Méditations sur la Genèse

LVIII
La Fin de Jacob et de Joseph. — L’Espérance des Patriarches

Genèse 49.29 à 50.14 ; 50.22-26 (Hébreux 11.13-16)

I

Jacob était mort en Egypte, honoré comme un des princes du pays ; son corps fut embaumé à la manière des Egyptiens et sa mort pleurée comme celle d’un de leurs rois. Le deuil dura d’abord soixante-dix jours en Egypte ; puis, quand le convoi funèbre fut arrivé aux frontières de Canaan, ils firent encore « de grandes et extraordinaires lamentations dans l’aire d’Atad, au-delà du Jourdain. » Le deuil de ces païens, que ne traverse aucun rayon lumineux, est le deuil de ceux qui n’ont point d’espérance. Les Egyptiens avaient des idées remarquablement pures sur ce qui attend l’homme au-delà de la mort Ils croyaient à la survivance des âmes, à une rétribution future, à un jugement dernier ; ils avaient retenu de la religion primitive une certaine connaissance de ce que Dieu accomplira dans la résurrection des morts. Ils croyaient au retour de l’âme dans son corps après un cycle de trois mille années. C’est pourquoi ils attachaient tant d’importance à ce que le cadavre fût préservé de la corruption ; ils respectaient la dépouille mortelle et conservaient le corps sous forme de momie pour le jour où l’âme devait y rentrer. Ils étaient donc, sous ce rapport, bien au-dessus de nos incrédules, pour qui l’âme périt avec le corps, et ils ne ressemblaient pas à ces hommes grossiers qui demeurent insensibles ou même méprisants en face de la mort et de la tombe. Leur croyance allait aussi loin, plus loin même que ne peuvent aller la raison et la philosophie. Et cependant l’espérance vivante leur manquait, car ils n’avaient pas une Parole de Dieu sur laquelle ils pussent s’appuyer ; ils ne savaient rien de la réconciliation, ils ne pouvaient avoir de filiale confiance en Dieu, ni de joyeuse assurance de la vie éternelle. Voilà où en était la plus antique sagesse, celle des Egyptiens, et voilà où en est encore aujourd’hui la sagesse humaine. Si loin que la science puisse aller, sans foi au Sauveur, elle ne saurait donner de consolation solide dans la vie et dans la mort. La médecine n’a pas de remède contre la mort ; elle ne peut qu’essayer, par des calmants, d’adoucir quelque peu les angoisses du dernier combat. Il en est de même dans le domaine spirituel. La sagesse de ce monde n’a pas de remède contre l’amertume de la mort et contre les terreurs du jugement ; elle ne peut qu’endormir l’âme troublée dans les illusions.

II

Il en est autrement de l’espérance des patriarches, qui est la nôtre. Sans doute, Joseph a senti aussi la douleur de la séparation. Quand son père eut expiré, « il se jeta sur sa face et pleura sur lui et l’embrassa. Mais son deuil était autre que celui des Egyptiens, et ses larmes avaient une autre signification que les leurs. Nous, chrétiens, pleurons aussi près du lit de mort des nôtres et sur leur tombe. La mort est pour nous un jugement de Dieu, la démonstration terrible et en acte de notre état de déchéance et de corruption. Jésus lui-même, en voyant pleurer les parents et les amis de son ami, a pleuré et « frémi » par deux fois en son esprit (Jean 11.33, 38) ; frémi de la puissance que la mort exerce encore sur les enfants de Dieu mêmes. Il nous est permis de pleurer avec lui ; comme lui, nous voyons dans la mort un ennemi, et nous nous affligeons de ce que cet ennemi n’est pas encore anéanti. Et cependant nous ne pleurons pas « comme ceux qui n’ont pas d’espérance » (1 Thessaloniciens 4.13).

