Traité de la vérité de la religion chrétienne

14. Troisième monument de la révélation judaïque. Que la substance de la loi n’a pu entièrement s’effacer du souvenir des Israélites.

Mais, outre la loi et les autres livres du Pentateuque que nous venons de défendre contre la fausse critique des incrédules de ce temps, il y a encore un troisième livre, dans lequel les faits qui établissent la religion judaïque devaient être nécessairement gravés, qui est le cœur et le souvenir des Israélites. En effet, il ne se peut rien ajouter aux soins que leur législateur avait pris pour conserver perpétuellement la mémoire des choses admirables que Dieu avait faites en leur faveur, et qui sont les motifs sur lesquels roulent les préceptes de la loi. Voici ce qui en est dit au trente et unième chapitre du Deutéronome : Et Moïse leur commanda, disant : De sept ans en sept ans, au propre temps de l’an de relâche, en la fête des Tabernacles, quand tout Israël sera venu pour comparaître devant la face de l’Éternel ton Dieu, au lieu qu’il aura choisi ; alors tu liras cette loi ici devant tout Israël, eux l’entendant, ayant assemblé le peuple, hommes et femmes, et leur mesgnie, et ton étranger qui sera dans tes portes, afin qu’ils entendent et apprennent, et craignent l’Éternel votre Dieu, et prennent garde à faire toutes les paroles de cette loi ici, et que leurs enfants qui n’en auront eu connaissance, entendent et apprennent, pour craindre l’Éternel votre Dieu tous les jours que vous serez vivants sur la terre, etc.

Mettez donc mes paroles en votre cœur, dit-il au ch. 11 du même livre ; mettez-les en votre entendement, et les liez pour signes sur vos mains, et qu’elles soient comme des frontaux entre vos yeux, et les enseignez à vos enfants, en parlant d’elles, soit que tu te tiennes en ta maison, soit que tu ailles en chemin, soit que tu te couches, soit que tu te lèves. Tu les écriras aussi aux poteaux de ta maison et en tes portes. Prends garde à toi, dit-il au ch. 4, de peur que tu n’oublies les choses que les yeux ont vues, et de peur qu’elles ne se départent de ton cœur tous les jours de ta vie ; mais que tu les enseignes à tes enfants, et aux enfants de tes enfants.

Enfin, on trouve le même commandement répété au chapitre VI, en ces mots : Tu les enseigneras avec soin à tes enfants, et parleras d’elles quand tu te tiendras en la maison, quand tu iras par chemin, quand tu te coucheras, quand tu te lèveras, etc.

Il faut avouer que voilà des précautions tout à fait extraordinaires, pour fixer la loi de Moïse dans le souvenir des Israélites. Mais peut-être doute-t-on que ce soit Moïse qui les ait prises. Si l’on prétend qu’il y ait là de l’incertitude, nous voulons bien nous en tenir à cette incertitude même ; elle suffit pour nous servir de principe dans notre raisonnement.

Car si c’est quelque autre que Moïse qui a écrit dans le livre du Deutéronome toutes ces paroles que nous venons de citer, en y insérant plusieurs faits chimériques, comment n’a-t-il pas vu qu’il se combattait avec ses propres armes ? Comment s’avise-t-il de défendre qu’on ajoute à la loi, lorsqu’il y ajoute lui-même. Comment défend-il d’oublier les choses qui sont contenues dans ce livre, lorsque ce n’est qu’à la faveur de cet oubli que les fables qu’il suppose maintenant passent pour des vérités ? A quoi bon feindre que Moïse a ordonné de lire la loi de sept ans en sept ans, puisque si cela s’était pratiqué, les lois qu’il suppose passeraient pour des nouveautés ? Mais je perds le temps en combattant ce qui ne peut être soutenu.

Il est tout à fait naturel de penser que les paroles que nous venons de citer n’ont point été ajoutées à la loi de Moïse, et que personne ne s’est avisé de supposer des passages qui en auraient fait connaître la supposition, et qui auraient donné lieu de dire : Mais nos pères ne nous ont pourtant jamais appris ces choses, et nous n’avons pas vu qu’on en rafraîchit la mémoire de sept ans en sept ans.

Que si c’est Moïse qui les a véritablement écrites, il est aisé de voir qu’outre l’inclination que les [Israélites avaient à chérir leur loi, et à s’entretenir des choses qu’elle contenait, ils y ont été obligés encore par le commandement exprès et réitéré de leur législateur. Il a fallu que, pour obéir à ses ordres, ils portassent leur loi écrite dans leurs habits, dans leurs discours, qu’elle se mêlât avec leurs affaires, et qu’elle fit la principale matière de leurs entretiens, soit à la ville, soit à la campagne.

Cela étant, comment peut-on concevoir qu’on eût pu ni changer ni corrompre cette loi ? Il est vrai que les rois d’Israël et ceux de Juda, imitant les superstitions abominables de leurs voisins, ont pu altérer le culte public en certaines rencontres ; mais quand on avait oublié Dieu dans l’un de ces États, on s’en souvenait dans l’autre ; et quand il ne paraissait que des adorateurs de Bahal, il y avait sept mille hommes qui n’avaient point fléchi le genou devant lui. Dans le temps de la plus grande désolation de l’église de Juda, lorsqu’on ne voyait partout que des bocages consacrés aux idoles, lorsqu’on n’osait lire publiquement la loi de Dieu, enfin, du temps même de Josias, cette loi subsistait dans le souvenir de quelques fidèles. Le roi Josias ne l’avait pas entièrement oubliée, puisque avant que d’en avoir entendu la lecture du souverain sacrificateur Hamalkija, il s’était disposé à rétablir le service divin, en commençant par faire réparer le temple.

Mais rien ne nous montre mieux combien avant et après le règne de Josias, les idées de la loi ont été présentes à l’esprit des Israélites, que de voir tout ce qu’il y a de considérable dans cette loi répandu dans les divers écrits des prophètes qui ont vécu en Juda et en Israël avant et après Hamalkija et Josias.

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