Méditations sur la Genèse

XXI
L’Alliance de l’Eternel avec Abraham

Genèse 15.8-21

Abraham demande une confirmation de la promesse que Dieu lui a faite ; il le fait, non dans un esprit d’incrédulité, comme les Juifs réclamant de Jésus un signe, mais avec une confiance filiale. Il croit à la parole de Dieu ; mais il sent que sa foi a besoin d’être affermie. Il a fait l’expérience de sa propre faiblesse, et il s’attend à rencontrer encore des épreuves sur sa roule. C’est pourquoi il désire en savoir davantage sur l’accomplissement de la promesse et en posséder un gage. Dieu ne s’indigne point de cette demande ; il honore Abraham d’une révélation plus précise, et contracte solennellement alliance avec lui. Considérons la signification de ce fait pour Abraham, pour Christ, pour l’Eglise.

I

Sur l’ordre de Dieu, Abraham prépare un sacrifice. Les animaux, que le Seigneur réclame pour ce sacrifice solennel sont, des animaux purs, les mêmes qu’avaient offerts Abel et Noé et qui plus tard furent prescrits pour les sacrifices du tabernacle. Abraham n’offre pas ce sacrifice en son propre nom seulement ; il paraît devant Dieu comme chef de sa maison, comme ancêtre du peuple promis ; il offre son sacrifice pour ses descendants, pour cette postérité qui sera « comme le sable de la mer et comme les étoiles du ciel. » Il représente devant Dieu cette multitude, et c’est en son nom qu’il fait alliance avec l’Eternel. L’alliance se conclut au moyen du sacrifice. C’était l’usage en pareil cas de partager la victime ; ceux qui contractaient alliance passaient entre les deux moitiés. Abraham prépare tout pendant le jour ; le sacrifice aura lieu le soir. Il n’apporte point de feu pour l’holocauste ; l’Eternel se réserve de témoigner par un miracle qu’il l’accepte.

Le soir venu, Abraham peut voir à quel point c’est chose grave pour l’homme pécheur de s’approcher de Dieu et d’entrer en relation avec lui. L’Eternel le fait attendre ; il ne répond pas aussitôt, bien que tout soit prêt. Dans l’intervalle, des oiseaux de proie se rassemblent et se jettent sur les animaux sacrifiés, qui gisaient à terre devant l’autel ou qui se se trouvaient déjà sur l’autel. Il faut qu’Abraham les chasse, de peur qu’ils ne souillent son sacrifice ; une victime lacérée par des bêtes sauvages ne serait pas propre à être offerte. Cela fait, le Seigneur ne lui accorde pas encore la consolation qu’il attend. Un sommeil pour ainsi dire mortel s’empare de lui ; et, à son réveil, une frayeur le saisit et une profonde obscurité l’enveloppe.

Ce n’est pas seulement l’obscurité de la nuit, ce sont en même temps des ténèbres spirituelles, c’est une angoisse de l’âme qui s’est emparée de lui. Il lui arrive comme à Gédéon, à Manoah, qui croient qu’ils vont mourir quand ils ont vu l’Eternel ou son Ange (Juges 6.22-23 ; 13.22). Cette frayeur mortelle est pour lui une humiliation nécessaire ; c’est aussi un pressentiment de ce que ses descendants souffriront en Egypte : « Ta postérité, lui dit l’Eternel, sera étrangère dans un pays qui ne lui appartiendra point ; elle y servira et y sera opprimée pendant quatre cents ans ; mais je jugerai la nation qui l’aura asservie, et, après quatre générations, ils reviendront ici. » L’Israël selon la chair ne trouvera le repos qu’après avoir surmonté ces dures épreuves. Comment l’Israël spirituel pourrait-il parvenir au repos bienheureux de la Canaan céleste autrement qu’à travers de longues et redoutables épreuves ? Ce soir-là, Abraham a éprouvé aussi un avant-goût de ces dernières.

Mais le Seigneur n’abandonne pas son serviteur à ces frayeurs ; dans l’obscurité de la nuit, sa lumière luit de nouveau pour le juste. Abraham voit une colonne de feu et de fumée pareille à celle qui sort d’une fournaise, et qui, sans doute, n’est autre que la nuée dans laquelle Dieu apparut plus tard à Israël. Une flamme, allumée par la présence de Dieu, passe entre les animaux partagés. Le premier sacrifice d’Aaron fut accepté de la même manière : « La gloire de l’Eternel apparut, et un feu sortit de devant l’Eternel et consuma l’holocauste sur l’autel » (Lévitique 9.23-24) ; et à la prière de Salomon lors de la dédicace du temple, comme à celle d’Elie sur le Carmel, l’Eternel répondit en envoyant le feu du ciel (2 Chroniques 7.1 ; 1 Rois 18.38). C’est ainsi qu’ici Dieu fait alliance avec Abraham, l’assure de sa bienveillance et change sa frayeur en joie. Il lui donne par là un gage de l’accomplissement de sa parole. Aussi vrai qu’il a accepté son sacrifice, il accomplira un jour sa promesse en faveur de sa postérité et il l’introduira dans le repos réservé au peuple de Dieu.

