Traité de la vérité de la religion chrétienne

13. Que nous devons regarder comme divine l’Écriture du Nouveau Testament.

Il est certain que nous croyons trouver des caractères incontestables de divinité dans cette Écriture. Car, pour ne pas répéter ce que nous avons déjà dit dans notre première partie, des livres qui composent la révélation des Juifs, et qui n’est pas moins véritable sur le sujet des livres du Nouveau Testament, peut-on ne pas admirer le parfait accord de ces auteurs avec Moïse et les autres prophètes ? Peut-on s’empêcher d’être surpris en voyant le consentement de ces écrivains entre eux, soit dans les choses qu’ils rapportent, soit dans le but des exhortations qu’ils adressent, soit dans les témoignages qu’ils rendent ? Et vit-on jamais un auteur être si bien conforme à lui-même, que ces divins auteurs le sont les uns aux autres dans l’essentiel de leur doctrine ? Où a-t-on vu ce caractère de douceur, de débonnaireté, de simplicité ; tant de charité pour les hommes, et de sévérité pour les vices ; tant de motifs de s’humilier soi-même, et tant de passion a glorifier Dieu ? Où est-ce qu’on trouve cette sublimité dans les choses avec une telle simplicité dans l’expression ; les afflictions jointes avec la joie, une confiance héroïque avec l’état des personnes misérables et sans secours, une humilité profonde, et une élévation de cœur et d’esprit si grande, que leur morale est la plus belle qui fut jamais, et leur sentiment plus élevé que ceux de tous les autres hommes ; le plus grand dessein qui monta jamais dans le cœur de personnes mortelles, qui est celui de gagner tous les hommes à Dieu, joint à si peu de raffinement et de politique ; un ardent désir de réussir dans leur ministère, et un extrême désintéressement ?

Je sais que c’est ici une matière de sentiment plutôt que de démonstration, et que je ne puis pas obliger les incrédules à trouver dans les livres du Nouveau Testament cette sublimité et cette magnificence divine que j’y aperçois au travers de ce langage si grossier et si rebutant qui en fait l’écorce ; mais toujours ne nieront-ils pas ces quatre vérités, quelque obstinés qu’ils puissent être : 1° Que jamais aucun des imposteurs qui nous sont connus ne nous a laissé de si excellents livres que les apôtres, non pas même Mahomet, qui aurait pu emprunter leurs sentiments pour se mieux déguiser. 2° Que leurs écrits paraissent mille fois plus exempts des passions et des faiblesses humaines, que les livres des plus sages des païens, où l’orgueil du moins paraissait comme sur son trône. 3° Que le caractère de l’Écriture du Nouveau Testament est infiniment au-dessus des écrits de tous les Pères qui sont venus successivement depuis les apôtres jusqu’à nous, où vous remarquez l’affectation, l’envie de faire paraître de l’érudition, ou de l’esprit, et quelquefois beaucoup d’aigreur et d’emportement, parce qu’ils étaient bien éloignés de la perfection chrétienne et de l’état apostolique. 4° Que tout ce qu’on a fait de meilleurs livres de piété parmi les chrétiens depuis les apôtres, c’est-à-dire les livres qui établissent le mieux le repos de la société, et qui tendent le plus à la gloire de Dieu, a été fait sur le modèle des livres sacrés, d’où l’on a même pris les matériaux pour les composer. Voilà ce qui me paraît certain.

Ce qui est constant encore, est que, si les apôtres ne sont pas inspirés divinement, il faut qu’ils soient des imposteurs, et même des hommes exécrables, qui veulent déshonorer leur nation, et immoler à une idée de gloire qui les flatte, la vie et le sang d’une infinité de personnes qu’ils appellent au martyre.

C’est à nous maintenant à voir si nous pourrons nous persuader que les plus excellents livres, c’est-à-dire les plus propres à inspirer la piété, et l’amour de Dieu et du prochain, qui soient, entre tous les livres qui nous sont connus, la source des meilleures choses qu’on ait écrites, et le premier principe de la piété et de la vertu de toutes les personnes qui en ont été converties, ne soient que l’invention des plus méchants hommes qui furent jamais.

Et certes, puisque tous les chrétiens ont dans tous les siècles regardé cette Écriture comme divine, et comme la règle de leur foi, la distinguant par là de toutes les autres, il faut que tous les chrétiens se soient trompés dans l’essentiel, et que leur foi soit entièrement fausse, ou que cette Écriture soit divine en effet : une tradition universelle, constante, et si nécessairement liée avec le but de la religion, ne saurait nous tromper.

La Providence a pourvu par des voies que nous avons déjà marquées, à ce que cette Écriture nous fût laissée aussi entière qu’elle sortit des mains des apôtres ; et les premiers chrétiens, qui nous apprennent en foule qu’elle est divine, nous apprennent ce que la droite raison les oblige à reconnaître, et nous avec eux. Car la parole prêchée par les apôtres, et la parole écrite par leur plume, ne diffèrent point essentiellement ; de sorte que si l’une est divine, il faut que l’autre le soit aussi, Or, qui peut douter qu’on n’ait dû regarder comme divine une Parole que Dieu autorisait par tant de miracles ?

