Méditations sur la Genèse

LVII
La Fidélité de Joseph envers ses Frères

Genèse 50.15-21

I

La vue de tous ses fils rassemblés autour de lui, réconciliés, unis, avait été la consolation de Jacob, au soir d’une vie traversée de tant d’amertumes. La présence de leur père semblait aux frères de Joseph être une protection pour eux. On comprend sans peine leur angoisse après sa mort. Sans doute, Joseph leur avait pardonné et leur avait témoigné son amour par des faits ; mais leur conscience ne les laissait pas tranquilles. Telle est la puissance de la mauvaise conscience : une fois qu’elle s’est réveillée, il n’est au pouvoir de personne de lui-imposer silence. C’est en vain que le pécheur voudrait se donner lui-même le repos et la paix intérieure. Le temps, qui adoucit toutes les souffrances, ne saurait calmer celles de la conscience, et l’éternité même ne tue pas ce ver rongeur et n’éteint pas ce feu dévorant. Les frères de Joseph lui devaient beaucoup : ils n’en sentaient que plus profondément leur vieille faute. La mort et les dernières paroles de leur père les avaient aussi émus et avaient rendu plus vif le sentiment de leur indignité. Ils auraient pu fuir Joseph et comploter de nouveau contre lui. Mais, cette fois, renonçant aux moyens détournés, ils vont droit à Joseph. Ils pouvaient en appeler à leur père, qui, avant de mourir, les avait invités à lui demander, en son nom, de tout oublier. Ils se décident à faire de nouveau la franche confession de leur crime : « Pardonne cette iniquité aux serviteurs du Dieu de ton père. » Ils en appellent à Dieu, car ils savent les sentiments que Joseph a pour lui, et ils joignent à leur confession le vœu de le servir désormais fidèlement. Cette confession a plus de valeur que celle, qu’ils avaient faite au jour de leur détresse (Genèse 42.21-22), car elle est toute spontanée. Ils tombent aux pieds de Joseph, en disant : « Voici, nous sommes tes serviteurs. » Les songes de son enfance sont accomplis une fois de plus.

Joseph les console et leur parle avec affection. Aucun des justes, qui ont été les précurseurs du Sauveur, n’a manifesté d’une manière aussi pure que lui les vertus du Christ : la mansuétude, la douceur, la générosité. Dans son cœur, véritablement humilié et purifié, l’amour domine tous les souvenirs amers ; les doutes et le trouble de ses frères l’affligent et lui inspirent de la pitié. Il pleure de ce qu’ils aient pu croire qu’il y avait encore quelque chose entre lui et eux. C’est dans des relations de paix et d’intimité parfaites avec eux qu’il trouve la plus grande joie de ses dernières années.

II

Cette scène a un enseignement à nous donner. Le souvenir de nos péchés se réveille parfois, bien qu’ils soient pardonnés ; et comment en serait-il autrement ? Oublier notre dette, serait d’une légèreté dangereuse et malheureusement très commune. Quand leur conscience a été déchargée, la plupart des hommes s’en vont se comportant comme si rien ne s’était passé. La parabole des deux débiteurs est là pour nous rendre attentifs à ce péril (Matthieu 18.23-35). Il nous a été trop pardonné, pour que le souvenir humiliant de nos fautes ne nous accompagne pas à travers toute la vie et ne nous fasse pas trembler de retomber dans nos vieux péchés, tout en nous rendant reconnaissants envers Dieu et indulgents pour nos frères. Et si, par quelque événement grave ou quelque épreuve intime, ce souvenir est réveillé avec une force particulière, que faut-il faire ? Non pas nous cacher devant Dieu, le fuir, nous ensevelir dans notre tristesse ; mais plutôt prendre le chemin des frères de Joseph : nous approcher de Dieu, tomber à ses pieds et lui ouvrir notre cœur, mais sans douter de son pardon. Car son amour est éternel, et toutes les fois que nous venons à lui repentants, au nom de Jésus, Christ se présente pour nous devant le Père et intercède, sans se lasser, en notre faveur.

L’homme qui se convertit à Dieu pour la première fois, ne mesure ordinairement pas d’abord toute l’étendue de sa corruption et toute la grandeur de sa culpabilité. C’est, le plus souvent, une faute particulièrement grave qui le trouble et le pousse vers Dieu ; et le Seigneur se montre indulgent et compatissant : il accepte sa confession, qu’il voit sincère ; il lui fait grâce, en dépit de l’imperfection de ses lumières. Mais il faut que la lumière croisse, que l’humiliation devienne plus profonde, que l’homme reçoive ce cœur entièrement brisé, sans lequel il ne vaudrait rien pour le royaume des cieux. Voilà où tendent ces épreuves extérieures et intérieures que Dieu fait souvent succéder de près aux premiers commencements de la conversion. Quand il en arrive ainsi, notre devoir n’est-il pas de nous recueillir et de ne pas nous fermer aux répréhensions de son Esprit ? Ne fuyons pas Celui qui nous cherche ; ouvrons sans réserve et humilions notre cœur devant lui. La conduite de Joseph est un type de la manière dont il se laisse trouver de ceux qui viennent à lui. La mesure de l’amour de Jésus-Christ est infiniment plus grande encore que celle de l’amour de Joseph. « Dieu est amour ; » le Fils, qui est l’image du Père, est par là même l’amour parfait. Bien plus ! Etant, comme homme, parvenu à la perfection par la souffrance, son cœur est capable d’une parfaite sympathie pour ceux qui sont éprouvés. Il est encore aujourd’hui vrai homme, il sent comme homme, il se sait un avec nous. Jamais nous ne pourrons réparer nos offenses envers lui, ni le remercier assez pour le bien qu’il nous a fait. Soyons à ses pieds, comme les frères de Joseph, et il nous accueillera et nous assurera de sa faveur. Quiconque ne l’a pas encore cherché de cette manière, ne le connaît pas ; quiconque ne s’est pas humilié devant lui, n’a pas non plus éprouvé ce que c’est que l’amour de Christ !

Joseph répond à ses frères : « Ne craignez point… Ce que vous aviez pensé en mal, Dieu l’a pensé en bien… » Il ne diminue pas leur faute ; il ne leur dit pas : Yous n’aviez pas l’intention de me faire tant de mal ! Il reste dans la vérité, et cependant il pardonne. Ainsi fait le Seigneur. Il ne voile pas nos fautes, il les appelle par leur nom ; il nous les découvre dans toute leur grandeur ; et pourtant il pardonne. C’est ainsi que les serviteurs de Christ doivent en agir avec les égarés et les pénitents. Leur rôle n’est pas d’atténuer leurs fautes par une fausse charité, mais de faire voir au pécheur la grandeur de ses péchés et de lui rendre, précisément par là, possible de se réconcilier avec Dieu.

Combien les offenses que nous avons à pardonner à nos frères sont peu de chose, en comparaison de ce que Joseph a pardonné aux siens ! Nous avons, comme lui et plus que lui, fait l’expérience de l’amour de Dieu ; comment ne nous pardonnerions-nous pas les uns aux autres de tout notre cœur ?

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