La Parabole des Noces

Sermon premier

Mes Frères,

Entre tous les avantages qui relèvent l’excellence et le prix de l’Écriture sainte au-dessus de tous les autres livres, un des plus admirables et qu’elle joint ensemble, dans un parfait tempérament, deux choses qui semblent incompatibles, une grande douceur, et une grande majesté ; un air simple, et facile, et une extraordinaire élévation. Un ancien a fort bien dit que sa lecture était l’ouverture du ciel ; en effet quand on la lit et qu’on la médite c’est comme un nouveau ciel qui s’ouvre, où l’on voit briller, pour ainsi dire, mille feux et mille lumières, et les rayons qu’elle jette de toutes parts étonnent les yeux et les éblouissent à mesure qu’ils les éclairent. Ce caractère est si sensible qu’il se fait remarquer de soi-même, et il n’est pas si peu considérable, qu’on n’en puisse tirer une preuve certaine de la divinité de ce livre. On n’y voit paraître ni art, ni étude, ni philosophie, ni rhétorique, ni éloquence mondaine, et néanmoins, dénué de tous ces ornements, il ne laisse pas d’avoir ce que tout l’art du monde ne saurait donner, savoir une souveraine autorité, qui imprime le respect dans l’âme de ses lecteurs, avec une douce facilité qui attire et qui captive l’attention ; et n’est-ce pas là un argument convaincant qu’il n’y a que Dieu qui en puisse être l’auteur ?

Au reste si vous demandez pourquoi ces deux choses devaient se rencontrer ainsi dans l’Écriture, la raison n’en est pas bien difficile à rendre. C’est un livre que le Saint Esprit a dicté et qui contient les plus hauts mystères de Dieu, il fallait donc nécessairement qu’il y eût un air de majesté répandu dans ses principales parties, qui eût du rapport à la dignité de son auteur, et à l’excellence de sa matière. D’ailleurs puisque c’était un ouvrage destiné pour l’instruction et pour la consolation des hommes, et qui devait être dans les mains des plus simples et des plus petits, il fallait qu’il eût de la proportion avec la condition de ceux pour qui il était composé, et par conséquent qu’il eût de la simplicité et de la familiarité. La sagesse divine a voulu pour cette raison, faire un juste accord de ces deux choses. Et ce qu’il y a de plus admirable est que ce n’est pas seulement dans quelques endroits de l’Écriture qu’elle se trouve, mais généralement partout, n’y ayant presque pas un de ses chapitres, ni une de ses histoires, ni un de ses discours où l’on ne les y découvre, quelque peu qu’on y fasse de réflexion.

En particulier cela se justifie d’une manière fort sensible et fort évidente dans ces paraboles que les évangélistes rapportent, et dont Jésus-Christ avait accoutumé de se servir lorsqu’il enseignait les peuples. Car d’un côté la parabole est une espèce de langage figuré, familier et populaire, qui emprunte les images les plus communes et les plus connues, pour en faire naître d’autres qui d’elles-mêmes sont plus profondes et plus éloignées. C’est une manière engageante qui réveille l’esprit et qui l’applique agréablement, en lui donnant lieu parce qu’on lui dit, à méditer sur ce qu’on ne lui dit pas. D’autre part les choses que Jésus-Christ a cachées sous ces voiles sont les plus importants articles de sa doctrine, les secrets les plus relevés de la providence de son Père et du salut des hommes. La matière en est sublime, proportionnée à la grandeur de Celui dont il propose les mystères. La forme en est claire et facile, proportionnée à notre capacité. C’est ce qui vous paraîtra si vous jetez les yeux sur cette parabole des noces, que je viens de lire devant vous, et si désormais vous voulez bien être attentif à l’explication que j’ai dessein de vous en donner.

Elle se divise en deux parties générales. La première contient l’histoire de ceux qui avaient été au commencement conviés aux noces du prince, et la seconde celle de ceux qui furent ensuite appelés, sur le refus que les autres firent d’y venir. La première propose quatre grands mystères sous quatre différentes images :

  1. la manifestation du Messie sous l’image des noces d’un fils de roi,
  2. la vocation des Juifs sous l’image des conviés qui furent appelés aux noces,
  3. la réflexion que ces mêmes Juifs firent du Messie, sous l’image du refus que les conviés firent de venir à ses noces,
  4. la punition exemplaire de ce peuple, sous l’image du châtiment que le roi fit de ces conviés.

La seconde partie représente quatre autres mystères, également importants, sous un pareil nombre d’images :

  1. la vocation des Gentils, car c’est ce que signifie cet envoi des serviteurs pour appeler ceux qui étaient aux carrefours et aux grands chemins,
  2. le succès de cette vocation qui est que le lieu des noces fut rempli de gens qui étaient à table,
  3. le mélange des hypocrites, des mondains et autres pécheurs avec les vrais fidèles dans une même profession extérieure de l’Évangile, ce qui est représenté par la rencontre que le roi fit d’un homme qui n’avait pas la robe de noces,
  4. la punition de ces pécheurs et des ces hypocrites, car le roi dit à ses serviteurs : Liez-le pieds et mains et le jetez aux ténèbres du dehors.

Et enfin après tout cela il y a une conclusion que Jésus-Christ tire de toute la parabole, plusieurs, dit-il, sont appelés, et peu sont élus. Voilà le plan de ce texte, ou voyez ce qu’on vous a dit d’abord, beaucoup de simplicité, et beaucoup de majesté. Comme il contient un grand nombre de choses considérables, nous y destinons, moyennant la grâce de Dieu, plusieurs actions. Pour le présent nous nous arrêterons aux deux premières images de la première partie, qui sont les noces du fils du roi, et la vocation des conviés. Car pour le premier verset où l’évangéliste dit que Jésus prenant la parole leur parla derechef en similitude, nous n’y insisterons pas, puisque ce n’est que la liaison de ce chapitre avec le précédent. Il faut seulement remarquer qu’il parlait aux sacrificateurs, et aux principaux des Juifs, et qu’il avait dessein de leur reprocher leur incrédulité, et de leur prédire leur ruine.

