Méditations sur la Genèse

XXVIII
Abimélec et Abraham

Genèse 21.22-34

Abraham n’avait pas cessé de parcourir en pèlerin le pays de la promesse ; il habitait avec Sara et Isaac des tentes qu’il transportait de lieu en lieu. Abimélec était l’un des princes de Canaan ; il demeurait dans le sud du pays, et avait pour sujets les Philistins. Nous avons déjà vu Abraham allié aux Cananéens Aner, Escol et Mamré (chap. 14) ; ici, nous voyons le puissant roi des Philistins faire un traité de paix et d’amitié avec cet étranger, qui n’a pas un pouce de terrain à lui, mais dans lequel il reconnaît un homme béni de Dieu, un prophète et un prêtre de l’Eternel. La conduite de ces deux hommes nous apprend quels devraient être les rapports entre les représentants de la puissance politique et ceux de l’Eglise de Jésus-Christ, et quelles bénédictions découleraient d’une alliance de paix entre les deux puissances, temporelle et spirituelle.

I

Abimélec est pour nous le type des rois de la terre ou de la puissance civile. Il n’est pas dans l’alliance de Dieu, comme Abraham ; il n’a pas la promesse ; il appartient à ce monde païen dont Abraham a été séparé par son élection. C’est cependant une noble apparition. Chez lui on trouve encore cette antique piété que les premiers ancêtres du genre humain avaient léguée à leurs descendants. Lorsque Dieu lui révèle qu’il a pris la femme d’Abraham, il tremble à la pensée d’avoir été près de commettre un si grand péché et d’attirer sur lui et sur son peuple la colère de Dieu. Plût à Dieu que de tous les princes on pût dire qu’ils ont à ce point la crainte de violer les commandements de Dieu et d’offenser Celui qui châtie l’adultère ! Quelle honte pour la chrétienté, de rencontrer chez ces païens une piété si rare parmi nous ! En vérité, ils étaient restés plus fidèles à la religion primitive que nous, chrétiens, en général, ne le sommes à la foi chrétienne et aux commandements de Jésus !

Abimélec avait reconnu en Abraham un prophète de l’Eternel ; il croyait à la promesse qui lui avait été faite, et sa foi s’était affermie encore, lorsqu’il avait vu naître l’héritier si longtemps attendu. C’est pourquoi il vient à lui avec le chef de son armée, Picol, et lui dit : « Dieu est avec toi dans tout ce que tu fais. » Le roi païen n’est pas sourd à la Parole de Dieu proclamée par l’étranger ; il comprend que c’est Dieu qui le conduit et qui lui donne sagesse, force et prospérité. Comme la Cananéenne Rahab (Josué h, 9-11), il confesse sa foi aux promesses de Dieu, bien qu’elles soient pour un autre que pour lui. Nous pouvons donc le mettre au nombre de ceux qui ont obtenu par la foi la justice et l’approbation de Dieu.

C’est cette foi qui l’amène auprès d’Abraham pour lui tendre la main et faire alliance avec lui. Il reconnaît en lui le futur maître de Canaan ; il n’en éprouve ni jalousie ni haine ; il respecte les dispensations de Dieu et recherche l’amitié de son élu. Il se montre juste envers lui, en se hâtant de lui rendre Sara ; hospitalier, en lui offrant sa protection royale : « Mon pays est à ta disposition, habite où il te plaira ; » généreux, enfin, en lui donnant « des brebis et des bœufs, des serviteurs et des servantes, et mille pièces d’argent. » Il croit fermement au sacerdoce que Dieu lui a confié ; il recourt à son intercession, et, par sa prière, il est préservé du châtiment et reçoit la bénédiction de Dieu pour lui, sa famille et ses sujets.

