Méditations sur la Genèse

XXVII
Isaac et Ismaël

Genèse 21.1-21 (Galates 4.21-31)

I

Enfin, la foi d’Abraham est récompensée ; Sara donne le jour à l’héritier promis. Elle le nomme Isaac, parce que sa naissance provoque le rire. Elle songe sans doute à d’antres qui riront d’elle ; mais le vrai sens du nom se rapporte plutôt à la sainte joie qui est le partage de ceux qui longtemps se sont attendus à Dieu et ont conservé, au travers des plus rudes épreuves, leur confiance dans sa véracité et sa bonté. Le cœur d’Abraham est plein de consolation et de joie. Lorsque Isaac a atteint ses trois ans, — l’âge où l’on sevrait les enfants, — son père célèbre un sacrifice d’actions de grâces, invite à un grand festin ses voisins et ses amis, et fait une fête à tous ses serviteurs, afin qu’ils se réjouissent avec lui.

Mais, dans la vie humaine, alternent sans cesse la souffrance et la joie ; à la consolation succèdent, pour Abraham, de nouvelles épreuves. Il n’y a pas de plus grande joie pour un chef de famille que de voir régner la paix et l’union parmi les siens. Abraham — sa conduite envers Lot l’a montré — était un homme de paix. Au moment même où il se croit arrivé au port d’un vrai bonheur domestique, éclatent parmi les siens les querelles et la division. Sara remarque qu’Ismaël se moque. Ismaël avait alors dix-sept ans, et il avait déjà compris que son jeune frère lui serait préféré. Lui et sa mère avaient compté sur l’héritage d’Abraham, ou du moins sur une partie notable de ses biens. Ils ne peuvent cacher leur envie et leur dépit, lorsqu’ils voient la préférence témoignée à Isaac. Ismaël manifeste ses sentiments à la manière de son âge, mais il y a déjà chez lui une profonde haine. Sara en est irritée au dernier point ; elle réclame l’expulsion d’Agar et de son fils : « Car le fils de la servante n’héritera pas avec mon fils Isaac. » Sa dureté ne saurait se justifier ; Abraham, qui aimait Ismaël, en a le cœur déchiré ; il sent une fois de plus les conséquences de sa faute. La paix de Dieu, l’union, la prospérité, ne peuvent subsister là où l’ordre divin du mariage est troublé. Sara et Agar ne vivront jamais en paix dans la môme maison.

Dieu confirme la demande de Sara, ce qui ne justifie pas les sentiments de celle-ci. Il entre dans ses desseins qu’Ismaël soit éloigné et qu’Abraham soit par là de nouveau mis à l’épreuve et humilié. Tout cela arrive et tout cela est écrit pour notre instruction. Il y a une sagesse cachée dans les voies souvent étranges et mystérieuses de Dieu.

Au moment où Abraham se sépare d’Agar et d’Ismaël, Dieu ne le laisse pas sans consolation : « Je ferai aussi du fils de ta servante une nation ; car il est la race. » (Comp. la promesse semblable Genèse 17.20.) — La séparation est dure à son cœur : le sacrifice qu’il fait en chassant Ismaël n’est guère moins cruel que ne fut plus tard le sacrifice d’Isaac. Mais il obéit celte fois encore, par la foi, se tenant à celle parole : « Je ferai de lui aussi un grand peuple, » — bien que l’alliance et la promesse célestes n’appartiennent qu’à Isaac. La parole de Dieu le fortifie et lui donne de se vaincre lui-même. Il laisse Agar et son fils partir au désert, en se disant : Dieu les conduira, Dieu les protégera ! Certainement il ne cesse pas de prier pour eux, et nous voyons bientôt Dieu exaucer le cri de la mère et du fils, et les sauver de la mort. Il leur a préparé dans le désert une oasis ; c’est là que le jeune homme achève de grandir ; et « Dieu était avec lui ».

Les paroles de Dieu touchant Isaac et Ismaël se sont accomplies. L’histoire montre comment Dieu a tenu, jusqu’à ce jour, ce qu’il avait, il y a des siècles, promis à Abraham. Isaac a été le père du peuple de Dieu dans l’ancienne alliance, l’ancêtre de Jésus, en qui toutes les familles de la terre sont bénies ; Ismaël a été celui d’un autre grand peuple, qui est le pendant du peuple d’Israël : les Arabes aussi sont fils d’Abraham ; eux aussi ont douze tribus ; en eux revit Ismaël, le belliqueux habitant de la steppe, dont l’Ange de l’Eternel avait dit : « Il sera comme un âne sauvage ; sa main sera contre tous, et la main de tous contre lui ; il dressera ses tentes contre tous ses frères » (Genèse 16.12).