*

Mais entrons en matière. Le Royaume des Cieux, dit-il, est semblable à un roi qui fit les noces de son fils. Un des premiers fondements qu’il faut poser pour l’intelligence de toute cette parabole est que dans le style de l’Écriture cette expression le Royaume des Cieux, ne signifie pas d’ordinaire la félicité éternelle du paradis comme on pourrait se l’imaginer. Elle signifie simplement l’état de l’Église sous l’Évangile, la manifestation du Messie, et en un mot la religion chrétienne, tel que nous l’avons reçu de Jésus-Christ et de ses apôtres. C’est dans ce sens que le Seigneur lui-même l’emploie en plusieurs autres endroits. Le Royaume des Cieux, dit-il, est semblable à un homme qui a semé de bonnes semences dans son champ, mais pendant que les hommes dormaient, son ennemi est venu qui a semé de l’ivraie parmi le blé. Le Royaume des Cieux est semblable au grain de semence de moutarde que quelqu’un a pris et a semé dans son champ. Le Royaume des Cieux est semblable au levain qu’une femme prend, et qu’elle met parmi trois mesures de farine, jusqu’à ce que la farine soit levée. Le Royaume des Cieux est semblable à un filet jeté en la mer, qui amasse toutes sortes de choses. ailleurs il dit que le Royaume des Cieux est forcé, que les violents le ravissent, et que le plus petit au Royaume des Cieux est plus grand que Jean-Baptiste. Et encore ailleurs, celui, dit-il, qui rompra un des plus petits de ces commandements, et qui enseignera ainsi les hommes sera tenu pour le plus petit au Royaume des Cieux, mais celui qui les aura faits et enseignés, celui-là sera tenu pour le plus grand au Royaume des Cieux.

On pourrait rapporter sur ce sujet plusieurs passages semblables, mais cela ne reçoit à mon avis aucune difficulté. Il suffit de vous dire que cette manière de parler, qui non seulement est ordinaire dans le Nouveau Testament, mais qui même était commune parmi les Juifs, semble avoir été prise des révélations du prophète Daniel. Car il est dit au chapitre second, que le Dieu des cieux devait établir un royaume qui ne serait jamais dissipé, qui ne passerait point à un autre peuple, mais qui briserait et consumerait tous les autres royaumes, et serait établi éternellement. Et au chapitre septième ce prophète rapporte qu’il vit en vision comme le Fils de l’homme qui venait avec les nuées des cieux lequel s’approcha de l’ancien des jours, et que l’ancien des jours lui donna domination, et honneur et règne sur tout peuple, nation et langue. Quoi qu’il en soit on peut raisonnablement assurer qu’il y a peu d’expressions dans l’Écriture qui expliquent mieux la nature, l’essence et les qualités de l’Évangile que celle-ci. Car l’Évangile est à la vérité un royaume, ou un gouvernement monarchique, mais c’est un royaume qui n’a rien de commun avec ceux de la terre. Son origine est immédiatement du ciel, le roi en est céleste, et les sujets bien que ce soient des hommes, et des hommes vivant encore dans le commerce du reste du monde, sont pourtant appelés des bourgeois ou des citoyens des cieux. Outre cela, les maximes, les lois, les armes, les biens, les récompenses, les châtiments, les intérêts, tout en est céleste, c’est-à-dire spirituel, tout y regarde non le corps ou la vie temporelle, mais la conscience, l’homme intérieur et la vie spirituelle. C’est un règne de l’âme, un règne de religion, non un gouvernement mondain et politique.

On peut encore dire que ce me semble avec beaucoup de vérité que cette expression ne pouvait être ni plus juste ni plus heureuse qu’elle est pour distinguer la religion chrétienne non seulement de l’idolâtrie des païens, et en général de l’état de l’homme sous la servitude du péché, mais aussi de la religion de Moïse et de tout le ministère ancien. Car quant à l’idolâtrie païenne, et à l’état du péché, c’était à proprement parler le règne de l’enfer, et non celui du ciel, la puissance du démon et non celle de Dieu, un empire d’erreur et de corruption bâtie sur les ruines de la première innocence dans laquelle Dieu avait créé l’homme, et c’est pourquoi l’Écriture l’appelle le royaume des ténèbres, et l’empire de la mort. Et pour ce qui regarde la loi ancienne ou la religion des Juifs, il est vrai que c’était un règne de Dieu, et même en plus d’un sens. Car outre que Dieu en était et l’auteur et le fondateur, et que Moïse, qui en avait dressé le service, n’avait rien fait que selon le patron qu’il en avait vu sur la montagne, outre cela, dis-je, Dieu lui-même s’était fait dès le commencement le Roi temporel de ce peuple. En cette qualité il faisait sa demeure au milieu d’eux, il marchait à la tête de leurs armées, il leur avait donné des lois politiques, il recevait d’eux un tribut pour marque de leur sujétion, en un mot il avait pris à leur égard tous les droits de la monarchie, et il s’était chargé de tous les soins qu’un véritable roi peut avoir à l’égard de son peuple.

Mais quelque divin que fut cet empire, il faut pourtant avouer qu’il était beaucoup plus charnel et terrestre, que céleste et spirituel. Tout était littéral, cérémoniel, et typique ; la loi y était gravée non sur les cœurs, mais sur des tables de pierre, le tabernacle et le temple y étaient matériels, la Canaan et la Jérusalem y étaient terrestres, les victimes y étaient charnelles, les promesses y étaient temporelles, et presque tout le culte y était établi dans des choses extérieures. Ainsi quand on fera comparaison de cet ancien ministère avec le nouveau, on pourra fort bien dire que celui-là était un règne de la terre, au lieu que celui-ci est un vrai royaume du ciel, parce que comme j’ai dit, tout y est spirituel et céleste.

Mais si cette expression est propre à faire connaître la nature de la religion chrétienne et à la distinguer des autres religions, elle ne l’est pas moins à réfuter plusieurs erreurs que la vanité de l’esprit humain a introduites dans le monde ; et il ne sera peut-être pas hors de propos que nous y fassions quelques réflexions, avant que d’aller plus loin. Premièrement donc elle condamne la folle et chimérique opinion d’un messie temporel dont les Juifs ont été de tout temps infatués. Ils se figurent, comme vous savez, un conquérant qui par la force des armes, se fera jour partout, qui s’assujettira les nations, et qui sera accompagné d’heureux succès et de prospérité mondaine. Cette imaginaire espérance a toujours été si fortement enracinée dans leur esprit qu’elle leur fit au commencement rejeter Jésus-Christ avec outrage, parce qu’ils ne trouvèrent pas en lui ses grandeurs dont ils s’étaient formé l’idée. Ils en sont encore aujourd’hui si préoccupés que c’est pour cela qu’ils persévèrent dans leur incrédulité aimant mieux blasphémer contre la sacrée personne du Fils de Dieu que d’abandonner une erreur qui leur est si chère. On voit même par l’histoire de l’Évangile que les disciples de notre Seigneur, quoiqu’élevés dans son école et imbus de ces principes, ne furent désabusés que fort tard de cette imagination, car selon toutes les apparences ce fut elle qui leur fit dire encore après la résurrection : Quand est-ce que tu rétabliras le royaume d’Israël. Mais il est facile de comprendre que ce n’était pas là ce qu’ils devaient espérer. Le Royaume des Cieux n’a rien de commun avec cet éclat et cette pompe terrestre.