On me dira sans doute qu’il serait souvent dangereux de raisonner de la sorte, et que si un faux prophète faisait des prodiges, il ne faudrait pas le suivre, sous prétexte que Dieu ne prête pas à un imposteur le secours de sa puissance infinie. Je l’avoue et je tiens qu’il faut examiner la doctrine et les miracles, pour voir par cette comparaison le véritable principe de l’un et de l’autre. Aussi avons-nous cet avantage, que non seulement nous trouvons ici des miracles qui surpassent tout le pouvoir des enfers, tel qu’est, par exemple, la résurrection d’un mort, mais que la doctrine y porte tous les caractères d’une doctrine venue du ciel. D’un côté ces miracles si grands et en si grand nombre, qui font dire ; C’est ici le doigt de Dieu, ne nous permettent pas de croire que la doctrine qu’ils confirment soit fausse et pernicieuse. Le bras de Dieu ne se déploie pas ainsi en faveur du mensonge. Et de l’autre, cette doctrine si sainte, qui tend si parfaitement au bien et à l’union des hommes, et qui est si digne de l’amour que Dieu a pour eux, nous répond que les miracles qui la confirment ne viennent point de la puissance des ténèbres, comme les ennemis du christianisme ont fait semblant de le croire. L’enfer ne s’intéresse point dans la sainteté des hommes, ni dans leur union.

Les apôtres déclarent tous expressément que la Parole qu’ils annoncent ne vient pas d’eux-mêmes, mais de Dieu. Or, frères, dit saint Paul au chap. 1er de l’épître aux Galates, je vous déclare que l’Évangile que j’ai annoncé n’est point selon l’homme ; car je ne l’ai point appris ni reçu d’aucun homme, mais par la révélation de Jésus-Christ. Ainsi les apôtres étant assemblés à Jérusalem dans le premier concile qui fut jamais tenu, et écrivant aux Églises sur quelques questions qu’on agitait en ce temps-là, ils se servent de cette façon de parler : Car il a semblé bon au Saint-Esprit et à nous.

Les apôtres parlaient donc par l’ordre et par la révélation de Dieu ; ce qui se faisait en plusieurs manières : en vision, comme lorsque saint Pierre vit un linceul lié par les quatre bouts, qui descendait du ciel, et où il y avait de toutes sortes d’animaux immondes, et qu’il lui fut dit :Pierre, tue et mange, pour marquer qu’il devait évangéliser aux gentils, qui n’étaient plus un peuple immonde aux yeux de Dieu ; en songe, comme lorsqu’un homme macédonien se présenta à saint Paul, lui commandant de passer en Macédoine pour y prêcher l’Évangile ; en extase, c’est ainsi qu’il y a de l’apparence que saint Paul fut ravi jusqu’au troisième ciel ; mais beaucoup plus souvent encore par le langage intérieur que le Saint-Esprit formait dans leur âme, comme lorsque l’Esprit dit à Pierre, sur le sujet des serviteurs de Corneille qui arrivaient : Va-t’en avec eux sans en faire difficulté, car c’est moi qui les ai envoyés.

On aurait quelque sujet de soupçonner ces révélations, si c’était un seul homme qui se vantât de les avoir ; mais en voici plusieurs. Ce n’est pas en une seule manière que Dieu se révèle à eux, mais dans toutes les manières. Ils ne se contentent pas de dire que Dieu leur a révélé quelque chose pour le faire accroire, ils font des miracles, ils parlent des langages, ils communiquent ces dons, ils convertissent par là l’univers, et accomplissent les oracles de Dieu. Cet esprit qui les remplit, et qui doit les remplir, puisque le temps de la vocation des païens est arrivé, se produit au dehors par des effets qui confondent l’incrédulité.

Certainement, s’il est vrai que Dieu répandit son Esprit sur les apôtres le jour de la Pentecôte, comme il l’est sans doute, ce ne fut que pour parler aux hommes par leur ministère ; à moins qu’on ne prétende que la langue des apôtres, qui était surnaturellement élevée jusqu’à parler toutes sortes de langues, devait se borner à cet emploi, et ne pas révéler aux hommes le conseil de Dieu. Que si nous devons regarder comme divine la Parole que cette langue a annoncée, nous ne saurions nous empêcher aussi de regarder comme divins les écrits qui contiennent cette Parole.

J’espère que celui qui considérera bien l’enchaînement de tous ces principes, sera assez persuadé qu’il n’y a rien de plus indissoluble que leur union. S’il y avait une Écriture du Nouveau Testament du temps de Clément, de Polycarpe et des premiers Pères, comme il y en avait une assurément, cette Écriture ne saurait avoir été supposée. Si l’Écriture du Nouveau Testament n’est point supposée, il est impossible que certains faits publics, et que l’on pose dans cette Écriture être d’une notoriété publique entre les chrétiens, ne soient vrais. Si ces faits sont vrais, on ne peut nier que les apôtres n’eussent reçu le Saint-Esprit. Si les apôtres ont reçu le Saint-Esprit, il est incontestable que leur Écriture doit être regardée comme divine. Je ne choisis que ces principes entre plusieurs autres que j’ai établis ; et afin qu’on ne s’imagine pas qu’ils ne subsistent que par leur enchaînement, je prie le lecteur de se souvenir que j’ai prouvé chacun d’eux en plusieurs différentes manières.

Il est donc vrai que l’Écriture du Nouveau Testament est divine, et que notre religion l’est aussi ; car ces deux vérités n’en font proprement qu’une. La religion des chrétiens ne peut pas être divine, si la Parole ou l’Écriture, qui est la règle de leur foi, est humaine ; et l’Écriture ne peut pas être divine, sans que la religion des chrétiens soit céleste et venue de Dieu. Mais il est bon de considérer les difficultés qu’on oppose à ce grand principe.

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