Le Réveil au Pays de Galles

IV
Mon voyage

C’est seulement au moment des vacances de Pâques 1905 que la question s’est posée pour moi de savoir si je prendrais ou non le chemin du Pays de Galles.

Je confesse avoir éprouvé bien des hésitations avant de me décider pour l’affirmative.

N’était-ce pas trop tard pour entreprendre le voyage ? Le Réveil n’était-il pas terminé ? Tandis que je délibérais avec moi-même, l’un de mes étudiants m’exprima son désir d’entrer en contact avec ce Réveil, mais, trouvant peut-être les vacances de Pâques trop courtes ou ayant déjà arrêté son programme pour ces quelques journées, il ajouta : Pensez-vous que ce Réveil durera encore aux grandes vacances prochaines ? J’aimerais bien attendre jusque-là ! Et je crois lui avoir répondu : « D’après ce que disent les journaux anglais que je reçois, le Réveil a commencé de se ralentir ; si vous voulez avoir chance de voir encore le Réveil, il faut y aller tout de suite. Peu de temps après cette conversation, j’en vins même, sous l’influence de certains journaux et de certaines revues, à me demander si tout de suite, ce n’était pas encore trop tard et s’il y avait vraiment quelque utilité, quelque opportunité à un départ même immédiat pour le Pays de Galles. J’écrivis à un pasteur de Cardiff pour lui demander conseil. Il me répliqua qu’après en avoir causé avec ses collègues, il ne pouvait m’encourager à venir, que le temps des grandes foules et des conversions en masse était passé et que je ne gagnerais pas grand’chose au voyage. Ce fut pour moi comme une douche d’eau froide. Je fus quelques jours très perplexe. D’autres lettres, quelques conversations, me redonnèrent un peu de cœur. Et malgré tout, finalement je me résolus à en courir le risque. On verra, dans les pages qui suivent, comment et pourquoi il se fait que je ne me repens pas de ma décision.

Il est clair qu’il n’est pas dans la nature d’un Réveil de durer toujours sous sa forme brusque, explosive. Il est inévitable qu’au bout d’un certain temps une sorte de ralentissement se produise dans les mouvements religieux de cet ordre. L’un des plus grands admirateurs du Réveil gallois, M. Stead, n’a cessé, dans ses diverses brochures, de répéter ce refrain : « Un Réveil ne dure qu’une saison ; hâtez-vous, hâtons-nous de profiter de cette saison passagère pour nous laisser réveiller ; si nous attendons, bientôt ce sera trop tard. Il a même illustré sa pensée par une image singulièrement impressive :

En présence d’un mouvement unique par son importance, a-t-il dit, rappelons-nous l’histoire de celui qui ramassait des œufs sur le flanc d’un rocher abrupt dominant une côte marine. Suspendu à une corde, il s’était fait descendre depuis le sommet jusqu’au niveau de la corniche où les oiseaux déposaient leurs œufs. Le haut de la falaise s’avançait en surplombant du côté de la mer dont les vagues se brisaient deux cents pieds plus bas, et le chasseur ne put atteindre les nids qu’en imprimant à la corde un énergique mouvement d’oscillation. Mais il lâcha la corde en sautant sur le bord du rocher, et se vit, pendant quelques secondes, en proie à d’affreuses angoisses, abandonné entre le ciel et la mer et condamné à périr. Déjà la corde, se balançant comme un pendule, revenait après s’être éloignée une première fois. Il ne parvint pas à la saisir. Elle s’éloigna de nouveau et il se rendit compte que chaque fois qu’elle reviendrait, elle serait un peu plus loin de sa portée. Un seul moyen de salut lui restait : s’élancer dans le vide au moment où la corde se rapprocherait et la saisir s’il pouvait. C’est ce qu’il fit. Il fut sauvé. Ainsi en est-il des Réveils. Ils s’approchent un instant, et l’occasion d’en bénéficier peut ne jamais revenir pour ceux qui la laissent passer. »

Un Réveil, me disait un pasteur de Ferndale, tout à fait enthousiaste du mouvement gallois, « c’est un tremblement de terre spirituel. Un tremblement de terre ne saurait se prolonger indéfiniment ». D’autres ont dit : « Un Réveil, c’est un cyclone momentané, ce n’est pas un courant constant et continu comme le Gulf-Stream qui porte les navires. « 

Déjà en novembre dernier, c’est-à-dire au début du Réveil, Evan Roberts avait dit, dans une réunion : « Un Réveil, c’est une fièvre chaude. Cette fièvre ne peut pas durer toujours ; gardons-la toutefois aussi longtemps que nous pourrons ; gardons-la et conservons lui son ardeur pour qu’elle élève les Eglises à une température spirituelle aussi haute que possible ; nous aurons bien le temps ensuite de nous calmer et de nous mettre aux affaires. (Abergwynfi, 20 novembre.)

On n’a pas de peine à comprendre que lorsque, pendant des jours et des jours, les conversions se sont multipliées dans un endroit, les drames romantiques des conversions nombreuses et impressionnantes ne peuvent plus se reproduire. La moisson est faite. Les gerbes sont liées. Lorsque, pendant des semaines et des semaines, les personnes réveillées, converties, sont sorties en mission la nuit pour aller chercher les incrédules à la sortie des cabarets et les entraîner à la réunion, il est inévitable qu’un instant vienne où le nombre des conversions nouvelles décroisse, où le nombre des gens à convertir diminue ; ceux qui ne sont pas encore convertis sont — le fait même le prouve — les plus réfractaires à la conversion, ils résistent, ils refusent de se rendre à la réunion, ils restent à l’écart, ils se tiennent sur leurs gardes, et quand ils voient venir un revivaliste, ils s’empressent de passer d’un autre côté. De là vient le fait que j’ai souvent observé dans les réunions auxquelles j’ai assisté. Lorsque, vers la fin, le meeting était mis à l’épreuve (tested), suivant la coutume anglaise, américaine et galloise, c’est-à-dire lorsqu’on disait : Que tous ceux qui croient en Jésus-Christ veuillent bien se lever, l’assemblée se levait toute entière, et on ne trouvait personne qui gardât son siège et qu’il y eût lieu de presser instamment de se convertir. A la toute première réunion galloise à laquelle j’ai assisté — c’était à Cardiff — le pasteur a voulu éprouver le meeting avant la clôture. Il a engagé tous ceux qui étaient pour Christ à se lever. J’étais au troisième ou quatrième banc. Tous ceux qui étaient devant moi se sont levés, et je crois que tous ceux qui étaient derrière ont fait de même. Car le ministre a dit : « Nous ne sommes ici qu’un corps de croyants ». Sur quoi, l’assemblée s’étant rassise, un homme s’est levé de nouveau et s’est écrié : « Je me réjouis de me trouver ici dans la communion des frères en Christ. Mais nous ne pouvons nous dissimuler qu’il y a dans Cardiff bien des inconvertis encore. C’est dommage que nous n’en ayons aucun parmi nous ce soir. Nous devrions faire ce qu’on fait ces jours-ci à Liverpool, où l’on a des réunions exprès pour les personnes qui n’appartiennent à aucune Eglise. En tout cas, chacun devrait demain tâcher d’amener avec lui un inconverti. Moi, je promets de donner l’exemple et d’en conduire un avec moi demain. Cela était possible à Liverpool et à Cardiff, dans les grandes villes ; cela n’était pas possible partout au Pays de Galles, à Pâques. En bien des endroits, c’est à peine s’il y avait 1, 2, 3 inconvertis, 4 au plus — je n’exagère pas, je tiens le chiffre d’un pasteur gallois très au courant de tout le mouvement actuel et ses renseignements concordaient absolument avec tout ce que j’ai pu observer moi-même — en bien des endroits c’est à peine s’il y avait 4 inconvertis au maximum que l’on pût décider à assister aux réunions. Et ces quatre-là, tout en assistant à la réunion, restaient réfractaires… Est-il bien sûr que ce fussent toujours des inconvertis ? Est-ce que parfois ce n’étaient pas tout simplement des tempéraments autrement constitués, incapables de se convertir de la même façon que les autres, de la façon où ils s’imaginaient qu’on doit être converti, mais qui tout de même dans le fond étaient vraiment nés de nouveau ?…

Quoi qu’il en soit, il est donc inévitable qu’un Réveil, tel que le Réveil gallois, se ralentisse en quelque sorte, ou du moins change un peu de caractère, le but étant désormais non plus tant d’obtenir des conversions nouvelles que d’édifier, de former, d’éduquer les nouveaux convertis : tâche lente, difficile, qui n’est pas de nature à faire une impression subite et profonde sur le journaliste avide de copie sensationnelle ou sur le voyageur pressé de voir un Réveil extraordinaire entre deux express.

Pourtant, avant même d’aller au Pays de Galles, il me paraissait impossible — et c’est l’une des considérations qui m’ont décidé à partir lorsque j’hésitais — il me paraissait impossible qu’un mouvement religieux de cette nature et de cette intensité s’arrêtât brusquement, et s’arrêtât si bien que le visiteur étranger ne pût plus rien percevoir du feu ardent qui enflammait il y a si peu de temps encore les âmes. Et je puis bien confesser que dans les divers endroits où j’ai été invité extérieurement ou intérieurement poussé à faire une allocution, j’obtenais un succès facile quand je disais à ces excellents Gallois que j’avais refusé de croire à la cessation soudaine de leur beau Réveil. Il n’y avait qu’à entendre les sonores et retentissants Amen ! Halléluiah ! Très bien ! qui accentuaient ces déclarations, pour être édifié sur leurs sentiments.

Et en effet, si en bien des endroits les réunions religieuses se trouvaient réduites à n’être que des réunions de chrétiens, ces réunions de chrétiens persistaient ferventes, vivantes, bénies, avec une régularité vraiment prodigieuse. Que l’on y songe en effet : dans la plupart des églises, le soir au fond des mines, le matin dans les ateliers et les usines au milieu du jour, il s’était tenu chaque jour depuis cinq à six mois, quand je suis arrivé au Pays de Galles, et il se tenait encore des réunions de prière. Et quelles réunions ! Des réunions où les prières et les chants se succédaient sans interruption comme un courant continu où chaque flot pousse et précède un autre flot ! Et quels chants ! quelles prières !

La ferveur continuait donc toujours au Pays gallois. Il est assez curieux de noter qu’en certains endroits cette ferveur avait subi, dans l’espace des cinq ou six mois écoulés depuis le début du Réveil jusqu’à Pâques, certaines fluctuations rythmiques. « C’est comme le flux et le reflux de la marée », me disait un pasteur. Effectivement, à Pâques, la ferveur était de nouveau à son apogée dans la petite ville de Ferndale, tandis que tout à côté, à un quart-d’heure de distance, à Tylorstown, il y avait au contraire une période d’affaiblissement relatif. Il y a, m’a-t-on dit, une petite ville que je n’ai pas visitée, Tonypanddy, où le Réveil a éclaté bien avant l’époque actuelle, il y a trois ou quatre ans, et il ne s’est jamais arrêté, bien qu’il ait pu avoir, là aussi, son rythme d’exaltation et de dépression. A Cardiff, dans le Sud, à Rhos et à Trevor, dans le Nord, le Réveil battait son plein quand j’y étais. Dans une allocution prononcée à Cardiff, à la dernière réunion à laquelle j’ai assisté avant mon départ, le principal Edwards, doyen du collège des Baptistes, s’est écrié : « J’ai la conviction que nous ne sommes encore qu’au seuil du Réveil ». Et dans la même réunion, au cours d’une prière, un homme s’est écrié : « Nous sommes comme les savants dont les recherches ont à peine effleuré et utilisé l’extrémité de cet océan : l’électricité. Nous avons à peine effleuré les bords de cet océan : la grâce de Dieu en Jésus-Christ ». Tout me portait à croire que le Réveil, même comme période de vie religieuse dramatique, n’avait pas dit son dernier mot au Pays de Galles, et que, lorsque Evan Roberts serait sorti de la retraite où, sa mission de Liverpool finie, il comptait aller prendre un repos bien mérité et dont il avait grand besoin, le Réveil éclaterait avec une puissance nouvelle dans l’île d’Anglesey où Evan Roberts se proposait de recommencer son activité missionnaire, et dans le nord du Pays de Galles qui, à part quelques endroits, avait été moins touché que le sud et qui attendait avec impatience la venue d’Evan Roberts : « Nous sommes prêts pour le Réveil, me disait un Gallois du nord ; nous n’avons besoin que d’une seule chose, c’est qu’Evan Roberts vienne frotter une allumette ! »

Du reste, lorsque je disais tout à l’heure qu’en bien des endroits, à Pâques, le nombre des conversions nouvelles avait diminué et que les réunions ne se faisaient presque plus qu’entre chrétiens, il ne faudrait pas croire que ce fût toujours et partout le cas. D’après ce que me disait l’une des principales revivalistes du nord, Mrs Jones, le Réveil était en train de commencer dans une petite localité appelée Treffynon ; c’était encore là l’époque des grandes foules et des conversions en masse. J’ai eu un instant l’intention de m’y rendre. Et j’aurais certainement réalisé cette intention si les circonstances — et les voies et moyens — avaient favorisé mon projet. Mais sans aller à Treffynon j’ai pu assister à bien des réunions où des appels ont été adressés aux inconvertis. Et non seulement j’ai pu assister à des réunions où des appels ont été adressés aux inconvertis, mais j’ai pu assister à bien des réunions où des conversions se sont produites sous mes yeux.