II

Dans cette circonstance remarquable, nous reconnaissons en Abraham un type de notre Seigneur Jésus-Christ. Il se présentait devant Dieu comme chef de toute sa famille ; les croyants qui devaient naître un jour étaient renfermés en lui. De même, mais plus parfaitement, nous avons été renfermés en Christ et représentés par lui devant Dieu. Abraham n’a offert qu’un sacrifice symbolique ; Christ offre le sacrifice parfait en se sacrifiant lui-même. Il représente devant Dieu une race coupable ; voilà pourquoi il lui en coûte pour s’approcher de lui un combat si inexprimablement douloureux.

Lorsque Jésus vient réclamer de Jean le baptême de repentance et de purification, bien qu’il n’ait point commis de péché, il se reconnaît par là membre du peuple d’Israël, et il se consacre solennellement à son Père pour accomplir sa volonté, dût-il lui en couler le sacrifice de sa vie. Son œuvre de sacrificateur commence. Et aussitôt, pareil à ces oiseaux sinistres qui voulaient détruire le sacrifice d’Abraham, le tentateur s’approche dans le but de rendre vaine cette pure et absolue consécration de Jésus. Mais, comme Abraham, il chasse ces oiseaux impurs, et il ne laissé pénétrer dans son cœur aucune pensée coupable.

Des épreuves plus rudes lui étaient réservées, avant que son sacrifice fût accompli et accepté de Dieu. La nuit vint ; le soleil de la présence de Dieu se voila pour lui ; « une frayeur et une grande obscurité l’enveloppèrent. » C’était à Gethsémané. Avant de se livrer aux mains des hommes, il se remet à celles de son Père ; il entre pour nous en jugement ; il se présente pour nous devant le tribunal de Dieu. Il tremble, il est dans l’angoisse, il cherche consolation et force auprès de ses disciples, il réclame leur intercession. Jamais ils ne l’avaient vu dans un pareil combat ; des paroles comme celle-ci : « Mon âme est triste jusqu’à la mort, » n’étaient pas encore sorties de sa bouche. Dans toutes leurs épreuves, c’est lui qui avait été leur appui ; maintenant, c’est lui-même qui se plaint de ce que « l’esprit est prompt, mais la chair faible ». Le tableau tracé par le Saint-Esprit dans le Psaume 22 est devenu une effrayante réalité. Jamais homme ne se sentit aussi faible que Jésus ; pour nul autre, la mort ne fut si amère que pour lui, lorsque lui fut présentée la coupe que nos péchés avaient remplie pour lui. La frayeur même qu’éprouva Abraham n’égale pas celle dont l’âme de Jésus fut saisie. C’est ainsi qu’il dut accomplir le grand et parfait sacrifice : il dut lutter avec la mort, il fut en danger de périr dans les angoisses de son âme. « Il a offert, avec de grands cris et avec larmes, des prières et des supplications à Celui qui pouvait le délivrer de la mort » (Hébreux 5.7). Comme Abraham, offrant son sacrifice, a porté le fardeau des souffrances de ses descendants. c’est tout spécialement le fardeau des péchés du peuple chrétien, ce sont nos fautes, à nous, qui avons été baptisés en son nom, qu’il a portés. Les péchés que nous avons commis depuis que nous sommes enfants de Dieu et que nous avons reçu son Esprit, ont pesé plus lourdement sur lui que ceux de tous les autres hommes.

C’est ainsi que le sacrifice de Jésus fut accompli : sa foi demeura victorieuse de l’angoisse ; son offrande fut acceptée du Ciel, et cette acceptation fut manifestée au matin de Pâques. La réponse de Dieu à son sacrifice fut l’envoi du feu du ciel, du Saint-Esprit, qui descendit pour vivifier et glorifier le corps du Sauveur qui venait d’être sacrifié.

Nul homme ne fut jamais si durement frappé et si profondément affligé que Jésus, lorsqu’il dut mourir comme notre Chef ; aucun, non plus, ne connut une joie et une force pareilles aux siennes, lorsqu’au matin de la résurrection Dieu témoigna solennellement que le sacrifice était accepté. Dieu a conclu à cette heure-là avec Jésus la nouvelle alliance ; il a accueilli notre Chef, et nous avec lui, car il avait fait de notre cause la sienne et l’a soutenue jusqu’à ce qu’elle eût triomphé. Alors il est allé au Père et il a été accueilli dans la gloire comme notre avant-coureur. Comme la postérité d’Abraham est graciée et bénie en Abraham, de même nous avons tous été graciés et bénis dans la résurrection du Christ.

