Traité de la vérité de la religion chrétienne

3. Que Dieu devait appeler les gentils, et traiter une nouvelle alliance par le ministère d’un médiateur.

Il faut à présent examiner si Dieu n’a point traité cette nouvelle alliance dont nous venons de parler, par le ministère de quelqu’un ; et je crois qu’avant que de consulter les oracles de l’Écriture, nous pouvons laisser parler un moment notre raison là-dessus.

Lorsque Dieu traita la première alliance avec les Israélites, ce fut par le ministère de Moïse. Un homme mortel fut médiateur entre le peuple d’Israël et la divinité : il fallait même que cela arrivât ainsi. La majesté suprême de Dieu ne lui permettait point de se communiquer familièrement et immédiatement à tous les Israélites ; la corruption et la faiblesse de ce peuple ne lui permettaient pas de soutenir l’éclat de la présence majestueuse de son Dieu. Pour cette raison, ou pour d’autres qui nous sont inconnues, l’alliance fut traitée par le ministère de Moïse ; et c’est là une vérité que je prétends avoir droit de supposer comme prouvée.

Cela étant, il me semble qu’il est assez naturel de croire que la nouvelle alliance que Dieu devait traiter avec tous les hommes, a été de même traitée par le ministère d’un médiateur. Il est pourtant raisonnable de concevoir que, comme cette seconde alliance que Dieu doit traiter avec tous les hommes généralement, est plus excellente que la première, il faut que le médiateur de la seconde ait des qualités plus excellentes que le médiateur de la première. Ainsi Moïse aura été le plus débonnaire de tous les hommes ; et le médiateur dont nous parlons aura dû être sans péché. Moïse sera monté sur une montagne pour y recevoir les ordres de Dieu ; et le nouveau médiateur aura dû apporter du ciel même sa révélation. Moïse aura donné la loi au peuple des Juifs en général, et aura choisi des lévites pour l’expliquer et l’enseigner au peuple d’âge en âge. Le nouveau médiateur aura dû apporter une loi à tous les hommes, la leur donner par le ministère de plusieurs prophètes, et l’entretenir dans le monde par une succession de docteurs. Ainsi la raison ne nous éloigne point de la connaissance d’un messie ; et il suffit qu’elle ne nous en éloigne pas, pour nous obliger à considérer avec attention tant de prophéties qui nous le promettent.

Car il est vrai que l’Écriture joint la vocation des gentils à la venue d’un messie qui devait produire ce grand ouvrage, comme l’effet à sa cause. Quand cet oracle de Jacob, qui dit : qu’à lui appartient l’assemblée des peuples, serait douteux, et quand les autres passages de l’Écriture, qui marquent la vocation des païens, ne lui donneraient pas un jour suffisant, comment pourrait-on méconnaître cette vérité dans ces belles paroles d’Esaïe, ch. 19 : En ce jour-là il y aura un autel à l’Éternel au milieu du pays d’Egypte, et une enseigne dressée à l’Éternel sur sa frontière ; et cela sera pour signe et pour témoignage à l’Éternel des armées au pays d’Egypte ; car ils crieront à l’Éternel à cause des oppressions, et il leur enverra un libérateur et grand personnage qui les délivrera. Et l’Éternel se fera connaître en Egypte, et l’Egypte connaîtra l’Éternel, et le servira, offrant sacrifices et gâteaux, et vouera vœux à l’Éternel, et les accomplira. L’Éternel donc frappera les Egyptiens, les frappant et les guérissant, et ils retourneront jusqu’à l’Éternel, lequel sera fléchi par leurs prières, et les guérira. II est aisé de recueillir trois vérités de ces paroles :

1. Qu’il est parlé d’une oppression et d’une délivrance, qui ne regardent point Israël, du moins Israël selon la chair ; car c’est des Egyptiens qu’il est dit qu’ils crieront à l’Éternel à cause des oppresseurs ; outre que le peuple d’Israël n’a point été captif en Egypte depuis cette servitude dont Dieu le retira parle ministère de Moïse.

2. Qu’au temps de cette délivrance dont il est ici parlé, Dieu se ferait connaître aux Egyptiens, et qu’alors la distinction des lieux étant ôtée, et le culte public n’étant plus attaché à Jérusalem, on pourrait servir Dieu partout ailleurs ; c’est ce qui nous est clairement marqué dans ces paroles : Il y aura un autel au milieu de l’Egypte, etc. l’Egypte connaîtra l’Éternel, et lui offrira sacrifices, etc. Comme la religion judaïque était la seule véritable, Esaïe se sert de ces idées pour nous représenter la nouvelle alliance. Ses expressions doivent être prises, sans doute, dans un sens mystique ; mais toujours emportent-elles que le culte ne serait plus attaché à un lieu particulier, et par conséquent que l’alliance de Moïse ferait place à une autre.

3. Enfin, nous en recueillons que Dieu devait envoyer un messie ou un libérateur, pour éclairer et pour guérir les Egyptiens, les délivrant aussi de la servitude dans laquelle ils gémissaient. Et il leur enverra, dit le prophète, un libérateur et grand personnage qui les délivrera.

On trouve aussi la vocation des gentils produite par le ministère d’un messie, dans cet autre passage du chapitre 49 : Dont il m’a dit : C’est peu de chose que tu me sois serviteur pour rétablir les tribus de Jacob, et pour restaurer les désolations d’Israël et pourtant je t’ai donné pour lumière aux nations, afin que tu sois mon salut jusqu’au bout de la terre. Que peut-on concevoir de plus clair et de plus exprès que ces paroles ? Car, 1° c’est ici un libérateur qui doit rétablir les tribus de Jacob, et réparer les désolations d’Israël. 2° Il ne doit pas s’arrêter là ; son emploi est plus grand, et sa charge d’une plus grande étendue. C’est peu de chose, dit Dieu, que tu me sois serviteur pour rétablir les tribus de Jacob, etc. 3° Il est destiné à gagner à Dieu toutes les nations : Et pourtant je t’ai donné pour lumière aux nations, afin que tu sois mon salut jusqu’au bout de la terre. Où est l’obscurité qui se trouve de coutume dans les prophéties ?

