Traité de la vérité de la religion chrétienne

17. Où l’on continue à satisfaire aux difficultés de l’incrédulité.

De tous les objets que la religion chrétienne nous propose, il n’y en a point qui ait paru plus choquant à la raison incrédule et préoccupée, que la mort du Messie. La croix de Jésus-Christ a été, suivant l’expression d’un apôtre, le scandale du Juif et la folie du Grec ; mais il n’y a point aussi d’objet qui porte, selon nous, plus de caractères de grandeur et de divinité que celui-là. Les incrédules nous disent que si nous pouvions nous défaire de nos préjugés, nous aurions honte d’avoir des idées si prodigieuses de Dieu ; et nous leur dirons que s’ils s’étaient une fois défaits des passions qui font les ténèbres de leur esprit, ils admireraient avec nous les merveilles d’un objet si divin. Qui sont ceux qui se trompent ? Cela paraîtra par l’opposition de nos réponses à leurs difficultés.

On trouve d’abord en Jésus-Christ un homme qui se laisse saisir, et qui ensuite est attaché à la croix, sans que personne le délivre de la puissance de ses ennemis : c’est, dit-on, une marque de sa faiblesse. S’il est le roi des Juifs, que ne descend-il de la croix, et tout le monde croira en lui. Il meurt condamné par le grand conseil des Juifs, qui avait été établi de Dieu même. Le voilà donc jugé coupable. Il est saisi de tristesse jusqu’à la mort, la veille de ses souffrances, et il pousse des cris douloureux en mourant ; vous voyez sa misère. On lui fait souffrir le supplice des esclaves. On ne peut donc pas douter qu’il ne meure d’un genre de mort infâme. Qui croira que la faiblesse, le crime, ou du moins la condamnation, la misère et l’infamie puissent être les caractères du Fils de Dieu ? C’est le raisonnement de l’incrédulité. Voici ce que nous lui opposons. Jésus-Christ souffre par le conseil de Dieu, puisque les oracles ont prédit qu’il devait être navré pour nos crimes, et froissé pour nos iniquités, mettre son âme en oblation pour le péché, être retranché, mais non pas pour soi ; et que Jean-Baptiste le voyant venir à lui, l’appelle, dans un temps où il n’y avait aucune apparence qu’il dût s’offrir, l’Agneau de Dieu qui ôte les péchés du monde. Jésus-Christ souffre volontairement, puisqu’il prédit lui-même ses souffrances, et qu’il en avertit ses disciples, les appelant à porter leur croix après lui : il leur apprend qu’il fait comme un parti de misérables et de souffrants dans le monde, qui doivent pourtant vaincre le monde, et établir par leurs souffrances le royaume des cieux sur la terre : il leur dit qu’il n’est point venu mettre la paix dans le monde, mais l’épée ; que Dieu frappera le berger, et que les brebis du troupeau seront éparses ; qu’ils doivent boire son calice, et être baptisés de son baptême, c’est-à-dire, boire dans la coupe de ses afflictions, et être baptisés avec lui d’un baptême de sang ; il mêle ses souffrances avec les leurs, afin qu’ils en conservent mieux le souvenir. Que si nous pouvions douter que Jésus-Christ n’eût prédit ses souffrances, nous n’aurions qu’à considérer quelle est la fin du sacrement de l’Eucharistie, et en quel temps cette cérémonie fut établie ; car à moins qu’on ne s’avise de révoquer en doute la vérité de l’institution de l’Eucharistie, et de soutenir que les disciples ont feint, par une bizarrerie et une extravagance incompréhensible, que Jésus-Christ avait instituée cette cérémonie, encore qu’il ne l’eût point instituée en effet, il nous paraîtra que Jésus-Christ prévoyait sa mort, qu’il s’y préparait, qu’il prétendait la souffrir volontairement, et pour le salut du monde. Le sacrement de l’Eucharistie qu’il institue de sang-froid, nous dit toutes ces choses. Or, comme une mort involontaire marquerait en effet quelque espèce de faiblesse, il est certain aussi que rien ne montre davantage la force et la grandeur de Jésus-Christ, que ce qu’il prévoit les horreurs d’une mort infâme et douloureuse, et que néanmoins il s’y expose avec une volonté si ferme, et une résolution si merveilleuse, qu’il enseigne lui-même à ses disciples la manière dont ils doivent faire commémoration de ses souffrances.

