Méditations sur la Genèse

II
Le Paradis

Genèse 2.4-25

I

Dieu avait pourvu non seulement à ce qui était indispensable à la conservation d’Adam, mais aussi à ce qui pouvait réjouir son cœur et embellir son existence. Dans le lointain Orient, un « jardin de délices », destiné à devenir le séjour de l’homme, avait été planté par l’Eternel avec un soin particulier. L’enfant, lorsqu’il vient au monde, trouve une place toute préparée par l’amour de sa mère. De même, Dieu avait pourvu au bien-être de l’homme avant qu’il existât. A ces biens, préparés à l’avance, il voulut ajouter le plus précieux des dons : celui d’une aide semblable à lui et capable de soulager ses efforts et d’accroître ses joies en les partageant.

Cette divine prévoyance est éternelle : elle s’occupe de nous aussi. Les biens du paradis n’ont pas entièrement disparu. Si nous marchions avec Dieu, la terre parfois ne le lui céderait pas de beaucoup. C’est Dieu qui nous a donné les parents qui ont pris soin de nous et les innombrables bienfaits que nous avons reçus de leur amour. C’est lui qui envoie du ciel les saisons fertiles, la santé, la paix, la prospérité, et qui remplit nos cœurs de joie. Les bénédictions de la vie de famille, dont il a ouvert la source dans le paradis, subsistent encore, et quiconque craint Dieu peut goûter une large part du bonheur que le Père céleste nous avait primitivement destiné.

Lorsque Adam ouvrit les yeux pour la première fois ; lorsqu’il vit autour de lui le jardin de Dieu, et au-dessus de lui le ciel et ses astres ; lorsque chaque jour il put reconnaître avec quelle bonté Dieu avait pensé à lui, alors sans doute son cœur se répandit en adoration et en actions de grâces. Il en doit être ainsi de nous, chaque fois que nous jouissons des biens de Dieu et que nous puisons à la source de ses bénédictions. Pour oublier de le faire et recevoir les bienfaits sans élever nos regards vers Celui qui les donne, il faudrait que notre cœur fût bien endurci et notre conscience bien obscurcie. Si Dieu, alors même qu’il laissait les païens marcher dans leurs voies, attendait déjà d’eux adoration et reconnaissance, combien plus de nous, qui n’avons pas seulement les lumières naturelles, mais celles bien plus vives de la grâce ; de nous, à qui son amour s’est manifesté en Christ, bien plus touchant encore que pour Adam dans le paradis !

II

Le récit qui nous occupe met en pleine lumière la dignité de l’homme. Elle résulte déjà de la manière dont Dieu l’a créé. Sur un signe du Tout-Puissant, les forces vitales déposées dans le sein de la terre et des eaux avaient donné naissance aux créatures destituées de raison. L’homme est tiré de la terre, et il vit aussi de la vie primitive de la nature. Mais, après l’avoir formé de la poudre de la terre avec un art plus merveilleux que toute autre créature, Dieu souffle dans ses narines une respiration de vie et lui communique par un acte créateur le principe de la vie spirituelle qui manque aux animaux : force de la volonté pour servir Dieu librement ; lumière de la raison pour le connaître ; conscience pour entendre sa voix ; cœur pour l’aimer et l’adorer ; aptitude à devenir immortel et à transformer la vie terrestre en une vie céleste. L’homme est ainsi une « âme vivante » dans le sens le plus élevé du mot, un être capable de refléter l’image du Dieu vivant.

Sa dignité paraît ensuite dans sa communion avec Dieu. Ce Dieu n’était pour lui ni éloigné ni inconnu : il lui était apparu et lui avait parlé ; sa présence se faisait sentir à lui ; lui-même lui apprenait à le prier et à le servir, et l’instruisait de sa tâche et de ses devoirs terrestres. En paix avec lui, Adam goûtait ce bonheur de l’innocence dont une enfance pure nous offre encore aujourd’hui quelque image.

La tâche assignée à l’homme nous révèle aussi sa dignité. Formé hors du paradis, il est placé dans le jardin d’Eden pour le cultiver et le garder ; le paradis doit s’épanouir plus magnifique sous sa main et en même temps être préservé d’un mystérieux ennemi (s’il n’y avait pas eu d’ennemi, il n’eût pas été besoin d’un gardien) ; il a puissance sur les créatures ; il pénètre leur être intime, il lit pour ainsi dire en elles ; et le nom qu’il leur donne, leur restera. Aujourd’hui, il faut qu’il les dompte par force ou par ruse ; alors Dieu les lui amenait, et elles lui obéissaient comme à leur maître et à leur protecteur. Sa mission était donc d’ennoblir toute la création qui lui était soumise et de répandre la vie du paradis sur la terre entière en consacrant la création terrestre, dont il était le chef, à la gloire du Créateur.

