Traité de la vérité de la religion chrétienne

16. Où l’on fait divers parallèles des deux sentiments, pour montrer l’extravagance des athées.

Voilà quelles sont les principales preuves qui établissent la vérité de l’existence de Dieu, et les principales objections qu’on oppose, ou qu’il semble qu’on peut opposer à ce grand principe. On peut faire cinq comparaisons des deux sentiments qui confirment parfaitement la vérité que nous avons déjà prouvée, et qui consistent :

  1. En ce que le sentiment des athées est singulier et extraordinaire, et que le nôtre a l’avantage du consentement.
  2. En ce qu’il est de notre intérêt, et de l’intérêt honnête et raisonnable, de croire qu’il y a un Dieu ; au lieu qu’il est seulement de l’intérêt de la cupidité et des passions déréglées de n’en reconnaître point.
  3. En ce que notre sentiment a une infinité d’heureuses suites, et que l’athéisme est sujet à mille effroyables inconvénients.
  4. En ce qu’il y a plus de ténèbres et de difficultés dans l’opinion de ceux qui nient la divinité, que dans le sentiment de ceux qui la reçoivent.
  5. Et enfin, qu’il y a une infinité de raisons qui nous persuadent cette première vérité, sans qu’il y en ait une seule qui puisse passer pour preuve pour montrer le contraire.

Pour bien faire le premier de ces cinq parallèles, il suffit de remarquer qu’il y a cinq espèces de consentement qui nous montrent l’existence de Dieu ; le consentement des choses naturelles à nous représenter la sagesse de leur Auteur, nous en avons fait déjà mention ; le consentement de toutes les choses surnaturelles, s’il m’est permis de nommer ainsi l’accord de tous les événements ou de tous les faits surnaturels et miraculeux à confirmer ce grand principe ; le consentement des hommes qui ont vécu dans tous les siècles ; le consentement de toutes les lumières et de toutes les facultés de l’homme ; et enfin, le consentement général de toutes les sciences, qui se terminent à cette première et capitale vérité comme à leur centre commun.

S’il n’y avait qu’une seule chose dans le monde qui nous fit connaître cette vérité, on aurait moins lieu de s’étonner qu’elle puisse être révoquée en doute ; mais on a déjà vu que toutes les parties de la nature nous la mettent devant les yeux d’un commun accord. Les astres, la terre, le ciel, l’eau, le feu, les vents, les tourbillons, les nuées, la nuit, le jour, la lumière, les ténèbres, les plantes, les animaux, les hommes, et tant d’autres choses enchaînées nonobstant leur éloignement, et ramassées malgré leur dispersion, pour faire ce grand et admirable tout qui nous surprend ; toutes ces choses nous montrent par leur grandeur, par leur variété, par leur subordination, par le tempérament de leurs qualités, par leurs rapports et leurs proportions admirables, et par cet ordre divin qui les lie, que le monde est l’ouvrage de cette sagesse souveraine à laquelle nous donnons le nom de Dieu.

Je ne parlerai point ici de l’accord de toutes les choses surnaturelles à nous faire connaître cette même vérité, et de l’absolue nécessité qu’il y aura à reconnaître l’existence de Dieu, si de toutes les choses surnaturelles dont on a jamais parlé, soit de celles qu’on rapporte à la religion, soit de celles qu’on attribue à la magie, il y en a une seule de véritable. Cette considération n’est point de ce lieu, puisqu’elle roule sur des fondements qui ne sont pas encore établis.

Mais je dirai bien qu’on ne peut s’empêcher d’être frappé par la vue du consentement général des hommes, des vivants et des morts, des savants et des ignorants, des heureux et des malheureux, des innocents et des criminels, de ceux qui attendent une autre vie après la mort, et de ceux qui font profession de ne rien espérer après cette vie ; des sadducéens, qui ne craignent point un jugement à venir, et que la crainte ne préoccupe point ; des stoïciens, qui ont l’insolence de se préférer à la divinité, lorsqu’ils s’applaudissent de leur sagesse, et qu’un respect superstitieux n’engage point dans l’erreur ; des épicuriens, qui attribuent à Dieu de ne se mêler point de nos affaires ; des païens, qui se représentent la divinité vicieuse et déréglée ; et des déistes même d’aujourd’hui, que le scrupule ne retient point.

Et ce consentement est d’autant plus considérable en cette occasion, que les hommes, loin de recevoir ce grand principe par préjugé, s’accordent à le recevoir contre tous leurs préjugés, et contre tous les principes de leurs erreurs, comme on l’a déjà fait voir.

