Méditations sur la Genèse

XX
La Justice de la Foi

Genèse 14.1-7 (Romains 4)

I

Dès longtemps Abraham marchait dans les voies du Seigneur, sans que l’on vît encore aucune trace de l’accomplissement de ce qui lui avait été promis et de ce qui faisait l’objet de ses prières. Il était devenu vieux ; il n’avait point encore de fils et ne possédait pas un pouce de terrain en Canaan. Pour qu’il ne cessât point de croire et d’espérer, des encouragements lui étaient nécessaires. Dieu, qui sait parler aux faibles dans le moment convenable, lui apporte une céleste consolation ; il lui apparaît, et lui dit : « Ne crains point ; je suis ton bouclier et ta grande récompense. » Dieu n’est pas seulement le bouclier des croyants contre les dangers extérieurs, — comme Abraham venait de l’éprouver dans sa lutte avec les rois étrangers, — mais aussi contre les tentations qui naissent de la faiblesse et des impatiences de la chair, et contre les traits enflammés que l’ennemi nous décoche en nous remplissant de doutes, de défiance envers Dieu, d’incrédulité et de toutes sortes de sombres pensées, qui menacent d’étouffer dans sa source notre vie spirituelle. Contre ces attaques-là, nul autre bouclier n’est suffisant que Dieu seul, Dieu révélé en Jésus-Christ, vrai Dieu et vrai homme. C’est lui que nous devons saisir par la foi, et en lui que nous pouvons nous réfugier. C’est de lui que l’apôtre parle, quand il nous dit : « Saisissez le bouclier de la foi… » (Éphésiens 6.16). Sur ce bouclier, l’ennemi aura bientôt épuisé ses traits, et le calme se rétablira. Ta récompense, ô Abraham, si dans toutes ces épreuves tu persistes à t’assurer en ton Dieu, est « très grande » (Hébreux 10.35 ; 3.6).

Abraham ne cherche point à cacher à Dieu sa faiblesse, les angoisses de son âme, les troubles de sa foi : « Seigneur, que me donneras-tu ? Je m’en vais sans enfants, et le fils de mon esclave sera mon héritier. » Il parle à Dieu avec la franchise d’un fils. Ce n’est point un péché de nous sentir faibles en la foi et de passer par l’angoisse. Mais il faut, comme Abrabam, ouvrir notre cœur à Dieu. Sinon, le doute et la tristesse nous dominent toujours plus. En faisant part de nos angoisses et de nos doutes à ceux qui ne sont pas qualifiés pour en recevoir la confidence, nous ne faisons que du mal à nous et à eux. Ce qui est sage, ce qui est humble, c’est de les présenter à Dieu, soit en nous entretenant seul à seul avec lui, soit en nous adressant à quelqu’un de ses serviteurs désigné pour cela. Ainsi agit la pieuse Anne (1 Samuel 1.9-18). Elle prie d’abord silencieusement ; puis, quand le grand- prêtre Eli lui adresse la parole, elle lui confie sa peine secrète, quoiqu’il l’ait d’abord si mal jugée ; elle respecte la charge divine dont il est revêtu, et elle en est récompensée. La parole du serviteur de Dieu lui apporte la consolation. Elle a humblement cherché Dieu sur la voie de l’ordre qu’il a lui-même établi ; c’est pourquoi il lui répond. Grâce à Dieu, nous aussi connaissons le Père céleste ; nous pouvons le prier avec une liberté filiale au nom de Jésus ; nous connaissons aussi son Eglise, et nous savons sur quelle voie, par lui-même établie, il veut se faire trouver de nous et nous répondre.

Dieu ne méprise pas les soupirs d’Abraham ; il ne s’irrite pas de sa plainte. Il condescend à lui répéter la promesse : « Ton fils sera ton héritier. » Il fait plus ; il l’invite à sortir et lui montre la nuit étoilée, cette armée céleste qui proclame la gloire de Dieu, et en face de laquelle l’homme tiré de la poudre sent sa fragilité et son néant : « Vois le ciel, lui dit-il, et compte les étoiles, si tu le peux ; telle sera ta postérité ! »

