Méditations sur la Genèse

XXXIII
Laban, Rébecca et Isaac

Genèse 24.28-67

I

Nacor, le frère aîné d’Abraham, était demeuré en Syrie, pendant qu’il émigrait en Canaan, sur l’ordre du Seigneur. Dans sa famille aussi s’étaient conservées la connaissance de Dieu et des mœurs pieuses. Il ressort du récit que son fils Béthuel, le père de Rébecca, était déjà mort. Le chef de la famille était maintenant Laban, le fils aîné. Le Béthuel qui paraît dans cette histoire est le frère cadet de ce dernier. La jeune Rébecca était sous la protection de ses frères, particulièrement de Laban ; c’est pourquoi c’est à lui tout d’abord qu’Eliézer : dut adresser sa demande. Les deux frères se demandent avant tout quelle est la volonté de Dieu. Lorsqu’Eliézer a exposé le but de son voyage, ils disent : « Cette affaire est procédée de l’Eternel ; nous ne pouvons te parler ni en bien, ni en mal. » Ce qui leur importe, ce n’est pas de savoir ce que tel ou tel en dira, mais ce que le Seigneur veut ; ils croient à sa Providence, ils savent qu’il dirige tout, ils sont attentifs aux signes de sa volonté, ils s’en remettent à ses directions. L’indifférent, l’incrédule n’a ni œil, ni oreille pour percevoir les directions de Dieu. En dépit de la plus brillante culture, il demeure aveugle et sourd à ses châtiments comme à ses bienfaits. Il n’en est pas ainsi de ces deux frères. Ils ont leurs faiblesses sans doute, mais ils ne sont pas des rebelles ; ils sont attachés au Dieu vivant, ils regardent à lui, et savent reconnaître son intervention.

Ils traitent leur sœur avec respect et affection. Dans l’antiquité, le chef de la famille avait le droit de disposer des filles, même sans les consulter, et il en est encore ainsi chez la plupart des peuples païens. Laban et Béthuel ne font point ainsi : ils n’exigent pas de Rébecca une soumission aveugle ; ils veulent la persuader, elle aussi, de ce qu’ils envisagent comme la volonté de Dieu. Ils n’usent point de contrainte et n’agissent point en maîtres, comme bien des parents, même parmi les chrétiens d’aujourd’hui, qui forcent leurs enfants à se marier contre leur sentiment.

Lorsqu’elle a accepté, ils lui adressent un affectueux adieu et un souhait de bénédiction : « Tu es notre sœur ; sois fertile en mille et mille générations, et que ta postérité possède la porte de ses ennemis ! » Ils veulent dire : Tu quittes la maison paternelle et tes parents, pour entrer dans la maison d’Abraham ; tu pars pour un pays éloigné, et peut-être ne te reverrons-nous jamais ; tu restes néanmoins notre sœur, tu nous appartiens encore ; le lien de l’amour n’est pas brisé entre nous ; nous nous souviendrons de toi et nous prierons pour toi ; tu ne nous deviens pas étrangère, tu restes des nôtres.

Il ne faut pas que dans une famille chrétienne règne jamais un ton méprisant, rude ou emporté. « Prévenez-vous les uns les autres par honneur ; que tout se fasse avec charité. » Heureuse la maison où ce sont là les bases de la vie de famille, où l’on se traite les uns les autres avec égards et affection ! Heureuse aussi l’Eglise où règnent ces dispositions ! Les serviteurs de Dieu doivent aborder les membres de l’Eglise comme Laban et Béthuel traitent Rébecca : non réclamer d’eux une obéissance aveugle, agir avec tyrannie et brusquerie, mais les respecter comme des frères et des sœurs, chercher à éclairer leur conscience, à persuader leur intelligence spirituelle, à gagner leurs cœurs au Seigneur et à les décider à se placer librement et joyeusement sous son joug ; car il ne veut pas d’hommage extorqué ou forcé. L’Eglise de Dieu, l’Epouse de Christ doit le suivre par conviction et par amour.

