Méditations sur la Genèse

LI
Les Songes de Pharaon

Genèse 41.17-57

I

Les songes de Pharaon, qu’aucun devin n’avait pu expliquer, s’accomplirent comme Joseph l’avait annoncé, et les conseils qu’il avait donnés se signalèrent dans les sept années de disette comme ceux de la vraie sagesse.

L’Eternel avait décidé dans sa justice de frapper par la famine l’Egypte et tous les pays voisins. Mais sa bonté envoie d’abord sept années d’abondance, afin que la plaie ne soit pas excessive, et elle annonce tout cela avant de l’exécuter ; car il veut, lui, « le Sauveur de tous les hommes et principalement des fidèles » (1 Timothée 4.10), conserver la vie à ce grand peuple. Il s’adresse à l’Egypte en la personne de son roi. Un prince est le chef et le représentant de son peuple devant Dieu ; il doit en être le bienfaiteur, et il rendra compte au Juge suprême s’il ne fait pas tout pour procurer le bien de ses sujets. Le bonheur et le malheur d’un pays sont jusqu’à un certain point entre les mains de son roi : il n’y a pas de bénédiction plus grande pour un peuple, qu’un chef d’Etat juste, éclairé, bienveillant ; pas de plaie plus funeste qu’un prince léger ou ambitieux. C’est à cause de cette influence immense qu’ils exercent et de la responsabilité si grave qui s’y attache, que Dieu s’occupe spécialement des princes. Il donne à Pharaon, au moment opportun, cette révélation qui sera si utile à tout son peuple, et en lui envoyant des songes, il lui envoie aussi Joseph, qui seul peut les expliquer.

Il en est de Pharaon comme de Nébucadnetsar, quand il a assisté en songe à la chute des empires de ce monde, et qu’il est sous l’impression saisissante de la vision, mais plongé dans l’obscurité et ne sachant que faire pour échapper à la catastrophe qu’il pressent (Daniel 2.3-5). Les souverains de ce monde ont parfois de nos jours encore des pressentiments analogues. Les signes des temps les frappent davantage que l’homme du commun peuple ; ils ont de vagues pressentiments de catastrophes, de jugements qui s’approchent. Mais où trouver lumière et directions ? Ils sont dans la situation de Pharaon et de Nébucadnetsar : « J’ai eu un songe, et il n’y a personne qui puisse me l’expliquer. » Les sages de l’Egypte et les devins de la Chaldée sont là, mais ils ne savent que dire. Dieu ne donnera-t-il pas à notre temps des hommes éclairés de sa lumière, des Joseph, des Daniel ? — Son témoignage s’est fait entendre aux chefs de la chrétienté ; en même temps que le jugement imminent, il leur annonce le dessein de sa miséricorde : si la grande tribulation se prépare, le salut est aussi tout proche.

II

Dieu enseigne, par Joseph, à Pharaon et à son peuple, à profiter des années de prospérité pour faire des approvisionnements. Le Créateur a voulu que, dans notre vie comme dans celle de la nature, les époques d’abondance alternent avec celles de stérilité. La créature destituée d’intelligence elle-même a reçu l’instinct nécessaire à sa conservation. La cigogne et la grue connaissent leurs saisons, et quand viennent les froides journées de l’automne, elles fuient bien loin, vers des climats plus chauds. Seul l’homme est assez imprévoyant pour mériter l’exhortation du sage : « Va, paresseux, vers la fourmi ; considère ses voies, et deviens sage… » (Proverbes 6.6-11).

La même alternance se produit en ce qui concerne le biens spirituels et célestes. Il y a des époques où Dieu les donne en abondance — le temps de Jésus et des apôtres, par exemple ; c’était pour l’ancien peuple de Dieu le moment de sa visitation. La Parole de la vérité était largement annoncée ; l’amour de Dieu brillait comme un soleil bienfaisant ; le Saint-Esprit descendait du ciel comme une douce pluie ; dans l’Eglise de Christ croissaient, comme dans un jardin de Dieu, les plus précieux fruits de l’Esprit. Mais Israël n’y prit pas garde et ne voulut pas croire que, selon la prophétie de Jésus, des jours d’affliction et de disette spirituelle allaient venir pour lui ; il méconnut le temps où il était visité, et ne sut pas amasser des provisions pendant les bonnes années. Voilà pourquoi il est aujourd’hui dans l’indigence.

L’Eglise fait les mêmes expériences : pour elle aussi il y s des temps où les biens spirituels abondent, et des temps où Dieu envoie la famine, où sa Parole est rare, et où la prophétie manque, comme aux jours du sacrificateur Eli (1 Samuel 3.1). Lorsque le type de l’élévation de Joseph se réalisa en Jésus, et que, monté à la droite du Père, il devint le Sauveur des Gentils, le premier fruit de son activité céleste fut une époque de grâces extraordinaires pour les peuples païens. C’étaient pour eux les sept années d’abondance. Mais elles firent bientôt place à des temps de disette spirituelle.

