La Parabole des Noces

Sermon second

Mes Frères,

Cette douce et salutaire économie où Dieu promet par la bouche de Joël, qu’il répandra de son Esprit sur toute chair, et qu’il fera prophétiser nos fils et nos filles, nos jeunes gens, et nos vieillards, est appelée dans le même lieu, le grand et le terrible jour du Seigneur ; et le même temps de paix et de grâce qu’Ésaïe nomme, l’an de la bienveillance de l’Éternel, il le nomme aussi, le jour de la vengeance de notre Dieu. Ne pensez pas que ce soit une contradiction dans l’Écriture. L’Écriture est un ouvrage qui ne se dément point, et jamais livre ne fut si parfait, ni si uniforme. Mais ce sont de différentes vues, une même chose est à divers égards, un objet de joie, et un objet de frayeur, et ces expressions qui paraissent d’abord s’y opposer sont également véritables les unes et les autres. L’Évangile de Jésus-Christ, car c’est de l’Évangile que parlent Ésaïe et Joël dans les passages que je viens d’alléguer, l’Évangile, dis-je, est odeur de vie, et odeur de mort, odeur de vie à ceux qui sont sauvés, odeur de mort à ceux qui périssent. Du même rocher des siècles, les uns ont fait leur pierre fondamentale, et les autres s’en sont fait une pierre d’achoppement, ou pour parler en termes propres, la venue du Messie, qui a été la vie et le salut des nations fidèles, a été la réjection et la ruine des Juifs incrédules. C’est, mes frères, cet épouvantable exemple du crime et de la chute des Juifs, que notre parabole nous met aujourd’hui devant les yeux. La méditation en est triste et étonnante, soit que vous considériez la rébellion de ces misérables, qui furent autrefois le peuple bien-aimé de Dieu, soit que vous regardiez la vengeance que la justice divine en a faite. Mais si la méditation en est affligeante, le fruit que nous pouvons tirer est grand. Qu’y a-t-il de plus propre à nous faire horreur que leur crime, qu’y a-t-il de plus propre à nous effrayer que leur peine, et qu’y a-t-il de plus propre à nous faire sages que de joindre ensemble et leurs crimes et leurs peines, l’horreur de la révolte, et la frayeur de la punition ?

Venez donc ici, chrétiens, apprendre deux importantes vérités, l’une, ce que peut la corruption de l’homme, privé du secours de la grâce, et l’autre, ce que fait la justice divine lorsque l’homme abandonne son devoir. Ce sont les deux points que nous avons à traiter. Car en continuant l’explication de la parabole des noces, nous avons à voir, premièrement ce que firent les conviés, lorsque le roi leur envoyait ses serviteurs pour les appeler : Ils n’en tinrent compte, mais ils s’en allèrent l’un à sa métairie, et l’autre à son trafic, et les autres prirent les serviteurs, et les outragèrent et les tuèrent. Secondement nous avons à considérer ce qui leur arriva : Quand le roi l’entendit il se mit en colère, et ayant envoyé ses gendarmes, il fit périr ces meurtriers-là, et il brûla leur ville. Dieu veuille que ces deux effroyables objets fassent impression sur nous, et que nous confirmant dans notre vocation, ils nous assurent aussi la paix et la bénédiction de Dieu.