III

L’Eglise de Christ, cette postérité sainte par laquelle tous les peuples de la terre doivent être bénis, ne peut parvenir à son but céleste sans traverser, elle aussi, les mêmes épreuves qu’Abraham. Les disciples de Jésus s’étaient imaginé que l’établissement de son règne se ferait sans difficulté. Ils durent s’entendre dire : « J’ai encore beaucoup d’autres choses à vous dire ; mais vous ne pouvez pas les porter maintenant » (Jean 16.12). Jésus voulait parler des tentations et des combats que l’Eglise devait encore traverser. Il faut qu’elle s’offre à Dieu comme une victime sanctifiée par son Esprit ; c’est sa tâche, c’est ce que Dieu veut d’elle. Mais elle a un adversaire, qui fait tout pour empêcher que l’Eglise de Jésus et que chaque âme chrétienne soit pour Dieu cette offrande agréable. D’impurs oiseaux se précipitent sur le sacrifice : des esprits malins travaillent à détruire l’œuvre de la grâce, à souiller le bien que le Seigneur a déjà produit en nous et à empêcher notre pleine et pure consécration à Dieu. Ces attaques ne doivent ni nous surprendre, ni nous décourager. Abraham chassa les oiseaux ; nous avons une force pour faire de même : « Résistez au diable, et il s’enfuira de vous » (Jacques 4.7). « Celui qui est en vous est plus puissant que celui qui est dans le monde » (1 Jean 4.4). Et encore : « Quiconque est né de Dieu se conserve soi-même, et le Malin ne le touche point » (1 Jean 5.18).

« Ta postérité sera étrangère dans un pays qui ne lui appartiendra point ; elle y sera asservie et opprimée pendant quatre cents ans. » Ces mots décrivent prophétiquement la condition de l’Eglise sur la terre. Douée à son origine de sainteté et de force, elle ne s’est pas dès lors développée dans un progrès constant ; elle a plutôt perdu de la pureté de sa vie et de l’énergie de sa foi. Sa vie spirituelle ne s’est jamais éteinte, mais elle a végété dans l’oppression. Les enfants de Dieu se sont mêlés au monde, et les pouvoirs terrestres ont établi leur domination dans le sanctuaire où la volonté et l’Esprit du Seigneur devaient seuls régner. L’Esprit de Dieu, qui habite dans l’Eglise, gémit sous la puissance de la chair et aspire à la délivrance ; et, de même que la situation d’Israël, loin de s’améliorer, ne fit, sous les Pharaons, qu’empirer de génération en génération, les temps sont devenus toujours plus mauvais pour l’Eglise de Christ. Mais la puissance charnelle sera jugée, et les enfants de Dieu délivrés et conduits en Canaan. Nous n’espérons pas que l’Eglise recouvre jamais en ce monde sa prospérité d’autrefois ; nous ne comptons sur aucun Pharaon pour cultiver en elle la vie spirituelle et pour lui assurer une activité bénie ; mais nous espérons être pleinement affranchis de ce monde mauvais ; nous attendons le royaume indestructible. Nous ne connaissons d’autre délivrance que le retour du Christ ; notre désir est de voir face à face Celui que nous aimons déjà sans l’avoir vu, de lui devenir’ parfaitement semblables, de pouvoir enfin entonner avec les rachetés le cantique de Moïse et de l’Agneau, et célébrer avec eux le triomphe du règne de Dieu ! Comme Jésus, c’est dans la résurrection que l’Eglise recevra l’assurance que Dieu a accepté son sacrifice, et la récompense de ses souffrances. Présentement, il faut qu’elle s’abandonne à Dieu comme une victime d’agréable odeur. C’est aux derniers jours de la servitude d’Egypte que les maux d’Israël furent le plus amers. Ne nous étonnons pas si, au terme de l’économie actuelle, l’Eglise doit soutenir encore un rude combat avant d’être délivrée et transportée dans la Canaan céleste. Rappelons-nous aussi que toute âme chrétienne doit faire des expériences analogues. « Si tu veux être un serviteur de Dieu, prépare-toi à être éprouvé » (Sirach.2.1). Chaque progrès dans la vie spirituelle réclame le renoncement à nous-mêmes et la patience ; il faut que la patience et la persévérance poursuivent leur œuvre jusqu’à la fin.

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