Le deuil des patriarches est illuminé par l’espérance. « Je vais, dit Jacob aux siens, être recueilli vers mon peuple ; enterrez-moi avec mes pères dans la caverne qui est vis-à-vis de Mamré… C’est là qu’on a enterré Abraham et Sara, sa femme ; c’est là qu’on a enterré Isaac et Rébecca, sa femme ; c’est là que j’ai enterré Léa… » Et Joseph mourant dit à ses frères : « Je vais mourir ; Dieu vous visitera et vous ramènera au pays qu’il a juré de donner à Abraham, Isaac et Jacob. » Et il leur fit faire serment et leur dit : « Quand Dieu vous visitera, vous transporterez mes os d’ici. » C’est ainsi que les patriarches sont morts dans la foi, retenant la promesse du Seigneur de ramener Israël dans la terre de Canaan. Mais ils n’espéraient pas seulement pour leur peuple ; ils espéraient aussi pour eux-mêmes. Dieu leur avait dit : « Je suis avec vous. » Il s’appelait leur Dieu. Or, quand Dieu fait alliance avec un homme, il y a là pour lui une garantie de vie éternelle. Les patriarches, d’ailleurs, croyaient à une vie des âmes après la mort ; sinon, ils eussent été à un niveau inférieur à celui des païens qui les entouraient. Mais ils avaient, de plus, grâce à la Parole de Dieu qu’ils avaient reçue, l’espérance de la résurrection pour la vie éternelle. Ils retenaient que Dieu avait assuré non seulement à leurs descendants, mais à eux-mêmes la possession de Canaan et une bénédiction inaliénable, et ils fondaient sur cette promesse la certitude que Dieu les réveillerait un jour de la poussière du tombeau. En eux vivait déjà l’espérance que David exprime par le Saint-Esprit (Psaumes 16.10-11 ; 17.14-15). Leur volonté d’être enterrés en Canaan est en relation avec cette espérance. Ils voulaient y reposer pour y ressusciter et y contempler la gloire de Celui qui leur y était apparu. Il espéraient d’entrer par la résurrection dans cette assemblée des justes que le Nouveau Testament appelle la cité de Dieu et des saints.

Nos deuils aussi sont adoucis par l’espérance, et la douleur que nous cause la mort des croyants, est rendue moins amère. Car l’espérance des patriarches est la nôtre, et leur terme le nôtre. Sans doute le séjour des trépassés, pour ceux qui meurent au Seigneur, n’est plus si sombre que pour ceux qui s’en sont allés avant l’apparition du Sauveur. Il y a porté la lumière par sa mort et par sa descente dans ce séjour. Il n’est pas loin de l’âme des croyants endormis ; il les abreuve d’eaux vivifiantes, il fait du royaume des morts un paradis, il accorde à ceux qui meurent en lui, le repos dans la société des âmes saintes, et entretient en eux l’espérance du jour de la rédemption parfaite. Ce jour est proprement le terme en vue duquel nous luttons. C’est alors que nous hériterons les promesses de Dieu. A la mort des justes, comme au sommeil du soir, succède le repos de la nuit, bienfaisant à ceux qui sont las, mais où nul ne peut plus travailler. Puis vient le matin, et avec lui le réveil à une activité nouvelle (Psaumes 30.6), — le matin de la résurrection, qui brillera quand Christ reparaîtra (Malachie 4.2).

Si ceux qui n’avaient vu luire que les premiers rayons de la révélation, ont pu marcher dans l’espérance et dans la foi, ce n’est pas nous demander trop que de nous inviter à persévérer jusqu’au bout dans cette même voie. Notre réconciliation est chose accomplie ; la résurrection de notre Chef est un fait. Nous avons sa promesse (Jean 14.19), et le Saint-Esprit nous donne le témoignage le plus positif de la réalité des choses à venir. Il convient donc que, malgré les terreurs de la mort, nous ne marchions pas sombres, courbés vers la terre, mais joyeux, tête levée, nous confiant finalement en Dieu et espérant le jour de la rédemption.

III

Jetons un dernier coup d’œil sur l’histoire d’Abraham, d’Isaac, de Jacob et de Joseph. Ce ne sont pas pour nous des personnalités étrangères ou inconnues. Leur souvenir nous revient aux heures les plus solennelles de notre vie ; dans la Cène, nous sommes heureux d’être en communion avec tons les saints de Dieu ; nous révérons la mémoire de ces pères. Nous remercions Dieu, qui leur a donné d’être fidèles. Nous nous réjouissons à la pensée de les voir et de les connaître personnellement dans la grande assemblée des justes (Matthieu 7.11 ; Luc 13.28-29). Ils sont la racine de l’olivier noble que Dieu a planté et qu’il ne cesse de cultiver (Romains 11.17-19). Nous sommes, par nature, des païens, des branches de l’olivier sauvage et stérile qui a poussé au désert sans que Dieu s’en occupât ; mais sa main nous en a arrachés et nous a implantés dans le nouvel olivier pour participer à sa racine et à sa sève. C’est ce tronc qui nous porte ; les privilèges et les espérances des patriarches sont devenus les nôtres.

