Méditations sur la Genèse

LIII
Joseph se Fait Reconnaître de ses Frères

Genèse ch. 43 à 45.15

I

Les frères de Joseph s’étaient dit entre eux : « Nous sommes coupables. » Le pas décisif était fait. Dès que le pécheur confesse son crime et ne cherche plus d’excuses, la miséricorde de Dieu peut de nouveau agir en sa faveur (Psaumes 32.3-8 ; 2 Samuel 12.13). Tout n’est pourtant pas encore fini par là ; le péché est pardonné, mais de nouvelles épreuves sont nécessaires pour purifier le pécheur, le maintenir dans l’humilité et l’empêcher de retomber.

De là vient que Joseph ne peut se faire reconnaître de ses frères, quoique repentants, qu’après les avoir fait passer encore par de douloureuses expériences. Il faut que leur repentir devienne plus profond et qu’ils montrent par des actes la sincérité de leur conversion. Ne pensez donc pas que Joseph se permette à leur égard ni arbitraire, ni injustice. Il remplit un devoir que Dieu lui impose. Pendant qu’ils sont dans l’angoisse, à l’idée qu’il va retenir Benjamin comme esclave, « ses entrailles sont émues à la vue de son frère, et il entre dans son cabinet pour pleurer. » S’il garde Siméon un an en prison, c’est afin qu’il ait le temps de penser à sa mauvaise action et à la captivité de Joseph. Si la disette, qui continue et s’aggrave en Canaan, met en péril leur vie et celle de leurs familles et les contraint à faire un second et humiliant voyage en Egypte, c’est que Dieu veut les amener à se prosterner non seulement devant Joseph, mais surtout devant lui. Leur surprise est grande, quand Joseph les fait placer à table par rang d’âge : c’est pour que, plus tard, ils comprennent que depuis longtemps il les avait reconnus et que toute sa conduite à leur égard avait un but déterminé. Par deux fois il fait remettre l’argent dans leurs sacs, afin de leur rappeler comment ils avaient vendu leur frère pour une pauvre somme d’argent, et de leur faire voir que ce n’était pas à leur argent qu’il en voulait, mais à eux-mêmes. Ce qui est le plus étrange, c’est le tourment qu’il leur cause en faisant cacher sa coupe d’argent dans le sac de Benjamin ; sans doute pour voir à quel point ils tenaient à Benjamin, et s’ils le livreraient comme ils l’avaient livré lui-même.

Tout cela porta son fruit, comme le montre la confession saisissante faite par Juda au nom de tous : « Comment nous justifierons-nous ? Dieu a trouvé l’iniquité de tes serviteurs ! » La réalité de leur repentir, marquée par cette franche confession, — qu’on peut comparer à celle du brigand (Luc 23.41), — ne ressort pas moins de leur conduite. Juda s’était porté garant pour Benjamin auprès de son père. Cette promesse est sacrée pour lui. « Je te prie, s’écrie-t-il, que ton serviteur soit esclave à la place du jeune homme… Car, comment remonterai-je vers mon père, si le jeune homme n’est avec moi ? Ah ! que je ne voie pas l’affliction de mon père ! » Discours bien différent du message qu’ils avaient envoyé à Jacob avec la robe ensanglantée de Joseph : « Nous avons trouvé cela ; vois si c’est la robe de ton fils ! » Chez lui comme chez ses frères, il y a donc de l’amour pour Benjamin, de l’affection pour leur vieux père ; ils ne referaient plus ce qu’ils ont fait autrefois. Les cœurs sont changés ; le but de Dieu est atteint ; la grâce peut maintenant se manifester.

II

Joseph ne peut se contenir plus longtemps. Il s’écrie en pleurant : « Je suis Joseph ! Mon père vit-il encore !… Approchez-vous ! Je suis Joseph, votre frère ! » Il embrasse ses frères et s’entretient avec eux. Leur tristesse est subitement changée en joie, leur angoisse en surabondante consolation. Joseph est récompensé de sa patience par la joie la plus pure dont un cœur d’homme soit capable, celle de pardonner et de se réconcilier. Il a retrouvé ses frères, il les a gagnés à Dieu ; bientôt il reverra son père, il le consolera de son long deuil, il adoucira ses derniers jours. Il a vu à l’œuvre la fidélité de Dieu dans l’issue merveilleuse de ses voies à son égard. Longtemps les voies du Seigneur ont été incompréhensibles pour lui. Tout est lumineux maintenant, tout est clair dans sa vie. Les songes prophétiques de son enfance sont accomplis. Dans les dures expériences qu’il a traversées, il voit éclater partout la sagesse et la bonté de Dieu. Si parfois il a été tenté d’avoir des sentiments amers contre ses frères, toute impression pareille a disparu sous l’étreinte de l’amour divin. Sa foi s’est purifiée et affermie comme sa charité. Ni plainte ni doute ne peuvent plus trouver place dans son cœur. Il regarde à Dieu avec admiration, gratitude, adoration. Il ne voit plus, dans ce que ses frères lui ont fait, la méchanceté des hommes, mais une dispensation de la sagesse et de la bonté de Dieu : « Ce n’est pas vous qui m’avez envoyé ici, c’est Dieu ! »

