. Tandis que j’étais perdu dans cet abîme de désespoir, je me rendis au jardin. Il pouvait être quatre heures de l’après-midi. Tout à coup, dans la haie, à ma gauche, je vis une figure portant l’expression de la haine, du mépris et de la dérision ; et j’entendis comme un rire de défi. C’était le Prince de ce monde qui triomphait de mon désespoir. Mais soudain apparut encore une autre figure, vêtue de vêtements blancs magnifiques et brandissant de la main droite une épée flamboyante. L’épée s’abattit sur la figure grimaçante, et elle disparut aussitôt. Je ne pus voir le visage de celui qui portait l’épée. « Ne voyez-vous pas la morale ? » demanda le missionnaire, la figure rayonnante de joie. « N’est-ce pas que l’Eglise de Christ va bientôt triompher ? » — On échange dans l’assemblée des regards significatifs. Des visions ? Que veut-il dire ? Il parle en paraboles. Jusqu’ici il a été un prédicateur sain d’esprit, et sans trace aucune de fanatisme. Il ne peut pas avoir l’intention de dire que… Mais nous sommes promptement détrompés. Evan Roberts reprend : « J’ai raconté au pasteur Evan Phillips ce que j’avais vu et il m’a répondu que dans l’état d’abattement (despondency) où j’étais, j’aurais bien pu imaginer la vision. Mais — et Evan Roberts insiste — je sais ce que j’ai vu : C’était une vision bien distincte. Je ne pouvais m’y tromper. Et m’appuyant sur la promesse que contenait cette vision, je me rendis à Loughor, et de Loughor à Aberdare, et d’Aberdare à Pontycymmer. Et que vois-je ? La promesse littéralement accomplie. L’épée descend et Satan est mis en fuite. Amen. » — Le second récit est emprunté à la brochure de Stead. Il s’agit toujours du compte rendu d’une réunion où Evan Roberts revient sur son passé pour y puiser une illustration, un enseignement : « En écoutant un sermon à Newcastle Emlyn, je profitai beaucoup plus par ce que je vis que par ce que j’entendis. Le prédicateur parlait très bien, s’animait, et, dans son effort, on voyait la sueur couler de son front. Et quand je vis la sueur couler de son front, je regardai au delà et je vis une autre vision : mon Sauveur suant la sueur sanglante dans le jardin… et alors, en pensant à cette vision, Evan Roberts ne put continuer son discours, il fondit en larmes. »]

« C’est ainsi que je retournai dans mon village, où je demandai aussi conseil à mon pasteur. Celui-ci m’engagea à essayer ce que je pourrais faire, mais en me prévenant que le sol était pierreux et que la tâche serait difficile.

En fut-il ainsi ?

Je demandai aux jeunes gens de se réunir pour m’entendre. Ils vinrent. Je me levai pour leur parler, et, voici, les choses étaient tout à fait comme je les avais vues dans l’église, à Newcastle-Emlyn. Les jeunes gens étaient assis en rangées devant moi, comme je les avais vus, et je leur parlais comme cela m’avait été montré. Tout d’abord ils ne parurent guère disposés à m’écouter. Je continuai néanmoins et enfin la puissance du Saint-Esprit descendit. Six d’entre eux se déclarèrent pour Jésus. Mais je n’étais pas satisfait. « Seigneur, dis-je, donne-m’en encore six, il m’en faut encore six. » Et nous priâmes ensemble. A la fin, le septième s’avança, et puis le huitième et le neuvième se présentèrent ensemble, puis au bout de quelque temps le dixième, le onzième et finalement aussi le douzième. Douze conversions, pas davantage. Ils virent que le Seigneur m’avait donné les autres six que j’avais demandés, et ils commencèrent à croire à la vertu de la prière.

Et après cela vous avez continué ?