Peut-être ne sera-t-il pas hors de propos que je reproduise ici, en les complétant par des lettres écrites, chemin faisant, à des parents et amis, quelques notes prises au jour le jour sur mon voyage. Je suis obligé, pour éviter les répétitions, d’en laisser tomber les détails que je compte utiliser dans les prochains chapitres. Cette suppression laisse néanmoins subsister quelques faits, quelques impressions qu’il n’est sans doute pas inutile de mettre sous les yeux du lecteur : ce sera là d’ailleurs, pour ainsi dire, mon indication de sources, ma bibliographie, ma documentation, puisque c’est principalement dans mes observations personnelles, au cours de mon voyage, que j’ai puisé les éléments de mon étude.

[Principalement, non uniquement, il s’en faut. J’ai utilisé, pour écrire ce livre, les six brochures à deux sous, publiées par le Western Mail (The religious Revival in Wales, 1904-1905, by Awstin and other special correspondants of the Western Mail. — London, 176, Fleet Street, E. Cl, le livre de Mrs Penn-Lewis (The Awakening in Wales and some of the hidden springs, London, Marshall brothers. Keswick House), les brochures de M. Stead : The Revival in the West (partiellement traduite par M. Rochat, sous ce titre : Au Pays de Galles, Le Réveil religieux. Librairie Robert, Genève), The Torrey Alexander Mission, The national Free Churches and their Missions (deux sous chacune, aux bureaux de la Review of Reviews, 3, Whitefriars Street, Fleet Street, London), la brochure de M me R. Saillens : Le Réveil du Pays de Galles (Valence, imprimerie Ducros), les numéros de l’Evening Express and Evening Mail : Revival number, journal publié chaque semaine à Cardiff, aux bureaux du Western Mail depuis le mardi 27 décembre 1904, jusqu’au samedi 17 juin 1905 (en tout vingt-cinq numéros à un sou pièce), les articles de divers journaux religieux : le British Weekly, le Christian, etc., et de divers journaux politiques : le South Wales Daily News, le Daily News, etc., sans parler des articles des journaux ou revues publiés en France — Il y a là une littérature très riche et très volumineuse. Certainement, aucun Réveil dans l’histoire n’a fait couler autant d’encre que le Réveil Gallois.]

Dimanche, 9 avril. — Arrivé à Londres à six heures du matin, je reçois vers neuf heures la visite d’un pasteur presbytérien de mes amis qui est allé récemment au Pays de Galles. Il me raconte ses impressions. Il me répète à maintes reprises qu’il n’a jamais rien vu de pareil au Réveil Gallois (I never saw anything like that), si ce n’est peut-être en Amérique dans certains camp-meetings de nègres. Il vous faudra, me dit-il très judicieusement, faire une distinction entre l’œuvre de l’Esprit de Dieu, qui est certaine et des choses purement naturelles, de l’excitation telle qu’il peut s’en produire et qu’il s’en produit effectivement dans des meetings politiques gallois. Il n’attache pas une grande importance au phénomène du hwyla. Ce phénomène, me dit-il, se produit dans tous les domaines, dès qu’un Gallois parle sous le coup d’une profonde émotion. Il m’assure que les classes supérieures, les intellectuels, n’ont pas été touchés par le mouvement ; le Réveil n’a atteint que les mineurs et les paysans. Il prétend aussi que le mouvement a pris naissance et s’est développé chez les baptistes plutôt que chez les presbytériensb. C’est, explique-t-il, que les presbytériens sont plus et mieux organisés, et aussi qu’il y a chez eux plus de respect pour la discipline (sessions, cours, presbytères, pasteurs…). Il n’en est pas ainsi chez les baptistes : ce qui favorise l’explosion d’individualisme qui marque le Réveil Gallois ainsi que la mise à l’écart des pasteurs. Il conclut que le grand problème maintenant, c’est de faire travailler les jeunes convertis, de leur fournir tout ensemble travail et récréation.

a – On en trouvera la description au chapitre VI.

b – Je dois dire que ce renseignement ne m’a pas paru confirmé par mes observations et mes lectures. Evan Roberts lui-même est presbytérien. Les presbytériens me paraissent avoir pris autant de part que les baptistes au mouvement qui, comme le Réveil de 1859, a été un Réveil non confessionnel, non dénominationel, sur les bases de l’alliance évangélique, tandis que les Réveils précédents du Pays de Galles avaient abouti à la fondation de dénominations nouvelles (voir chap. II).

En fait de conseils pratiques, il me conseille de renoncer à poursuivre Evan Roberts que ses amis considèrent comme toujours plus en danger de perdre la tête. Il estime qu’au lieu de courir à Liverpool, d’où d’ailleurs Evan Roberts sera peut-être parti quand j’y arriverai, je ferai mieux de m’en aller tout tranquillement à Cardiff et d’étudier le Réveil dans le sud du Pays de Galles. Il m’engage à visiter les districts miniers en prenant pour centre d’opérations et pour quartiers généraux : Pontypridd. Il ajoute : « Aussitôt que vous paraîtrez dans une réunion, le ministre ou quelque autre personne vous adressera la parole et on vous traitera avec une parfaite courtoisie. Vous devriez vous arranger pour revenir à votre hôtel chaque soir, car l’organisation pour le sommeil (the sleeping accommodation) dans les maisons est très limitée comme vous vous en apercevrez bientôt, mais vous serez toujours le bienvenu pour prendre le thé, presque dans n’importe quelle maison où vous entrerez. Le district tout entier est un district minier ; et les ouvriers sont comme des ramoneurs, ou aussi noirs que des nègres, quand ils sont dans les rues, mais aux réunions ils sont lavés et bien habillés. »

J’emploie mon après-midi et ma soirée du dimanche à assister aux réunions de Torrey et Alexander, à Brixton Hall, au sud de Londres.

Lundi, 10 avril. — Les journaux annoncent qu’Evan Roberts a eu un accident de voiture dans une île près de Liverpool…, Ce serait évidemment perdre mon temps, ma peine et mon argent que de vouloir courir après lui. Je verrai plus tard.

Arrivé à deux heures et demie de l’après-midi à Cardiff, je me hâte de me mettre en quête du Collège Baptiste où demeure le Principal Edwards, pour lequel j’ai une « introduction ». Le Principal Edwards, qui est une des personnalités religieuses marquantes du Pays de Galles, est absent, en tournée de Réveil — car il s’est donné corps et âme au mouvement, et dépense à le propager tous les loisirs dont il dispose. Il paraît d’ailleurs qu’il a commencé de bonne heure sa carrière de prédicateur : dès l’âge de 14 ans ! Il en a aujourd’hui 57. Voilà 43 ans qu’il prêche ! Non seulement il s’occupe de théologie et de religion, mais il s’occupe de politique, et est un ferme partisan de la résistance à la loi scolaire, qu’il recommande énergique-ment à tous les Baptistes gallois. — On me dit qu’il ne rentrera que ce soir très tard. Je déambule dans les rues, un peu désorienté. Je constate que Cardiff est bien, comme on me l’a dit, une ville cosmopolite, où l’on rencontre des représentants de presque toutes les nations : ce n’est pas une ville purement galloise. Je me promène dans les arcades qui servent de passages entre les rues ; je vois aux devantures des magasins de petites broches de 10 centimes, 20 centimes, où figure le portrait d’Evan Roberts — dans le genre de certaines petites broches que vendent les camelots de Buffalo Bill’s. Je rentre à l’hôtel pour y lire le numéro du Réveil (Evening Express and Evening Mail) qui vient de paraître et que j’ai acheté. J’y vois que les meetings d’Evan Roberts à Liverpool sont merveilleux, que l’accident d’Evan Roberts est déjà de l’histoire ancienne, qu’il ne l’a nullement empêché de continuer ses réunions, et que les correspondants du Western Mail tiennent sur Evan Roberts un tout autre langage que mon ami de Londres. Je regrette de n’être pas allé tout droit à Liverpool. Mais enfin je suis à Cardiff, il faut faire contre mauvaise fortune bon cœur. Après ma lecture, je me rends au Tabernacle (Eglise baptiste) où mon ami de Londres m’a assuré que je pourrais assister à une réunion chaque soir. L’Eglise elle-même n’est pas ouverte. Mais je vois, à côté de l’édifice principal, un bâtiment plus petit dont les fenêtres sont éclairées. Je devine que ce doit être là la réunion. J’entre à la suite d’un jeune homme. Ce n’est pas encore tout à fait l’heure de la réunion proprement dite. Il y a encore très peu de monde : une vingtaine de personnes tout au plus. Quelques prières et quelques chants. Puis le pasteur annonce que deux jeunes gens : un jeune homme et une petite fille ont demandé à être baptisés. Il les fait venir au premier rang et invite ceux qui voudraient aussi se faire baptiser à venir s’asseoir à côté. Une jeune fille se lève et va s’asseoir à côté des deux premiers. Rien de plus touchant que la façon paternelle dont le pasteur leur parle, les interroge sur leur état spirituel, leur demandant avec douceur et bonté s’ils aiment Jésus, s’ils croient en Jésus, etc. Ses questions deviennent encore plus touchantes lorsque penché en avant et le dos courbé pour être à sa portée, il s’adresse à la toute petite fille. D’autres membres de l’Eglise baptiste exhortent les candidats au baptême. Puis on prie. Pendant ce temps, les gens arrivent peu à peu et la salle finit par se remplir. Alors commence la réunion de prière proprement dite.

D’après ce que j’entends, je comprends qu’à Cardiff même, du moins dans l’Eglise du Tabernacle, après avoir eu un temps de Réveil, on a dû subir une période de ralentissement, un abaissement de la température spirituelle. Mais la vague du Réveil semble revenir. Le pasteur fait allusion à la réunion de la veille au soir où il y eut cinq conversions. La réunion de ce soir est très intéressante. En somme, c’est un meeting qui présente bien les principales particularités des réunions galloises telles que les ont décrites les journaux. Mais c’est évidemment atténué, diminué, restreint. La spontanéité, l’élan, ont dû, d’après tout ce qu’on dit, être plus intenses autrefois. Il n’y a pas de prières simultanées, ni de prières et chants simultanés ; et le pasteur, sans présider formellement comme en France, préside effectivement, disant quelques mots çà et là, quand il y a un silence. Il y a eu plus d’exhortations que je ne m’y serais attendu, d’après ce qui m’avait été dit à Londres — beaucoup de témoignages, dont plusieurs rendus par des dames ou jeunes filles qui n’hésitaient pas à se lever et à venir se mettre devant les premiers rangs, face à l’auditoire, pour exhorter l’assemblée. Le chant est splendide, toujours en parties, et les chants vraiment gallois (car on fait quelques emprunts aux airs de Sankey qui paraissent de la bien petite musique à côté) sont magnifiques. J’ai entendu pour la première fois le fameux Couronnez-le Seigneur de tous ! (Crown Him Lord of all !) C’est admirable, avec des sortes d’enroulements en volute, de spirales fuguées…

Mardi 11 avril. — Par une pluie battante, je me rends de nouveau chez le Principal Edwards. Je suis d’abord reçu par ses deux filles, charmantes de simplicité. C’est émouvant de voir la lumière qui s’allume dans le regard et le sourire de l’aînée quand elle parle des conversions qui s’opèrent dans le Réveil. Le Principal me conseille, pour bien voir le Réveil, de ne pas me borner aux réunions ordinaires d’Eglises, mais de suivre quelques « services spéciaux », c’est-à-dire des réunions présidées par quelqu’un des jeunes revivalistes qui parcourent le pays. Mais il ne sait me dire où je pourrai les trouver. Nous compulsons vainement les journaux. Alors le Principal me conduit aux bureaux du journal le Western Mail pour recueillir des informations. On ne me conseille pas d’aller à Liverpool, parce que « ; les mouvements d’Evan Roberts sont toujours incertains », et il se pourrait qu’il partît juste au moment où j’arriverais. On me conseille d’établir mes quartiers généraux ici plutôt qu’à Pontypridd. Le représentant du Western Mail croit qu’il y a, dans le voisinage de Cardiff, des « services spéciaux », mais il n’est pas absolument sûr de l’endroit. Il me promet de télégraphier, de téléphoner pour moi, et me convoque cet après-midi à quatre heures pour recevoir le résultat de ses recherches.

Je rentre à mon hôtel, et me replonge dans la lecture des brochures et articles relatifs au Réveil gallois. En somme, je vois qu’actuellement il faut avoir du temps devant soi si on veut arriver à voir quelque chose et à se renseigner. Mais je suis content tout de même d’être venu.

A quatre heures, le représentant du Western Mail m’informe que Dan Roberts, le frère d’Evan Roberts, doit présider une série de réunions à Aberaman et à Aberdare, au nord de Cardiff et m’engage à partir tout de suite pour Aberaman. En sortant des bureaux du journal, je vais à la gare prendre mon billet.

