Traité de la divinité de Jésus-Christ

Chapitre VII

Où l’on continue de répondre aux objections.

Nos adversaires font un grand cas de tous les passages de l’Écriture qui marquent que Jésus-Christ est dépendant de son Père. Ils nous citent avec empressement les endroits de l’Écriture qui disent que Jésus-Christ ne fait rien de par lui-même, ou qu’il ne fait que les œuvres que le Père lui a donné à faire ; que le Fils ne sait point l’heure du dernier jugement ; que le Père est plus grand que lui ; qu’il doit remettre le royaume à son Père après la fin des siècles.

Ils font de chacun de ces passages un argument particulier contre nous, et ils en remplissent leurs livres ; mais ils trouveront bon que nous les joignions ensemble, et que, comme ils ne font qu’une même difficulté dans le fond, nous y satisfassions aussi par une seule réponse. Nous ne dirons que peu de chose là-dessus, mais elles seront évidentes et démonstratives.

Premièrement donc, nous trouvons dans l’Écriture des passages qui sont directement et diamétralement opposés à ceux-ci, du moins selon les apparences, car nous y trouvons que Jésus-Christ agit par sa volonté : Qu’il te soit fait selon que tu as cru. Je le veux, sois nettoyé. Il est dit de lui qu’il n’a point réputé à rapine d’être égal à son Père. Saint Pierre dit qu’il connaît toutes choses. Et enfin, l’Écriture nous apprend qu’il ne doit y avoir aucune fin à son règne.

Ces deux sortes de passages paraissent contradictoires : ils ne le sont pourtant pas, puisqu’ils viennent de l’Esprit de vérité, qui n’est pas un Esprit de contradiction et d’imposture. De là il s’ensuit évidemment que de deux hypothèses, celle qui fait combattre ces passages est nécessairement fausse, et que celle qui les accorde, au contraire, est préférable à celle-là.

Or je soutiens que l’hypothèse Socinienne fait combattre ces passages, et que notre hypothèse les accorde et les unit ; et par conséquent j’ai raison d’en conclure que notre hypothèse est préférable à l’hypothèse Socinienne. Cela consiste en preuves.

Comment est-ce que les Sociniens me feront voir que Jésus-Christ est égal au Père, et inférieur à son Père ? Jésus-Christ, selon eux, est inférieur à son Père par sa nature : est-il donc égal avec lui par ses offices ? Nullement, ce serait une contradiction. Les offices de Jésus-Christ l’établissent ministre de Dieu : il n’est donc pas égal avec Dieu par ses offices ; et bien loin qu’il puisse dire à cet égard qu’il n’a point réputé à rapine d’être égal à Dieu, il faut dire que la prétention d’un ministre serait réputée à insolence, s’il se disait égal au maître qu’il sert.

Comment me feront-ils voir que Jésus-Christ sait toutes choses, et qu’il ignore l’heure du jugement ? La distinction de nature et d’office ne sert de rien en cet endroit ; car quand il s’agit de la connaissance, il s’agit évidemment de quelque chose qui appartient à la nature. Dira-t-on que, lorsque saint Pierre dit à Jésus-Christ qu’il connaît toutes choses, il ne parle point en général ? Mais qu’est-ce que parler en général, si ce n’est se servir d’une expression générale ? D’ailleurs, il paraît que d’un principe général il tire une conséquence particulière. Tu connais toutes choses, dit-il ; tu sais que je l’aime ; ce qui signifie naturellement, tu sais que je t’aime puisque tu n’ignores rien.

De dire que saint Pierre s’est trompé lorsqu’il a parlé ainsi, cela n’a point de couleur, puisqu’il n’aurait pu se tromper sans proférer un blasphème en faveur de Jésus-Christ en lui attribuant une connaissance infinie qui n’appartient qu’à Dieu, et que Jésus-Christ n’aurait pas récompensé un blasphème : en lui disant : Pais mes brebis.

Comment nos adversaires accorderont-ils ces passages qui marquent que Jésus-Christ ne fait rien de par lui-même, et ces exemples qu’ils nous citent si souvent de Jésus-Christ priant son Père au tombeau du Lazare, et disant que le Père ne manque jamais de l’exaucer, avec ces autres passages qui marquent que sa volonté commande les miracles et les opère ? Car si Jésus-Christ n’est qu’un simple homme, qui ne fait que prier Dieu qu’il fasse ses œuvres miraculeuses, qu’elle est cette hardiesse de dire : Je le veux, sois nettoyé ? Si Moïse eût parlé ainsi, il aurait assurément parlé avec insolence. Les apôtres s’expriment aussi d’une manière bien différente. La distinction de nature et d’office, à quoi pourra-elle servir dans cette rencontre ?