*

Pour entrer dans le premier point, les noces de cette parabole sont l’Évangile de Jésus-Christ, le roi qui les fait, est le Père éternel qui a envoyé son Fils au monde, les conviés sont les Juifs, les serviteurs, qui les appellent aux noces sont Moïse, les prophètes, et Jean-Baptiste, Jésus-Christ lui-même, ses disciples et les apôtres. C’est ce que nous supposons comme l’ayant déjà expliqué dans notre première action. Il s’agit maintenant de voir ce que firent ses conviés, et la parabole dit qu’ils firent deux choses, l’une qu’ils négligèrent entièrement leur vocation, qu’ils n’en tinrent compte, mais qu’ils s’en allèrent l’un à sa métairie et l’autre à son trafic. L’autre chose qu’ils firent, fut qu’ils s’irritèrent contre ceux qui les appelaient, qu’ils les outragèrent, et qu’ils les mirent à mort. Ce furent là les deux chemins qui les conduisirent à leur ruine, ou si vous voulez les deux degrés par lesquels ils descendirent dans cet abîme effroyable de désolation où ils sont encore, le mépris de la religion de Dieu et la persécution de ses ministres. L’un fut comme le sommeil d’un ivrogne, qui tout occupé des fumées de sa débauche n’entend pas ce qu’on lui dit, et l’autre fut comme le réveil d’un furieux qui entendant la voix qui lui parle, et n’en jugeant que selon le désordre de son esprit, court aux armes, et renverse tous ceux qui se présentent devant lui.

Le premier de leurs crimes fut le mépris de la vocation de Dieu. J’avoue que c’est l’inclination naturelle de l’homme, que de haïr la vraie religion, et la piété solide, et de là vient qu’on a toujours remarqué cette différence entre la vraie Église, et les sociétés idolâtres et infidèles, que ces dernières ont un amour fol pour leurs erreurs, et un zèle inconcevable pour des extravagances et des superstitions, au lieu qu’on ne voit d’ordinaire dans l’Église que de l’indifférence, et de la froideur pour les mystères du Ciel. Ceux-là courent et s’échauffent après leur vanité, pendant que les autres que Dieu a honorés de sa connaissance sont tout de glace, et se remuent à peine quand il s’agit de leur salut. Mais quelle que naturelle que soit cette inclination, ne devait-elle pas avoir été vaincue dans les Juifs par tant de grâces que Dieu leur avait faites ?

Il les avait choisis eux seuls d’entre tous les peuples de la terre pour se faire connaître à eux. Il les avait délivrés de la plus cruelle de toutes les servitudes, et après les avoir conduits et nourris dans un désert durant l’espace de quarante ans, il les avait heureusement et glorieusement mis en possession de la terre de Canaan. Il leur avait donné sa loi, et réglé parmi eux son service d’une manière si distincte et si claire, qu’il n’était pas possible de s’y tromper. Il leur avait révélé ses conseils touchant le Messie, et comme il avait fait mille merveilles en leur faveur, il avait aussi pris soin de les châtier en plusieurs occasions, pour les sauver de leurs égarements, ce qui n’était pas une des plus petites marques de son amour. Quelle dureté donc après tant de bienfaits de négliger encore la vocation de Dieu ! Mais quel aveuglement n’y a-t-il pas dans cette conduite ! Le Messie était la plus grande de leurs espérances, tout retentissait parmi eux de son nom, toute leur religion se rapportait à lui, et la seule pensée de son avènement les remplissait de joie et de consolation. Dieu qui le leur avait promis, leur avait promis aussi mille biens sous son règne, ou pour mieux dire il leur avait proposé sa communion comme l’unique source de tous les véritables biens. Cependant dès qu’ils sont appelés à ses noces, ils n’en tiennent compte, et refusent d’y aller. Vit-on jamais tant de désordre qu’il en paraît dans ce procédé ?