J’ai la chance d’arriver à la chapelle d’Aberaman avant le commencement de la réunion et d’avoir une très bonne place, dans l’aile, la première place au coin d’un banc. J’ai à ma gauche le couloir et, à ma droite, une jeune fille de 14 à 16 ans, puis une petite fille de 12 à 13 ans. Le service commence par des chants spontanés successivement entonnés par l’assemblée. Pendant qu’on chante, Dan Roberts, suivi de deux demoiselles revivalistes arrive sans bruit et très rapidement dans la salle. Les demoiselles s’assoient au Set Fawr. Dan Roberts monte dans la chaire, espèce de tribune avec un grand fauteuil confortable, une table-pupitre garnie d’un coussin sur lequel repose la Bible. Il s’assied dans le fauteuil sans regarder l’assemblée ; les yeux fermés, il prie. Ses lèvres remuent. Il s’essuie le front et la figure avec un grand mouchoir rouge qu’il tire de la poche intérieure de son veston. Les chants continuent. Les assistants arrivent toujours plus nombreux. On va chercher dans la sacristie des bancs mobiles qu’on installe en travers dans les couloirs ; ils sont tout de suite garnis, et me voilà bloqué dans mon banc. Que ferai-je si la réunion se prolonge au delà de l’heure du dernier train pour Cardiff ? Pas moyen de bouger. Le pasteur de l’endroit se lève, dit quelques mots de bienvenue à Dan Roberts en gallois. Puis il ajoute en anglais : « Nous avons parmi nous ce soir des étrangers, des dames de Londres. Ne soyons pas égoïstes. Employons alternativement le gallois et l’anglais, dans la mesure où nous le pourrons tout en restant dociles aux suggestions du Saint-Esprit. Je rends grâce aux dames de Londres dont la présence me vaudra, j’espère, quelques allocutions ou prières en anglais. Les chants et les prières continuent. De temps en temps, Dan Roberts se lève. Il se penche sur le pupitre, bat la mesure pour donner plus de vigueur au chant, ou bien ferme les yeux ; ses lèvres remuent, on voit qu’il prie. Les trois premiers quarts d’heure se passent en chants et prières (tantôt gallois, tantôt anglais), sans que Dan Roberts intervienne autrement. Ensuite il fait une brève allocution, en gallois malheureusement. Très calme, très sérieux, avec très peu de gestes, il semble interroger la congrégation. Un peu plus tard dans la soirée, il entreprend d’éprouver (to test) le meeting. Mais il n’y apporte pas l’insistance indiscrète de Torrey. Il le fait en gallois, et je ne comprends pas bien. A un moment, je vois que mes petites voisines lèvent la main. Ne comprenant pas, je reste tranquille. Au bout d’un moment, cependant, je demande à mes petites voisines : « Pourquoi levez-vous la main ? Qu’est-ce qu’il a dit ? — Il a demandé à ceux qui croient en Jésus-Christ de lever la main. Alors je la lève moi aussi, pour rendre mon témoignage. » La réunion se prolonge si tard que je ne puis attraper que le dernier train qui me fait rentrer à Cardiff à minuit. Je traverse la ville déserte et silencieuse pour rentrer à mon hôtel qui n’est lui, hélas ! ni désert ni silencieux : c’est un vacarme qui dure toute la nuit. A deux heures du matin, je suis réveillé en sursaut par des gens qui descendent en courant pesamment et rapidement l’escalier. J’aperçois de la lumière à travers les fentes de la porte, et me lève précipitamment croyant à quelque incendie. Mais non !… le feu n’était nulle part. Tâchons de nous rendormir !

Mercredi 12 avril. — Je repars le matin de très bonne heure de Cardiff pour Aberaman, après une nuit plutôt incomplète. En débarquant à Aberaman, j’aperçois, dans un endroit où en France on n’a guère, hélas ! l’habitude de trouver des inscriptions pieuses, des phrases dans ce genre :

passerez-vous votre éternité ? (Where will you spend your eternity ?)

Préparez-vous à rencontrer Dieu (Prépare to meet with God).

Dieu est amour (God is love).

Je me rends à la chapelle d’hier soir, croyant que la réunion de ce matin doit y avoir lieu encore. La chapelle est fermée. J’interroge une dame qui passe. Elle m’informe que le meeting de ce matin doit se tenir à Saron Chapel. Je reviens sur mes pas, et à force de chercher, je découvre Saron Chapel. Quelques dames sont debout devant la porte qui n’est pas encore ouverte. Elles me confirment que c’est bien là, en effet, et elles ajoutent que le ministre de la chapelle est dans la rue à côté (Saron Chapel est à l’angle de deux rues). Je vais me présenter au ministre, et lui décline mes noms et qualités. Nous avons une petite conversation. Il me regarde d’un œil scrutateur, étonné évidemment de me voir là, se demandant si je suis sérieux ou si je suis un curieux, un dilettante, un critique. La chapelle s’ouvre. J’entre le premier, et je m’assieds au fond. Pour employer le temps de l’attente, je me mets à écrire des cartes postales. Au bout de quelques instants, le pasteur vient me chercher, me fait asseoir sur le devant, et me dit : « Tout à l’heure, vous m’avez dit que vous étiez venu de France au Pays de Galles pour voir le Réveil ; eh bien ! il n’y a rien à voir ici (there is nothing to be seen) ; il y a quelque chose à sentir, ou plutôt et mieux il y a quelque chose à expérimenter (something to be experienced). Dans le cours de la conversation, il me demande de dire quelques mots pendant la réunion de prière. La demande me prend tout à fait par surprise. Le pasteur presbytérien que j’avais vu à Londres, retour du Pays de Galles, m’avait affirmé que jamais personne ne me demanderait de parler : « Si vous voulez parler, m’avait-il dit, on vous écoutera avec courtoisie ; mais on ne vous invitera pas à parler ou à prier ; on estime que c’est au Saint-Esprit à faire intérieurement à chacun de semblables invitations, et on considère chaque personne qui ouvre la bouche comme mue par le Saint-Esprit. » Grand est donc mon étonnement de me voir invité, par le pasteur gallois d’Aberaman, à participer à la réunion. « Parlez, me dit-il, soit en gallois, soit en anglais, soit en français. » — En gallois, je ne puis, et pour cause. En français ? cela ne me sourit pas, quoique, après tout, ce serait rendre aux Gallois la monnaie de leur pièce : ils parlent bien devant moi, pendant des heures, leur gallois que je ne comprends pas, ils pourraient bien supporter à leur tour quelques minutes de français. Tout de même, je ne m’y sens guère porté. Reste l’anglais. « Mais comment voulez-vous que je fasse un discours en anglais ? Vous voyez vous-même comment je le parle. — « Cela ne fait rien, réplique mon pasteur qui m’exhorte à mettre de côté tout amour-propre, à oublier le moi, le self, et à ouvrir tout simplement mon âme à l’Esprit en ne pensant qu’à la gloire du Christ et au salut des âmes. — Cependant la réunion va commencer, les assistants sont arrivés et arrivent. Le pasteur prononce quelques mots pour m’introduire. Puis il fait faire la lecture de la Bible par une petite fille. Il tâche de lui persuader de lire la Bible anglaise par égard pour le visiteur étranger. Mais la petite fille n’est à son aise que dans le gallois. Alors le pasteur me met en main une Bible anglaise en m’indiquant le chapitre que la petite fille lit en gallois. C’est la parabole de l’enfant prodigue. La petite fille fait ensuite une très longue prière. Il paraît quelle prie d’une manière tout à fait remarquable, avec une facilité et une abondance extraordinaire chez une enfant de cet âge. Malheureusement, c’est en gallois, et je ne puis juger que de la longueur, de l’abondance et de la facilité. Après sa prière, on chante, on prie pendant assez longtemps. Je profite d’un petit intervalle de silence pour me lancer moi-même. J’avais bien un peu peur de m’embrouiller dans les thou et les thee que je n’ai guère l’habitude de pratiquer. Mais j’ai pensé : en faisant les phrases très courtes et en ne redoutant pas les banalités, cela pourra peut-être aller. Effectivement, j’ai pu aller jusqu’au bout, aidé par la sympathie de l’assistance. C’est une sensation toute particulière que de prier en étant interrompu tout le temps ou plutôt accompagné par des : Amen ! Bravo ! Ah ! Oui ! etc. On se sent tellement encouragé, soutenu ; on a si bien l’impression que ceux qui sont là pensent aux choses dites sans s’arrêter à la manière dont on les dit qu’on n’a vraiment aucune peine à suivre les conseils de mon pasteur, à s’élever au-dessus de toute préoccupation de soi-même et à s’absorber dans la contemplation des réalités invisibles. Encore quelques prières, quelques témoignages : il semble que ma prière a redonné comme un nouvel élan à la réunion qui est repartie de plus belle. Et moi, j’écoute, tranquille et joyeux, le cœur bien au large, j’ai payé mon écot, on ne me demandera plus rien, je n’ai qu’à recevoir, je n’ai plus à donner, et ce rôle me convient infiniment mieux à tous égards. Mais tout à coup, à ma grande surprise, le pasteur se tourne vers moi et me demande de dire quelques mots sur mon pays ; il a été frappé de ce que j’ai dit dans ma prière, que nous avions nos difficultés en France ; il me demande de dire lesquelles. Pas moyen de se dérober. Je m’exécute, le moins mal que je puis. Je suis écouté avec beaucoup de sympathie et d’intérêt ; je comprends très bien que ce n’est ni mon individu, ni mes paroles qui provoquent cette sympathie et cet intérêt, mais c’est le simple fait que je suis un étranger, que j’ai fait un long voyage, que je suis venu là pour m’édifier avec eux, pour me plonger dans leur atmosphère spirituelle et emporter « une étincelle de leur feu ». Ils ne rient pas des innombrables fautes de langage que je commets ; ils ne songent qu’à s’édifier, et prennent tout en bonne part. Plusieurs, après moi, font des allocutions et des prières, et me remercient et promettent de prier pour la France et pour moi, et tiennent déjà leur promesse. Une dame fait une très gentille allocution, bien supérieure à la mienne à tous les points de vue. Elle raconte qu’elle ne voulait pas venir ce matin à la réunion, parce qu’elle était un peu fatiguée. Elle avait peur que « cela nuisît à sa santé ». Mais sa petite fille lui a adressé des reproches bien sentis : « Comment ! vous ne voulez pas aller à la réunion, alors qu’il y a des dames anglaises qui sont venues de Londres tout exprès pour aller au meeting ! Quelle honte ! Et comment oserez-vous regarder en face le Seigneur Jésus, si vous n’allez pas à la réunion ce matin ! A l’ouïe de ces reproches, la dame s’est sentie reprise dans sa conscience, et elle s’est décidée à venir. Et elle est bien heureuse d’être venue. Ah ! il faudrait toujours venir, car aucune de ces réunions ne ressemble tout à fait aux autres, chacune a son cachet spécial. Ainsi ce matin elle a pu voir et entendre ce gentleman venu de France, et elle s’est sentie fortifiée, et cela a ajouté quelque chose à sa foi. Puis elle raconte très joliment quelques anecdotes et termine par une formule de clôture qui me rappelle le titre d’un petit volume de Rudyard Kiplingc  : « Quelques mots comme çà ! » (a few words like that !) Quand tout le monde a prié et parlé, le ministre prononce quelques mots en terminant, et il résume son impression sur mon compte par ce jugement dont je suis très touché : « C’est un homme honnête et sincère ; c’est un homme ouvert ; il n’est pas venu par curiosité pour critiquer le Réveil. Il attrapera le feu pour le remporter en France. » Et puis il a prié et exhorté à prier pour moi et pour la France.

cStories like that. Histoires comme çà.

La réunion terminée, le pasteur s’excuse auprès de moi de ne pas me recevoir chez lui. Sa maison est remplie. C’est lui qui reçoit les demoiselles revivalistes : Miss Jones et Miss Maggie Davies. Dan Roberts, lui, n’est pas à Aberaman ; il loge dans les environs. Mais le pasteur me présente à un autre ministre présent à la réunion, un pasteur méthodiste calviniste, qui me prend chez lui pour les repas. Je dois le déranger terriblement lui et sa femme, car ils sont en train de déménager et ne sont encore qu’à moitié installés dans leur nouveau logis. Mais ils me reçoivent avec une bonté, une cordialité qui me touchent profondément. Dans la seule pièce qui soit pour le moment tout à fait rangée, la cuisine, qui sert de salle à manger, la femme du pasteur fait cuire des saucisses, prépare le thé, puis m’invite à prendre place en me disant que je suis le bienvenu, et me demande de faire la prière pour bénir la table.

Après le repas, pendant que sa femme continue son déménagement, le pasteur m’accompagne à la réunion de l’après-midi. C’est dans une Eglise baptiste. Mais il se trouve qu’il n’y a là aucun pasteur baptiste. En fait de pasteur, il n’y a que mon hôte, le méthodiste. Un laïque lui demande d’ouvrir le meeting. La réunion, plus nombreuse que le matin, est très animée et très variée. On y emploie beaucoup le gallois. Vers la fin, le pasteur me demande à voix basse si je ne veux pas parler, et je me récuse. Il me semble que, pour un jour, j’en ai assez fait ! Mais peu après un laïque se lève dans l’assemblée. M’a-t-il entendu le matin ou a-t-il simplement entendu dire que j’ai parlé ? Je ne sais. Mais il me demande de dire quelques mots, et le pasteur se retourne vers moi, de l’air de dire : « Vous voyez bien, vous ne pouvez refuser ; il faut y aller. C’était un peu embarrassant, car j’avais vidé mon sac le matin, je ne voulais pas me répéter — en quoi j’avais peut-être tort — et je ne savais trop comment trouver, et exprimer sur l’heure, en anglais, des choses nouvelles. Mais avec de pareils auditoires on s’en tire toujours. C’est véritablement touchant de voir la bonté et la fraternité de tous ces braves gens.