Ce que Dieu a dit cette nuit-là, il l’a fait. D’un seul homme. déjà affaibli par l’âge, est née une multitude innombrable comme les étoiles du ciel et le sable de la mer » (Hébreux 11.12). Dieu lui avait dit autrefois : « Ta postérité sera comme la poussière de la terre » (Genèse 13.16). Il la compare cette fois aux astres du firmament. N’est-ce pas lui promettre plus qu’une bénédiction terrestre ? La race d’Abraham sera nombreuse et puissante sur la terre ; elle sera nombreuse aussi et glorieuse dans le ciel. Dieu ouvre au patriarche une perspective plus haute que celle de la prospérité temporelle. Aucun œil n’a vu encore ce que Dieu prépare à ceux qui l’aiment (1 Jean 3.2). Il ne nous a donné, dans la création terrestre, qu’un symbole de la gloire qui doit être manifestée dans les enfants de Dieu. Ce symbole, c’est l’éclat immuable, tranquille et pur des astres, qui sont les témoins de sa grandeur et de sa puissance, et qui nous invitent à élever notre âme vers Celui qui les appelle tous par leur nom. C’est lui aussi qui nous a appelés et qui nous rend dignes de posséder l’héritage des saints dans la lumière.« Ceux qui auront été intelligents, brilleront comme la splendeur du ciel, et ceux qui en auront amené plusieurs à la justice, luiront comme les étoiles, à toujours et à perpétuité » (Daniel 12.3). Il y a une élite de l’humanité, un nombre connu de Dieu seul, une sainte cohorte que lui-même prépare pour cette destination éternelle. Cette élite est la postérité d’Abraham ; et cette postérité, c’est Christ et les siens. C’est de Christ et de son Eglise que Dieu parlait à Abraham dans la nuit étoilée. Voilà les héritiers spirituels de ce juste, notre père et notre précurseur à tous sur le chemin de la foi. Ses descendants selon la chair, qui s’opposent à Christ et n’accueillent point la céleste invitation, les Juifs et les autres peuples issus d’Abraham, ont aussi une bénédiction ; mais il convient de les comparer à la poussière de la terre ou au sable de la mer, plutôt qu’aux étoiles du firmament.

« Abraham crut à Dieu, et cela lui frit imputé à Justice. » Les paroles de Dieu et le magnifique spectacle qu’il lui avait montré, n’étaient point restés sans action sur son cœur. Ses doutes cruels étaient résolus ; la question : « Comment cela se fera-t-il ? » ne se posait plus pour lui ; la tentation de l’impatience était passée ; toute incertitude enfin sur la question de savoir si Dieu lui avait réellement parlé et s’il lui tiendrait parole, avait disparu. Son âme se reposait en Dieu avec une absolue confiance. La parole de Dieu lui était plus certaine que sa propre existence, et les assurances de son amour et de sa fidélité lui étaient plus douces que le miel. Abraham crut à Dieu. Il était désormais fort dans sa faiblesse, parfaitement assuré que Dieu était puissant pour faire ce qu’il avait promis. Il s’attachait, non plus au visible, mais à l’invisible ; il se fiait au Dieu qui fait revivre les morts et qui appelle à l’existence ce qui n’existe pas ; il croyait, il espérait « contre tout sujet d’espérer » (Romains 4.18). Il donnait gloire à Dieu ; Dieu « le lui imputa à justice. »

II

Quand Dieu l’avait appelé et s’était révélé à lui pour la première fois, il n’avait point trouvé en lui un juste, mais, comme le dit saint Paul (Romains 4.5) ; un « impie, » c’est-à-dire un homme qui servait aussi les idoles. Abraham fut appelé, non à cause d’œuvres de justice qu’il aurait faites, mais par un décret de la libre grâce de Dieu. Dans sa condescendance, Dieu vint au-devant de lui et lui tendit la main ; il prit cette main et accepta l’invitation et la promesse divines ; en un mot, il crut et ne compta plus que sur Dieu. Il persévéra à travers toutes les phases de sa vie ; qu’une nouvelle épreuve lui survînt, ou que Dieu l’honorât d’une nouvelle révélation, il se confiait dans le Seigneur. C’est par là qu’il fut agréable à Dieu ; et l’Eternel, trouvant en lui une telle foi, put le traiter en fils et même en ami.

Par la puissance de cette foi, Abraham a fait de grandes choses ; il a montré son obéissance, non par de vaines paroles seulement, mais par des actes. Sa foi produisit des œuvres. Mais, avant même qu’elle les eût produites, il était déjà agréable à Dieu pour avoir cru à sa parole et rendu hommage à sa véracité, à sa, toute-puissance, à son amour. Son salut, au milieu de la corruption du paganisme, est affaire de grâce, non de mérite. Sans aucun doute, lui-même en jugeait et en a jugé ainsi jusqu’au bout. La faveur de Dieu n’a jamais cessé d’être, à ses yeux, un don immérité. David déclare heureux l’homme « dont les transgressions sont pardonnées et les péchés couverts » (Psaumes 32.1) ; les justes de tons les temps n’ont pas connu d’autre source de consolation et de paix que celle-ci : « Je crois la rémission des péchés. »

