Méditations sur la Genèse

XXXII
L’Envoi d’Eliézer en Mésopotamie

Genèse 24.1-27

Le chapitre 24 de la Genèse nous offre un tableau vivant et aimable de la vie de famille à l’époque des patriarches ; nous y voyons des mœurs dignes encore aujourd’hui d’être imitées dans nos familles et dans nos Eglises.

I

« Tu ne prendras point de femme pour mon fils parmi les filles des Cananéens, mais dans mon pays et ma parenté ; mais garde-toi bien de ramener mon fils dans le pays d’où je suis sorti. » Tel est l’ordre donné par Abraham à son vieux serviteur Eliézer, l’homme éprouvé auquel il a confié la surveillance de ses gens et de ses biens. Il prend soin de l’avenir d’Isaac. Il s’occupe avant tout de l’âme et du bien éternel de son fils. Le choix d’une épouse ou d’un époux n’a pas seulement une influence décisive sur toute la vie terrestre ; il a aussi des conséquences heureuses ou funestes pour le salut des âmes. C’est pourquoi un mariage ne doit se décider qu’avec prière ; on n’a jamais plus besoin d’être guidé et gardé d’en-haut que lorsqu’on fait un pareil pas ; nulle part le danger n’est plus grand de se laisser égarer par la passion ou par l’intérêt. Il faut s’attendre à rencontrer, dans le mariage, des afflictions et des croix. Pour les porter avec patience, il faut être assuré de l’approbation divine ; et celui-là seul peut l’être, qui est entré dans le mariage sous le regard de Dieu, en invoquant son nom, et avec une bonne conscience.

Abraham savait tout cela ; c’est pourquoi il prend tant de soin du mariage de son fils. Il comprend en particulier les grands dangers d’une union avec les Cananéens. Il pouvait se rappeler quelle corruption s’était déchaînée avant le déluge, lorsque les fils de Dieu eurent pris pour femmes des filles des hommes. Un mélange de la race élue avec les païens de Canaan lui faisait peur. Sans doute, il y avait encore de nobles caractères parmi eux ; mais ce peuple dans son ensemble était corrompu et mûrissait pour le jugement. Abraham croyait au jugement à venir et le redoutait. Il avait vu la destruction de Sodome ; il ne voulait pas imiter Lot, qui fiançait ses filles à des hommes de Sodome. Isaac eût sans peine obtenu la main de quelque riche fille de prince en Canaan ; mais son père, et lui-même aussi sans doute, ne regardaient pas à la richesse, à la position ou à la beauté, mais à des qualités plus durables, la foi et la crainte de Dieu. Ils attachaient du prix à l’invisible et à l’éternel ; ils cherchaient avant tout le royaume de Dieu et sa justice.

Les parents d’Abraham habitaient encore au-delà de l’Euphrate, en Syrie, dans la contrée d’où Dieu l’avait fait sortir. Quelque idolâtrie s’était déjà glissée parmi eux ; cependant, ils n’avaient pas oublié l’Eternel, le Créateur du ciel et de la terre, et ils le servaient encore, bien qu’ils n’eussent pas la promesse et l’espérance d’Abraham. Si Isaac fût retourné auprès d’eux, il eût risqué de laisser se refroidir en lui cette espérance et d’oublier les divines promesses d’une postérité sainte, par laquelle tous les peuples seraient bénis, et de la possession de Canaan. Abraham ne voulait pas cela ; lui-même avait vécu en étranger dans ce pays, s’attendant à Dieu et à ses promesses ; Isaac aussi marchera en pèlerin et habitera sous des tentes, le regard tourné vers la patrie future et vers l’héritage promis.