En second lieu l’on trouve ici la condamnation de l’injuste pensée de tous ceux qui entre les chrétiens ont voulu faire du gouvernement ecclésiastique un empire temporel et mondain. Ceux-ci ne sont pas Juifs, mais ils ont pourtant en quelque sorte imité les Juifs, car en s’accommodant du principe de ces infidèles, ils ont prétendu relever les ruines de l’ancienne puissance des Romains, et en recueillir tous les droits, ou pour mieux dire les débris sous la forme de ce qu’ils appellent la Hiérarchie. C’est dans ce dessein qu’ont été forgés les deux glaives dont on a armé quelquefois les papes, c’est de là que sont sorties ces fausses et ridicules donations de Constantin, ces fières entreprises des pontifes contre les rois et les empereurs, ces superbes titres, ces éclatantes dignités, et ces biens immenses dont la nouvelle Rome s’est enrichie à la faveur de la religion. Mais qui ne voit encore que ce n’est pas là le Royaume des Cieux ? Jésus-Christ au chapitre 17e de saint Luc renversa formellement la prétention des Juifs touchant les victoires de leur messie, lorsqu’étant interrogé par les pharisiens quand le règne de Dieu viendrait, il leur répondit : Le règne de Dieu ne viendra point avec apparence, et l’on ne dira point : Il est ici, où il est là, car voici le règne de Dieu est au-dedans de vous. Il renverse aussi formellement cette autre prétention de la cour romaine au chapitre 10me de saint Marc, lorsqu’il dit à ses disciples : Vous savez que ceux qui dominent sur les nations les maîtrisent, et que les grands usent d’autorité sur elles. Il n’en sera pas ainsi parmi vous. Mais il renverse également l’un et l’autre par cette expression dont il s’agit maintenant : le Royaume des Cieux, car un royaume céleste n’a point ce faste ou ces termes mondains qui se voient dans la hiérarchie romaine.

D’ailleurs ce titre que Jésus-Christ donne à son Évangile, enferme évidemment la condamnation de ceux qui veulent établir la religion par le fer et par le feu, par les violences et par les injustices. Pour voyez bien que ce n’est pas un caractère qui convienne au Royaume des Cieux. Saint Paul au moins ne l’entendait pas ainsi quand il disait, que les armes de notre guerre ne sont pas charnelles, ou quand il ne donne à son soldat mystique pour toute épée que l’épée de l’esprit qui est, dit-il, la parole de Dieu. C’est aussi dans cette vue que les prophètes et les apôtres se sont contentés de mettre les armes de Jésus-Christ dans sa bouche. Ésaïe, au 49me chapitre de ses révélations, l’introduit parlant de cette sorte : l’Éternel a rendu ma bouche semblable à une épée aiguë, il m’a rendu semblable à une flèche bien polie, il m’a serré dans sa trousse. Et saint Jean dans la description qu’il en fait au chapitre premier de l’apocalypse dit que de sa bouche sortait une épée à deux tranchants. Les armes et la parole dans le Royaume des Cieux ne sont qu’une même chose.

Vous pouvez encore conclure d’ici la condamnation de ceux qui ont chargé la religion chrétienne d’un nombre presque infini de cérémonies, de cultures extérieures, comme si le peuple de Dieu était encore sous la loi, et non sous la grâce, sous le joug de Moïse, et non dans le Royaume des Cieux. Car le Royaume des Cieux, selon le témoignage de Saint Paul, ne consiste ni en viande, ni en breuvage, mais il est justice, joie et paix par le Saint Esprit, c’est-à-dire qu’il ne consiste pas dans toutes ces observations extérieures et corporelles, mais qu’il est tout de l’âme et de la conscience.

Enfin on peut encore se servir utilement de cette façon de parler de Jésus-Christ contre quelques esprits fanatiques de notre siècle, qui sous prétexte de la domination du Fils de Dieu veulent renverser tout ordre, ou toute forme de gouvernement politique s’imaginant que le règne de l’Évangile ne laisse plus de lieu au règne et aux empires temporels. Notre Seigneur et les apôtres ont combattu en divers lieux cette erreur pernicieuse, comme lorsque Jésus-Christ répondit à celui qui le priait d’obliger son frère à partager avec lui l’héritage de leur père : Ô homme, dit-il, qui m’a établi juge ou partageur sur vous. Saint Paul de même décide nettement la question : que tout âme, dit-il, soit sujette aux puissances supérieures. Et Saint Pierre rejoint ensemble ces deux choses comme deux devoirs inviolables, craindre Dieu et honorer le roi, en quoi il suit la doctrine de son Maître qui avait dit avant lui, qu’il fallait rendre à César ce qui était à César, et à Dieu ce qui était dû à Dieu. Mais sans aller plus loin, cette expression le Royaume des Cieux règle clairement ce qu’on doit tenir sur ce sujet, qui est que l’Évangile est un règne céleste, lequel laisse les royaumes du monde en leur entier, sans faire aucun préjudice à leur véritable droit.

Toutes ces observations que nous venons de faire sont comme vous voyez d’une assez grande importance, et elle remplisse l’esprit de plusieurs méditations qui sont également agréables, solides et édifiantes. Mais il faut aller plus avant et suivre notre matière. Ce Royaume des Cieux nous est ici représenté sous l’image d’une noce, et d’une noce royale. Il est semblable, dit Jésus-Christ, à un roi qui fit les noces de son fils. Je ne m’arrêterai pas à pousser ici un parallèle important composé de toutes les conformités qui se peuvent trouver entre une noce et l’Évangile du Sauveur du monde, et beaucoup moins m’appliquerai-je à pousser avec excès cette figure de la noce, et à la convertir en allégorie. Ces manières allégoriques et paralléliques, si j’ose ainsi parler, sont d’ordinaire de méchants jeux d’esprit qui ont ce malheur de ne plaire à personne, mais qui de plus n’édifient nullement la conscience. Il me suffit donc de vous dire que l’intention de notre Seigneur est de vous faire concevoir touchant l’Évangile quatre notions, toutes quatre importantes et essentielles. La première regarde la dignité de la personne du Messie, c’est le fils du roi. La seconde est celle d’une communion intime et parfaite du Messie avec nous, ce sont des noces. La troisième est celle d’une joie publique et universelle, ce sont les noces du fils du roi. Et la quatrième est celle d’une magnificence royale, c’est le roi même qui fait les noces de son fils. Suivons ces quatre idées l’une après l’autre.