Certainement, plus nous entrons dans l’examen des prophéties, et moins nous pouvons douter de cette vérité : le seul Esaïe nous en parle en cent endroits de ses révélations. Réjouis-toi, dit-il au chapitre 54, stérile, qui n’enfantais point, car tu n’en seras point honteuse ; et ne sois point confuse, car tu n’en rougiras point. Tu oublieras même la honte de ta jeunesse, et tu ne te souviendras plus de l’opprobre de ton veuvage ; car ton mari, c’est celui qui t’a faite ; l’Éternel des armées est son nom ; et ton Rédempteur, c’est le saint d’Israël ; il sera appelé le Dieu de toute la terre.

Il paraît qu’il ne s’agit point en cet endroit de l’Église d’Israël, par la force de cette opposition : Car les enfants de celle qui était délaissée seule seront en plus grand nombre que les enfants de celle qui a été mariée, a dit l’Éternel. Qui ne voit qu’il s’agit là des gentils opposés aux Israélites, lesquels ressemblaient en effet à une femme qu’on aurait épousée en sa jeunesse, et qui aurait été répudiée, selon l’expression du prophète ? C’est pour cela que Dieu lui promet un rédempteur, qui sera appelé le Dieu de toutes nations, pour convertir tous les peuples de la terre.

Toute cette évidence n’est pourtant pas comparable à celle du chapitre 42 des révélations de ce même prophète, où il introduit Dieu parlant de cette sorte : Voici mon serviteur, je le maintiendrai : c’est mon élu ; mon âme y prend son bon plaisir ; j’ai mis mon esprit sur lui : il mettra en avant jugement aux nations, etc. Il ne se retirera point, et ne se hâtera point qu’il n’ait réglé la terre ; et les îles s’attendront à sa loi. Ainsi, a dit l’Éternel, le Dieu fort qui a créé les cieux, etc. Moi, l’Éternel, je t’ai appelé en justice, et je prendrai ta main, et je le garderai, et je te ferai être l’alliance du peuple et la lumière des nations, afin d’ouvrir les yeux qui ne voient goutte, et de retirer les prisonniers du lieu auquel on les tient enserrés, etc. Je suis l’Éternel, c’est là mon nom. Je ne donnerai point ma gloire à un autre, ni ma louange aux images taillées. Voici les choses de ci-devant sont arrivées, et je vous en annonce de nouvelles, et je vous les ferai entendre avant qu’elles soient arrivées. Chantez à l’Éternel un nouveau cantique ; que sa louange soit dès le bout de la terre. Que tout ce qui descend en la mer, et tout ce qui est en elle, les îles et leurs habitants, etc., se réjouissent avec chant de triomphe ; qu’ils donnent gloire à l’Éternel, etc. Sur quoi l’on doit remarquer, premièrement, le dessein de ce chapitre, qui paraît être de montrer que le règne de l’idolâtrie ne durera point toujours ; car le chapitre précédent finit ainsi : Voici leurs œuvres sont vanité, leurs idoles de fonte sont du vent. C’est là l’occasion de tout ce que le prophète dit dans tout le chapitre suivant : Je ne donnerai point ma louange aux images taillées. Voilà le langage qu’il fait tenir à Dieu ; et quelque temps après : Que ceux donc se retirent en arrière, qui se confient aux images taillées, et qui disent aux images de fonte : Vous êtes nos dieux. Il paraît, en second lieu, que le prophète prenant occasion des idoles qui ne doivent pas toujours subsister dans le monde, de marquer la vocation des païens, en parle comme d’un événement surprenant, nouveau et incroyable. Voici, dit-il, je vous annonce des choses nouvelles, et je vous les ferai entendre avant qu’elles soient arrivées, etc. Il dit aussi que les îles s’attendaient à la loi de Dieu, c’est-à-dire les peuples les plus reculés et les plus éloignés de la connaissance du vrai Dieu ; car l’Écriture dit souvent que les îles, les Egyptiens, Edom, Assur, connaîtront le nom de Dieu, pour marquer que cet avantage s’étendra jusqu’aux nations qui paraissent les plus abandonnées du ciel. En troisième lieu, nous trouvons que l’illumination des nations doit se faire par le ministère d’un Messie, qui doit annoncer jugement aux nations, et qui nous est caractérisé par plusieurs autres éloges qu’on examinera en leur lieu.

Il nous suffit d’avoir fait voir par des passages clairs, et par des preuves faciles, que la vocation des païens, et la venue de celui que nous appelons le Messie, et qui est celui par le ministère duquel les nations ont dû être appelées, sont deux événements qui nous sont représentés par les prophètes comme essentiellement liés ensemble et inséparables.

Il ne faut pas s’étonner, après cela, si les Juifs ont cru, par une tradition constante et invariable, qu’il viendrait un Messie qui rétablirait leur État. Mais il y a lieu d’être surpris qu’ils aient séparé la vocation des gentils de la venue de leur Messie, ou qu’ils n’aient pas vu que le Messie ne devait venir que pour unir tous les peuples du monde dans la connaissance du vrai Dieu, en traitant avec eux une alliance de paix, une alliance éternelle, selon les oracles de l’Ancien Testament.

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