Ismaël est né du père des croyants et d’une esclave égyptienne ; lui-même prend une femme en Egypte. Deux éléments hétérogènes sont réunis en lui ; son caractère est un mélange de chair et d’esprit. Il en est de même des Arabes. D’Israël est venu l’Evangile de Dieu ; des Arabes, la doctrine du faux prophète Mahomet, où se mêlent la vérité et le mensonge : quelques vérités, empruntées à la révélation, s’y allient à la sensualité et à la barbarie.

II

La parole divine s’est donc accomplie d’une manière à la fois grandiose et littérale. Mais ce qui nous touche de plus près encore, c’est le sens spirituel de cette histoire que l’apôtre Paul nous dévoile, comme nous l’avons rappelé (Galates 4). Les deux fils d’Abraham et leurs rapports mutuels sont un type frappant et instructif de ce qui s’est passé dans les premiers jours de l’Eglise. Isaac, accordé, selon la promesse, en réponse à de longues prières, c’est Christ et l’Eglise. Christ est le vrai Isaac ; et nous, qui sommes en lui par la foi et par le baptême, nous faisons partie de sa sainte postérité ; nous sommes les enfants de la promesse. Ismaël, né avant Isaac, non en vertu de la promesse, mais d’une manière naturelle, selon la chair, c’est l’Israël charnel, qui a rejeté Jésus-Christ et qui le persécute dans les siens — « Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu ? » Le judaïsme a été là avant le christianisme ; il se croit le droit de regarder l’Eglise comme une secte nouvelle, un enfant tardif et sans droits, tandis qu’à lui appartient l’héritage. Ainsi le fils selon la chair persécute le fils selon l’Esprit ; Isaac est exposé de nouveau aux railleries amères et à la haine d’Ismaël. Mais que dit l’Ecriture ? Ismaël sera chassé et n’héritera pas avec le fils de la femme libre. Le peuple juif, qui s’est acharné sur les disciples de Christ, est exclu de l’alliance et privé de son héritage. Il doit quitter sa ville sainte ; il ne peut plus poser le pied sur la montagne où fut autrefois la maison de son Dieu. La destruction de Jérusalem, la dispersion des Juifs, qu’est-ce autre chose que l’expulsion d’Ismaël dans le désert ?

Dans le type d’Ismaël se révèlent en même temps la patience et la fidélité de Dieu envers le peuple juif. Agar et son fils errent au désert ; mais Dieu les y sauve miraculeusement. Une malédiction pèse sur Israël ; mais une bénédiction repose aussi sur lui. Dieu ne le laisse pas périr ; il n’oublie pas qu’il est la postérité d’Abraham. Jésus-Christ se souvient que les Juifs sont ses frères selon la chair. Dieu, qui a entendu les pleurs d’Ismaël et d’Agar, entend aussi la prière des Israélites sincères. Nous non plus ne devons point les haïr ni les mépriser ; nous devons dire avec Paul : « Ils sont aimés à cause de leurs pères » (Romains 11.28), et, avec Abraham, nous affliger du départ d’Ismaël et intercéder pour lui. C’est notre devoir sacré de chrétiens.

Ismaël aussi a une promesse ; une part d’héritage lui est encore réservée. Le peuple juif, bien qu’il ait jusqu’ici méconnu son Roi et son Rédempteur, a encore un avenir. S’il persiste dans son aveuglement jusqu’à la fin de l’économie chrétienne, l’héritage céleste lui échappera ; il n’entrera pas dans la nouvelle Jérusalem où Jésus habite avec les siens : il ne sera pas élevé à la droite et sur le trône du Rédempteur. Mais, à côté de l’héritage céleste des enfants de Dieu, il lui reste une part sur la terre. Dans la grande tribulation, il se convertira au Dieu de ses pères ; quand Christ paraîtra avec ses saints, il le reconnaîtra et lui rendra hommage (Zacharie 12.10-14) ; il rentrera dans son pays et sera sur la terre, pendant le règne de mille ans, un peuple de justes travaillant pour le Seigneur à la conversion des nations encore éloignées de lui (Deutéronome 30.1-6 ; Ésaïe 66.19). Ismaël est béni, parce qu’il est la semence d’Abraham. Les trésors de la sagesse, de la bonté et de la fidélité de notre Dieu doivent se déployer de même envers les Juifs (Romains 11.25-36).