Rentrés chez le pasteur méthodiste pour prendre le thé, nous faisons ensuite de la musique galloise. La femme du pasteur me montre quelques chants gallois favoris, et je joue plusieurs hymnes sur son piano — pas mauvais du tout.

Nous repartons pour la réunion du soir — la grande, car les réunions de la journée n’étaient que de petites réunions sans le concours des jeunes revivalistes. Ceux-ci n’assistent qu’à la réunion du soir. C’était assez loin, et tout en haut d’Aberaman. La réunion était déjà ouverte quand nous arrivons, et la petite fille, qui avait fait la lecture de la Bible et la prière à la réunion du matin, était là, en train de lire la Bible. Dan Roberts et les « ladies revivalists » n’étaient pas encore arrivés. Ils n’arrivent jamais pour ouvrir la réunion. Ils se glissent tout à coup en chaire, quand la réunion est déjà en train. Dan Roberts et Miss Davies sont entrés pendant qu’on chantait, après la lecture de la Bible. Puis la petite fille a fait une très longue, une interminable prière : c’est un peu son défaut — sensible surtout pour un étranger comme moi — quand elle est partie, il n’y a plus moyen de l’arrêter ; car elle semble perdre toute notion du temps et de l’espace. Quand la prière est terminée et que je lève les yeux, l’autre demoiselle revivaliste, Miss Jones, est en chaire à côté de Dan Roberts et de Miss Davies.

Il y a foule — une foule énorme. Les corridors sont remplis de gens debout, il y en a sur les marches des escaliers, sur la rampe, etc. Aussi le pasteur de la chapelle déclare-t-il qu’il y a une autre chapelle ouverte pour un overflow meeting (une réunion supplémentaire), et le pasteur congrégationaliste, hôte des dames revivalistes, quitte la chapelle pour aller au meeting supplémentaire.

La réunion de ce soir est peut-être un peu inférieure à celle de la veille au soir. C’est du moins l’opinion de mes hôtes. Je suis aussi de cet avis, quoique pour des raisons différentes : il y a ce soir moins d’anglais que hier, presque tout se fait en gallois. Le pasteur de l’endroit, averti que je suis étranger, a la bonté de me chercher les cantiques avec leur traduction anglaise et de me les mettre sous les yeux pour que je puisse suivre. Au cours de la réunion, après une explosion de cinq à six prières spontanées, avec réponses ferventes de l’assemblée (c’étaient des prières de gens se convertissant dans l’assemblée au milieu de leurs propres prières), Miss Maggie Davies entonne d’une voix douce et vraiment angélique, le cantique de Newman (Lead, Kindly light) avec la mélodie appelée Sandon. Ce cantique est parfois chanté, du moins dans l’Eglise anglicane, sur une autre musique. La mélodie Sandon n’était pas celle que je préférais à Montauban. J’aimais mieux la mélodie de Sullivan. Mais, si la mélodie de Sullivan est peut-être plus belle comme musique — et encore on peut discuter — la mélodie appelée Sandon s’adapte mieux en tous cas aux paroles et au sens. Le Chant de Miss Maggie Davies répondait si bien à l’état d’âme général, il était si merveilleusement exécuté, avec une telle profondeur de sentiment chrétien, et puis l’assemblée elle-même s’est mise à le chanter à demi-voix avec une émotion contenue si intense, que j’en étais tout remué et qu’encore à présent, quand j’écris ces lignes, les larmes me montent aux yeux et m’empêchent de distinguer les lettres que j’écris…

A la fin de la réunion, comme l’heure avance et comme je songe au départ, je vois un laïque se pencher à l’oreille du pasteur de la chapelle où nous sommes ; il doit lui raconter que j’ai parlé le matin et l’après-midi, car le pasteur se penche à son tour vers moi pour me demander de dire quelques mots (just a few words). Après m’être un peu défendu, je finis par accepter. Mais je n’ai pas envie de lutter de la voix avec d’autres, et le silence ne se fait pas. La petite fille qui a lu la Bible et prié au début des deux réunions (celle du matin et celle de ce soir) est encore en train de prier. Je ne puis songer à l’arrêter. Dan Roberts, auquel nul n’a proposé de me donner la parole — et d’ailleurs je ne crois pas que ce fût dans ses principes de donner la parole à qui que ce fût — Dan Roberts n’a pas la patience d’attendre la fin de la prière de la petite fille, et il se met à prier à haute voix pour son compte. Après quoi, il donne la bénédiction, met son pardessus, et les gens s’en vont — et moi aussi, avec mon petit speech… je ne puis pas dire rentré, car, réellement, je ne savais au monde ce qui allait bien pouvoir sortir…

Au moment où je vais prendre mon pardessus et mon chapeau remisés quelque part près de l’escalier qui monte à la chaire, Miss Jones descend de la chaire, vient à moi, me tend spontanément la main ; elle a l’air très frappée de voir un étranger qui a fait un si long voyage pour venir assister aux réunions galloises ; il y a à la fois de la joie, de la curiosité, et un peu de commisération dans les impressions que je lui procure. Je ne crois pas, d’ailleurs, qu’elle ait rencontré encore beaucoup de Français dans ses pérégrinations. Je lui donne ma carte de visite en souvenir de notre rencontre. Je touche aussi la main à Miss Maggie Davies, la sœur de Miss Annie Davies qui accompagne Evan Roberts, puis à Dan Roberts qui tient longtemps et affectueusement ma main dans les siennes : je me rappelle alors la parole d’Evan Roberts qui a dit un jour que c’était le Saint-Esprit qui lui avait appris à toucher la main et à sourire… Dan Roberts m’exprime sa certitude que le Réveil va s’étendre et gagner la France et le monde. Miss Jones me confirme qu’ils vont demain à Aberdare. Je compte les y trouver, et leur dis au revoir.

Le pasteur méthodiste et sa femme me reconduisent jusqu’à la station où je prends encore le dernier train qui me ramène à minuit à Cardiff. A Cardiff, une mission revivaliste a commencé sous la direction de Sidney Evans et de Jenkins. Je pense y aller dans quelques jours ; j’ai le temps, puisque la mission doit durer une semaine. Puisque je compte revenir à Cardiff, je garde ici mes quartiers généraux. Je suis décidément très content d’être venu, et reconnaissant d’avoir été tout de suite si bien dirigé par le représentant du Western Mail. La parole de mon ami de Londres est vraie : « Je n’ai jamais rien vu de pareil ! » (I never saw anything like that !) Et encore mon ami en a-t-il vu moins que moi. Il n’a vu que les meetings ordinaires qui se tiennent tous les soirs depuis cinq ou six mois dans la plupart des Eglises ; il n’a pas vu les grandes réunions revivalistes, sur le terrain de l’alliance évangélique, présidées par Dan Roberts, Sidney Evans, les ladies revivalistes. Et ce sont là deux genres un peu différents de réunions, quoique la différence soit plutôt de degré que de nature.

Jeudi, 13 avril. — Après m’être un peu reposé le matin et avoir mis mes notes en ordre, je pars l’après-midi pour Aberdare afin d’aller ensuite à la réunion du soir. Je constate l’exactitude du jugement de Reclus : « Aberdare, les villes avoisinantes et les villages d’usines qui se succèdent dans la vallée de la Taff jusqu’à Cardiff, sont de celles que leur laideur et leur vulgarité rendent le plus déplaisantes à voir. Mais je ne ne suis pas ici en touriste… Quand j’arrive à Aberdare, je parcours un peu la ville pour me familiariser avec la localité. Je réussis, à ma grande satisfaction, à trouver un hôtel de tempérance. On m’a bien recommandé, pour éviter de scandaliser les gens, de ne jamais entrer sous aucun prétexte dans un cabaret ou une maison quelconque où se ferait la vente de la bière et des spiritueux. Dans mon hôtel de tempérance, je trouve trois étudiants, dont un Hollandais, venus comme moi pour assister à la réunion. Je me fais indiquer avec précision la chapelle où elle doit se tenir, et j’arrive un des premiers. Il y a encore si peu de monde qu’on n’a pas même commencé de chanter. Je suis muni d’une excellente place au parquet (Set Fawr), en qualité d’étranger.

La réunion commence à six heures et demie. Elle se prolonge très tard. Je quitte la chapelle à onze heures moins vingt-cinq, parce que mon train m’appelle à la gare, si je veux rentrer le soir à Cardiff. Mais la réunion n’a pas l’air près de finir. Si je m’en vais, d’ailleurs, ce n’est pas que je sois fatigué. Ce meeting de quatre heures n’a pas été fatigant. Il y a tant d’imprévu, tant de variété, tant de vie, de spontanéité, de ferveur ! En partant, je quitte le Set Fawr pour me rendre à la sacristie et sortir par la porte de derrière ; en passant près de la chaire, je regarde du côté des demoiselles Jones et Davies qui me font un petit signe de tête amical… Ces revivalistes paraissent plongés dans leurs prières ou leurs extases. Mais ils ne perdent rien de ce qui se fait autour d’eux dans la chapelle.

Vendredi, 14 avril. — Regrettant d’avoir été obligé la veille de partir avant la fin de la réunion et de n’avoir pu causer avec Miss Jones, je prends le train de dix heures quarante du matin à Cardiff et arrive à Aberdare vers midi. Je me mets en quête du nom et de l’adresse de la personne chez qui logent les demoiselles revivalistes. Je vais d’abord au post office, où l’on ne sait pas me renseigner directement ; mais on m’indique la maison d’un épicier qui est un diacre de l’Eglise où l’on doit se réunir ce soir (Eglise de Nazareth) ; lui pourra sans doute me donner l’information désirée. Il se trouve qu’il y a dans la rue deux épiciers très voisins. Je me trompe, naturellement, et entre chez le confrère du diacre que je cherche. Nous nous expliquons… lorsque, voyant passer un jeune homme sur le trottoir, l’épicier me dit : « Tenez, voilà le fils du diacre que vous demandez. » Il hèle le jeune homme qui, dès les premiers mots, me dit avec un joyeux sourire : « Vous êtes un frère, n’est-ce pas ? » et il me tend cordialement la main. Son père me donne l’adresse de Mr. Mills, l’hôte des demoiselles revivalistes, et je repars. Je trouve la maison, non sans peine. Je sonne, et demande Miss Jones. On m’introduit dans le petit salon où se trouve Miss Davies et quelques personnes. Puis, successivement arrive Mr. Mills, un vénérable vieillard, puis sa fille, puis enfin Miss Jones. Je consulte cette assemblée galloise sur l’emploi de mon temps. On me conseille, quand j’irai au Nord du Pays de Galles, de visiter Wrexham. On n’a pas l’air, d’ailleurs, d’avoir beaucoup de notions sur ce qui se passe exactement dans le Nord. Mais on m’engage très fortement, puisque je veux voir le Réveil, à aller « à la source » (expression de Miss Jones) c’est-à-dire auprès d’Evan Roberts qui est encore pour quelques jours à Liverpool. Tous sont dans l’admiration d’Evan Roberts, l’homme envoyé par Dieu, le Revivaliste. Evan Roberts est le favori. On regarde Dan tout au plus comme son Elisée sur lequel Evan a jeté son manteau. On accroît ainsi en moi le désir de voir et d’entendre Evan Roberts. Décidément je crois que je partirai demain matin pour Liverpool. La fille de Mr. Mills me retient à dîner, et m’invite à revenir chez elle prendre le thé entre les deux réunions (celle de l’après-midi et celle du soir). Elle m’offre même de me faire coucher, si je veux passer la nuit à Aberdare, mais je trouve préférable de rentrer ce soir à Cardiff, puisque je compte partir demain matin pour Liverpool. D’ailleurs Dan Roberts et les demoiselles revivalistes n’ont pas de programme pour l’emploi de leur temps après Aberdare. Ils sont fort pris : depuis cinq mois, sauf une quinzaine de jours, tous les soirs ils tiennent des réunions. Et « vous savez, dit Miss Jones, Dan Roberts n’est pas très fort (is not very strong). Probablement Dan Roberts ira se reposer chez lui ; et elles ne savent pas ce qu’elles feront, elles iront peut-être elles aussi se reposer dans leur famille. Je n’ai donc qu’à les quitter et à partir pour Liverpool. Il est bien vrai qu’en quittant le Sud du Pays de Galles, je manque les réunions de Sidney Evans et Jenkins à Cardiff. Mais que faire ? on ne peut tout avoir ni tout voir. Ce serait tout de même dommage de manquer ’ complètement Evan Roberts.