Apprenons ici quel doit être, pour nous et les nôtres, notre plus grand souci. Que nous sert-il d’amasser des biens terrestres et d’entrer en relations de parenté ou d’amitié avec les grands de ce monde, s’il nous en coûte l’amitié de Dieu et les trésors de son ciel ? Abraham était riche de biens terrestres ; mais il n’y avait point mis son cœur. D’ordinaire, le riche veut devenir plus riche, et avec le bien-être grandissent les préoccupations terrestres et l’attachement à Mammon. Abraham est du petit nombre des riches qui ne manquent pas le royaume des cieux, parce que ce royaume est pour eux plus précieux que tout le reste. Quel souci plus important pourrions-nous avoir, que celui d’être, nous et les nôtres, au nombre de ceux que Christ, quand il viendra, reconnaîtra pour siens, qu’il épargnera, qu’il délivrera des tentations et des persécutions des derniers temps et mettra en possession de la Canaan céleste ! Marchons donc sur les traces de la foi d’Abraham ; suivons le chemin qu’il a suivi ; ayons son sens céleste, et attachons le même prix que lui aux biens invisibles !

En envoyant Eliézer, Abraham met sa confiance en Dieu. « L’Eternel, le Dieu des cieux, enverra son ange devant toi. » Il parlait par expérience ; il savait que celui qui marche selon le Seigneur, jouit de la protection de ses anges. Pour celui qui fait son devoir et qui obéit, les messagers de Dieu, quand le danger menace, ne sont pas loin. C’est dans cette confiance qu’Abraham décide d’envoyer son serviteur, et il ne doute nullement que Dieu ne fasse réussir ce qui a été entrepris pour sa gloire et pour le vrai bien d’Isaac. Et les anges de Dieu ne dédaignent pas d’accompagner Eliézer et de le protéger sur sa route.

II

Eliézer agit en serviteur fidèle, qui ne cherche que le bien de son maître. Il a juré, et il a la ferme volonté de tenir son serment. Il est prudent et ne promet pas plus qu’il ne peut tenir. Mais il agit consciencieusement, selon les intentions de son maître. Il sait qu’un serviteur fidèle sert le Seigneur, et non pas les hommes. » Vous servez Christ, le Seigneur, » dit saint Paul aux domestiques (Colossiens 3.24). Vous, les pauvres, les déshérités, qui devez travailler pour autrui, sacrifier constamment votre volonté et vos désirs, qui ne recevez en ce monde qu’un salaire misérable, qui avez souvent à souffrir des singularités de vos maîtres, vous servez Christ, le Seigneur ! Faites tout votre service pour lui ; regardez à lui ; car son regard vous suit d’en-haut ! Il veut voir si vous travaillez pour lui, si par amour pour lui vous vous montrerez fidèles, contents de votre état, patients. Tout ce que vous ferez pour lui, lui sera agréable. Il vous console ; il vous bénit ; il vous dira au jour de sa venue : « Ce que vous avez fait de bien, fût-ce ce qu’il y a de plus insignifiant, c’est à moi que vous l’avez fait ! » Ces vérités consolantes, proclamées par le Nouveau Testament, étaient déjà écrites dans le cœur d’Eliézer.

Lorsqu’il touche au but de son voyage, et qu’il s’est arrêté avec ses chameaux près du puits, devant la porte de la ville de Nacor, il prie en ces mots : « Eternel, Dieu d’Abraham mon maître, s’il te plaît, que j’aie aujourd’hui une rencontre favorable, et use de bonté envers mon seigneur Abraham ! » Il savait ce que c’était que la prière du cœur. Ce n’était pas seulement aux lieux consacrés et par des paroles solennelles qu’il avait l’habitude d’adorer Dieu ; même pendant le voyage, son cœur s’entretenait avec lui, et il lui parlait comme un enfant à son père, le priant de le diriger, afin qu’il réussit dans sa mission. Il ose même lui adresser cette demande précise : « Que la jeune fille à laquelle je dirai : Penche ta cruche, je te prie, pour que je boive, et qui répondra : Bois, et je donnerai aussi à boire à tes chameaux, — soit celle que tu as destinée à ton serviteur Isaac. » Il se permet ainsi d’indiquer à Dieu quand et comment il vent être exaucé ! Gédéon demande aussi à Dieu un signe déterminé (Juges 6.36-40) ; Ezéchias en réclame un au cadran d’Achaz (2 Rois 20.8-11). Dieu accorde ces demandes, pour fortifier la foi de ses serviteurs. Il accomplit aussi le souhait d’Eliézer : il n’a pas fini de parler, qu’arrive Rébecca, la fille de Béthuel, sa cruche sur l’épaule. Elle fait exactement comme il a désiré, et c’est bien réellement elle que la bonté de Dieu a destinée à Isaac. Avant même qu’Eliézer fit sa prière, elle était sur le chemin du puits. Dieu avait donc entendu et exaucé d’avance sa demande ; Celui qui sonde les cœurs et qui découvre de loin nos pensées (Psaumes 139.2), avait compris ses désirs, nous pouvons même dire lui avait, par son Esprit, mis dans le cœur cette prière. On peut voir là comment l’action de l’Esprit de Dieu dans le cœur des croyants est d’accord avec les dispensions de sa Providence dans les événements extérieurs de leur vie.