Jésus-Christ est condamné par un peuple séditieusement ému, et par un sanhédrin envieux de sa gloire ; mais il est justifié par la conscience de Judas, qui se tue par le remords de l’avoir livré ; et par la déclaration solennelle de Pilate, qui lave ses mains en la présence des Juifs, pour montrer qu’il est innocent du sang de ce juste ; il l’est par la voix du centenier, qui vit les prodiges qui suivirent sa mort ; et il le sera bientôt par la bouche de ceux-là mêmes qui avaient demandé sa perte, et qui crieront aux apôtres avec componction de cœur : Hommes frères, que ferons-nous ? Or, c’est une grande gloire pour notre Messie, qu’il n’y ait pas jusqu’à la conscience la plus coupable, jusqu’au juge le plus injuste, jusqu’à des gens de guerre, durs et insensibles, et jusqu’à des meurtriers barbares, qui ne rendent témoignage à son innocence.

Jésus-Christ souffre, mais c’est pour nous : il a mis son âme en langueur, et sa vie en oblation pour le péché. Si les plaies qu’un sujet reçoit en combattant aux yeux de son monarque sont honorables, et si celles qu’un monarque reçoit pour le salut de ses sujets sont encore plus glorieuses, quelle est la grandeur de Jésus-Christ, qui souffre aux yeux et par la volonté de son Père, pour le salut de ses sujets et de ses enfants, et qui en souffrant s’établit un empire qui ne doit jamais être dissipé !

Enfin, Jésus-Christ souffre le supplice des esclaves ; mais nous savons aussi que dans le même temps qu’il souffre, il se montre le maître de la nature, puisque les sépulcres s’ouvrent à sa mort, que les pierres se fendent, que le jour se perd, que le voile du temple est déchiré, les disciples du Seigneur ne pouvant avoir supposé des faits si sensibles et si éclatants, contre la connaissance récente et publique que les hommes de leur temps avaient de ces choses, sans une extravagance qui n’est point humaine.

Nous demanderons donc ici à notre tour aux incrédules, si une mort volontaire, une innocence reconnue, des douleurs et des angoisses que la charité fait souffrir, l’hommage que des créatures insensibles rendent à celui que les hommes traitent avec tant d’indignité, ne sont point des caractères dignes du Messie qui nous avait été promis.

Si vous détruisez les preuves qui établissent que Jésus-Christ est le Fils de Dieu, vous avez droit de nous objecter sa croix comme un objet de mépris ; mais tandis que vous laisserez ces preuves dans leur entier, sa croix ne servira qu’à nous faire mieux connaître sa grandeur ; et nous ne dirons pas seulement que cette mort a été volontaire, qu’elle avait été prédite ; mais nous montrerons de plus qu’elle est comme un miroir qui nous représente toutes les vertus de l’homme et tous les attributs de Dieu. Vous y trouverez la patience d’un homme qui souffre de la part de ses semblables, et de ceux qui devaient être ses serviteurs et ses disciples ; la charité d’un homme qui prie pour ceux qui le mettent à mort ; la fermeté d’un homme juste, qui supporte le faix de toutes les iniquités du genre humain ; et la constance d’un homme innocent, qui lutte, pour ainsi dire, avec la fureur des hommes, et avec la justice de Dieu en même temps. On y voit le chef-d’œuvre de la sagesse divine, puisqu’on y trouve les desseins des ennemis de notre salut trompés, et les desseins de Dieu réussir au préjudice des projets des hommes ; la propitiation du péché se faire à l’occasion du plus exécrable parricide qui fût jamais ni commis ni conçu ; la synagogue ensevelie dans le tombeau de celui qu’elle a mis à mort pour défendre ses privilèges ; les Romains sacrer le roi qui va dominer sur toutes les nations, lorsqu’ils lui mettent un roseau pour sceptre à la main ; la chair et le sang produire, en mettant Jésus-Christ à mort, le modèle sur lequel les hommes seront obligés de mortifier les affections de la chair et du sang ; Jésus-Christ mourant suivi d’un nombre presque infini de martyrs qui veulent mourir à son imitation, vainqueur du monde par son opprobre, crucifiant la chair par la prédication de sa croix, et portant le repos et la paix dans l’âme de tous les mourants par les angoisses de son agonie.

