Traité de la vérité de la religion chrétienne

4. Que Dieu n’a point différé l’envoi du Messie à cause des péchés du peuple.

Il n’est pas moins surprenant que les Juifs aient été assez aveugles et assez déraisonnables, pour dire que Dieu différait d’envoyer le Messie, ou qu’il s’était résolu à ne l’envoyer point du tout, à cause des péchés du peuple. Car, 1° ils trahissent leur cause par cette fiction ; et il faut bien que toutes les apparences soient contre eux, et que le terme de l’envoi du Messie soit en effet passé, puisqu’ils ne peuvent se défendre que par là. 2° Puisque le Messie devait venir non seulement pour rétablir les tribus de Jacob, mais encore qu’il devait être donné pour lumière aux nations, et être le salut de Dieu jusqu’aux bout de la terre, comme Esaïe le dit expressément, il est ridicule de prétendre que la seule considération des péchés du peuple des Juifs l’ait empêché de venir. 3° Les péchés du peuple ne peuvent avoir empêché le Messie de paraître, à moins que la promesse de sa venue ne soit une promesse conditionnelle. Or il paraît que ce n’est point une promesse conditionnelle, puisque outre qu’elle est toujours exprimée d’une manière absolue et sans réserve, le temps en est limité, et les autres circonstances en sont marquées très précisément ; ce qui est le propre des promesses absolues, et qui serait absurde dans des promesses conditionnelles. 4° il est certain que le siècle du Messie devait être un siècle de dépravation et de malice. C’est ce qu’on prouve par l’Écriture, et par le consentement même des rabbins. Ces derniers avouent que le temps auquel le Messie paraîtra, sera un temps d’une licence et d’un débordement de vices effroyables. Et Daniel nous apprend fort distinctement qu’après la venue du Messie, qu’il appelle le Christ, Dieu punirait les Juifs en envoyant contre eux le peuple du conducteur, qui détruirait la ville et le sanctuaire, etc., ce qui marque que la corruption de ce peuple devait être extrême au temps du Messie. 5° Ce n’est que lorsque les vices des particuliers s’étaient accrus jusqu’à former une idolâtrie et une corruption publique, que Dieu punissait les Juifs par des calamités publiques. Au fond, les Juifs ne prophétisent point par Bahal ; ils n’immolent pas leurs enfants à Moloc ; ils ne se font point des dieux qui marchent devant eux : cependant, lorsqu’ils faisaient toutes ces choses, Dieu ne les punit que par une captivité qui dura soixante et dix années ; il ne les punit qu’après les avoir repris par la bouche de ses prophètes, qu’ils mettaient à mort ; et lorsqu’il les eut transportés en Babylone, il ne cessa de les consoler par des oracles, qui leur faisaient espérer leur prochain rétablissement. 6° Ne semble-t-il pas que ce désir ardent et passionné, avec lequel les Juifs attendent le Messie, joint à ce qu’ils ne sont point idolâtres, à la haine qu’ils ont pour ceux qu’ils regardent comme les ennemis de Dieu, et à l’agréable sacrifice qu’ils prétendent avoir fait à Dieu, en crucifiant celui qui, selon eux, a séduit tout l’univers, ne semble-t-il pas, dis-je, que toutes ces choses devraient attirer sur leurs têtes une mesure de bénédictions encore plus abondante que celle qu’ont eue leurs pères ? Cependant les voilà errants et dispersés depuis seize siècles. Il paraît qu’ils ne se tournent point vers aucun faux Dieu, et le vrai Dieu ne se tourne point vers eux, quoique Dieu ait solennellement déclaré que quand ils se tourneraient vers lui, il se tournerait vers eux. Ils se reconnaissent pécheurs, et Dieu ne leur reproche point leurs péchés. Ils se croient coupables de quelque crime caché, et l’on ne voit aucun prophète qui vienne le leur apprendre. La venue de leur Messie est retardée, et ils demeurent sans en savoir la raison. Les oracles se sont tus, la prophétie est ôtée, le ciel ne parle plus à eux ni par songe ni par vision ; pourquoi cela, si ce n’est pour leur dire qu’il n’y a plus de promesses ni de salut pour eux, s’ils ne sortent de leur aveuglement ?

Et en effet, puisque le malheur de leur captivité présente est un malheur réel, et qu’ils ne sauraient le nier, parce qu’ils le ressentent, ils n’ont qu’à examiner si le mal qu’ils souffrent est un châtiment ou une punition. Il faut que ce soit l’un ou l’autre, puisqu’il arrive par une dispensation de la Providence, selon leur propre aveu. Certes, s’ils veulent faire de bonne foi cet examen, tout leur apprendra que leur captivité n’est point un châtiment. Un châtiment ne dure pas si longtemps ; et quand on châtie, on avertit du crime pour lequel on châtie, l’avertissement étant même de l’essence du châtiment. D’ailleurs, on console par quelque promesse ; et enfin on met au feu les verges dont on s’est servi dans ce châtiment. Il est aisé de remarquer tous ces caractères dans les châtiments que Dieu a déployés sur l’ancien peuple d’Israël. Mais ici l’on ne voit qu’une servitude la plus longue qui fut jamais, une confusion de tribus et de familles, et une perte générale de toutes les marques de leur adoption ; des maux sans consolation, privation de prophéties, silence de la part de Dieu, prospérité du côté des nations, et ce qui est plus considérable, toute la terre remplie de la connaissance du vrai Dieu ; ce qui est un caractère sensible de cette bénédiction, par laquelle toutes les familles de la terre devaient être bénies eu Abraham. Ainsi, bien loin que les Juifs puissent trouver la cause du retardement de sa venue dans la considération de leurs péchés, cette considération les conduit bien plutôt à croire qu’il faut qu’ils aient rejeté le Messie, et qu’il n’y a point d’autre crime qui puisse être proportionné à cet effroyable abandon et à cette extrême misère.

Les Juifs auraient raison d’attribuer le retardement du Messie à leurs péchés, ou à quelque autre cause, si, en effet, il n’avait point paru de Messie, si aucun ne s’était vanté d’en porter les caractères, et si aucun ne les avait portés en effet : mais ils ne sont point pardonnables de recourir à de pareilles fictions, lorsqu’on leur fait voir un sujet auguste et divin dans sa bassesse apparente, que les prophètes semblent tous avoir eu devant les yeux, lorsqu’ils en ont parlé, tant ils ont exactement marqué sa venue, sa naissance, sa famille, ses actions, sa vie, sa mort, et ce qui est arrivé après sa mort.

Il n’est pas juste qu’on nous en croie sur notre parole, mais il n’est pas juste aussi que les Juifs ni les autres incrédules se dispensent d’entrer dans cet examen avec nous.

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