Premièrement c’est le fils du roi, c’est-à-dire le Fils de Dieu, le Fils du Roi des rois, le Fils du Créateur, et du Maître souverain du monde. Or puisqu’il est le Fils de Dieu, il est donc Dieu lui-même, d’une même essence, et d’une égale majesté avec son Père éternel. Car outre que cette qualité de Fils lui ferait d’elle-même tenir un autre rang que celui d’une simple créature, vous voyez qu’elle lui est ici donnée par opposition aux serviteurs, dont il est parlé dans la suite, et ses serviteurs sont les anges, Moïse, les patriarches, les prophètes, les apôtres, et les évangélistes. C’est pourquoi Saint Paul dans son épître aux Hébreux élève Jésus-Christ sur toutes les créatures par le seul titre du Fils de Dieu. Il l’élève au-dessus des anges ; car, dit-il, auquel des anges Dieu a-t-il jamais dit, c’est toi qui es mon Fils je t’ai aujourd’hui engendré ? Il l’élève au-dessus de Moïse et des prophètes, quant à Moïse, dit-il, il a bien été fidèle dans toute sa maison comme serviteur, mais Jésus-Christ comme Fils est sur sa maison, et c’est nous qui sommes sa maison. Il l’élève au-dessus d’Aaron et des sacrificateurs, la loi, dit-il, ordonna pour souverains sacrificateurs des hommes infirmes, mais la parole du serment qui est après la loi ordonne le Fils qui est consacré pour toujours. Il l’élève au-dessus d’Abraham, car il remarque qu’Abraham même reçu la bénédiction de Melchisédek, qui était une figure du Fils de Dieu, et qu’il paya à Melchisédek la dîme pour une marque de sujétion. Il élève enfin au-dessus de Melchisédek même, puisqu’il enseigne que Melchisédek n’en était que le ministre et le type qui le représentait. Que pouvons-nous donc conclure de là, sinon la divinité éternelle de Jésus-Christ ? Car celui qui est élevé au-dessus de toutes les créatures, au-dessus des patriarches, des prophètes, des sacrificateurs et des rois, au-dessus de Moïse, d’Aaron, d’Abraham, de Melchisédek, au-dessus des anges mêmes, et qui par opposition à tout cela est le Fils de Dieu, que peut-il être que Dieu béni éternellement ? Tous les autres ne sont que des serviteurs, mais pour lui il est le Fils et l’Héritier. Il a donc une dignité souveraine et infinie.

La seconde notion est celle d’une communion intime et spirituelle de Jésus-Christ avec nous, puisque c’est un mariage mystique, c’est-à-dire la plus tendre est la plus étroite de toutes les unions. Non une simple relation de prince à sujet, ou de maître à serviteur, ou d’ami à ami, ou de frère à frère, mais une communion d’époux à épouse, qui est la plus parfaite qu’on se puisse imaginer. Pour la bien concevoir, il ne faut que se remettre devant les yeux ce que Jésus-Christ a fait pour l’établir entre lui et nous. Car c’est dans le dessein de cette divine alliance qu’étant le Fils de Dieu il a voulu se faire un fils de l’homme, c’est-à-dire revêtir notre nature et participer à la chair et au sang ni plus ni moins que nous. Il était nécessaire pour donner lieu à ce mariage spirituel qu’il y eût entre lui et nous une conformité de nature ou d’essence. Mais comment cela se pouvait-il ? Il est Dieu, et nous sommes de misérables créatures. Il est un Esprit éternel, et nous sommes une chair infirme, qui est née dans le temps, et qui doit mourir dans le temps. Nous n’avons rien de commun avec lui. Se pouvait-il faire que de notre part nous devinssions semblables à lui ? Non sans doute, car la créature ne peut pas se faire Dieu. Il a donc bien voulu de sa part devenir semblable à nous, il est descendu vers nous, lorsque nous ne pouvions pas nous élever jusqu’à lui, et c’est pour cette raison qu’il s’est fait homme.

Il est allé plus avant, et afin d’établir une communion plus entière il s’est chargé de nos misères, et il les a faites siennes, non pour les partager simplement avec nous, mais pour nous en décharger, et en même temps il nous a donné ses biens, ses titres, ses droits, et sa gloire, afin que nous en jouissions avec lui. Nous puisons tous de sa plénitude, dit saint Jean, et selon le témoignage de notre apôtre, nous sommes tous transformés à son image de gloire en gloire. Peut-on concevoir une union plus étroite que celle-là ? Cependant ce n’est pas tout. Il est allé plus loin en notre faveur, il nous a communiqué son esprit, et sa vie, il a fait en sorte que nous ne sommes plus avec lui qu’un seul corps, et par manière de dire qu’une seule et même personne. Je vis, dit saint Paul, non pas maintenant moi, mais Jésus-Christ vit en moi, et ce que je vis dans la chair je le vis dans la foi du Fils de Dieu, qui m’a aimé et qui s’est donné soi-même pour moi. Dès qu’Adam se fut aperçu qu’Eve avait été tirée de son côté, il dit avec raison : Celle-ci est os de mes os, et chair de ma chair. Nous pouvons bien nous appliquer ces paroles à l’égard de Jésus-Christ, notre divin époux. Car nous sommes sortis de son côté, et nous en sommes sortis avec son sang. Mais nous pouvons aussi aller plus avant, et vivant comme nous faisons de sa vie, nous pouvons dire que nous sommes esprits de son esprit, et non simplement os de ses os, et chair de sa chair.

La troisième notion est celle d’une joie publique, telle qu’elle est dans les noces d’un fils de roi. La venue du Messie a été la joie de toutes les créatures. Elles étaient, dit saint Paul, assujetties à la vanité, non de leur volonté mais à cause de celui qui les avait assujetties, soupirant après leur délivrance, et espérant de participer elles-mêmes à la gloire des enfants de Dieu. Ç’a été la joie des anges, car c’est lui qui les a réunis en un seul corps avec les hommes. Le bon plaisir du Père, dit l’apôtre, a été de réconcilier par lui toutes choses à soi, savoir tant les choses qui sont au ciel que celles qui sont sur la terre ayant fait la paix par le sang de la croix. Mais ça été plus particulièrement la joie des hommes qui y ont un tout autre intérêt que le reste des créatures : Voici, disait l’ange, je vous annonce une grande joie laquelle sera à tout le peuple, c’est qu’aujourd’hui vous est né le Sauveur, qui est le Christ, le Seigneur. Quelle joie à des captifs de voir un libérateur qui vient pour rompre leurs fers, et à des misérables de voir un Sauveur qui vient pour détruire les œuvres du diable, et pour changer leur opprobre en gloire, et leur malheur en félicité. Quelle joie de voir la vérité venir prendre la place que les erreurs occupaient, une piété solide succéder à l’idolâtrie et à la superstition, la liberté s’établir au lieu du joug commun des cérémonies, la justice au lieu des péchés, et la vie au lieu de la mort ? Mais cette joie a été d’autant plus grande pour nous, que nous sommes l’épouse même du fils du Roi, et que nous avons été appelés à ce bonheur inespéré lorsque nous en étions tout à fait indignes. Du temps que nous étions morts, dit l’apôtre, en nos fautes et en nos péchés, Dieu qui est riche en miséricorde par sa grande charité dont il nous a aimé, nous a vivifiés ensemble avec Jésus-Christ, et nous a fait asseoir ensemble aux lieux célestes en lui. Si l’ami de l’époux est tout réjoui pour la voix de l’époux, comme il est dit dans l’Évangile, combien plus grande doit être la joie de l’épouse, et d’une épouse qui se voit élevée d’un si bas lieu à une si grande gloire.