Lui-même enfin était destiné à s’élever à une vie supérieure. Innocent, il n’avait pas encore subi l’épreuve ; il n’était point parvenu à cet état où les enfants de Dieu « ne peuvent plus mourir, parce qu’ils sont semblables aux anges et fils de Dieu, étant fils de la résurrection » (Luc 20.36). Mais la voie lui était ouverte pour s’y élever sans passer par la mort. Il pouvait, mais il ne devait pas mourir. L’arbre de vie était dans le paradis. S’il eût été fidèle, le fruit de cet arbre, la pleine possession de l’immortalité, eût été sa récompense [note 2].

Cette dignité primitive de l’homme a été altérée et obscurcie de bien des manières. Admirons la fidélité de Dieu qui, malgré la chute, a maintenu sans l’amoindrir la glorieuse destination que son amour nous avait assignée. Déjà, en Christ, nous sommes élevés à un état bienheureux, et nous avons, avec une nouvelle vie, l’espérance de la gloire ; nous marchons avec Dieu par la foi ; son Esprit nous guide ; nous avons le privilège d’être en bénédiction à d’autres, et nous voyons approcher le jour où nous serons transformés à l’image du Christ glorifié et où nous atteindrons ainsi le glorieux but assigné à l’homme, lorsqu’il sortait innocent et pur des mains de Dieu.

III

Le paradis est un prélude de cette gloire future. Il n’existe plus sur la terre. Les jugements de Dieu en ont bouleversé le sol ; les flots du déluge ont ravagé le jardin d’Eden. Le nom des quatre fleuves qui en sortaient s’est conservé ; mais leur cours a été changé [note 3]. Ce paradis disparu ne sera pas rétabli. Sans doute, quand la terre ne sera plus maudite et que le séducteur des nations sera lié ; quand tous les peuples serviront le Seigneur et que la prophétie du Psaumes 72 s’accomplira dans le royaume du Christ, la terre sera semblable à un paradis. Mais nous aspirons à quelque chose de meilleur encore ; nous tendons vers une patrie plus belle ; nous avons de plus hautes promesses. « Là où je suis, celui qui me sert y sera aussi, » a dit Jésus (Jean 12.26). Or il est, lui, dans le ciel ; s’il règne sur la terre, ce sera sans être lié à la terre. Le terme de notre pèlerinage n’est donc ni sur la terre, ni dans le monde des morts : il est dans la céleste cité, dont Dieu est l’architecte et le fondateur, dans la nouvelle Jérusalem où coule le fleuve d’eau vive, pur comme le cristal, qui sort du trône de Dieu et de l’Agneau, et où croît l’arbre de vie qui donne son fruit chaque mois et dont les feuilles servent à la guérison des nations. Là doivent habiter les serviteurs de Dieu ; ils verront sa face, et son nom sera écrit sur leurs fronts (Apocalypse 22.1-4). Voilà la réalité dont le paradis ancien n’est qu’une image. « Notre bourgeoisie est dans les cieux » (Philippiens 3.20).

Le commencement et le terme des voies de Dieu s’entre-répondent. Il est l’Alpha et l’Oméga. Ce qu’il s’est proposé au commencement, il le réalisera magnifiquement au terme. Dans le paradis céleste que nous attendons, nous verrons le second Adam, le Seigneur du ciel, et à ses côtés son Eglise sanctifiée, semblable à lui, digne d’être son Epouse, la « mère de tous les vivants » qui partagent avec lui la royauté sur les œuvres de Dieu. Ce mystère n’est pas encore révélé ; mais il est déjà une réalité. Ce qui doit être un jour, c’est ce qui est déjà maintenant.

Adam fut créé le premier ; puis Dieu le fit tomber dans un profond sommeil, prit une de ses côtes et en forma la femme. Christ, le second Adam, l’image du Dieu invisible, est apparu dans une forme humaine. Il était seul d’abord ; il n’y avait point d’Eglise pour le recevoir. Il fallut qu’il fût saisi par le sommeil de la mort et que son côté fût percé ; alors seulement son Epouse prit vie, et son Eglise fut fondée ; c’est de lui qu’elle a reçu la vie ; c’est par lui et pour lui qu’elle existe. Il s’est donné pour elle, afin de la sanctifier, et elle lui est plus chère que tout le reste. — Nous ne faisons que suivre les indications de l’apôtre, qui reconnaît un sens prophétique aux paroles prononcées par Adam, lorsque Dieu lui donna sa compagne (Éphésiens 5.30-32). Par amour, Christ a quitté le ciel pour notre salut ; par amour pour son Eglise, il quittera encore une fois la place qu’il occupe dans la maison et sur le trône de son Père, pour la chercher, l’élever jusqu’à lui et partager avec elle la gloire qui lui a été donnée. Alors le divin mystère auquel a préludé le paradis sera réalisé. « Les étoiles du matin éclatèrent en chants d’allégresse et les fils de Dieu poussèrent des cris de joie, » lorsque luit le grand sabbat qui couronna l’oeuvre de la première création (Job 38.7). Une joie plus grande encore remplira le ciel, quand l’œuvre plus difficile et plus glorieuse de la nouvelle création sera achevée, et que, dans le paradis céleste, Christ régnera à toujours avec son Eglise glorifiée.

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