III

Ces types ont une importance particulière pour l’Eglise des derniers temps et pour nous qui vivons dans ces temps. La chrétienté tout entière devrait réaliser le type d’Isaac, persévérer dans des sentiments tout spirituels et célestes, annoncer les vertus de Christ et se rendre digne du royaume des cieux ; Christ devrait être révélé en elle et par elle. Nous savons qu’il n’en est pas ainsi. Le christianisme que nous trouvons autour de nous et en nous-mêmes, est un christianisme mondanisé. Sans doute, Dieu a des fidèles dans les différentes parties de l’Eglise ; mais les Eglises elles-mêmes ne sont pas organisées d’une manière purement spirituelle, ni dirigées exclusivement par l’Esprit de Christ ; il y a en elles un mélange de divin et d’humain, d’esprit et de chair ; c’est là le caractère d’Ismaël. Il y a des enfants de Dieu, de fidèles serviteurs de Christ ; mais les édifices qu’ils habitent ne peuvent prétendre à subsister toujours et à être maintenus par le Seigneur quand il viendra : les Eglises, comme les royaumes de ce monde, sont destinées à disparaître à l’avènement dû Christ. Elles ne sauraient pas plus, comme institutions, hériter le royaume des cieux, qu’Ismaël n’avait droit à l’héritage d’Isaac. Nous disons cela, non dans un esprit de jugement, mais avec douleur et humiliation. C’est notre faute et la faute de nos pères, s’il en est ainsi. Nous souffrons tous de cette confusion de la chair et de l’Esprit ; notre vie spirituelle à chacun en est affaiblie. Cependant l’aspiration à un état meilleur existe ; elle a toujours existé, et elle se réveille de nos jours avec une force nouvelle. Nous désirons de voir enfin Christ formé dans son Eglise, la vie divine s’y déployant dans sa pureté et dans « a force ; pour parler en figure, nous voulons que le fils de la promesse, Isaac, soit engendré. C’est là le soupir de l’Esprit ; c’est à cela que tend l’effort de tous les fidèles serviteurs de Dieu ; leur tâche est de prendre part à ce travail spirituel dont Paul écrivait aux Galates : « Mes petits enfants, pour qui je sens de nouveau le » douleurs de l’enfantement, jusqu’à ce que Christ soit formé en vous » (Genèse 4.19).

Cela se fera-t-il ? Le vrai christianisme sera-t-il jamais parfaitement réalisé dans l’Eglise ? On peut se le demander. L’Eglise des premiers jours n’y a pas réussi ; comment celle d’aujourd’hui j réussirait-elle ? Si Sara n’a pas engendré en sa jeunesse le fils désiré, comment pourrait-elle être mère dans ses vieux jours ? Il faut ici la foi d’Abraham, dont l’apôtre nous parle (Romains 4.19-21). Il faut que les serviteurs de Dieu imitent cette foi et ne cessent de prier et de travailler, pour se rapprocher du but. Leurs peines dans l’œuvre du Seigneur, les luttes spirituelles des enfants de Dieu, sont les douleurs d’enfantement qu’il faut surmonter. C’est là le sens de la vision de saint Jean (Apocalypse 12.1,2,5). La femme vêtue du soleil, qui a la lune sous ses pieds et sur sa tête une couronne de douze étoiles, souffre de grandes douleurs pour enfanter ; mais l’enfant vient au jour, et il est enlevé vers Dieu et vers son trône. Cela veut dire que Christ étant enfin formé dans les siens, ceux-ci — ceux qui seront déjà morts, aussi bien que ceux qui seront encore vivants — seront enlevés tous ensemble, transformés à son image et introduits dans la gloire (1 Thessaloniciens 4.15-17 ; 1 Corinthiens 15.51-58).

Nul travail n’est plus pénible, nulle souffrance plus profonde, que cet effort spirituel des serviteurs de Dieu pour que Christ soit formé dans son Eglise. Mais ce travail aura sa récompense ; ni les moqueries des hommes, ni les doutes de notre propre cœur, ne nous doivent décourager. Dieu veut que ce travail finisse par réussir. A la semence jetée en terre avec larmes succédera la joie de la moisson (Psaumes 126). Que chacun prenne sa part du travail ; que nul ne l’entrave ou ne l’arrête. « Celui qui ne rassemble pas avec moi, disperse, » a dit Jésus (Matthieu 12.30). Si nous sommes nés de l’Esprit, enfants de la promesse, comme Isaac, marchons aussi selon l’Esprit (Galates 5.25). Faisons cesser pour toujours parmi nous la mondanité, les sentiments terrestres, le dangereux mélange d’esprit et de chair, de zèle et de tiédeur ! Soyons prêts à souffrir, si Ismaël venait à s’élever contre Isaac et à le persécuter. Mettons tout notre effort à produire ces fruits de l’Esprit qui glorifient Dieu. Maintenant est le temps des semailles ; maintenant est le temps décisif. « Ce que l’homme sème, c’est ce qu’il moissonnera aussi » (Galates 6.7-8).

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