II

Rébecca se fait remarquer par sa confiance en Dieu et par son respect pour sort époux. Ce n’était pas peu de chose pour elle, que de suivre ce vieillard étranger, de partir arec la caravane au travers du désert, et de donner son oui à Isaac, qu’elle n’avait encore jamais vu. Elle le fait en se confiant en Dieu ; lorsqu’elle a reconnu — comme ses frères et sans doute aussi sa mère — qu’Eliézer est envoyé par le Seigneur, et que c’est sa volonté qu’elle le suive, elle s’en remet au Dieu vivant, à sa protection toute-puissante. Elle n’a donc pas peur des dangers du voyage, ni des difficultés de sa position future. Quand on a entendu l’appel de Dieu et clairement reconnu sa volonté, c’est un devoir de se reposer entièrement sur lui et d’obéir sans crainte à sa voix.

Après un long voyage, Eliézer arrive vers le soir dans le midi de Canaan, avec Rébecca et sa suite. Isaac se trouve par hasard sur leur chemin. Rébecca semble ne pas soupçonner qui est cet homme ; elle descend de son chameau, soit par crainte, soit par respect. C’est lorsque, à sa question, Eliézer répond : « C’est mon seigneur, » qu’elle prend son voile et se couvre, selon l’usage de l’Orient, en signe de soumission et d’obéissance. « La femme doit avoir sur sa tête une marque de dépendance, » dit l’apôtre (1 Corinthiens 11.10), c’est-à-dire : elle ne doit paraître dans l’assemblée que la tête couverte, en signe qu’elle est sous la puissance, sous la protection d’un autre. — Isaac accueille Rébecca avec amour et respect. Il la conduit dans la tente princière de sa mère Sara, à la place d’honneur de la mère de la tribu ; il lui donne son amour et lui reste fidèle jusqu’à sa mort. La parole de Dieu à Eve, après la chute : « Tes désirs se porteront vers ton mari, et il dominera sur toi, » était alors dans toute sa vigueur. Aujourd’hui, cette domination du mari et cette soumission de la femme sont tempérées par l’Esprit de Christ. Le joug devient doux et le fardeau léger, là où règne cet Esprit. La différence entre l’ancienne et la nouvelle alliance, c’est que Dieu s’est révélé dans la première comme un juge sévère, tandis qu’il a manifesté en Christ la plénitude de son amour. La sévérité prédomine dans la vie de famille de l’ancienne alliance, la douceur dans la famille chrétienne. Lorsqu’un époux ou un père israélite abusait de son pouvoir, cela pouvait encore s’excuser ; l’autorité d’un époux et d’un père chrétien doit, tout en restant ferme, être douce et modérée. Le respect et l’obéissance subsistent néanmoins : la femme chrétienne est soumise à son mari, comme l’Eglise l’est au Seigneur. Mais le mari aime sa femme, comme Christ a aimé l’Eglise (Éphésiens 5.24-25). Imiter l’exemple de Rébecca et d’Isaac, dans l’esprit du Nouveau Testament, c’est établir la paix de la maison sur le vrai fondement et s’assurer, de la part de Dieu, la bénédiction et la vie à toujours (Psaumes 133.3).

III

Isaac est celui des trois patriarches dont nous connaissons le moins la vie. Nous en savons assez cependant pour reconnaître en lui un homme de paix et de prière. Il se livre sans résistance à son père qui veut le sacrifier ; en bon fils, il mène longtemps et profondément deuil sur sa mère. Il ne se console de sa perte que lorsque Rébecca devient son épouse. Ses relations avec son demi-frère Ismaël sont difficiles et occasionnent bien des jalousies, des froissements et des divisions. Mais, autant que nous pouvons le voir, Isaac est ici encore tout ce qu’il doit. Après la mort d’Abraham, nous trouvons les deux frères réunis pour lui rendre les derniers devoirs. Ici, nous voyons qu’Isaac habitait près du puits du Vivant qui me voit. C’était là que l’Ange de l’Eternel était apparu à Agar et lui avait promis Ismaël. En honorant ce lieu, Isaac manifestait ses dispositions pacifiques envers Agar et Ismaël.