Il en est de même enfin dans la vie des individus. Il y a des temps où le chrétien entend distinctement la voix du bon Berger, qui heurte à sa porte, où la Parole de Dieu lui est abondamment annoncée. Mais telle est sa folie et son indifférence, que — plus insensé que les créatures destituées de raison, pareil aux vierges folles qui croient avoir assez d’huile et n’en achètent pas pendant qu’il est temps de le faire, pour n’y songer que lorsqu’il est trop tard — il néglige d’amasser des trésors spirituels en vue des temps de disette et de sécheresse.

III

Ces enseignements s’adressent tout particulièrement à notre temps. Que devons-nous attendre, d’après les révélations de Dieu, sinon la grande tribulation où se réuniront la détresse matérielle et une misère spirituelle profonde et universelle ? Au temps d’Elie, le ciel fut fermé sur la Terre-Sainte pendant trois ans et six mois. C’est un type du temps — dont le chapitre 13 de l’Apocalypse nous déroule l’effrayant tableau — où l’Antéchrist régnera sur la terre, où le fleuve de grâce qui coule encore aujourd’hui sera tari, où toutes les institutions chrétiennes qui existent maintenant auront disparu et où la tyrannie de l’homme de péché rendra impossible la prédication de l’Evangile et la distribution des sacrements. Alors, la prophétie de Joseph (v. 30-31) s’accomplira de nouveau. Mais, grâce à Dieu, sa bonté fait, comme au temps de Joseph, précéder la disette d’une époque d’abondance et de bénédictions. Les sources de la grâce, auxquelles alors on s’adressera en vain, nous sont largement ouvertes. Des biens spirituels inconnus aux générations précédentes s’offrent à nous. La semence germe, la rosée du ciel descend ; le soleil de la grâce luit radieux, mais sans consumer ; pareil au fleuve qui donne à la terre des Pharaons sa merveilleuse fécondité, et d’où montent les sept vaches grasses, symbole de l’abondance, le fleuve de la vie spirituelle coule largement dans l’Eglise par l’effusion du Saint-Esprit.

Une leçon de sagesse ne ressort-elle pas de tout cela pour nous : recueillir des forces spirituelles, recevoir et garder dans un cœur honnête et bon la Parole de vérité, la grâce renfermée dans les sacrements ? Qui n’a faim du pain de vie et soif de la coupe du salut ? Qui regrette le temps consacré à la prière et à l’adoration ? Qui ne veut s’appliquer à sanctifier le jour du Seigneur, donné pour être employé à l’acquisition des biens célestes ? Combien qui ne songent pas à amasser, parce qu’ils ne reconnaissent pas le temps de leur visitation et ne pressentent pas la disette qui les attend ! Il faut plaindre leur folie ; mais ce serait de notre part une folie plus grande encore — plus que de la folie, un crime si, éclairés à cet égard, nous laissions frivolement passer les années de grâce, sans amasser et conserver ce que nous aurons amassé. Dès que l’homme a du superflu, il est tenté de dédaigner, d’abuser et de dissiper. Le Seigneur s’indigne contre ces brebis repues qui foulent aux pieds la pâture et troublent les eaux limpides (Ézéchiel 34.18). Il n’envoie pas pour rien les années d’abondance. Quand celles de la disette seront là, nul ne se repentira d’avoir amassé ; mais ceux-là se repentiront, qui ne l’auront pas fait !

Lorsqu’éclata la famine, Joseph eut non seulement de quoi suffire pour lui et les siens, mais de quoi venir en aide à un grand peuple. Nous n’amassons pas seulement pour nous, mais pour d’autres que nous ne connaissons pas. Dieu prépare ses serviteurs, pour qu’ils distribuent, aux temps de la disette, l’aliment aux affamés. Il est doux d’appartenir au nombre de ceux qui auront le privilège de faire part des dons du Seigneur, alors que le reste du monde sera près de périr de misère.

Jetons encore un regard sur Joseph dans la haute situation que Pharaon lui assigne (v. 37-46) [note 26]. Il fut admis, semble-t-il dans la caste des prêtres égyptiens ; mais dans cette position nouvelle il sut garder son innocence. Sans doute, le paganisme régnait en Egypte ; Joseph sut néanmoins continuer à servir Dieu et demeurer irréprochable. La vieille religion primitive, pareille à un arbre recouvert de mousse et de plantes grimpantes, n’avait pas entièrement disparu. Quoique membre du sacerdoce égyptien, Joseph pouvait encore confesser l’Eternel. Il n’oublia pas, aux jours de sa prospérité, le Dieu de ses pères, qui l’avait si merveilleusement conduit dès son enfance et délivré de toutes ses afflictions. C’est ce que prouvent les paroles d’actions de grâce qu’il prononça en donnant leurs noms à ses deux fils : « Dieu m’a fait oublier toutes mes peines, — Dieu m’a fait fructifier au pays de mon affliction ! »

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