Après le dîner, je pars tout seul pour la réunion. Miss Davies reste à la maison pour se reposer. Miss Jones va faire des commissions avec la fille de Mr. Mills. On m’indique la chapelle où a lieu le meeting. Lorsque j’entre dans l’Eglise, pas encore très pleine, un diacre assis au Set Fawr me fait signe de m’approcher et je vais m’asseoir derrière lui. « Vous êtes un étranger ? me dit-il. Je lui décline mes noms et qualités, et il me demande de parler dans la réunion. Accepté. Ce sont des choses qu’on ne peut refuser ici. Le meeting suit son cours, intéressant, nourri, émouvant. Vers la fin, le diacre se lève, et en terminant son allocution, je comprends qu’il parle de moi, parce qu’il prononce dans son discours gallois un mot qui ressemble plus ou moins à Frank ou France, et il me regarde en parlant. Quand il s’arrête en me faisant signe, je lui dis — car dans ces réunions tout se passe en famille — : « Qu’est-ce que vous avez dit de moi ? — Et il me réplique en anglais : « Oh ! nous n’allons pas vous traduire ce que je viens de dire sur vous. Voulez-vous seulement dire vous-même quelques mots ? Je fais alors mon petit speech. C’est même le mieux réussi de tous ceux que j’ai faits ces jours-ci. Lorsque dans mon allocution je suis amené à dire : « Je regrette de ne pas comprendre votre langage gallois. Mais il y a quelques mots que je commence à comprendre : Arglwydd, achub, Bendigeddig, Diolch iddo… », rassemblée prompte à saisir les allusions entonne de tout son cœur le Diolch iddo, puis un autre cantique auquel j’ai fait allusion ; je reste paisiblement debout, écoutant avec délices ce torrent musical, et je reprends immédiatement après mon petit speech interrompu. Après mon allocution, le fameux comique Quenton Ashlyn, converti par la mission Torrey, raconte sa conversion. Nos deux allocutions provoquent d’autres allocutions et prières de la part des auditeurs gallois. Une dame, les yeux brillants d’un éclat concentré et profond, insiste sur le changement opéré au Pays de Galles par le Réveil, sur l’impossibilité de traduire en langage ce qu’elle ressent « Avant le Réveil, sans doute, nous croyions ceci… et nous croyions cela… nous le croyions, naturellement, et nous jouissions d’être assis dans nos bancs à l’Eglise… et nous ne faisions rien. Maintenant nous en sommes venus à réaliser tout cela. C’est là la différence. »

Je retourne chez Mr. Mills pour prendre le thé. J’apprends que M lles Jones et Maggie Davies viennent de se décider à partir pour l’Ecosse quand la mission d’Aberdare sera terminée. Dan Roberts les laissant libres de leurs mouvements, elles se sont enfermées dans leur chambre, ont causé, prié et ont arrêté leur résolution. Un habitant d’Aberdare auquel j’avais dû céder le matin, sur ses instantes requêtes, l’épreuve que j’avais sur moi du cantique gallois (Dymagariad) traduit en français par M. Saillens (Torrents d’amour et de grâce), vient faire une petite visite. Il me raconte qu’il a dû donner l’épreuve en question à Dan Roberts, parce qu’ayant eu l’imprudence de la lui montrer, il s’est vu supplier par Dan Roberts d’une façon si pressante qu’il n’a pu faire autrement que de lui en faire cadeau. Pour le consoler, je lui promets, quand je serai rentré en France, de lui envoyer un autre exemplaire. Mr. Jones — car il porte, lui aussi, ce nom si répandu au Pays de Galles — me dit qu’il a vu cet après-midi un représentant du Western Mail, un M. Davies, qui serait bien aise de me voir. Il me propose de m’y conduire avant la réunion, ce que j’accepte. Mais, chemin faisant, il me dit : « Je crois que Mr. Davies voudrait vous prendre une interview. » — Une interview ! Ça ne me sourit pas énormément ; je suis ici pour interviewer et non pour être interviewé. Et si je lâche quelque mot malencontreux que le Western Mail aille reproduire, et qui me suive et m’embarrasse dans mes tournées !… Quelques instants après, revenant sur le don du cantique qu’il a dû faire à Dan Roberts, Mr. Jones ajoute : « Dan Roberts me disait cet après-midi qu’il aimerait bien vous voir. » — « Oh ! ai-je répliqué tout de suite, je n’ai pas essayé d’aller le voir parce que je craignais d’être indiscret et de le fatiguer ; mais je serais très heureux de passer encore quelques instants avec lui. » Je lâche le représentant du Western Mail et son interview, — et je me fais conduire chez Dan Roberts, où, après quelques instants de causerie, on chante en parties avec un pasteur et sa femme, un missionnaire et sa femme qui se trouvent là, les beaux cantiques gallois. Nous allons au meeting avec Dan Roberts. La réunion a dû commencer déjà depuis un bon moment. Mais il y a place dans le Set Fawr. C’est une des plus belles réunions auxquelles j’ai assisté. A côté de moi, bien souvent dans la soirée, j’ai vu des larmes silencieuses couler le long des joues ou remplir les yeux des femmes et des jeunes filles en écoutant des prières ferventes. Un pasteur-missionnaire à côté de moi me disait de temps à autre, les yeux tout brillants et tout humides : « Oh ! quelle belle prière ! Comme il prie, comme elle prie merveilleusement ! Quelques-unes de ces prières, pas assez malheureusement, ont été en anglais ; elles étaient belles, en effet, touchantes de simplicité, et pourtant j’avais l’impression très nette que les prières en langue galloise devaient être infiniment supérieures.

Vers la fin de la réunion, vient un moment où lorsqu’on a fini de presser les gens de se convertir ou de louer Dieu pour les conversions opérées, Dan Roberts invite ceux qui appartiennent à Christ à rendre leur témoignage, s’ils s’y sentent poussés. Alors le pasteur de la chapelle monte en chaire à côté de Dan Roberts, mentionne le fait qu’il y a là un gentleman venu de France et un missionnaire venu… je ne sais trop d’où, et il nous invite à « exprimer nos sentiments (to express our feelings). Il faut s’exécuter. Je parle d’abord, le missionnaire ensuite. Mais le missionnaire a ce grand avantage qu’il sait le gallois. Je comprends qu’il parle de moi, car les gens dans le Set Fawr me regardent en souriant, et Miss Davies du haut de la chaire me regarde et sourit. Un voisin obligeant veut bien me dire que le missionnaire raconte comme quoi lui et sa femme ont fait le voyage avec moi dans le même compartiment depuis Londres (Paddington) jusqu’à Cardiff, il y a quelques jours, et nous ne nous doutions ni les uns ni les autres que nous allions voir la même chose et que nous poursuivions un but commun…

Dès que le missionnaire a terminé son allocution, je me lève pour m’éclipser. Il ne n’agit pas de manquer le dernier train pour Cardiff ! Mais la dame chez laquelle loge Dan Roberts m’arrête au passage, et me dit que, si je désire rester, il y a là une lady qui pourra me donner une chambre. Je me laisse décider, et je regagne ma place. J’étais attristé de partir sans avoir pu serrer la main à Dan Roberts et aux demoiselles revivalistes. Je trouverai bien moyen, demain matin, d’attraper quelque train rapide pour Liverpool.

Le meeting se prolonge après onze heures. Et nous nous retirons encore assez tard après, nous étant arrêtés à causer un grand moment dans la chapelle. Miss Jones me prédit un grand Réveil en France : « Evan Roberts lui-même l’a prophétisé, et vous savez, ses prédictions ont jusqu’ici toujours été vérifiées. Je dis adieu à Miss Davies et à Miss Jones, laquelle me confesse « avoir un peu mal à la tête. Le ministre qui m’a donné la parole dans la réunion, me prend affectueusement sous le bras, me serrant d’une étreinte fraternelle et cordiale. Je lui exprime avec enthousiasme mon admiration pour les chants gallois qui m’ont rempli d’une émotion dont je vibre encore. « Voyez-vous, m’explique-t-il, c’est que nous autres Gallois, nous chantons avec notre cœur ! » A une bifurcation, nous nous séparons, Dan Roberts me disant quelque chose qui ressemble à no star. Je lève les yeux, le ciel est très pur et très étoilé. Je confesse que je ne comprends pas. Mais il m’explique qu’il n’a voulu faire aucune allusion aux étoiles, et que les mots qu’il a prononcés sont gallois et signifient : bonne nuit ! Les mineurs chez lesquels je suis reçu m’accueillent très affectueusement, me font manger, coucher, déjeuner.

Samedi, 15 avril. — Le matin, de bonne heure, je rentre à Cardiff. En trente-quatre minutes, j’accomplis le tour de force qui serait impossible en France d’aller de la gare à mon hôtel, d’empaqueter mes affaires, de boucler ma valise, de payer ma note, de courir à l’autre gare, et d’attraper le train pour Liverpool.

Comme je raconterai tout au long mon séjour à Liverpool dans le chapitre sur Evan Roberts, je me borne à en marquer ici la place. Le samedi soir, j’assiste au premier meeting d’Evan Roberts.

Le dimanche, 16 avril, j’entends deux prédications d’Ian Maclaren (le Dr. Watson).

Le lundi, 17 avril, seconde réunion d’Evan Roberts, à Birkenhead.

Du mardi 18 avril au jeudi 20 avril, visite à un pasteur méthodiste, de mes amis, à Bradford.

Jeudi, 20 avril, veille du Vendredi-Saint. — Je pars de Bradford à 11 h. 10 du matin, m’arrête en passant à Chester, très jolie ville du moyen âge, avec de vieilles maisons bien conservées et de curieux remparts dont je fais le tour sur une sorte de trottoir à hauteur de premier étage. J’arrive dans le Nord-Galles, appelé communément Gwynedd, et m’arrête à Wrexham. J’y suis dans l’après-midi, mets ma valise à la consigne, et pars à la recherche d’un pasteur wesleyen pour lequel j’ai une lettre de recommandation. La fille du pasteur, de 14 à 15 ans, m’ouvre la porte, et m’annonce que son père est sorti et ne rentrera que très tard dans la soirée ; je pourrai le voir demain malin à 9 heures. Oui, mais je n’ai pas le temps d’attendre. Mes minutes sont comptées. Il faut que je tire parti de toutes mes secondes. Je demande la femme du pasteur. « Ma mère est occupée » (engaged) réplique la jeune fille… Décidément cela se gâte. J’implore de la jeune fille un renseignement : ne pourrait-elle pas me dire s’il n’y a pas ce soir quelque réunion de Réveil quelque part ? — Elle ne sait pas. — Et sa mère, est-ce qu’elle ne sait pas, elle aussi ? — Elle va interroger sa mère, et rapporte une réponse négative. Elle me conseille de « m’en-quérir ». — Hélas ! c’est justement ce que je fais, et pour le moment cela ne me réussit guère ! — Elle m’indique, pour se débarrasser de moi, un avocat que je trouverai eu tournant à droite, puis encore à gauche, puis de nouveau à droite, dans une maison de telle apparence… Je me mets en route. Impossible de dénicher l’avocat. Je déambule dans les rues en broyant du noir. Ce sont des instants où il fait mauvais être seul ; à deux, on plaisanterait, on rirait, on se redonnerait du cœur, mais quand on est seul dans une ville étrangère et qu’on n’aboutit pas, et qu’on voit l’après-midi s’avancer, et qu’on se dit : il y aura probablement quelque chose de très bien ce soir, mais je n’arriverai pas à découvrir où et cela se fera sans moi, on devient tout à fait mélancolique. Je regarde ma montre, je me désespère, je me demande si j’ai bien fait de venir à Wrexham. Wrexham est bien, comme le dit mon guide, une ville d’origine saxonne, quoique située dans le Pays de Galles, une ville anglaise. Pas moyen de rentrer en contact avec les Gallois ! Où sont les Gallois ? Si je retournais à la gare prendre le train le plus prochain pour Cardiff ? Heureusement l’idée très simple me vient d’entrer dans une boutique de libraire, où je vois affiché le portrait d’Evan Roberts, pour demander des cartes postales illustrées — et des renseignements. Le libraire ne sait trop que me dire, mais il m’assure que dans une boutique située dans la même rue à quelques pas, de l’autre côté, on pourra me fixer. Je n’entends pas très bien la désignation de la boutique en question, et-prenant un nom commun estropié pour un nom propre je cherche partout la boutique de M. ou de Mme Kami ( ? ?) Impossible, et pour cause, d’aboutir. Navré, je reviens à mon libraire et je lui dis : « Ayez pitié de moi, je suis un étranger, je ne trouve pas la boutique que vous avez eu la bonté de m’indiquer ; tenez, voici un crayon et du papier, ayez l’obligeance de m’écrire le nom et l’adresse. » — « Mais c’est tout près et bien facile, me dit-il, c’est la boutique du pharmacien (chemist) que vous pouvez apercevoir d’ici », et il me la montre du doigt. Riant de ma méprise, je cours chez le pharmacien, qui, très gentiment, m’informe qu’il y a en effet des meetings tout près de Wrexham, à Rhosd, un district où il y a eu 1 500 convertis depuis le début du Réveil. Il m’explique en même temps par quelle voie, par quel tramway je puis aller à Rhos, à quelle heure il faut partir. Pleinement rassuré, je me mets en quête d’un hôtel ; je le choisis près de la gare ; j’envoie chercher ma valise pendant que je prends le thé, et je pars en tramway pour Rhos. C’est encore assez loin. Le tramway file très vite, et il met un bon quart d’heure pour franchir la distance. A Rhos, il s’agit de faire une nouvelle enquête pour découvrir la chapelle où a lieu le meeting ; au bout de trois enquêtes, après avoir été passé de main en main par des mineurs qui m’accompagnaient un bout de chemin, j’arrive à trouver la chapelle où a lieu la réunion. C’est une réunion un peu différente de celles auxquelles j’ai assisté jusqu’ici. C’est une sorte de « service d’anniversaire ». Il y a un sermon. L’influence du Réveil se fait sentir en ceci, qu’il n’y a qu’un sermon, au lieu de deux. Le second sermon est remplacé par les prières et les chants qui encadrent le sermon unique. En sortant, je fais la connaissance d’un certain nombre de personnes qui me donnent des renseignements : quelques ministres, quelques Anglais venus de Sheffield, une famille irlandaise logée dans mon hôtel, et un pasteur congrégationaliste de Wrexham m’indique où se trouve actuellement la voyante ou la visionnaire, Mrs. Jones. C’est à Trevor. J’irai demain l’entendre et la voir.

dRhos est une abréviation courante. On s’explique d’ailleurs que les gens aient éprouvé le besoin d’abréger. La localité s’appelle de son nom intégral Rhosllanerchragog — mot que les Anglais se déclarent incapables de prononcer. Rhos signifie lande ou pays inculte et montagneux. Llanerch signifie endroit ou district Rugog signifie bruyère, endroit planté de bruyères. — Rhos est le centre d’un grand nombre de villages miniers, avec une population d’environ 11 000 habitants.