J’essayai d’abord de parler à d’autres jeunes gens dans une autre église et je leur demandai de venir. Mais la nouvelle s’était répandue et les personnes âgées demandèrent à être admises elles aussi. Je ne pus leur refuser l’entrée. Voilà comment les gens sont venus à moi. Ils ont continué à venir jusqu’à présent, tantôt ici, tantôt là, et je n’ai pas eu le temps de reprendre mes études. »

En effet, à partir de ce moment, pendant plus de six mois, Evan Roberts n’a cessé de tenir des réunions de loin en loin. Partout où il a passé, des révolutions religieuses se sont accomplies. Partout une puissance inconnue a accompagné ses paroles. Les mineurs de la vallée de Rhondda ont accueilli son message avec enthousiasme ; des pécheurs endurcis se sont repentis, les conversions se sont multipliées. Certaines réunions se sont prolongées toute la nuit, jusqu’à quatre ou cinq heures du matin, et vers six heures les villageois étaient de nouveau réveillés par les pas de ceux qui se réunissaient pour prier avant leur journée de travail.

La presse, d’ailleurs, a énormément aidé à la diffusion du Réveil. Le Western Mail a donné le signal. Il a tout de suite envoyé un reporter pour suivre les réunions d’Evan Roberts de chapelle en chapelle : chaque mois il réunissait en une brochure à deux sous ses articles sur le Réveil. D’autres journaux gallois ont aussi envoyé leurs reporters : tel le South Wales Daily News. De grands journaux quotidiens comme le Daily News ont donné tous les jours des nouvelles d’Evan Roberts et du Réveil. Le Times, le Standard et d’autres ont publié des articles ; des revues religieuses et non religieuses ont publié à diverses reprises des notices sur le Réveil, illustrées de la photographie des jeunes missionnaires. Le respect, la sympathie, l’approbation l’ont partout emporté de beaucoup sur la critique ou les réserves. Le D r Campbell Morgan raconte qu’il a connu plusieurs personnes amenées à la conversion par la seule lecture du Western Mail ou du South Wales Daily News.

Si les articles publiés quotidiennement dans les journaux au sujet du Réveil ont été innombrables, il faut bien se rendre compte pourtant qu’ils n’ont pu donner qu’une idée très partielle, très incomplète du Réveil. Ils n’ont pu raconter qu’une partie de ce qui s’est passé au Pays de Galles, car, ainsi que le dit le Rév. Elvet Lewis, « il est certain que chaque soir, cette année, il y a eu des milliers de réunions de prière, dont un grand nombre tenues non dans les sacristies ou les salles d’école, mais dans les chapelles même, à cause des foules… Que ceux qui lisent les articles sur le Réveil méditent ceci : chaque matin, ils lisent dans leur journal quelques paragraphes — voire des colonnes entières — sur environ une demi-douzaine, ou tout au plus peut-être une douzaine de réunions tenues la veille au soir. Mais ce même soir il y a eu des milliers de réunions de prière, dont la presse n’a rien dit, mais qui n’ont pas été sans bénédiction (unreported, but not unblest). C’est qu’est le Réveil le plus remarquableu. Je me rappelle avoir été très étonné pour mon compte de rencontrer à peine dans le Western Mail, et pas du tout ailleurs, la mention des réunions tenues par Evan Roberts à Aberaman et à Aberdare : j’avais assisté à ces belles réunions et les avais trouvées tout aussi ferventes que telles autres dont la presse parlait longuement, et auxquelles j’avais assisté aussi.

u – British Weekly, 2 février 1905.

La troisième brochure du Western Mail publie le nombre des conversions opérées au Pays de Galles en chaque localité. Le chiffre total s’élève à 65 319 dans le Sud du Pays de Galles, à 4 880 pour le Nord : en tout, 70 199 à la fin de janvier.

A la fin de février, d’après la quatrième brochure, les chiffres se sont élevés à 76 566 pour le Sud, et 7 370 pour le Nord : en tout, 83 936.

Comme le mouvement a continué plusieurs mois après encore, on peut bien dire que le nombre a dépassé les 100 000 que l’on attribue au Réveil de 1859 et que dès la fin de novembre 1904 Evan Roberts prophétisait pour le Réveil actuel. C’est d’ailleurs ce qu’affirme l’avant-propos de la cinquième brochure.

chapitre précédent retour à la page d'index chapitre suivant