La dernière notion est celle d’une pompe et d’une magnificence royale, car c’est le roi qui fait les noces de son fils. Ne vous figurez ici rien de terrestre ni de charnel, mais représentez-vous comme vous devez cette magnificence céleste dont Dieu accompagna au commencement la publication de son Évangile. Concevez premièrement cette abondance presque infinie de lumière qu’il répandit sur toute la terre. En donnant le Messie au monde, tous les secrets divins furent manifestés, tous les trésors de la connaissance furent ouverts. C’est pourquoi Jésus-Christ est appelé la resplendeur de la gloire du Père, la marque gravée de sa personne, l’image de Dieu invisible, car bien que cela se doive entendre de ce qu’il est en lui-même personnellement, il le faut aussi appliquer à son économie, c’est-à-dire à sa charge de médiateur. Dans cette même vue Saint Paul dit, qu’en lui sont cachés tous les trésors de sagesse et d’intelligence, et Ésaïe avait prédit qu’en ces jours-là, la terre serait remplie de la connaissance de l’Éternel comme le fond de la mer est rempli des eaux qui la couvrent.

Ajoutez à cela cette effusion admirable de grâce que Dieu communiqua en ce temps-là à l’Église, elle consistait ou en efficace qu’il donnait à la prédication de sa parole, pour la conversion et la sanctification des hommes, ou en plusieurs dons extraordinaires, dont il honorait la plupart de ses fidèles, comme le don des langues, celui de l’interprétation, celui de la prophétie, et quelques autres semblables. Enfin ajoutez-y les signes et les miracles qui accompagnèrent la première publication de la grâce. Miracles qui furent bien différents de ceux de Moïse, car ceux de Moïse étaient des miracles de justice et de vengeance qui aboutissaient à la ruine des hommes, au lieu que ceux-ci furent des miracles de bonté, des illuminations d’aveugle, des guérisons de malades, des résurrections de mort, tendant tous aux biens et à l’avantage de ceux pour qui ils étaient destinés. Cette solennité donc fut magnifique, et bien digne du Fils éternel de Dieu, digne du Roi tout-puissant qui en avait fait les préparatifs.

Au reste de cette noce comme nous venons de vous l’expliquer, il en faut conclure cela même que nous avons conclu de la qualité de fils, savoir la divinité éternelle de Jésus-Christ. Qui est-ce qui peut être l’époux de l’Église qu’un seul Dieu ? Ton mari, dit-il lui-même au 54e chapitre d’Ésaïe, c’est celui qui t’a faite, l’Éternel des armées est son nom, et au second chapitre d’Osée : Je t’épouserai pour moi à toujours, je t’épouserai en justice, en jugement, en gratuité et en compassion, je t’épouserai en fermeté, et tu connaîtras l’Éternel. Quel autre que Dieu était capable d’entrer avec nous dans cette communion spirituelle et intime dont nous avons parlé ? Quel autre que lui pouvait par sa venue répandre la joie et la consolation dans tout l’univers ? Quelle autre que lui pouvait accompagner sa manifestation de cette pompe céleste et de cette magnificence royale que nous avons vue ?

*

Voilà pour ce qui regarde ses noces. Passons au second point. Et voyons-y premièrement qui sont les conviés, et ensuite de quelle manière le roi les fit appeler. Les conviés sont les Juifs, la postérité d’Abraham à l’exclusion de tous les autres peuples du monde. Dieu disait David, a donné ses statuts à Jacob, et ses ordonnances à Israël, il n’en a pas fait de même à toutes les nations. C’est ce peuple que Dieu avait tant aimé, à qui il avait donné son alliance, et pour qui il avait fait mille merveilles. Pendant que toute la terre dormait dans un sommeil profond, sans espérance, et sans religion, Dieu s’était manifesté à ses Israélites, il avait appelé Abraham leur père du fond des ténèbres et de l’idolâtrie de la Chaldée, et quant à eux il les avait délivrés d’une cruelle servitude. Il leur avait donné des lois, un sacerdoce, un temple, un culte, un pays riche et abondant, et les avait mis sous la protection de sa providence. Mais entre toutes les grâces qu’il leur avait faites, celle-ci sans doute été la plus grande, de leur avoir confié son secret touchant le Messie, de leur en avoir donné les promesses, et de leur avoir même déclaré qu’il sortirait du milieu d’eux, et qu’il serait suscité d’entre leurs frères. Il l’avait comme peint devant leurs yeux dans mille figures illustres, il le leur avait désigné par mille circonstances ; jusqu’alors marqué le temps et le lieu de sa venue, la manière de sa naissance, la forme dans laquelle il devait paraître, les contradictions qu’il devait rencontrer, et tous les plus considérables accidents de sa vie. Il n’avait rien fait de tel à l’égard des autres nations, lesquelles vivaient dans une profonde ignorance de ce secret. C’est pourquoi les Juifs étaient les conviés, par opposition à tous les autres.

Ces oracles, ces promesses, ces types ces désignations qu’était-ce en effet qu’autant d’invitations à recevoir le Messie ? On peut dire même avec vérité que toutes les autres grâces étaient dépendantes de celle-ci, car ce qu’il les avait délivrés d’Égypte, qu’il les avait conduits dans le désert, qu’il les avait nourris de sa manne et abreuvée de l’eau de son rocher, ce qu’il avait envoyé son ange à la tête de leurs armées, qu’il les avait secourus et protégés contre leurs ennemis, tout cela n’avait été que parce qu’ils avaient été choisis entre tous les autres, pour être conviés aux divines noces de Jésus-Christ.

Mais pourquoi, direz-vous, toutes ces grâces à ce peuple, en était-il plus digne que le reste des hommes ? Le sang d’Abraham avait-il quelque chose de plus précieux que celui dont les rois et les héros anciens étaient formés ? Non, mes frères, Dieu a fait d’un seul sang tout le genre humain, et ce sang s’était également corrompu dans sa masse, dans ses sources et dans ces ruisseaux. Ce peuple avait été idolâtre comme les autres, il avait servi les fausses divinités, il avait offert son encens au soleil, à la lune, et à l’armée du Ciel avec les autres nations. C’est pourquoi Dieu disait à cette église au chapitre 16 d’Ézéchiel : Tu as été tirée du pays des cananéens, ton père était Amoréen et ta mère Hétienne. Et quant à toi le jour où tu naquis tu ne fus ni lavée d’eau, ni salée de sel, ni emmaillotée. Mais tu fus jetée sur le dessus d’un champ, on avait horreur de ta personne, et aucun œil n’eut pitié de toi. Ne cherchez donc pas d’autre distinction que celle que l’amour de Dieu y avait mise. C’est pour cela que dans le même chapitre, Dieu ajoute tout de suite, qu’il avait passé près d’elle, et que la voyant souillée dans son sang, il avait étendu sur elle le pan de sa robe, qu’il l’avait ointe d’huile, et qu’après cela il était entré en alliance avec elle, et l’avait faite sienne.