Abraham était donc en état de grâce, en paix avec Dieu. Ce Dieu était pour lui un Père ; le ciel n’était pas fermé sur sa tête, il espérait dans le Rédempteur futur, il jouissait par les mérites de celui-ci du bon plaisir de Dieu. Tout cela, il le possédait avant même que la loi de Moïse eût été donnée, la circoncision instituée, la séparation d’Israël et des païens accomplie. C’est pourquoi l’apôtre peut puiser pour nous de si puissants encouragements dans ce mot : « Il crut, et cela lui fut imputé à justice. » Lorsqu’Israël fut soumis à la loi de Moïse, l’illusion prit naissance, que par les œuvres de la loi on pouvait être justifié et sauvé. En entendant les commandements de Dieu, l’homme s’imagine qu’il parviendra au but en les observant, et il fait effort pour les accomplir. Mais, s’il est sincère, il ne tarde pas à faire cette amère expérience : « La loi ne produit que la colère » (Romains 4.15). Elle ne tue pas le péché en nous, elle ne nous donne pas un nouveau cœur, elle n’apporte pas une vie divine, le Saint-Esprit ; elle ne fait que mettre à nu notre misère sans nom et nous y laisse sombrer. Mais il y a une autre voie, qui conduit vraiment à la paix : c’est celle qu’aucun homme n’eût inventée, celle que Dieu a trouvée et préparée pour nous. Dans la loi, Dieu commande, et il faut faire ce qu’il exige ; dans l’Evangile, Dieu donne, et nous acceptons ce qu’il nous donne. On ne peut concevoir de contraste plus grand que celui qui existe entre la voie de la loi et celle de la promesse, entre la voie du mérite et celle de la grâce. L’esprit servile veut des œuvres et prétend gagner et mériter la grâce. L’esprit filial ne songe pas à rien mériter et se confie dans Celui qui justifie l’injuste ; et c’est là ce qui lui est imputé à justice. Cette voie nouvelle, qui est celle de la vie, Dieu nous l’a ouverte en nous donnant son Fils unique. Par l’incarnation, le Fils de Dieu est devenu notre Chef ; c’est pourquoi notre péché, notre misère à tous sont retombés sur lui ; ce fardeau l’a courbé jusque dans la poussière du tombeau ; la malédiction qui pesait justement sur nous l’a anéanti. Il semblait que la nuit d’une mort éternelle dût l’envelopper. Mais voici, Dieu a rompu les liens de la mort ; il a accepté son sacrifice ; il l’a ressuscité et l’a reçu dans la gloire. En accueillant notre Chef, il nous accueille nous-mêmes et nous introduit dans la glorieuse liberté des enfants de Dieu. Jésus est proclamé parmi nous ; nous croyons à ce témoignage ; nous y reconnaissons l’appel de l’amour de Dieu, et nous prenons confiance dans Celui qui l’a ressuscité des morts. Voilà la foi qui, selon l’apôtre, nous est imputée à justice. Abraham regardait au Sauveur futur ; nous, au Sauveur présent ; sa foi est notre foi, car son Dieu est le nôtre. Celui qui l’appela et lui révéla son amour, nous a aussi appelés et nous a révélé son amour d’une manière plus admirable encore.

La loi de Moïse et son règne en Israël n’a été qu’une parenthèse ; elle ne devait pas durer toujours, et elle a disparu. Mais les promesses données a Abraham n’étaient point destinées à passer ; elles demeurent, et c’est, à proprement parler, maintenant que la loi a passé, qu’elles s’accomplissent. Nous qui croyons au Fils, nous jouissons de ce qui avait été promis à Abraham : la bénédiction qu’il attendait, le don de l’Esprit est descendu sur nous, bien que par nature nous fussions des païens. L’Eglise marche sur les traces d’Abraham ; elle est, par rapport à Dieu, dans la même situation que le père des croyants ; elle reçoit, comme lui, la faveur de Dieu et l’adoption, comme un don immérité de sa grâce ; elle ne connaît pas de mérite des œuvres ; et, même après avoir marché fidèlement avec lui, elle ne cherche de consolation et de joie que dans sa miséricorde ; elle s’avance, avec une filiale assurance, appuyée sur sa main. Elle ne voit pas encore le royaume de gloire qui lui est promis. Nous n’avons pas vu face à face ce Jésus que notre cœur aime. Mais nous voulons, avec l’aide de Dieu, comme Abraham, persévérer dans l’espérance et dans la patience, jusqu’au jour où notre foi sera changée en vue et où nous entonnerons un hymne qui ne cessera point à la gloire de la fidélité et des voies admirables de Dieu.

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