Heureux, bienheureux, qui tient ferme, comme Joseph, au travers de l’épreuve ! Avec lui il pourra un jour entonner le chant de victoire de l’amour et de la foi. Pour lui, comme pour ses frères, tout fut longtemps énigmatique. Mais un jour tout s’éclaircit. Il en est de même de nous ; c’est par des voies souvent obscures que les enfants de Dieu sont conduits au but. Ses jugements sont insondables. L’intelligence des intelligents ne saurait déchiffrer ses desseins. « Tu ne sais pas ce que je fais maintenant, » nous dit Jésus comme à Pierre (Jean 13.7). « Mais tu le comprendras ci-après, » ajoute-t-il pour nous aussi. Les voies de Dieu ne demeureront pas à toujours inexpliquées. Le jour viendra où les justes pourront s’écrier : « Tes voies sont justes et véritables, ô Roi des saints ! Qui ne te craindra et qui ne glorifiera ton nom ? Toutes les nations viendront et t’adoreront, parce que tes jugements ont été manifestés ! (Apocalypse 15.3-4).

Lorsque Moïse demanda au Seigneur de lui faire voir sa gloire, il reçut cette réponse : « Tiens-toi sur ce rocher. Quand ma gloire passera, je te mettrai dans le creux du rocher, et je te couvrirai de ma main jusqu’à ce que je sois passé… Et tu me verras par derrière, mais ma face ne se verra pas » (Exode 33.18-23). Et quand l’Eternel passa, Moïse ne vit pas sa face ; mais il entendit les voix célestes qui célébraient sa miséricorde. Nous ne pouvons non plus voir la face de Dieu, comprendre et calculer à l’avance ce que le Seigneur fera. Il nous couvre de sa main, quand il passe ; nous sommes dans le creux du rocher. Cependant, déjà nous percevons quelque chose du cantique des créatures célestes qui lisent plus profond que nous dans les desseins de Dieu. Et quand un jour son œuvre sera achevée et le but atteint, alors nous pourrons suivre pas à pas ses voies et en reconnaître la sagesse ; alors nous aussi, nous le verrons, et nos plaintes, nos doutes cruels, seront changés en allégresse et en chants de louange.

III

L’avenir nous réserve une joie plus haute encore. Lorsque Jésus eut été livré aux mains des méchants, la tristesse s’empara de ses disciples, comme il le leur, avait dit (Jean.16.16 et suiv.). Ils se rappelèrent comme ils l’avaient affligé, abandonné, et Pierre surtout dut se faire d’amers reproches. Le jour de Pâques leur apporta la joie du revoir. Mais quand le Seigneur parut, il en fut d’eux comme des frères de Joseph, « qui ne pouvaient lui répondre et étaient tout troublés de sa présence : » Mais il leur dit : « La paix soit avec vous !… Pourquoi êtes-vous troublés ?… Voyez mes mains et mes pieds : c’est bien moi ! » (Luc 24.38-39). Ce jour-là, il les appela « ses frères » et leur témoigna son amour ; il revit entre autres Pierre, le plus affligé et le plus repentant de tous. Tel Joseph pour ses frères, tel fut le Ressuscité pour ses disciples : il les reçut en grâce et ne leur reprocha point leurs fautes passées.

Mais ce même type doit se réaliser encore une fois. Joseph ne put se montrer à ses frères tel qu’il était et les presser sur son cœur, qu’après qu’ils eurent connu les extrémités de la détresse. Il faudra de même que le Seigneur ait semblé d’abord abandonner son Eglise et s’irriter contre elle ; les disciples de Jésus auront encore à traverser en ce monde une heure d’affliction dans laquelle ils se sentiront comme délaissés de Dieu. Mais à cette épreuve suprême succédera une joie inexprimable, quand nous verrons le Seigneur face à face et que nous le contemplerons tel qu’il est. « je suis Joseph, votre frère ! » dira-t-il. Me voici, moi, dont vous aviez cru que je vous oubliais ! «  Approchez-vous de moi ; » ne craignez pas ; venez, bénis de mon Père !

Joseph avait été envoyé en Egypte pour y préparer une demeure à sa famille et assurer ainsi son salut. Jésus n’a-t-il pas aussi été envoyé au-devant-de nous ? N’est-il pas monté là-haut comme notre précurseur, pour nous préparer une demeure près de lui, dans la maison du Père, dans la terre de l’éternel repos (Jean 14.1-2) ?

Nul Egyptien ne fut témoin de la reconnaissance de Joseph et des siens. La cour de Pharaon ne connut que de loin et avec surprise, ce qui se passait. De même, Jésus ressuscité vint à ses disciples ; mais il ne se fit pas voir au monde. Ainsi en sera-t-il du revoir que nous attendons. Le monde ne sera pas témoin de cette joie. Quand le Seigneur viendra, il se fera voir d’abord de ceux qui auront « aimé son avènement. »

Alors, pour tout ce qu’ils auront pu souffrir ici-bas, les disciples de Christ recevront d’inexprimables compensations. En vue de ce moment, il vaut la peine de persévérer et de tenir ferme, aussi longtemps que Dieu nous appellera à marcher par la foi.

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