Vendredi-Saint, 21 avril. — Journée tout entière passée à Trevor, avec Mrs Jones. Je la raconterai au chapitre sur Mrs Jones.

Samedi, 22 avril. — Un marchand drapier dont j’ai fait la connaissance hier, chez Mrs Jones, m’a donné rendez-vous dans la matinée. Il me fait visiter la cathédrale de Wrexham : c’est le seul tribut que je paie aux préoccupations du touriste, après la visite de Chester. Puis, je pars à pied pour Rhos. Mais la distance est trop grande. J’ai peur d’être en retard pour la réunion. A moitié route, je prends le tramway. Arrivé à Rhos, je gravis la colline, je vais chez un épicier dont on m’a donné l’adresse, et il m’indique le lieu de la réunion (Penuel Chapel). Le pasteur qui préside fait allusion aux amis étrangers qui se trouvent là. Et effectivement, après une partie assez longue en Gallois, un gentleman fait une allocution en anglais, et les prières qui suivent ont aussi lieu en anglais. Le pasteur qui préside a l’air si bienveillant, si aimable, que je vais me présenter à lui après la réunion. Il me présente à son tour deux jeunes gens assis dans le Set Fawr, deux étudiants en théologie hollandais, et nous invite à aller tous ensemble chez lui prendre le thé. Chemin faisant, je découvre que le pasteur si affable et si enthousiaste pour le Réveil, auquel nous avons affaire, n’est autre que le vicaire anglican de Rhos. Il est intéressant de trouver un anglican si revivaliste et si gallois !

Nous quittons le vicaire pour aller, au meeting, à la chapelle de Bethléem. Un ancien, qui préside, dit quelques mots aimables sur le compte des Hollandais et du Français présents. Un autre ancien vient parler à l’oreille d’un des Hollandais et lui demande de dire quelques mots. Il n’en a pas envie. Pour moi, je commence à être aguerri, je me lance spontanément ; pendant un chant, je me lève, vais m’asseoir dans le Set Fawr, à côté de l’ancien, et lui annonce que je suis disposé à dire les quelques mots qu’il réclame. Le flot des prières et des allocutions est tel que je dois attendre assez longtemps avant de trouver le joint. L’ancien m’introduit en disant : « Nous sommes un peu de la même famille, Français, Gallois ; vos Bretons sont nos frères ». Après mes quelques mots, presque tout se passe en anglais. Un monsieur de Bath, nommé Wilkinson, qui m’a ensuite donné une brochure de lui, « de retour à Pentecôte » (Back to Pentecost), fait une allocution. Un noble Irlandais logé avec sa femme au même hôtel que moi et très intéressé par le Réveil, prie. Il y a une prière d’un jeune homme du Lancashire. L’Anglais qui a parlé à la réunion de l’après-midi, termine par une prière en anglais. Beaucoup de gens viennent me toucher la main après la réunion. Un étudiant de Bala me dit qu’ils ont eu là de merveilleuses réunions, mais maintenant ils sont en vacances. C’est dommage, j’aurais eu plaisir à visiter cette Faculté de théologie en plein Réveil. Mais ils ne rentrent que dix jours après Pâques, juste au même moment que les étudiants de Montauban. Je trouve aussi là des étudiants en théologie d’Edimbourg avec lesquels je fais d’autant plus vite connaissance qu’ils sont amis de plusieurs des étudiants montalbanais en colonie à Edimbourg. Nous rentrons avec les deux Hollandais chez le vicaire qui a l’amabilité de tracer sur une feuille de papier le programme qu’il nous conseille de suivre le lendemain dimanche, et je pilote mes deux Hollandais de Rhos à Wrexham où nous rentrons pour la nuit.

Dimanche, 23 avril, jour de Pâques. — Le dimanche matin, jour de Pâques, un peu mis en retard d’abord par les deux étudiants hollandais que je vais chercher à leur hôtel pour les entraîner avec moi à Rhos, puis par la rareté des tramways, j’arrive à Rhos et entre dans la grande chapelle (Capel mawr), au milieu d’un service déjà en train. Il y a en chaire un prédicateur qui fait un vrai sermon. Le sermon est suivi d’une petite réunion de prière spontanée. Par deux fois, il arrive que deux hommes prient en même temps. Il n’y a pas de service de communion, car, comme en Ecosse, les non-conformistes gallois n’observent pas les fêtes ; ils les envisagent comme des restes de superstition catholique. Le meeting est mis à l’épreuve (tested). On me dit que, depuis le commencement du Réveil, chaque service, chaque sermon est suivi d’une réunion de prière plus ou moins longue. Il n’y a pas de prières de femme ce matin. Dans le Nord, les femmes prennent aux réunions une part moins grande que dans le Sud. Non seulement il n’y a pas de communion ce matin, mais il n’y a pas non plus de collecte, à moins qu’elle n’ait été faite avant notre arrivée, ce qui est possible. L’Eglise n’est pas bondée. Elle est plus remplie que cela quand il y a des services spéciaux de Réveil. Et, à nous, étrangers, habitués à la célébration fête de Pâques et à l’envahissement traditionnel des temples. ce jour-là, il paraît étrange qu’il n’y ait pas plus de monde dans les chapelles galloises en un tel jour de fête.

En sortant de la chapelle, nous errons un peu dans les rues. Le vicaire nous avait donné le conseil peu pratique de retourner déjeuner à Wrexham. Mais tous ces voyages offrent des difficultés le dimanche, vu la difficulté de trouver des tramways ; et puis le temps est incertain, parfois il pleut et il grêle. Je conseille à mes compagnons de chercher avec moi quelque auberge de tempérance à Rhos même. Un jeune homme qui nous a observés à la chapelle, nous aperçoit battant le pavé, nos parapluies ouverts. Il nous reconnaît et s’approche fort aimablement pour nous demander s’il peut nous être de quelque utilité. Je lui expose le but de nos recherches, et il nous conduit dans un petit restaurant de tempérance.

Après notre lunch, nous allons, fidèles au rendez-vous, trouver le vicaire de Rhos aux National Schools. Nous inspectons son école du dimanche, et son fils nous mène visiter quelques écoles du dimanche non conformistes (celles de Capel Mawr et de Bethléem). Après les écoles, un laïque de la chapelle de Bethléem, celui qui m’a introduit la veille au soir, au moment où j’ai fait ma petite allocution, Mr. Roberts, nous montre les diverses salles attenantes à la chapelle. Tout est aménagé admirablement, propre, confortable, avec un nombre étonnant de salles diverses, et toutes sortes de systèmes ingénieux de cloisons mobiles. « Le Réveil a tout amélioré », nous dit-il, à un moment donné, pendant notre inspection. Et un gamin qui se trouvait là et qui nous suivait, très intéressé, dans notre tournée, s’est écrié en souriant : « Et vous aussi, Mr. Roberts, il vous a amélioré, pas vrai ? — « C’est vrai », répliqua Mr. Roberts en riant… Un peu plus loin, tandis que nous nous extasions sur le confortable et l’ingénieux des dispositions et aménagements, Mr. Roberts interjette cette réflexion humoristique : « Savez-vous, il y a des gens qui sont riches dans ce monde et qui sont destinés à être pauvres dans l’autre. Et il y en a aussi qui sont pauvres en ce monde et qui seront riches dans l’autre. Mais nous, nous cumulons, riches dans ce monde, riches dans l’autre, riches dans les deux (rich in both). »

Il nous explique ensuite sa conception des choses. Sa théorie, c’est que Dieu a visiblement tout préparé : Dieu a fait en sorte qu’il y eût des chapelles assez nombreuses et assez bien aménagées pour abriter des réunions de Réveil. Il a fait en sorte que le chemin de fer eût une station à Rhos, que les tramways de Wrexham à Rhos fussent institués ; et puis quand tout a été prêt, soit à Rhos même pour permettre aux réunions de se tenir commodément, soit autour de Rhos pour permettre aux gens de venir à Rhos, Dieu a fait éclater le Réveil, et comme il ne fait pas les choses à demi, il a accompli toutes ses promesses, il a fait venir des gens des pays étrangers et lointains pour contempler ses merveilles : « J’ai été profondément remué hier soir quand j’ai vu toutes ces personnes venues d’Irlande, d’Ecosse, d’Angleterre, de France, de Hollande ; j’ai été profondément ému, en vérité. Et c’est pourquoi je me suis mis à prier. Vous n’avez pas compris ce que je disais, parce que je m’exprimais en gallois. Je disais que ce serait une honte pour les habitants de Rhos de ne pas suivre les meetings alors que tous ces étrangers étaient venus de si loin. Je disais à ceux qui restent en dehors des chapelles, en dehors du Réveil : Prenez garde que les étrangers d’Irlande, d’Ecosse, d’Angleterre, de France, de Hollande, ne se lèvent au jour du jugement contre vous et ne vous condamnent. Car, voici, ils sont venus du Nord et du Sud, de l’Est et de l’Ouest, pour contempler les choses de Dieu. Et il y en a à Rhos qui ne se dérangent pas pour venir aux meetings, qui restent dehors !… »

Ces gens-là ont une foi candide, littéraliste, qui désarme, qu’on envie presque. Cette idée que Dieu a tout préparé : les chemins de fer et les tramways et les locaux pour que les étrangers puissent venir et qu’alors il a fait éclater le Réveil, et que les promesses finales des prophètes s’accomplissent, et sans doute que le retour du Christ, la parousie, est proche, est une idée absolument enracinée dans l’esprit de M. Roberts. Il m’aide à comprendre, à réaliser la mentalité des premiers chrétiens vivant dans l’attente de la toute prochaine parousie.

Mr. Roberts nous raconte ensuite comment le Réveil a commencé à Bethléem. « J’étais venu à la chapelle dans une disposition d’esprit tout à fait ordinaire ; je ne m’attendais à rien de spécial, lorsque tout à coup, au bout d’une heure environ, l’Esprit a éclaté, a fait irruption, secouant, retournant, renversant sens dessus dessous toute la congrégation. J’étais tout bouleversé moi-même. Alors, de toutes parts, dans le bas de la chapelle, les gens qui avaient eu des discussions, qui étaient brouillés, se recherchaient, se touchaient la main, se réconciliaient, s’embrassaient, et ceux qui étaient dans les galeries contemplaient d’en haut ce spectacle unique et inoubliable, les yeux baissés, les larmes ruisselant de leurs yeux et coulant le long de leurs joues… Nous avons mis plusieurs jours à purifier nos cœurs, à enlever tous les interdits. Et alors la ferveur religieuse a éclaté avec une intensité incroyable. Alors on était obligé de mettre, pour ainsi dire, les gens dehors, à la porte, autrement ils seraient restés jour et nuit dans l’Église à chanter et à prier, ne pouvant se rassasier de contempler la gloire de Dieu et du Christ. Et quel changement produit dans tout le village !… »

Tout en cheminant, Mr. Roberts nous montre une petite rue, jadis mal famée ; c’était « un enfer sur la terre ». Maintenant c’est une rue comme les autres. Les gens ont abandonné les cabarets, les luttes, etc.. Si bien que, dans une prière, quelqu’un rendant grâces à Dieu du changement opéré, s’est écrié un jour : « Diolch itti (Grâces à toi) Arglwydd (Seigneur), de ce que Capel Mawr (la grande chapelle) a attrapé les ivrognes, et la petite chapelle les lutteurs ! Il paraît que les propriétaires des cabarets et les inconvertis ont fait, au début, une opposition féroce. « Un tenancier de cabaret s’est précipité agressivement deux fois sur moi », déclare Mr. Roberts. « Mais j’ai été défendu par mes amis. Puis, après avoir attaqué brutalement les convertis, on s’est moqué d’eux, on s’est plu à rappeler leur passé, et à trouver dans le contraste un sujet de railleries : « Ah oui ! un tel s’est converti, celui qui faisait ça et ça… » — « Mais, continue Mr. Roberts, nous avions pris la résolution de ne pas faire attention à leurs sarcasmes, de les laisser dire, de n’avoir aucun égard nous-mêmes à ce que nous étions jadis, mais seulement à ce que nous sommes à présent. Peu à peu l’opposition a cessé. »

Il y a eu deux cents convertis, rien que pour la chapelle de Bethléem. Les Écoles du Dimanche ont été et sont extrêmement utiles pour recevoir et instruire ces nouveaux convertis.