Isaac n’est pas seulement un homme de paix, mais aussi un homme de prière. Il s’était rendu aux champs ce soir-là pour prier, et nous pouvons croire que ce n’était pas là une exception, mais son habitude ordinaire. Après avoir porté la chaleur du jour, achevé son travail, pourvu aux nécessités de la maison, dont Abraham qui avait laissé la direction, il profitait du calme et de la fraîcheur du soir pour prier et pour méditer la Parole et les voies de Dieua. Le départ de sa mère, morte sans avoir vu s’accomplir les grandes promesses auxquelles elle espérait, pouvait bien émouvoir son cœur. La mission d’Eliézer et sa réussite, encore incertaine, devaient occuper aussi son esprit. Il prenait la vie au sérieux ; il transformait ses soucis en prières et les apportait à Dieu ; il s’arrachait au bruit des hommes et s’en allait chercher la solitude, et, dans le silence du soir, lorsque les premiers astres commençaient à briller, il faisait, sous la voûte du ciel, sans être vu ni entendu, sa prière à Dieu.

a – Verset 63. Le verbe hébreu siach signifie l’un et l’autre : prier (Ostervald) et méditer (Segond).

Exemple bien digne d’être imité et qui nous invite à chercher la retraite, à vaquer à la prière, à sanctifier la fin du jour, à nous exercer à un commerce intime avec Dieu, à méditer sa Parole et à réfléchir à ses voies merveilleuses ! Les patriarches marchaient avec Dieu. Négligerions-nous de le faire, par paresse et par indifférence, nous à qui Dieu s’est révélé bien plus magnifiquement qu’à eux ? Nous avons plus d’expériences de son amour ; nous connaissons mieux ses œuvres et ses desseins ; nous avons reçu l’onction de l’Esprit, qui ne leur était point accordée. Nous sommes mieux préparés à la prière ; ne devrions-nous pas y être pour le moins aussi fidèles qu’eux ? L’exemple d’Isaac nous invite à nous entretenir avec Dieu, à prier « le Père qui nous voit dans le secret » (Matthieu 6.6). La prière solennelle dans l’assemblée de l’Eglise ne suffit pas ; il faut connaître aussi la prière du cœur, la prière secrète, et y consacrer particulièrement les moments où nous passons du repos au travail, du travail au repos, ou d’un travail à un autre. Elle ne s’apprend pas en s’y essayant une fois ou l’autre, par exception ; il faut s’y exercer jour par jour ; sinon elle n’a pas le caractère qu’elle doit avoir. Le cœur humain est ainsi fait, qu’il désapprend bien aisément cette prière solitaire. L’indifférence et les distractions lui font perdre le besoin et la force de prier. Il ne faut pas qu’il en soit ainsi de nous. « Prier sans cesse » (1 Thessaloniciens 5.17) ne signifie naturellement pas que notre esprit et notre bouche doivent être sans cesse occupés à prier, — ce qui ne serait ni réalisable, ni même conforme à la volonté de Dieu, qui nous impose le travail et qui nous permet aussi le repos et de pures jouissances dans sa création, — mais que, dans notre cœur, la vie de la prière ne doit subir aucune interruption, qu’il doit être toujours disposé à y revenir. Cette prière intime, à laquelle il faut réserver au moins une fois par jour le temps et la tranquillité nécessaires, est la respiration de la vie intérieure. Tant que dure la vie, doit durer le souffle ; s’il s’arrête, la vie est en danger ; et le danger est d’autant plus grand que l’arrêt dure davantage.

La prière d’Isaac fut bénie. Pendant qu’il se recueillait pour chercher l’Eternel, la réponse lui arrivait de sa part. Eliézer lui amenait celle que Dieu lui avait destinée.

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