Nous aurons encore le droit de supposer que la justice et la miséricorde de Dieu y paraissent dans leur jour. Quelle victime pouvait mieux montrer la haine que Dieu a pour le péché ? Et quel présent fait aux hommes pouvait mieux faire connaître l’amour que Dieu a pour eux ? L’incrédulité nous reproche donc la bassesse d’un objet où les vertus de l’homme et les attributs mêmes de Dieu, sont comme sur leur trône.

Que celui qui en doute considère la résurrection de Jésus-Christ, qui est la véritable clef qui nous fera entendre tous ces événements. Car il est vrai que mourir pour demeurer sous l’empire de la mort, est une marque de faiblesse et de misère ; mais mourir pour vaincre la mort en se relevant du tombeau, en est une d’une puissance surnaturelle, et d’une gloire divine. Jésus-Christ ne descend dans le sein de la terre que pour monter dans le ciel : c’est ce qu’attestent ceux qui ont été les témoins oculaires d’un si grand événement.

Mais l’incrédulité se défie de leur rapport. Elle prétend trouver dans l’histoire l’exemple d’un témoignage assez semblable à celui-là, et qui néanmoins a passé sans contredit pour une imposturea. On lit qu’après la mort de Romulus, il se trouva un sénateur qui, ayant toujours vécu dans la réputation d’un homme de probité, assura que Romulus était monté au ciel, où il avait été mis au nombre des dieux, et que ce monarque lui était apparu, etc. Ce fait n’est-il pas tout pareil à celui que les disciples ont été attester par tout l’univers ?

a – Plutarque, dans la Vie de Romulus.

Oui, il est tout semblable, à toutes ces différences près : c’est que là c’est un seul homme qui atteste qu’il a vu Romulus montant au ciel ; ici c’est un très grand nombre de personnes qui témoignent qu’ils ont vu Jésus-Christ après sa résurrection. Là, on feint qu’un roi magnifique et triomphant pendant sa vie, a été mis au nombre des dieux après sa mort ; ce qui ne s’accorde pas mal avec les idées du vulgaire ; ici on témoigne d’un homme qui est mort du supplice des esclaves, qu’il est ressuscité et monté au ciel ; ce qui ne serait jamais venu dans l’esprit. Là, un sénateur se sert d’une fiction pour sauver tout le sénat, accusé d’avoir fait mourir son roi ; et ici l’on voit des hommes qui s’exposent à la mort et à des souffrances plus insupportables que la mort même, pour rendre témoignage à ce qu’ils regardent comme une vérité. Là, c’est un habile homme qui adoucit la multitude irritée du meurtre de son roi en la trompant ; ici, ce sont des hommes simples et grossiers qui persuadent les plus habiles par leur témoignage, et les engagent à courir à la mort. Là, c’est un homme qui atteste l’apparition de Romulus sans preuve ; ici, vous trouverez des témoins qui vous convainquent de la vérité de leur témoignage par les preuves du monde les plus réelles et les plus sensibles, qui sont les dons extraordinaires et miraculeux du Saint-Esprit qu’ils ont reçus, et qu’ils communiquent même aux autres.