Mr. Roberts nous raconte encore qu’à Bethléem Chapel, pas plus tard qu’il y a quinze jours, le ministre n’a pas pu prêcher son sermon, parce qu’il y a eu un flot ininterrompu de prières et de chants, et que le ministre n’a pas voulu interrompre cette ferveur, imposer silence aux gens et les contraindre de l’écouter. « C’était la même chose qu’avec vous », me dit Mr. Roberts, en se tournant vers moi. « Je pensais que je ne pourrais pas trouver une occasion pour vous introduire hier au soir et pour vous demander de parler. — Et je fais, à part moi, la réflexion que la conduite de ces ministres, la bonne grâce avec laquelle ils s’effacent, se mettent à l’arrière-plan pour écouter avec sympathie et respect leurs paroissiens, est admirable.

Nous revenons chez le vicaire qui nous reçoit pour le thé. Puis, son fils nous accompagne au meeting du soir ; cette réunion, relativement courte, ne dure que deux heures et demie — de six heures à huit heures et demie. Il y a moins d’excitation que dans le Sud. Point de prières de femmes : elles se bornent, pour toute démonstration, à chanter des solos. Je le regrette un peu. Il me semble que les prières de femmes manquent pour introduire plus de vie, de variété, de spontanéité. Voilà deux meetings que j’ai suivis le soir dans la même chapelle. J’ai eu l’impression que c’étaient, en bien des cas, les mêmes qui priaient. Il se produit, à un moment donné, une collision assez curieuse. En même temps commencent, à deux endroits différents de la chapelle, deux jeunes filles qui entonnent chacune un solo : chacune chante une mélodie différente, et en même temps un homme se met à prier à voix très forte et très élevée. Ce n’était pas très harmonieux, car les deux mélodies, qui n’étaient même pas dans le même ton, ne s’arrangeaient pas très bien ensemble. L’une des deux solistes s’est arrêtée quand elle a eu fini sa première strophe, et s’est rassise pour attendre un peu plus tard que son tour vienne. Mais l’autre soliste, plus emballée, a continué. Et c’a été pendant assez longtemps un duo d’un genre particulier : chant de jeune fille, prière d’homme. Tantôt le chant, tantôt la prière dominait. Quand la jeune fille a eu épuisé toutes les strophes du cantique, elle s’est rassise. La prière a survécu à tout cela et s’est terminée quelques instants après. Il était visible que plusieurs, dans l’assemblée, étaient étonnés et presque un peu gênés ; cela eût paru cependant tout simple et tout naturel dans le sud. Par contre, un Anglais, qui assistait à la réunion et qui était dans le Set Fawr, s’est levé enthousiasmé, s’est approché de la balustrade, et a commencé à exprimer son enthousiasme : « Je n’ai jamais entendu rien de pareil. C’était une dissonance harmonieuse… » Mais l’assemblée ne lui a pas laissé achever son speech ; il a été interrompu par le flot des chants et des prières, et au bout d’un certain temps, voyant que le silence ne se faisait pas, il est allé se rasseoir à sa place.

On avait eu la bonté de me donner pour voisin un jeune homme qui devait me traduire le gallois quand j’en aurais envie. Au commencement, ça n’allait pas très bien, parce que le bon jeune homme, connaissant quelques mots de français, mettait comme une sorte d’amour-propre à me traduire le gallois en français, et j’avais autant, de peine à comprendre sa traduction française que lui à l’opérer. Au milieu, ça s’est encore plus gâté, parce que mon jeune homme a été tellement saisi, empoigné par la réunion, qu’il oubliait tout à fait de me traduire, et que, en l’interrogeant, je parvenais à peine à tirer de lui quelques réponses aussi brèves que peu intelligibles. Mais à la fin, renonçant à son français et reprenant conscience de la mission spéciale qui lui avait été confiée auprès de moi, il s’est mis à me traduire en anglais les discours et prières, et ça a marché tout de suite beaucoup mieux.

En sortant de la réunion nous allons prendre congé de l’excellent vicaire et le remercier avant de quitter définitivement Rhos. Je disais tout à l’heure que la bonne grâce avec laquelle les ministres s’effacent est vraiment admirable. Mais admirable aussi en son genre me paraît la conduite du vicaire : il a bien eu du plaisir, certes, à nous faire inspecter son Ecole du Dimanche, mais il ne nous y a pas retenus et il nous a envoyés, avec son fils pour guide, visiter deux ou trois autres Ecoles « plus importantes et plus intéressantes que la sienne », nous a-t-il dit lui-même. Pas une seule fois il ne nous a insinué que nous pourrions assister à l’un quelconque de ses cultes. Et pilotés comme nous l’avons été par son fils tout l’après-midi, nous avons quitté Rhos sans même avoir vu la chapelle de ce brave vicaire ! C’est merveilleux de constater à quel point le Réveil a fait passer à l’arrière-plan les rivalités et jalousies ecclésiastiques, l’esprit d’église et l’esprit de secte — et c’est très édifiant.

Après avoir pris congé du vicaire, nous sommes tous revenus en tramway à Wrexham : des Hollandais, des Ecossais, des Irlandais, des habitants de Wrexham, et moi, cela faisait toute une colonie. Le tramway était plus que bondé.

Rentré à mon hôtel, je donne, suivant ma coutume, des détails à mon hôtesse. Mon admiration et mon enthousiasme ne trouvent que peu d’écho. Mon hôtesse, qui appartient à l’Eglise anglicane, a assisté à une réunion galloise. Elle a été toute scandalisée du manque d’ordre, de régularité, de ce meeting. Pensez un peu ! Elle avait apporté son livre d’hymnes anglican, comme on fait quand on va à une réunion qui se respecte ; elle n’a pu une seule minute se servir de son livre ; elle se serait contentée, faute de mieux, de suivre sur un livre gallois… mais il n’y en avait point autour d’elle, et personne ne semblait en éprouver le besoin ! Ce ne sont pas là des façons correctes de s’édifier !…

Lundi, 24 avril. — Le lundi de Pâques, je reprends le chemin du Sud du pays de Galles. Induit en erreur par des indications inexactes, je m’imagine que les trains circulent le lundi de Pâques comme les jours ordinaires. Mais lorsque je me présente au guichet pour prendre mon billet pour Cardiff, j’apprends, à mon grand ennui, que le train rapide sur lequel je comptais est supprimé aujourd’hui ; je dois me contenter d’un train plus lent qui part vers midi et ne me fait arriver à Cardiff qu’à six heures et demie du soir : un long trajet que j’emploie à lire les brochures du Western Mail.

Cardiff, six heures et demie, c’est trop tard pour atteindre Pontypridd ce soir, comme j’en avais eu l’intention ; du moins c’est trop tard pour arriver à Pontypridd à temps pour assister à une réunion, et je ne veux pas perdre ma soirée. Je reste donc à Cardiff. Un journal me donne l’espoir que Sidney Evans est encore à Cardiff. Peut-être pourrai-je le voir et l’entendre. A l’hôtel, on ne sait rien me dire sur les réunions de Réveil. A tout hasard je dirige mes pas vers le Tabernacle baptiste. Il y aura bien toujours quelque chose. Je constate que la petite salle où j’ai assisté à mon premier meeting est ouverte et éclairée. J’y entre. Il n’y a que très peu de monde. Un homme fait une grande harangue en gallois. Puis un autre s’exprime en anglais — comme presque tous ceux qui suivent. Il donne son témoignage, remercie Dieu de ce qu’il est là au lieu d’être au cabaret, et supplie ses frères de lui dire s’ils trouvent en lui quelque faute, de l’avertir, de le reprendre. C’est un nouveau converti. — Un autre demande à être soutenu par les prières de ses frères. Il raconte qu’il a de terribles combats à soutenir. Le vendredi, ils ont, entre ouvriers, une réunion de prière. Et cette semaine il avait mis, bien en vue, une affiche pour indiquer cette réunion et attirer des assistants. L’affiche a été déchirée avec violence par des catholiques furieux. Il demande à Dieu la force de continuer, tout en disant qu’il ne s’est jamais senti plus disposé à continuer que maintenant. — Un vieillard se lève et l’encourage, et cite le mot fameux d’Evan Roberts lorsqu’il a eu son accident : « c’est encore un autre de ses tours ! » (il s’agit du diable.) Ce mot, je l’ai souvent entendu citer en riant et en plaisantant par des amis anglais. Mais le vieux ne le cite pas en riant. Il est très convaincu. — Un autre parle encore d’une façon très intéressante, disant : « Hier, jour de Pâques, je pensais au Christ ressuscité. Il mentionne le fait comme quelque chose qui ne va pas de soi. C’est qu’en effet les non conformistes gallois n’observent pas les fêtes, ou ils voient un reste de superstition catholique romaine. « Quand mes pensées sont ainsi tournées vers les choses célestes, continue l’orateur, il n’y a pas de place en moi pour les mauvaises pensées. Je pensais donc au Christ ressuscité. Naturellement je sais par la Bible qu’il est ressuscité. Mais, grâces en soient rendues à Dieu ! Je le sais d’une façon bien meilleure encore. Je le sais par expérience, parce qu’il vit en moi. »

… Mais peu à peu la salle s’est garnie. Les gens affluent. Il n’y a pas assez de place. Un des laïques (car le pasteur est absent, je ne sais où il est, on prie plusieurs fois pour lui) invite l’assemblée à émigrer de la petite salle dans la chapelle elle-même. Et, en effet, ce déplacement est utile, car tout le bas de la chapelle est bientôt rempli : seules les galeries demeurent inoccupées. Le chant n’est pas aussi beau qu’à Aberaman et à Aberdare ; il est plus lent, moins étoffé. — Un jeune homme, que je suppose être un étudiant en théologie, fait avec une grande facilité une allocution où il rappelle une expérience du Dr Dale relative au Christ vivant. — Ce qui caractérise cette réunion, c’est la grande abondance des allocutions, leur prédominance sur la prière et le chant. On voit bien que le milieu n’est pas purement gallois ; il est tout autant anglais, ou, si l’on veut, anglo-gallois. Tous ceux qui font des allocutions se lèvent et vont sur l’estrade, dans le Set Fawr. — Un petit garçon arrive et adresse une allocution aux gens qui se moquent et rient (il devait y en avoir dans le fond, que cet enfant a entendus). Il les exhorte à accepter Christ ce soir. « C’est peut-être votre dernière chance. Quelques-uns d’entre vous disent qu’il n’y a pas de Dieu. Eh bien ! s’il n’y a pas de Dieu, comment pouvez-vous rendre compte de ce monde ? Je sais qu’il y a un Dieu. Et il nous a envoyé Jésus-Christ. Oh ! acceptez-le ce soir. » — Quand le meeting est mis à l’épreuve, personne ne reste assis. Les moqueurs, s’il y en avait, doivent avoir filé.

A un certain moment, un laïque informe l’assemblée qu’il y a là des frères continentaux, et il les invite à parler. Un Suisse, probablement un Suisse allemand, fait une allocution, à laquelle répond un assistant. Je vais-dire quelques mots à mon tour.

Un Monsieur vient ensuite ; il insiste sur ce qu’il suffit de croire que tout le salut a été accompli par l’expiation substitutive de Jésus-Christ sur la Croix, il suffit de croire ce fait pour être sauvé. (Il paraît bien être de ceux qui pensent que le salut consiste à croire qu’on est sauvé.) Il insiste énormément sur la substitution. Il ajoute : « J’ai 66 ans, j’ai été converti il y a plus de 30 ans. Je ne suis pas mieux sauvé aujourd’hui que je ne l’étais il y a trente ans ; je ne suis pas mieux sauvé que vous ne l’êtes, vous qui vous convertissez en ce moment ». Cela me rappelle un mot de Dan Roberts dans la conversation, quand je suis allé le voir à Aberdare dans la maison où il logeait. « Beaucoup de gens confondent la justification et la sanctification ». Il y a, assurément, dans cette réflexion une part de vérité, mais il peut y avoir excès aussi et grave danger à séparer trop complètement les deux. Et j’imagine que Vinet n’eût pas été très satisfait de la façon dont le Monsieur de Cardiff présentait l’Evangile. Son allocution terminée, le Monsieur fait venir sur l’estrade deux nouveaux convertis et les somme de rendre leur témoignage ; l’un d’eux se décide, mais l’autre refuse énergiquement, alléguant qu’il est incapable de parler en public.

La réunion se termine au bout de trois heures. On annonce que jeudi prochain Sidney Evans et Jenkins tiendront une réunion au Tabernacle. Rentré à mon hôtel, je donne à mon hôtesse quelques détails. Elle ne semble guère partisan des réunions de Réveil, bien qu’elle manifeste moins d’opposition que mes hôtesses de Liverpool et de Wrexham.

Mardi 25 avril. — Je pars le matin pour Pontypridd, me promettant bien de revenir à Cardiff à temps pour assister à la réunion de Jeudi-Saint — ma dernière réunion, hélas ! avant de quitter le Pays de Galles.

