Méditations sur la Genèse

L
Patience et Élévation de Joseph

Genèse ch. 40 à 41.16

Un livre apocryphe décrit les expériences de Joseph dans ces belles paroles : « La Sagesse n’abandonna pas le juste vendu ; elle le garda du péché ; elle descendit avec lui dans la prison et ne l’abandonna pas dans les fers, jusqu’à ce qu’elle lui eût apporté le sceptre de la royauté et la domination sur ceux qui lui avaient fait violence, qu’elle eût convaincu de mensonge ceux qui l’avaient blâmé et qu’elle lui eût donné une gloire éternelle » (Sapience de Salomon 10.13-14).

I

Joseph n’était plus enchaîné, mais il n’était pas libre. Sa tâche était de servir les autres prisonniers qui étaient aux fers ; il s’acquittait de ce devoir avec douceur, humilité et fidélité. « Il est bon d’attendre en silence la délivrance de l’Eternel ; il est bon à l’homme de porter le joug dans sa jeunesse. « Qu’il s’asseye à l’écart et garde le silence… ; peut-être y aura-t-il de l’espoir ! » (Lamentations 3.26-29). Joseph avait conservé la pureté du cœur et de la conscience dans les plus périlleuses tentations de la jeunesse ; il était préparé par là à devenir l’instrument de l’Esprit de Dieu. Il acheva de s’y préparer pendant sa longue détention en portant la croix qui lui était imposée et en s’exerçant à l’humilité et à la patience.

Ce fut quand l’échanson et le panetier du roi d’Egypte lui ouvrirent leur cœur, que se révéla à une plus haute puissance ce don prophétique qui s’était déjà fait remarquer chez lui dans son enfance. Dieu lui donna de pouvoir interpréter les songes. La fidélité du jeune Daniel est récompensée de la même manière. Il n’appartient pas à la sagacité ou à l’imagination de l’homme d’interpréter des visions, des songes, des prophéties que Dieu lui donne. Ce sont des mystères dont l’Esprit de Dieu seul, qui en est l’auteur, peut donner la vraie explication. Joseph le reconnaît : « C’est de Dieu que vient l’interprétation. » Il ne s’attribue rien à lui-même, il donne toute gloire à Dieu. Cette humilité est le signe que l’Esprit qui agissait en lui était bien celui de Dieu. Quand à l’illumination surnaturelle se joignent chez un homme des pensées d’orgueil, on peut être sûr que ces révélations, si étonnantes soient-elles, ne viennent pas de Dieu. La lumière qui enfle l’homme, a beau être brillante, c’est un prestige de Satan qui se déguise en ange de lumière, un reflet de l’enfer et non du ciel. La marque de l’Esprit de Dieu, c’est qu’il humilie et détruit toute complaisance de l’homme en lui-même. Nous devons demander des dons spirituels, en vue de nos frères, afin de les servir, et du Seigneur, que nous voulons glorifier. De peur de nous égarer en cela, retenons que la vraie voie pour acquérir ces dons, c’est celle de l’amour humble et patient. Avant tout, sachons que nous ne sommes rien ; rappelons-nous combien il nous a été pardonné, et qu’il n’y a rien de bon en nous : Jésus seul est notre sagesse et notre justice.

Joseph annonce le décret de Dieu aux deux prisonniers. Dans ce jeune homme pauvre, condamné, délaissé, se révèle un prophète, un confident des desseins de Dieu. L’Esprit de gloire, qui est l’Esprit de Dieu, repose sur lui dans son affliction. Une dignité cachée éclate soudain sur le front du prisonnier. Toutes pareilles sont les voies de la Providence à l’égard du Fils de Dieu, du Seigneur de gloire. Sur la croix, il avait deux condamnés, deux pécheurs, à sa droite et à sa gauche, l’un pénitent, l’autre impénitent, — représentant ainsi les deux moitiés de l’humanité. Sa croix est le symbole de son élévation au-dessus de la terre, et sa parole au brigand converti, la marque que le Père lui a remis le jugement : c’est ainsi que, dans son plus profond abaissement, il se révèle comme le Roi et le Juge du monde.

Une nouvelle école de patience commence pour Joseph. Il avait trouvé un ami dans le grand échanson, qui avait vu s’accomplir en sa faveur la prédiction de Joseph. Sans doute cet homme voudra loi témoigner sa reconnaissance et se souviendra de lui, comme il le lui a demandé (v. 14, 15) ! Mais les jours, les semaines, les mois s’écoulent, et Joseph attend vainement. Souffrance amère pour lui ! Le voilà comme enseveli, abandonné de tous ! Mais la sagesse divine est avec lui et lui apprend à s’attendre au Dieu vivant. Les Psaumes nous montrent par quelles luttes, spirituelles et corporelles tout ensemble, ont passé les justes des temps anciens. Joseph a connu ces luttes, et des soupirs comme ceux-ci : « Pourquoi me caches-tu ta face et oublies-tu mon affliction ?… Si je suis couché dans les ténèbres, l’Eternel m’éclairera ! » (Michée 7.8), sont aussi montés de son cœur. Cette épreuve, dans laquelle il n’avait plus rien à attendre des hommes, dura deux ans encore. La patience de Joseph tint bon jusqu’au bout, et ce ne fut pas en vain. Le Dieu vivant l’exauça tardivement ; sa réponse n’en fut que plus admirable.