Cette réflexion nous conduit à penser que c’est ici un consentement de raison et de sens commun, qui est d’un tel poids et d’une telle considération dans la vie civile, qu’il suffit pour nous faire recevoir un nombre presque infini de vérités sans examen, et pour nous faire traiter de fous et de visionnaires ceux qui osent les révoquer en doute. Jugez donc ce que c’est que l’accord de l’esprit de tous les hommes, qui, par leurs plus pures lumières, leurs plus communes notions, nous conduisent à Dieu ; et le consentement général de leurs cœurs, qui, par des penchants et des sentiments naturels, nous font sentir cette même vérité ; et l’union de leur esprit et de leur cœur, qui s’accordent en cela, quoique assez opposés en d’autres rencontres ; et l’accord de la raison et de la conscience, de la nature et de l’éducation, qui s’unissent si parfaitement à cet égard.

Puisque toutes nos facultés conviennent à recevoir cette grande et importante vérité, on ne doit point douter que les sciences ne nous y conduisent comme à leur centre commun. L’anatomie ne peut nous faire voir de la symétrie, des usages et une destination dans les parties de notre corps, sans nous montrer par cela même qu’il y a une sagesse qui les a arrangées, et leur a donné cette surprenante et merveilleuse disposition. La chimie nous fait connaître, mieux que toute autre science, l’action de la matière, et les effets du mouvement qu’elle diversifie par ses opérations et par ses mélanges : mais comme, en nous faisant voir ce qui peut sortir de la matière et de son mouvement, elle nous fait connaître assez distinctement que la pensée n’en sortira jamais, elle nous met dans la nécessité de reconnaître un Dieu auteur des esprits ou des actes spirituels. L’astronomie ne peut envisager l’ordre, l’éloignement, les proportions et les usages de ces globes immenses qui nous éclairent, sans nous donner l’idée d’une sagesse souveraine qui les a ainsi disposés. La jurisprudence établit tous ses axiomes sur ces communes maximes d’équité et de justice qui sont dans l’esprit de tous les hommes, et qui périssent si l’existence de Dieu périt, puisque n’ayant rien de plus noble en ce cas-là que d’être la production du hasard, ou de venir d’une matière aveugle, elles ne doivent plus embarrasser les hommes par de vains scrupules. Si vous consultez l’histoire, elle vous mettra devant les yeux les progrès des arts et des sciences, la nouveauté du monde, le déluge et la création ; principes qui sont évidemment liés avec la vérité de l’existence de Dieu, et qui ne peuvent être révoqués en doute, sans qu’on renonce à la plus sûre partie de l’histoire, et qu’on détruise la mémoire des choses passées. Si vous entrez dans les vues de la morale, elle vous donnera l’idée d’une probité et d’une vertu que vous êtes contraints d’approuver, lors même que vous êtes dans des dispositions tout opposées, et qui n’est plus rien si l’on anéantit le grand et unique principe de nos devoirs, qui est Dieu. Etudiez la nature, et, quelque système que vous suiviez, elle vous conduira à la connaissance de son auteur. La doctrine d’Aristote, par la subordination des mouvements qu’elle reconnaît dans la nature, vous mènera à un premier mobile. Descartes vous dira que c’est par le libre choix d’une intelligence souveraine, que la matière a précisément ce mouvement, et cette quantité de mouvement sans laquelle les lois de la mécanique seraient inutiles, et la composition du monde impossible. Il reconnaîtra qu’il n’y a que la cause première qui puisse produire la pensée ou le principe qui pense dans un corps organisé ; et c’est sur la distinction des qualités de l’esprit d’avec les qualités de la matière, qu’est fondée sa doctrine des sensations. Suivez les vues de Démocrite et d’Epicure, leurs atomes, leur mouvement et les différentes déterminations de ce mouvement si juste et si réglé, vous conduiront tout de même à la connaissance de Dieu.

Si donc il suffit du consentement général des hommes qui jugent d’une vérité sans pouvoir être soupçonnés de préoccupation, pour la mettre hors de doute, jugez ce que c’est que le consentement universel des hommes, soutenu par les quatre autres espèces de consentement que nous avons marquées ; et nous persuadant une même vérité, malgré cinq autres espèces d’accord, qui sont l’accord de nos sens à n’apercevoir point cette divinité, l’accord de l’imagination de tous les hommes à ne pouvoir la comprendre ou se la représenter, l’accord des préjugés contraires qui naissent de ces deux sources, l’accord de toutes nos passions qui cherchent à se satisfaire, et l’accord de tous nos crimes, qui nous remplissent de frayeur jusqu’à ce que nous soyons assurés de leur impunité : c’est le premier parallèle qu’on peut faire des deux sentiments. En voici d’autres.

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