Dans ma journée de mardi, après avoir assisté dans une église congrégationaliste à la fête de chant dont j’ai déjà parlé, je me rends à huit heures du soir dans une autre chapelle méthodiste calviniste, où a lieu une réunion de prière ou plus exactement une « réunion d’expérience ». Il y a très peu de monde. C’est dans une sacristie, une toute petite réunion. Rien de saillant. Le pasteur s’étant laissé aller à prononcer quelques paroles un peu tristes, un peu découragées, à cause du petit nombre des assistants, un laïque se lève aussitôt pour le gronder fraternellement et blâmer son pessimisme. Le pasteur fait humblement son mea culpa, reconnaît que son frère laïque a raison et le remercie de sa réprimande ; il s’excuse en disant que c’est la quatrième réunion à laquelle il assiste dans sa journée, et qu’il se sent un peu fatigué… On s’aperçoit que je suis étranger. On me contraint presque à parler, ainsi que deux étudiants écossais qui se trouvent là. Je m’éclipse avant la fin pour aller voir un pasteur qui m’a donné rendez-vous ; il m’apprend qu’il a obtenu pour moi des autorités de la mine de de Penrhiw l’autorisation d’aller jeudi matin à la réunion de prière souterraine. Je le quitte à 10 heures du soir pour retourner chez des amis qui veulent bien me donner l’hospitalité à Pontypridd.

Mercredi, 26 avril. –Je pars le matin de bonne heure pour Ferndale. Je demande un pasteur dont on m’a donné le nom et réussis à trouver son logis. Dans ces immenses villages, composés de maisons toutes pareilles juxtaposées en des rues interminables sur le flanc des collines tout en montées et descentes, les perquisitions prennent parfois du temps. La femme du pasteur est très occupée par le nettoyage du printemps (spring-cleaning), auquel elle procède elle-même coiffée d’une, casquette. Elle m’introduit dans le salon, et va chercher son mari. Ces pasteurs gallois paraissent très pauvres et très simples. L’ameublement et l’organisation sont à la bonne franquette : les manchettes du mari traînent sur la table du salon… Le pasteur en question est un chaud partisan du Réveil. « C’est, me dit-il, comme une vague qui va et revient ; parfois cela semble s’affaiblir, puis cela reprend. En ce moment, il y a recrudescence. Le feu brûle plus que jamais à Ferndale. Sans doute, le Réveil finira par s’apaiser tout à fait. Mais les jeunes en auront reçu une impression ineffaçable qui leur restera toute leur vie. Un Réveil, c’est comme un tremblement de terre spirituel. — Le Réveil à Ferndale, et partout au Pays de Galles, m’assure mon interlocuteur, n’est dû à aucun instrument humain. C’est l’œuvre de l’Esprit. En bien des places, Evan Roberts n’a pas paru, et même là où il a paru, très souvent le Réveil avait existé avant lui, et il a été quelquefois plus fort après lui et sans lui. » — Mon interlocuteur, ainsi qu’un autre pasteur, un ministre congrégationaliste chez qui je prends mon repas après le meeting, sont persuadés que le Réveil n’est pas fini au Pays de Galles, quoiqu’il doive bien finir une fois, comme tel. Je les interroge sur les dons prophétiques d’Evan Roberts. Tout ce que j’obtiens, en fait de renseignement, c’est que… « c’est très mystérieux ». Ils ne désirent évidemment pas se compromettre sur le sujet.

Le meeting auquel j’assiste dans la matinée est très beau, remarquablement fervent. On m’explique qu’il y a trois jours de congé en l’honneur de Pâques — régulièrement il n’y a que le lundi (comme Bank holiday), mais peu à peu on a pris l’habitude de laisser les ouvriers chômer aussi le mardi et le mercredi pour se ressaisir (to recover themselves) après les bombances et festivités du lundi de Pâques — donc comme en fait il y a trois jours de congé, on a, pendant ces trois jours, trois meetings chaque jour, pour tâcher de fortifier les nouveaux convertis, de les préserver des tentations… Ce matin, la réunion a lieu dans une sacristie ; la salle n’est pas très grande, mais elle est bondée. Il y règne une ferveur extraordinaire. Nulle part, dans tout mon voyage, je n’ai assisté à un tel déchaînement d’Amen !, de Hear !, etc., durant les prières, jusqu’à couvrir la voix du prieur. C’est un enthousiasme indescriptible. Pendant le chant d’un cantique, je vois un homme qui frappe des mains en signe de joie, qui applaudit. Pendant les prières, quelques assistants (parmi les silencieux) gesticulent nerveusement, complètement oublieux de leur entourage, ou regardent d’un air joyeux et attendri les personnes qui prient. Pour prier ou parler, les assistants se lèvent, traversent la salle et se rendent au banc de devant, les femmes comme les hommes. Lorsque c’est pour prier, hommes ou femmes s’agenouillent par terre, attendant que le cantique en voie d’exécution ou la prière commencée soient finis ; puis, dès que le silence se fait, la prière jaillit. C’est un flot ininterrompu de prières et de chants — et aussi d’allocutions.

Vers les trois-quarts de la réunion, le ministre qui m’a accompagné réussit à profiter d’un moment de silence pour m’introduire et m’exhorter à dire quelques mots. A partir de ce moment, c’est un torrent de prières soit en anglais, soit en gallois pour la France en général, pour moi en particulier. Le meeting est mis à l’épreuve ; il n’y a que des chrétiens.

Après la réunion, je vais déjeuner chez un ministre congrégationaliste. Puis je le quitte pour aller à pied à Tylorstown, situé à un quart d’heure de marche. Je me suis fait indiquer un épicier qui me donnera toutes les informations nécessaires sur la réunion de l’après-midi. Et effectivement, grâce à ses renseignements, je trouve la chapelle où a lieu la réunion. Elle est moins chaude qu’à Ferndale. C’est dommage que je n’aie pas passé la journée entière à Ferndale, ou que je ne sois pas allé à Tonypanddy où, paraît-il, le Réveil dure depuis quatre ans, et par conséquent est bien antérieur à Evan Roberts, et indépendant de lui.

Après la réunion, je vais à la gare de Tylorstown. Dans la salle d’attente je lis, écrit à la craie, sur la paroi de bois, les mots :

Get right
with
GOD NOW

(mettez-vous en bons termes avec Dieu maintenant). Je prends le train pour me rendre à Porth. Là, je demande un ministre dont on m’a donné le nom. On m’indique sa chapelle. En interrogeant les gens autour de la chapelle, j’apprends que le ministre demeure non à Porth, mais à Ynyshir (la dernière station avant Porth, entre Porth et Tylorstown). Je pars à pied pour Ynyshir qui n’est pas très loin. A Ynyshir, je découvre la maison du ministre, mais pour y recueillir cette information que le révérend est parti pour Londres. C’est décidément un peu loin pour aller l’y chercher. Je reviens à pied d’Ynyshir à Porth. Ces pérégrinations pédestres ont l’avantage de me faire bien connaître Rhondda Valley et voir de près ces villages ou petites villes de mineurs, mais comme il pleut de temps à autre et qu’il faut tout le temps patauger dans une boue noirâtre, cela manque parfois un peu d’agrément et finit même par devenir un peu déprimant à la longue. A Porth, après m’être restauré à un hôtel de tempérance, je cherche à savoir où a lieu le meeting du soir. Impossible de le découvrir avec certitude. Après avoir erré, surveillé deux églises qui m’ont été indiquées comme susceptibles d’être le théâtre d’une réunion, constaté que lesdites chapelles ne s’illuminaient pas et ne s’ouvraient pas, et que nul attroupement ne se produisait, ne voulant pas perdre ma soirée, je me décide à reprendre le train pour Tylorstown, car je sais pertinemment qu’il y a là une réunion à sept heures, dans la chapelle Eben-Ezer.

Près de la gare de Tylorstown, se tient un meeting en plein air. J’entends un orateur qui parle ou prie en plein hwyl. Puis la parole s’arrête et un chant commence. Longtemps, je suis accompagné par le chant du Pen Calfaria. Ces voix galloises portent loin, et j’ai beau marcher, le son n’a pas l’air de diminuer ; ces notes cristallines et limpides montent dans la nuit et me suivent jusqu’à mon entrée dans Eben-Ezer. Peu à peu la chapelle s’emplit. Après plusieurs couples de prières simultanées, le président, qui doit être un ministre, demande aux assistants de rendre leur témoignage en citant un verset de la Bible ou une strophe de cantique. Plus d’une cinquantaine de voix répondent successivement à cet appel : hommes, femmes, jeunes filles, enfants… Mais je suis obligé, par l’heure qui s’avance, de m’en aller avant la clôture pour ne pas manquer mon train.

Jeudi, 27 avril. — Assisté le matin de bonne heure à la réunion de prière au fond de la mine de Penrhiw. Je la raconterai plus loin. Dans l’après-midi, je rentre à Cardiff. Je me dirige le soir vers le Tabernacle, pour assister à mon dernier meeting. Ce n’est pas sans une certaine mélancolie que j’y entre. Je me suis si bien habitué à cette atmosphère fervente que je suis triste à la pensée de quitter tout cela… Le Tabernacle se remplit peu à peu. C’est la plus belle réunion que j’aie vue à Cardiff. Mais, est-ce parce que Cardiff est à demi-anglais ? les réunions y sont tout de même moins enthousiastes qu’à Aberaman, Aberdare, Ferndale… Elles durent moins longtemps. Commencé à sept heures et demie, le meeting est terminé à dix heures moins un quart, et bien des gens sont partis avant. L’anglais prédomine : les prières et allocutions sont presque toutes en anglais. Quand Sidney Evans parle, il parle en général plus longtemps eh gallois qu’en anglais, mais il traduit ou résume en anglais ce qu’il a dit en gallois. Je suis tout heureux de tout comprendre et, par effet rétroactif, cela m’aide à comprendre mieux ce que j’ai vu et entendu aux endroits où l’on ne parlait que gallois.

Sidney Evans et Jenkins n’ont pas beaucoup d’extérieur. Ils imposent moins par leur apparence non seulement qu’Evan Roberts — cela va sans dire — mais même que Dan Roberts ou Miss Maggie Davies. Sidney Evans n’a rien dit de très saillant. Il est intervenu plusieurs fois pour faire de très courtes allocutions de quelques minutes, dans le genre de celle-ci : « Tout ce qu’on dit dans la réunion (et ailleurs), il faut le dire pour glorifier Dieu. L’objet principal doit être de glorifier Dieu… Il faut être des duplicata de Christ… » Puis des appels à venir à Christ. — Mais il n’a pas eu un seul mouvement proprement oratoire, pas une seule anecdote. Evidemment ce n’est pas par l’éloquence que ces revivalistes tiennent leur monde. C’est par leur pouvoir spirituel, par leurs prières, par leur consécration entière à Christ, par leur jeunesse, par leur laïcité — ils ne sont ni pasteurs, ni professeurs de théologie, ni étudiants — par leur simplicité : leur simplicité est grande ; de tous ceux qui prennent part aux réunions, ce sont ceux qui s’enflamment le moins, qui élèvent le moins la voix. Et l’on s’étonne que l’influence et la popularité de jeunes gens si simples, disant des choses si ordinaires, soit telle que les foules accourent et se pressent dans les chapelles dès que leur présence est annoncée.

Ce soir, les témoignages sont spécialement beaux et touchants. Plusieurs orateurs ou prieurs font allusion au fait que l’on a dit ou que l’on a cru le Réveil fini, et protestent contre cette insinuation. Effectivement, il semble que le Réveil commence ou recommence à Cardiff. Plusieurs allusions sont faites au « glorieux meeting » de hier. Sidney Evans et Jenkins restent à Cardiff jusqu’à Dimanche inclusivement. C’est dommage que je sois obligé de partir. Il y a une allocution qui menace de trop durer et de devenir… rasante. On lui applique la « clôture musicale. »

Le meeting est mis à l’épreuve de la manière habituelle. Lorsque Sidney Evans presse les inconvertis de venir à Christ, du haut de la galerie retentit un : En voici un, suivi d’un Diolch iddo chanté par l’assemblée ; puis un : En voici un autre, toujours suivi du Diolch iddo. Le corps du Tabernacle est en somme presque rempli de chrétiens ou de gens qui professent l’être. Les incrédules sont dans les galeries. Sidney Evans conseille aux ouvriers chrétiens (Christian workers) de ne pas discuter avec les incrédules, de témoigner, d’attester, de montrer la vie qui est en eux, de prier. Au premier rang de l’assemblée, une femme désire se convertir, n’arrive pas à se décider. Un chrétien, qui est à côté d’elle, prie à haute voix pour elle. Elle ne se décide toujours pas. Le meeting arrive à sa fin. Elle ne bouge pas. Et le chrétien reste, lui aussi, assis à côté d’elle à lui parler, à l’exhorter… Elle a amené ses petits enfants avec elle, et les petits restent là, eux aussi, témoins de ces luttes, de ces prières, de ces conversations de leur mère avec le chrétien qui la presse de se convertir.

Je touche la main au Principal Edwards avant de sortir. Mais il est tellement entouré et occupé qu’il n’a pas le temps de songer beaucoup à moi. Il est décidément beaucoup plus difficile d’approcher et de voir longtemps les meneurs du mouvement dans les grandes villes (Liverpool, Cardiff) que dans les petits endroits.

Et voilà la fin ! J’espère avoir vu et compris l’essentiel, bien qu’assurément si j’avais su le gallois, j’aurais pu recueillir davantage. Fasse Dieu maintenant que je profite de ce que j’ai entendu et vu pour être un chrétien plus fidèle et plus fervent !

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