Mais on objectera en dernier lieu, qu’il y a aujourd’hui des trembleurs et des enthousiastes qui croient être animés du Saint-Esprit qui les inspire, et leur révèle ce qu’ils ont à faire et à croire, encore que ce ne soit là qu’une vision reconnue de toutes les personnes sensées ; et que peut-être les disciples du Seigneur se sont-ils aussi vantés à faux titre d’avoir reçu les dons du Saint-Esprit. On demeurera d’accord qu’il n’y a rien de plus frivole que cette objection, si l’on remarque qu’encore que les enthousiastes se vantent d’être inspirés par le Saint-Esprit, ils ne prétendent point confirmer leur doctrine par des miracles, ils ne prétendent point parler des langues étrangèresbetc., ils croient seulement être inspirés à l’égard de la doctrine ; et comme ils parlent ordinairement d’une manière assez conforme à l’Écriture sainte, qu’ils ont continuellement devant les yeux, il ne faut pas s’étonner s’ils prennent pour inspiration ce qui n’est qu’une continuelle répétition de ce qu’ils ont lu. Mais ici c’est toute une autre chose. Les apôtres prétendent non seulement être inspirés du Saint-Esprit, pour ne rien avancer qui ne soit orthodoxe et conforme aux Écritures ; mais ils prétendent avoir reçu des dons surnaturels et miraculeux, et le justifier par leurs œuvres. Et si vous en doutez, considérez qu’ils le prouvent, non par des spéculations, mais en prenant à témoin de ce qu’ils disent les sens de ceux à qui ils s’adressent, les yeux mêmes des Juifs leurs ennemis, et les ennemis de leur Maître. Lui donc, disent-ils, s’étant assis à la droite du Père, a répandu ce que maintenant vous voyez et oyez. Si vous doutez que saint Pierre ait tenu ce langage aux Juifs, nous vous donnerons pour garants de la vérité de ce fait, cette multitude de prosélytes qui se convertit par l’évidence de cette démonstration ; nous vous montrerons toute une Église fondée par l’efficace de cet argument. Si vous croyez que les disciples aient trompé la multitude, nous vous ferons souvenir qu’ils avaient affaire à des adversaires fort habiles et fort éclairés, et qu’ils étaient eux-mêmes des idiotsc et des ignorants. Si vous allez vous imaginer que la populace a pris plaisir à se laisser séduire, nous vous remettrons en mémoire qu’il n’y avait point d’objet de foi plus triste et plus affreux, selon le jugement de l’homme, que celui qu’il fallait embrasser en devenant chrétien ; qu’on avait un puissant intérêt à examiner des faits dont la persuasion obligeait d’abord les hommes à courir au martyre ; que ceux de Bérée, qui avaient le soin de confronter chaque jour les Écritures, pour savoir si les choses étaient comme Paul les leur disait, n’avaient garde aussi de manquer à consulter leurs yeux et leurs oreilles, pour savoir si les apôtres se vantaient avec justice de faire des vertus et des signes, ce dernier examen étant beaucoup plus sûr et plus facile que le précédent ; que ce n’est point une fois ou deux que saint Paul se vante de s’être rendu approuvé par les signes, les vertus et les merveilles qu’il a opérés au milieu de ceux à qui il écrit ; que toutes ses épîtres sont pleines de pareilles déclarations, ou de choses qui s’y rapportent ; qu’il prend et ses arguments, et les motifs de ses exhortations, de cette effusion, connue et non contestée, des grâces surnaturelles du Saint-Esprit. Et certainement on ne croira pas que saint Paul ait été assez insensé pour écrire aux Corinthiens en ces termes ; Pourtant, frères, désirez de prophétiser, et n’empêchez point de parler des langages, si ces dons n’eussent été dans l’Église. Il n’aurait pas aussi pris le soin de remédier à des désordres qui naissaient de ce qu’on abusait des dons miraculeux, comme cela a été déjà remarqué. Il n’avertirait point, comme il fait, que la prophétie est pour édifier les fidèles ; mais que les dons des langues, comme étant miraculeux, sont destinés à convaincre les incrédules. Enfin, il n’entreprendrait point de corriger le désordre de ceux qui faisaient plus d’état de ces dons extraordinaires que de la charité, comme il fait lorsqu’il remarque que quant aux prophéties elles seront abolies, et quant aux langages ils cesseront ; mais que la charité ne déchoit jamais. Et qui ne voit dans son langage la persuasion de son esprit ? Il est tellement rempli d’admiration pour tant de vertus, de signes et d’œuvres magnifiques que l’Esprit de Dieu opère à la vue des hommes, qu’il ne sait quel nom donner à ce divin principe. Tantôt c’est l’excellence de la force de Dieu ; tantôt c’est l’excellente grandeur de sa puissance ; tantôt c’est l’excellence de la puissance de la force : expressions aussi naturelles que fortes, et qui nous marquent mieux que tous les raisonnements, l’idée que saint Paul avait des dons miraculeux, et par conséquent celle que nous en devons nous-mêmes avoir.

b – Pas encore… il faudra attendre le 19me siècle pour voir la résurgence de la glossolalie ; et pas sous la forme de langues étrangères, car l’imposture aurait vite été démasquée, mais sous celle de langues étranges, c-à-d de charabia.

c – Dans le sens étymologique du terme, c-à-d des individus restreints à leurs propres affaires, sans pratique des échanges publics.

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