Nous avons là un beau type de la manière dont les rois et les puissants de ce monde devraient se comporter à l’égard du Christ, qui habite en étranger sur cette terre en la personne de ses serviteurs. Qu’ils laissent Sara à Abraham ; qu’ils ne prétendent pas dominer le peuple de Dieu dans les choses spirituelles, fixer la doctrine, régler le culte ; qu’ils ouvrent hospitalièrement leur pays à l’Eglise de Christ ; qu’ils la laissent se mouvoir et s’étendre librement, et la protègent pour que nul ne lui cause de dommage ; qu’ils usent de générosité et offrent pour l’avancement du règne de Dieu quelque chose des biens terrestres dont il les a dotés ; qu’ils attendent enfin la bénédiction de Dieu des prières de l’Eglise. Le devoir de celle-ci est de prier incessamment pour les princes et pour tous ceux qui sont revêtus d’une charge civile (1 Timothée 2.1-4). Cette intercession devrait être d’un haut prix aux yeux de ceux qui en sont l’objet ; ils ne devraient pas y voir une simple forme, un hommage rendu à leur rang, un acte de politesse, mais une puissance qui écarte les jugements, qui prolonge les temps de paix et de grâce, qui fait descendre la bénédiction sur autorités et sujets, et qui raffermit ces liens invisibles de l’obéissance et de l’amour auxquels est attachée la prospérité d’un roi et de son peuple. L’intercession des fidèles n’est rien moins que celle de Jésus-Christ lui-même par les siens, et c’est cette intercession qui fait vivre encore aujourd’hui l’humanité, qui contient l’adversaire et qui préserve la chrétienté du jour de la colère qui s’approche.

Abimélec reconnaît que l’avenir est à la postérité d’Abraham et que les autres peuples ne peuvent être bénis que par elle ; il veut cette bénédiction pour lui et pour ses descendants. « Jure-moi, lui dit-il, que tu ne tromperas ni mes enfants, ni les enfants de mes enfants, et que tu auras pour moi et pour le pays où tu séjournes la même bienveillance que j’ai eue pour toi. » Cette demande fut agréée de Dieu, et certainement il y a eu dans le cours de l’histoire une bénédiction sur le pays et le peuple d’Abimélec.

II

Abraham nous présente de nouveau ici le modèle des croyants et particulièrement des ministres de Christ. Notre tâche est de marcher sur les traces de sa foi. Lui aussi a commis des. fautes : ce n’est pas en cela que nous sommes appelés à l’imiter, car la source n’en était pas dans sa foi, mais dans la faiblesse de sa foi. A deux reprises, il est tombé dans le même péché à l’égard de Sara. Dieu ne l’a pourtant pas rejeté ; il lui a miséricordieusement conservé sa position de prophète et de porteur des promesses. Les ministres de Christ sont par deux fois aussi — la première, au temps de Constantin ; la seconde, au temps de la Réformation — tombés dans la même grave faute : ils ont eu la faiblesse de livrer à la puissance politique une partie de leurs droits et de leur responsabilité envers l’Eglise. On ne peut assez déplorer les maux qui en sont résultés pour l’Eglise grecque et l’Eglise protestante. Mais nous croyons que le Seigneur n’a pas pour cela retiré sa grâce à ses serviteurs dans ces deux Eglises, et qu’il a pour eux la même patience que pour Abraham.

Revenons à Abraham et à ce qu’il a fait par la foi. Il persévère dans sa mission d’élever l’autel du Seigneur en divers lieux de la terre promise, d’invoquer et de proclamer le nom de Jéhova. Il se plaint sans détour au roi des Philistins, dont les serviteurs se sont emparés par la force du puits qu’il avait creusé. Il donne ainsi aux ministres de Christ un exemple de la manière franche et hardie dont ils doivent censurer les fautes même des plus hauts placés. Et nous voyons ses paroles bien accueillies par Abimélec.

Abraham finit par conclure avec Abimélec l’alliance de Béerséba, qui assure à chacun d’eux ses droits. Abimélec reconnaît solennellement que le puits est l’œuvre d’Abraham ; celui-ci, de son côté, lui offre sept brebis, symbole de l’intercession qu’il s’engage à offrir pour lui et pour son peuple. Heureux le pays où existe un pareil traité de paix entre les deux pouvoirs, spirituel et temporel, entre l’Eglise et l’Etat ! Même conclu dans des conditions imparfaites, il doit être respecté ; car il en découle encore de grandes bénédictions. Quand Abraham et Abimélec deviennent ennemis, c’est un grand malheur pour eux-mêmes et pour ceux qui leur sont confiés.

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