Mais pourquoi direz-vous encore, aimer plutôt ce peuple qu’un autre, s’il n’y avait rien en lui qui le distinguât ? Je réponds qu’il n’y a point d’autre raison à donner de ce mystère, que le seul bon plaisir de Dieu. Dieu est le maître de ses grâces et de son amour, il les dispense à qui il lui plaît, et comme il lui plaît. Il avait trouvé bon d’appeler ce peuple. Sa vocation avait mis les Israélites hors du pair, avant cela ils étaient en communion d’ignorance et d’erreur avec les autres, mais l’unique cause de leur vocation était le bon plaisir de Dieu, il n’en faut pas rechercher d’autre. Mais Dieu ne faisait-il pas injustice aux autres de les abandonner en choisissant ceci ? Non, mes frères, car premièrement Dieu ne peut jamais faire injustice à qui que ce soit. Il ne doit rien à personne, son infinie majesté qui l’élève sans mesure et sans proportion au-dessus de toutes les créatures, ne permet pas qu’il y ait entre lui et nous aucun droit commun, nul ne le peut donc accuser d’injustice, d’autant plus qu’il est notre souverain Seigneur, qui a sur nous une absolue puissance non seulement pour nous laisser dans l’état qui lui plaît, mais aussi pour faire de nous tout ce qu’il voudra. A-t-on coutume de dire que vous faites injustice à quelques-uns de vos champs, ou de vos arbres, lorsqu’il ne vous plaît pas de leur fournir les mêmes soins et la même culture que vous fournissez à d’autres, et si on le disait, ne répondriez-vous pas incontinent qu’étant les maîtres absolus de ces choses, et n’ayant aucune loi qui vous oblige envers elles, on ne peut sans absurdité vous attribuer de l’injustice à leur égard ? Apprenez donc que Dieu est mille fois plus le maître des hommes, que nous ne le sommes de nos champs et de nos arbres, et qu’il est lui est bien moins possible d’être obligé envers nous, que nous ne pouvons l’être envers ces choses inanimées qui nous appartiennent. Il est donc impossible qu’il soit injuste à notre égard.

Mais outre cette première réponse qui ferme la bouche à tout le monde, je dis que bien loin que Dieu eût fait injustice aux nations quand il les aurait abandonnées en choisissant Israël, il leur avait au contraire en cela même fait la justice qu’elles méritaient. Car que méritaient, je vous prie des gens plongés dans la superstition et dans le crime, des gens qui tous les jours irritaient Dieu contre eux par des idolâtries abominables, sinon que Dieu les livrât à leurs sens réprouvés. Mais s’il a fait aux autres une grâce qu’ils ne méritaient pas, cela empêche-t-il que l’abandon de ceux-ci ne soit une véritable justice ? Ajoutez à cela qu’il ne leur a pas fait même toute la justice qu’ils méritaient. Car ils pouvaient les abîmer et arrêter par ce moyen le cours des générations. Il pouvait laisser éteindre en eux toute connaissance de divinité, et leur ôter tout ce qui leur restait des traits de son image, ou des rayons de sa lumière. Cependant il ne l’a pas fait, il les a laissés sur la terre, il a conservé en eux quelques étincelles de sa connaissance, et il les a supportés avec une patience admirable. Après cela qui dira encore qu’il leur a fait injustice.

Mais laissons là les nations, et voyons seulement de quelle manière Dieu traita ceux qu’il avait conviés à son festin mystique. La parabole dit qu’il leur envoya deux fois ses serviteurs pour les appeler et que les derniers serviteurs eurent charge de les presser plus fortement et de leur dire : Voici j’ai apprêté le dîner mes taureaux et mes bêtes engraissées sont tuées, et tout est prêt ; venez aux noces. Par le premier ordre de serviteurs il faut entendre Moïse et les prophètes, et en un mot tout ce qui avait précédé l’avènement personnel de Jésus-Christ, et même jusqu’à Jean-Baptiste inclusivement. Tout ceux-là furent autant de serviteurs que Dieu envoya aux Israélites pour les appeler à la foi du Messie. Moïse le premier leur avait dit : Le Seigneur vous suscitera un prophète tel que moi d’entre vos frères, vous l’écouterez. David, marchant sur les pas de Moïse leur avait dit : Embrassez le Fils de peur qu’il ne se courrouce, et que vous ne périssiez en chemin quand sa colère s’embrasera tant soit peu. Ô que bien heureux sont tous ceux qui se retirent vers lui. Ésaïe leur en avait parlé je ne sais combien de fois jusqu’à leur crier : Sion qui annonce de bonnes nouvelles, monte sur une haute montagne. Jérusalem qui annonce de bonnes nouvelles, élève ta voix avec force, élève la, ne crains point, dis aux villes de Judas, voici votre Dieu. Jérémie, Ézékiel, Daniel, Osée, Joël, Zacharie, et tous les autres prophètes en avaient fait autant, et Dieu par sa providence avait voulu que ces vocations fussent écrites dans le canon de ses Écritures, afin que par ce moyen elles fussent perpétuelles, publiques et générales de tous les temps et de toutes les personnes. Enfin après tous les prophètes, Jean-Baptiste était venu qui leur avait dit : Amendez-vous, car le Royaume des Cieux est prochain. Je suis la voix de celui qui crie au désert, préparez les chemins du Seigneur et dressez ses sentiers. Quant aux autres serviteurs que le roi envoya pour la seconde fois vers eux, ce fut Jésus-Christ lui-même, et après lui ses disciples, qui comme vous savez, eurent ordre de commencer la prédication de l’Évangile par la ville de Jérusalem et par la nation des Juifs. Ils s’en acquittèrent fidèlement, diligemment, constamment comme les autres avaient fait.

Mais il y a pourtant quelques différences entre les premiers et eux, car les premiers appelaient simplement les conviés, et ceux-ci disaient de la part du roi : Voici j’ai apprêté le dîner, mes taureaux et mes bêtes engraissées sont tuées, et tout est prêt. Venez aux noces. Les uns et les autres annonçaient un même Messie, c’était le but et la matière de leur prédication, mais les prophètes en parlaient comme étant encore à venir, et les apôtres le proposaient comme étant déjà venu. Les premiers le faisaient voir dans les promesses, et les derniers le montraient dans l’accomplissement. Ceux-là parmi les ombres, et dans les figures, et ceux-ci clairement et dans la vérité même. De là vient que la parole de ceux-là étaient un peu moins forte, ils appelaient seulement, mais ceux-ci pressaient et insistaient davantage, Tout est prêt, disaient-ils, venez aux noces.