Mais d’où vient donc, direz-vous, un si grand étourdissement ? La Parole en donne la raison quand elle dit qu’ils s’en allèrent l’un à sa métairie, et l’autre à son trafic. Cela veut dire qu’ils furent si occupés de l’idée de leurs biens temporels qu’ils ne se soucièrent point du Messie. En effet c’est un des premiers et des plus dangereux pièges dont l’ennemi de notre salut se sert pour nous perdre. Il ne nous inspire pas d’abord la fureur contre Dieu et contre son Évangile, mais il détourne finement nos cœurs vers d’autres objets, il leur donne d’autres occupations, et d’autres désirs, et de cette sorte il nous jette dans la négligence des choses du Ciel. Et cette voix est d’autant plus à craindre qu’elle semble fort naturelle et fort innocente. Car qu’y a-t-il de plus naturel, et en apparence de plus innocent que d’avoir soin de notre bien et de ce qu’on appelle notre fortune. Chacun y est obligé pour soi-même, et pour sa famille. C’est suivre un engagement où nous a fait entrer la naissance et le rang que nous tenons dans le monde, et si nous en usions autrement nous passerions pour des imprudents, et des gens malhabiles. Ainsi le diable remplit adroitement nos esprits de l’idée des biens du monde, et comme ces idées sont enchaînées ensemble jusqu’à l’infini, il nous mène de l’une à l’autre, il nous y tient sans cesse attachés sans nous donner presque le loisir de respirer. Alors on a beau nous prêcher le Messie, et ses grâces, on a beau nous représenter la nécessité où nous sommes de mourir un jour, et de comparaître devant le tribunal de Dieu pour lui rendre compte de nos actions, on a beau nous parler des peines et des récompenses de l’autre vie, tout cela ne fait aucun effet, nos yeux sont attachés ailleurs, nous n’avons point d’oreilles pour écouter de tels discours, et quelque grand que soit cet intérêt on n’a pas le temps de s’y amuser, on a d’autres choses à faire.

Ce fut déjà un crime aux Juifs et un crime capital de préférer au Messie et à ses biens éternels, des biens temporels qui sont fragiles et périssables, et qui ne regardent que le corps et la vie présente. Car dans les maximes de la religion, ne préférer pas Jésus-Christ à toute chose, c’est l’aimer moins qu’on ne doit, c’est le haïr, à cause de quoi saint Jacques dit que l’amour du monde est inimitié contre Dieu. Mais il y a plus, car les Juifs ne tenaient ces biens que de la main de la religion et en considération du Messie, de sorte que c’était à proprement parler le Messie lui-même qui les leur avait donnés. Quand ils les eussent eus par une autre voie, il eût toujours fallu les abandonner pour le Messie, mais les tenant de lui et ne les possédant que comme des fruits, et des dépendances de cette grande promesse que Dieu leur avait faite touchant son Fils, ce fut la dernière de toutes les perversités de les tourner contre lui-même, et de s’en servir comme d’une occasion de mépris et de négligence. C’est ainsi que les hommes sont accoutumés à changer en dissolution les grâces qu’ils reçoivent, et à outrager Dieu par les mêmes choses, par lesquelles ils devraient le glorifier, à peu près comme quand un sujet abandonne le service de son roi, parce qu’il lui a trop fait de bien, ou qu’un traître tourne contre son maître et son seigneur la même épée qu’il en a reçue pour le garder, et pour le défendre. En cela nous imitons la terre dont nous avons été tirés, car elle se sert de même de la chaleur du soleil, pour obscurcir par des vapeurs et des nuées la lumière qu’il lui communique.