L’espérance du jour de Christ et du triomphe de son royaume ne s’est jamais éteinte dans l’Eglise et n’y a jamais été expressément rejetée ; mais elle s’est affaiblie dans le cours des temps. Dieu seul peut la vivifier. Il le fait à l’heure présente ; car l’accomplissement est proche. Il nous fait marcher dans le chemin de la foi, comme Abraham. Quelques pas encore, et le but sera atteint. Les premiers rayons du jour ont déjà paru ; l’étoile du matin s’est levée dans nos cœurs.

Il y eut une époque où l’espérance d’Israël semblait disparue : il était peu à peu tombé, après plusieurs siècles de séjour en Egypte, dans un dur esclavage. Alors l’Eternel apparaît à Moïse dans le buisson ardent et se souvient de son alliance avec les patriarches (Exode 3.1-8). Il se lève pour accomplir la promesse que son peuple avait presque oubliée et pour tenir parole à ses serviteurs. Il se dit leur Dieu et joint son nom auguste à ceux de ces hommes depuis longtemps morts, en signe qu’ils ne sont pas morts, pour lui, et qu’il leur réserve une récompense dans la vie éternelle (Luc 20.37-38).

Leurs descendants sortent d’Egypte ; eux-mêmes demeurent dans le royaume des morts. Mais Jésus souffre pour eux la mort expiatoire ; à ce moment la terre tremble, les tombeaux s’ouvrent ; les corps de plusieurs saints se relèvent (Matthieu 27.52-53). Christ a par la mort ôté l’empire de la mort à celui qui le possédait. Par sa mort, le prince de la mort lui-même a reçu le coup de mort Le royaume des morts tremble à l’entrée de son âme sainte. Jésus en parcourt les demeures en vainqueur et en Prince de la vie. Il fait luire sa lumière dans ces sphères obscures ; un souffle de vie émane de lui, vient ranimer les âmes défaillantes des anciens justes et pénètre leurs os dispersés dans la poussière. Le Fils de Dieu ne peut, l’expiation accomplie, être retenu par la mort ; les antiques portes d’airain qu’aucun homme ne peut briser s’ouvrent devant lui. L’ennemi a perdu sa proie, la nature humaine. C’est pour marquer cette victoire que plusieurs justes des anciens temps ressuscitent avec Christ et l’accompagnent dans son triomphe. Cela n’est pas accordé à tous, mais à plusieurs de ceux qui ont cru en lui avant sa venue. Ne pensez-vous pas qu’Adam et Noé, Abraham et Isaac, Jacob et Joseph ont été de leur nombre ? C’étaient les premiers fruits mûrs des siècles passés ; Christ les a reçus le jour de son triomphe, comme un gage de la récompense magnifique qui lui est réservée, au jour où il ressuscitera et rassemblera autour de lui les fidèles de tous les temps et de toutes les nations.

Voilà ce que nous croyons pouvoir lire dans le passage cité de l’évangile de Matthieu. Les ressuscités d’alors sont les prémices de la résurrection. Ils possèdent dès ce moment l’avant-goût de l’héritage promis. Mais ils ne sont pas encore parvenus à la pleine possession de la patrie céleste après laquelle ils soupiraient. C’est ce qui n’aura lieu que lorsque Christ paraîtra, et avec lui cette nouvelle Jérusalem doit il est dit que « Dieu leur prépare une cité, » et qu’il « leur a réservé quelque chose de meilleur, afin qu’ils ne parvinssent pas à la perfection sans nous » (Hébreux 11.16, 39, 40). Ils attendent donc encore la perfection. Mais dans l’intervalle, l’architecte céleste construit, pour eux et pour nous, la cité indestructible où nous devons habiter avec eux et trouver notre vraie patrie. Ils ne doivent pas y entrer sans nous. Il faut d’abord que les croyants de la nouvelle alliance soient rassemblés et préparés, que le nombre total des élus soit rempli ; les premiers doivent attendre les derniers, avec amour et patience. Quand aucun de ceux que le Père a destinés à son Fils ne manquera, quand les habitants de la Jérusalem céleste seront au complet, alors seulement la perfection se réalisera pour tous. Une étoile surpasse en éclat une autre étoile ; l’Eglise du Nouveau Testament, l’Epouse de Christ, brillera d’un éclat plus vif que les justes de l’ancienne alliance, les amis de l’Epoux. Cependant ils appartiennent tous à une seule et même bourgeoisie. Là, les justes de tous les temps se réjouiront en contemplant le Seigneur ; ils le serviront avec pureté, et lui offriront un cantique de louange digne de sa miséricorde et de sa fidélité.

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