Au reste vous voyez bien qu’il ne faut pas s’arrêter beaucoup sur ces termes : J’ai apprêté mon dîner, mes taureaux et mes bêtes engraissées sont tuées. Ce sont des expressions qui appartiennent à la parabole, c’est-à-dire à la figure ou à l’image du festin de la noce sous laquelle Jésus-Christ nous représente son Évangile. Il veut dire seulement que les temps marqués dans le conseil de la providence étaient accomplis, que toutes chose été préparées, que le Messie était venu lui-même, et qu’il ne restait plus que de se convertir et de croire en lui. Cependant, avant que de finir cette explication, il est bon de faire deux remarques importantes.

La première est qu’encore que par l’événement il ait paru que ces Juifs, que les prophètes et les apôtres appelèrent à la foi de Jésus-Christ étaient des rebelles et des incrédules, et par conséquent qu’il n’appartenaient point à la vraie élection de Dieu, ce ne fut pourtant pas par accident qu’ils furent appelés, mais par l’ordre de Dieu même, Dieu voulant bien qu’ils le fussent. Car il est dit expressément que le roi leur envoya par deux fois ses serviteurs pour les appeler, et que les derniers eurent charge de leur dire en termes exprès, venez aux noces, afin qu’on ne dise pas que cela est ainsi arrivé, seulement parce que ces gens-là se trouvaient mêlés avec les autres, et que les serviteurs n’en pouvaient pas faire la distinction. Le texte est net, il ne peut pas souffrir cette glose. C’est Dieu qui les a appelés par ses serviteurs.

La seconde remarque est que Jésus-Christ fait ici allusion à ce qu’il est dit de la sagesse au chapitre 9 du livre des proverbes : La souveraine sapience a apprêté sa viande, elle a mélangé son vin, elle a aussi apprêté sa table. Elle a envoyé ses servantes, elle appelle dessus les créneaux des lieux les plus élevés de la ville, disant : qui est celui qui est simple, qu’il se retire ici, et elle dit à celui qui est dépourvu de sens : venez, mangez de mon pain, et buvez du vin que j’ai mélangé. Or de là il s’ensuit évidemment que tout ce qui est contenu dans le huitième et dans le neuvième chapitre des proverbes touchant la Sapience est un oracle qui regarde l’Évangile de Jésus-Christ, et par conséquent que cette Sapience est le Fils de Dieu, le Messie qui devait venir au monde, l’Époux de l’Église, celui-là même dont il est dit ici que le Père éternel célèbre les noces.

Vous comprenez facilement, mes frères, combien est importante cette dernière considération dans la vue des doctrines que nous avons établies jusqu’ici, puisqu’elle confirme hautement la divinité notre Seigneur Jésus-Christ, de laquelle dépendent toutes les autres vérités de la religion. Mais il ne faut pas en demeurer là, le principal est de nous en faire une sainte application qui nous excite à la piété, car plus nos lumières seront distinctes et vives et plus elles serviront à notre condamnation si nous ne les employons à l’usage auquel elles sont naturellement destinées, qui est de nous sanctifier nous-mêmes et d’avancer l’ouvrage de notre salut. Faisons donc je vous prie dans ce dessein de justes réflexions, premièrement sur l’amour ineffable de Dieu qui est allé jusqu’à ce point que de vouloir bien donner son propre Fils aux hommes.

A quoi ne nous engage point un mouvement si tendre de miséricorde ? Lorsque nous étions perdus il nous a procuré un salut, il nous a ouvert une voie pour entrer dans la paix et dans sa communion, il nous a rappelé de nos égarements, et la personne qu’il a choisie pour cela, a été son Fils unique, le Fils de sa dilection. Que ne devons-nous pas à une si grande faveur ? Nous serions les créatures du monde les plus ingrates, et les plus criminelles, si de notre part nous ne répondions à cet excès de bonté par une éternelle reconnaissance. Notre devoir et notre crime n’ont qu’une seule et même mesure. C’est le prix infini de la grâce qu’il nous a faite qui règle l’un et l’autre. Plus nous avons reçu de lui, plus nous lui sommes obligés, et plus nous lui sommes obligés plus nous serons coupables et dignes de punition si nous sommes prévaricateurs. J’avoue qu’il est doux d’entendre dire que Dieu nous a aimé, c’est un Évangile agréable, et il y a peu de gens qui ne l’écoutent avec joie, mais il ne faut pas que cette douceur nous endorme. Dieu nous aime, il est vrai, mais supposez que nous abusions de son amour, il vaudrait bien mieux pour nous qu’il ne nous eût jamais aimés. Parmi les hommes, un perfide, un insensible, un ingrat passe pour un objet d’horreur, et les faveurs mal reçues se changent en motifs de haine et en causes de châtiment. Il en est de même à plus forte raison dans le commerce de Dieu avec nous. Car après tout sa grâce ne nous est point offerte pour être foulée aux pieds, ni son alliance pour être profanée, ni son Fils pour être outragé, et quand cela arrivera ne doutez pas que la vengeance ne suive bientôt le péché. Ne nous attirons pas un si étrange malheur.

Je sais qu’il n’est pas possible que notre reconnaissance égale jamais le bienfait de Dieu, puisque son bienfait est infini, et que les mouvements de notre reconnaissance quels qu’ils soient seront toujours finis. Mais au moins ayons-en autant que nous sommes capables d’en avoir à proportion des faiblesses de l’homme, si nous ne le pouvons à proportion de la grâce de Dieu. Pour cet effet représentons nous sans cesse la dignité et la majesté du Fils de Dieu à la communion duquel nous somme appelés. L’honneur que nous avons de lui appartenir n’est-il pas assez grand pour nous demander de la fidélité pour son service, du zèle pour ses intérêts, du respect pour sa parole, de l’obéissance pour ses commandements, et un attachement inviolable pour sa gloire ? Quand nous ne le regarderions que comme notre Maître, cette seule qualité suffirait pour nous inspirer tous ces devoirs, car c’est le meilleur, et le plus puissant de tous les maîtres, et le plus digne d’être servi. Mais outre cela, il est notre époux, et cet heureux titre, qui confond nos intérêts avec les siens, ne permet pas qu’il y ait entre lui et nous aucune différence de désir ou d’inclination, d’autant plus que pour faire cette alliance, il s’est infiniment abaissé, et nous a infiniment élevés.