Il était bien hardi, de la part d’Eliézer, d’indiquer d’une manière si précise comment il voulait être exaucé. Chacun ne peut pas imiter cet exemple, pas plus que ceux de Gédéon et d’Ezéchias ; nous ne devons pas en tirer une règle que nous suivrions littéralement dans nos prières ; mais ce que nous devons en prendre, c’est l’esprit filial, qui a toujours gardé les serviteurs de Dieu et de l’orgueil et de la témérité. Restons dans l’humilité et dans la simplicité ; laissons-nous conduire par l’Esprit d’adoption : nous saurons toucher juste dans notre prière, et il nous sera donné aussi d’éprouver avec combien d’amour et de sagesse Dieu conduit ses enfants et fait tourner toutes choses à leur bien. Quand Eliézer eut reconnu avec quelle miséricorde Dieu l’avait dirigé, il adora l’Eternel et lui rendit grâce à haute voix. Oh ! si nous avions les yeux ouverts et un cœur intelligent pour reconnaître les dispensations de Dieu et pour lui en témoigner notre reconnaissance en paroles comme en actes !

III

Cette histoire a aussi sa signification spirituelle et renferme une leçon pour ceux qui ont le privilège d’être ouvriers avec Dieu dans son Eglise. Quand Paul écrit aux Corinthiens : « Je suis jaloux de vous d’une jalousie de Dieu, parce que je vous ai engagé à un seul Epoux, pour vous présenter à Christ comme une vierge chaste » (2 Corinthiens 11.2), il fait voir sous quel jour il envisageait de pareils faits de l’histoire sainte et comment nous devons les considérer nous-mêmes. Paul est donc un nouvel Eliézer, envoyé pour trouver et pour engager une épouse au fils de son Maître, c’est-à-dire pour conquérir à Christ une Eglise. Il doit l’amener à son Epoux, comme Eliézer ramène Rébecca en Canaan. C’est la mission qu’ont à remplir les ministres du Seigneur. Nous n’en parlons qu’avec une sainte réserve ; mais nous sommes sûrs cependant que nous n’allons pas trop loin et que nous parlons selon l’esprit de la Parole de Dieu. Pas plus qu’Eliézer, les serviteurs de Christ ne doivent chercher leur propre avantage ; ils ne doivent avoir en vue que la cause de Christ. Gagner des âmes, non pour eux-mêmes, mais pour lui ; chercher, non à se faire des adhérents et des admirateurs, mais à conduire à lui chaque âme et l’Eglise entière, et se tenir humblement en arrière comme les serviteurs du Maître, afin que lui soit honoré et glorifié : voilà leur tâche ! Qu’eux aussi soient attentifs à ses directions ! Ils pourront compter alors sur sa protection et sur la conduite des anges. Qu’ils ne redoutent pas un long chemin à travers le désert ; qu’ils aient bon courage et soient assurés qu’au temps voulu, ils trouveront ceux que Dieu a destinés et préparés pour les donner à son Fils !

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