II

Dieu secourt son serviteur d’une manière tout à fait imprévue : il parle à Pharaon par des songes, que personne ne sait expliquer ; il réveille par là la conscience de l’échanson, et il incline le cœur du monarque. « Alors le roi envoya et le fit délier ; le dominateur des peuples le délivra. Il l’établit seigneur sur sa maison et gouverneur de tous ses biens, afin qu’il pût, à son gré, enchaîner ses princes et qu’il enseignât la sagesse à ses anciens » (Psaumes 105.20-22). Tout ce que Joseph osait demander à Dieu, c’était de lui rendre sa liberté, de faire éclater son innocence et de lui permettre de revoir son père, s’il vivait encore. Mais il fait pour lui au-delà de tout ce qu’il eut pu penser : Joseph ne sera pas seulement libre, comme un malfaiteur qu’on relâche ; il sera le bienfaiteur et le père de l’Egypte ; il ne reverra pas seulement son père, il le rendra heureux, il verra ses frères repentants, et il goûtera la plus grande joie que puisse éprouver un serviteur de Dieu, celle de combler de bienfaits ceux qui l’ont haï, méprisé, persécuté, et de convertir ainsi leurs cœurs à Dieu. Le changement de sa position, lorsque le chef de la prison lui en eut remis la surveillance, n’avait été qu’un exaucement provisoire. Maintenant c’est l’exaucement définitif !

C’est ainsi que le Tout-Puissant répond aux siens. C’est ainsi qu’il exauce son propre Fils, lorsqu’il crie à lui avec larmes à Gethsémané. La force que lui apporte l’ange n’est qu’un gage et une faible partie de l’exaucement. La vraie réponse du Ciel, c’est la gloire du Père, qui, au matin de Pâques, le visite dans son tombeau et l’affranchit des liens de la mort par la puissance d’une vie indissoluble ; c’est la joie ineffable qui le pénètre ; c’est son élévation à la droite du Père, comme Chef de l’Eglise et héritier de toutes choses.

Tous les exaucements que nous expérimentons ici-bas, ne sont que des délivrances provisoires et imparfaites. Le véritable exaucement est encore à venir ; il est comparable à l’élévation de Joseph sortant de sa prison. Nous gémissons ici dans la captivité (2 Corinthiens 5.4). Le Consolateur, sans doute, est avec nous ; mais nous ne connaissons pas encore la glorieuse liberté des enfants de Dieu ; ce que nous serons n’a pas été manifesté ; nous soupirons après cette manifestation (2 Corinthiens 5.1-2). La délivrance de tout mal, la transformation de notre être à l’image du Christ glorifié, notre réunion avec les saints de Dieu, — tout cela dépassera ce que nous sommes capables de pressentir ; mais une chose plus grande encore nous est réservée : c’est de voir le Seigneur lui-même. Ce n’est pas seulement la pleine liberté qui est la part des enfants de Dieu ; le cantique des rachetés célèbre autre chose encore : « Tu nous as rachetés à Dieu par ton sang, et tu nous as faits rois et sacrificateurs à notre Dieu ! » (Apocalypse 5.9-10). Dominateurs et distributeurs des biens de Dieu dans son royaume céleste, purs, parfaits adorateurs de Dieu, — tels seront ceux qui auront suivi le Seigneur dans ses souffrances et persévéré avec lui dans ses épreuves. Joseph a été béni, car il avait connu un avant-goût des souffrances de Christ ; une bénédiction plus haute attend ceux qui auront participé aux souffrances de l’Agneau et qui l’auront suivi partout. Joseph en prison ne pouvait avoir l’idée de ce qui allait lui advenir sous peu ; nous ne pouvons nous représenter ce que sera ce jour de la manifestation des enfants de Dieu ; notre intelligence est trop faible pour le comprendre. Par la foi seulement et par le Saint-Esprit nous l’attendons, mais notre cœur est trop pauvre pour se faire une idée vraie de ce que Dieu a préparé à ceux qui l’aiment.

La souffrance a bien réellement purifié Joseph. Ce qui le prouve, c’est qu’il reste humble dans son élévation. Quand ses frères et son père arrivent, appauvris, il n’a pas honte d’eux, lui, le premier après Pharaon. La plus redoutable épreuve pour notre cœur, ce sont les jours heureux. « Les temps de repos sont la plus dangereuse des persécutions pour les croyants, » a dit Origène. Plus d’un, qui avait triomphé de la souffrance, est tombé, quand la prospérité est revenue. David affligé demeure fidèle ; David roi succombe. Il n’en est pas ainsi de Joseph. Maître de l’Egypte, il ne devient pas orgueilleux, il se souvient de son Dieu ; son cœur n’est point ingrat, oublieux en lui l’œuvre de la grâce a réussi.

« Quand les richesses abonderont, n’y mettez pas votre cœur. » Il est plus facile de répéter cette parole que de la pratiquer. La séduction de la richesse est subtile et difficile à surmonter. Il faut beaucoup veiller pour empêcher les épines de croître et d’étouffer la semence. Mammon prend, sans qu’on y songe, la place d’un Dieu, et l’on devient l’esclave des trois plus affreuses idoles de ce monde : convoitise des yeux, convoitise de la chair, orgueil de la vie. Nous ne connaissons pas notre propre cœur ; nous ne savons pas si, riches, nous pourrions supporter la prospérité, si nous serions reconnaissants et n’oublierions point Dieu. Le cœur de l’homme est trompeur ; nul ne le peut sonder, nul le purifier, que le Seigneur seul. Mais lui peut le faire, et il faut compter sur lui. Nous venons de voir ce qu’il a fait en Joseph. La sagesse d’en-haut était descendue avec lui dans la prison ; elle l’accompagna à sa sortie ; elle ne cessa pas non plus de le garder aux jours de sa prospérité.

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