D’où vient donc, je vous prie, que nous avons pour lui tant de négligence, et tant de froideur, ou pour mieux dire, qu’il y a tant d’éloignement entre nos volontés, et les siennes, et tant d’opposition de nos actions à ses lois ? Quand il se fait dans le monde un mariage entre les personnes de condition inégale, tout l’effet que cette inégalité produit est que la partie qui reçoit de l’élévation se sent obligée de se conformer à l’autre, et de ne rien faire qui choque son amitié, ou qui soit indigne du rang où elle l’a mise. Écoute fille, disaient les enfants de Corée à l’épouse de Salomon, Écoute et considère, incline ton oreille, oublie ton peuple, et la maison de ton père, et le roi mettra son affection en toi, puisqu’il est ton Seigneur, prosterne-toi devant lui. L’épouse de Salomon était l’image de l’Église. Mais hélas ! Que nous avons fait peu notre profit de cette exhortation. Il n’y a pas moyen de nous faire oublier notre origine quelque basse qu’elle soit, ni la sale poussière dont Jésus-Christ nous a retirés, il nous a fait sortir d’Égypte, et nous aimons encore notre ancienne servitude, il nous a pris du milieu de l’embrasement de Sodome, et cette misérable Sodome tout embrasée qu’elle est, nous tient toujours au cœur. Cependant si l’on en croit, il n’y a pas un de nous qui ne soit l’épouse de Jésus-Christ, et ce serait nous faire injure que de nous contester ce titre. Mais afin que vous ne vous y trompiez pas, savez-vous bien ce que c’est que la vraie Épouse de Jésus-Christ ? Permettez-moi de vous en faire ici la description.

C’est une âme sainte et fidèle, qui aime Dieu et qui garde ses commandements, qui est sobre et chaste, juste et charitable, humble, modeste, religieuse, qui se contente de sa condition et se possède soi-même avec beaucoup de tranquillité, qui jouit des biens de la terre sans attachement, sans avarice, sans orgueil, qui fait maintenir ses droits avec modération, et soutenir ses pertes avec patience, qui est égale dans la prospérité et dans l’affliction, et qui prend garde à ses voies, pour ne pas tomber dans le péché, pour s’en relever à l’instant par la repentance s’il lui arrive d’y tomber, qui songe au reste beaucoup plus à faire son salut qu’à faire sa maison, qui se plaît à pardonner les injures, à secourir les misérables, à nourrir les pauvres, à tendre la main au pécheur, et toujours à donner bon exemple a ses prochains, qui aime l’Église, et qui prie et pleure pour elle. C’est là l’Épouse de Jésus-Christ. Examinez-vous vous-même, je vous prie sur ce pied, et voyez si vous vous reconnaissez là-dedans. Car il n’y a nulle exagération, et tout est véritable à la lettre. Le mariage mystique dont il s’agit, établi dans un cœur le Royaume des Cieux, et le Royaume des Cieux et tout ce que je viens de vous dire, incompatible avec le désordre des vices, et le tumulte des passions.

Mais outre cette première réflexion qui regarde l’amour infini que Dieu a eu pour nous, et le don qu’il nous a fait de son Fils, il est bon de considérer aussi sa fidélité inviolable, et pour assainir la fermeté et l’égalité de ses pensées, qui paraît en ce que précisément dans le temps désigné par les prophètes, il n’a pas manqué de nous envoyer Jésus-Christ, et de dégager sa parole. Comme il avait formé ce grand dessein dans le conseil de sa sagesse, il l’a suivi jusqu’au bout, et après avoir pourvu à tous les préalables nécessaires, il a travaillé à son exécution de la même manière qu’il l’avait déclaré par ses oracles. Mais pour bien méditer sur cette manière il faut se remettre devant les yeux les deux temps que la parabole marque, celui des oracles, et celui de l’accomplissement, celui de la promesse et celui de l’exécution, celui de l’invitation aux noces, et celui des noces mêmes. Il est certain que dans la comparaison de ces deux termes vous verrez d’un côté reluire des marques de la vérité et de la divinité de la religion chrétienne, et que de l’autre vous y trouverez de nouveaux motifs à la sainteté et à la piété. Et pour ce qui regarde les marques de la divinité de la religion, elles sont claires dans la prophétie par rapport à l’accomplissement, et dans l’accomplissement par rapport à la prophétie.

Peut-on douter que la prophétie ne soit de Dieu, quand on la voit si ponctuellement exécutée en la personne de Jésus-Christ ? Peut-on douter que la rédemption de Jésus-Christ ne soit l’ouvrage de la providence quand on en voit le projet si bien formé dans la prophétie. Quelle autre que Dieu pouvait avoir promis de si grandes choses tant de siècles avant qu’elles arrivent ? Quel autre que Dieu pourrait avoir rempli de si grandes promesses, par un événement exact et précis, tant de siècles après ? Ainsi de la fermeté de son conseil résultent la fermeté de notre foi. Mais cela même nous fournit aussi de nouveaux motifs de piété et de sainteté. Nous ne sommes plus dans le temps des ombres comme étaient les Israélites. Dieu a répandu sur nous mille fois plus de grâces et de lumières qu’il n’avait accordée à l’ancienne Église. Il n’y a plus pour nous de voile ni de nuée, nous contemplons la gloire du Seigneur à face découverte. Notre foi n’est plus fondée sur de simples promesses, elle a pour objet la certitude de la chose même. Mais, je vous le dis encore une fois, toutes nos lumières et tous nos avantages peuvent produire notre sanctification, et si nous ne les tournons de ce côté-là, ce ne sont plus des avantages, ce sont des malheurs. Plus nous aurons eu de connaissance, et plus sera juste notre condamnation : Le serviteur qui sait la volonté de son maître et ne la fait pas, sera battu de plus de coups, et quand on abuse des bontés divines elles deviennent mortelles. Revenons donc, mes frères, à notre devoir, et profitons du bien que nous avons reçu, au lieu de le changer en mal.

Jésus-Christ disait à ses disciples : Vos yeux sont bienheureux de voir ce qu’ils voient, et vos oreilles d’entendre ce qu’elles entendent. Car en vérité je vous dis que plusieurs prophètes et plusieurs justes ont désiré voir les choses que vous voyez et ne les ont pas vues, et d’entendre les choses que vous entendez et ne faisant pas entendues. Mais si nous continuons à négliger ses faveurs, comme nous avons fait jusqu’ici, il faudra bien nous tenir un autre langage. Qui pourra dire, vos yeux sont bienheureux de voir ce qu’il voient, et vos oreilles d’entendre ce qu’elles entendent, ou plutôt qui pourra ne pas dire, vos yeux sont malheureux de voir ce qu’il voient, et vos oreilles d’entendre ce qu’elles entendent.

Ne permettons pas qu’on nous tienne un si funeste discours, et pour cet effet consacrons-nous à Jésus-Christ comme une épouse chaste et fidèle, attirant de plus en plus sa bienveillance et sa bénédiction, et nous lui donnant jamais sujet de faire divorce avec nous. Un jour ces noces évangéliques seront suivies des noces de la félicité céleste, et alors ce ne seront plus les hommes qui nous appelleront, ce seront les anges, ce sera lui-même qui nous dira : Tout est prêt, venez aux noces. Alors jouissant de sa divine présence nous le contemplerons tel qu’il est, et dans la plénitude de sa communion, notre justice sera parfaite, et notre joie éternelle. Dieu nous en fasse la grâce, et à lui Père, Fils, Saint Esprit soit honneur et gloire aux siècles des siècles. Amen !

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