Enfin, on ne voit pas que leur hypothèse soit plus heureuse lorsqu’il s’agira d’accorder ce que l’Écriture dit de l’éternité du règne de Jésus-Christ avec ce qu’elle dit de la fin de ce règne, lorsqu’elle nous fait entendre que Jésus-Christ doit remettre le royaume à Dieu son Père. Car comme, selon eux, Jésus-Christ ne règne point naturellement, mais par ses offices qui doivent prendre fin, on ne voit pas que son règne puisse être éternel, ou, pour me servir d’une expression encore plus forte, et qui ôte les équivoques, qu’il ne doive y avoir aucune fin à son règne.

Nos adversaires ne sauraient donc concilier ces passages. Mais que diront-ils si nous les concilions parfaitement ? Ne diront-ils pas que notre hypothèse a un avantage visible sur la leur ?

Leur distinction de nature et d’office, qui est fondamentale dans leur hypothèse, est inutile pour cela. Notre distinction de deux natures distinctes en Jésus-Christ, qui est essentielle à notre sentiment, aura un meilleur succès.

Rien n’est si aisé, en effet, que d’accorder par là l’Écriture avec l’Écriture. Jésus-Christ est homme, il est donc inférieur au Père. Jésus-Christ est Dieu, il est donc égal au Père. Jésus-Christ est homme, il ignore donc quelque chose. Jésus-Christ est Dieu, il connaît donc toutes choses. Jésus-Christ est homme, il agit donc dépendamment de la cause première ; il prie, et il est exaucé. Jésus-Christ est Dieu, il n’a donc qu’à vouloir pour agir ; il commande en voulant, et il exécute en commandant : Je le veux, sois nettoyé. Jésus-Christ est homme, il peut donc recevoir l’empire et la puissance qu’il n’avait pas, et la recevoir jusqu’à un certain temps ; après quoi l’économie de médiateur qui le lui a fait prendre, finissant, cet empire finit aussi. Jésus-Christ est Dieu, et à cet égard il a un empire essentiel et nécessaire qui n’aura jamais de fin, non pas même quand l’empire acquis et économique ne sera plus, et aura changé de nature et d’objet.

Crellius nous dira ici que cette distinction des deux natures est une distinction que nous avons imaginée. Premièrement, comment pouvons-nous l’avoir imaginée, puisque sans elle nous ne saurions concilier l’Écriture avec l’Écriture, et que nos adversaires, en la rejetant, se mettent dans l’impossibilité de se délivrer de ces contradictions apparentes.

D’ailleurs, il ne faut que consulter l’Écriture pour y trouver le fondement de cette distinction. Car lorsqu’elle nous parle d’un Dieu manifesté en chair, elle nous fait comprendre la nature divine manifestée dans la nature corporelle, comme cela a déjà été prouvé ailleurs. Or, qu’est-ce qu’une nature divine manifestée dans une nature corporelle, que la distinction des deux natures de Jésus-Christ, qui est le fondement de notre doctrine, et par lequel nous expliquons toutes ces contradictions apparentes de l’Écriture.

Examinez de plus près tous ces passages et vous verrez que la distinction des deux natures s’accorde fort bien avec leur but. Si vous m’aimiez, dit Jésus-Christ dans Jean 14.21, si vous m’aimiez, vous seriez certes bien aise de ce que je vous ai dit je vais au Père, car le Père est plus grand que moi. On voit bien que c’est en tant qu’homme que Jésus-Christ s’en va ; car, à d’autres égards, il doit demeurer avec ses disciples jusqu’à la consommation des siècles. C’est de Jésus-Christ considéré comme s’en allant bientôt, et par conséquent de Jésus-Christ homme, qu’il est dit le Père est plus grand que moi.

Quant à cette dépendance qu’on remarque dans ces expressions : Il est issu du Père ; le Père a donné au Fils d’avoir vie en soi ; le Père démontre au Fils les œuvres qu’il fait lui-même ; le Fils ne peut rien faire s’il ne voit le Père qui le fait pareillement ; le Fils ne parle point de lui-même ; cela s’explique le plus naturellement du monde, et par la distinction des deux natures, et par la relation de médiateur et par cette subordination qui est entre le Père et le Fils en la manière de subsister, si ce n’est pas dans l’essence, comme ce ne l’est pas certainement. Mais l’Écriture étant si sobre sur la manière dont cela se fait, il y aurait de la témérité à pousser plus loin nos recherches ; et nous le déclarons encore, nous ne voulons point de recherches curieuses et philosophiques. La théologie consiste à parler avec l’Écriture, et à n’aller pas plus avant.

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