Mais ce n’est encore là que le premier degré de l’ingratitude des Juifs. Ils allèrent bien plus avant, car ils prirent, dit la parabole, les serviteurs qui les appelaient, ils les outragèrent et ils les mirent à mort. C’est ici l’apologue du serpent gelé, qu’un homme ému de compassion mit dans son propre sein pour le réchauffer, et qui en récompense de cette charité lui dévora les entrailles. Dieu avait trouvé ce misérable peuple dans une servitude horrible, où l’infamie et l’opprobre étaient joints à mille tourments. Il l’en avait délivré, et pour l’en délivrer, il avait forcé toutes les lois de la nature, il avait déployé sa puissance sur la terre, et sur la mer, et sur les autres éléments, et l’avait fait sentir aux hommes, aux bêtes, et même aux créatures inanimées. Il avait châtié pour l’amour d’eux Pharaon et les Égyptiens dans la dernière rigueur. Ensuite de quoi il avait fait de ce peuple une nation sainte, un royaume de sacrificateurs, son héritage et son Église, laquelle il l’avait enrichie de ses bénédictions, et il lui avait préparé un époux mystique. Mais quel époux ? Son propre Fils, son unique, sa Sapience, et sa Parole éternelle. Cependant pour le salaire de tant d’amour, ces ingrats outragent et massacrent ses serviteurs, ils mettent à mort le Fils même, et quand ensuite le Fils est ressuscité, et que du dessus de son trône, vaincu par son affection, il leur offre encore leur pardon, son amour, son alliance, ils mettent à mort les apôtres qu’il leur envoie. C’est le plus grand de tous les crimes au-delà duquel on n’en saurait concevoir d’autres, soit que vous en regardiez l’objet, soit que vous en considériez le degré. Je dis premièrement l’objet, car ce ne sont pas seulement les créatures de Dieu qui sont outragées, c’est Dieu lui-même immédiatement. Ce n’est pas simplement sa majesté, ou sa bonté, ou sa puissance, ou sa justice, ou sa vérité, c’est tout cela joint ensemble, et de plus c’est son amour, c’est la personne même de son Fils, c’est l’amour de son Fils, l’amour, dis je, de son Fils qui veut être leur mari, et qui veut être encore leur mari, après qu’ils ont répandu son sang. Peut-on concevoir quelque chose au-delà ? Mais pour mieux connaître l’horreur de ce crime, il en faut encore considérer le degré. Car ils n’ont pas seulement du mépris et de l’indifférence pour le Messie, ils ne lui préfèrent pas seulement leur métairie et leur trafic, ils ne ferment pas seulement l’oreille à la voix de ceux qui les appellent à lui, ils outragent ses serviteurs, ils les tuent, ils l’outragent lui-même, ils le crucifient, et tout ressuscité qu’il est, plein de gloire et d’immortalité céleste, ne pouvant plus le mettre à mort en lui-même, il le mette à mort en la personne de ses ministres.

Que la patience de Dieu, a été grande envers ce peuple, d’attendre la consommation de tant de crimes, et de ne les pas prévenir par les derniers effets de sa colère, ou du moins par un entier abandonnement et une privation de ses faveurs, puisqu’ils en étaient si indignes. Moïse avait déjà dès le commencement senti leur fierté, et essuyé leurs murmures, et c’est pourquoi il leur avait dit au 32me chapitre du Deutéronome :

Prenez ce livre-ci de la loi, et le mettez à côté de l’arche de l’alliance, afin qu’il soit là pour témoin contre vous. Car je connais votre rébellion. Voici, moi étant encore aujourd’hui vivant avec vous, vous avez été rebelles contre l’Éternel, combien plus le serez-vous après ma mort ? Faites assembler vers moi tous les anciens de vos tribus et vos chefs, et je dirai devant eux ces paroles-ci, et j’appellerai en témoins contre eux le ciel et la terre. Car je sais qu’après ma mort vous ne manquerez pas de vous corrompre, et de vous détourner de la voie que je vous ai commandée.

Il leur fait les mêmes reproches au chapitre suivant : C’est, dit-il, une génération perverse et rebelle. Est-ce ainsi que tu récompenses l’Éternel, peuple fou et mal avisé ? N’est-il pas ton père qui t’a acquis, qui t’a fait et façonné : car la portion de l’Éternel, c’est son peuple, et Jacob est la part de son héritage. Il l’a trouvé dans un pays désert, dans un lieu hideux où il n’y avait que hurlement de désolation, il l’a conduit, il l’a adressé, et l’a gardé comme la prunelle de son œil. Comme l’aigle meut sa nichée, couve ses petits, et tendant ses ailes les recueille et les porte sur ses ailes, l’Éternel seul l’a conduit, et il n’y a point eu avec lui de dieu étranger. Mais celui qui devait être droit, s’est engraissé, et a regimbé, et s’est fait gras, gros, épais, et il a quitté le Dieu qui l’a fait et a outragé le rocher de son salut !

Ne fût-ce pas un excès de bonté de Dieu de les supporter durant ces premières années, et sans avoir égard à leur faute, de ne laisser pas de les introduire dans la terre de Canaan ? Mais sa patience alla bien plus loin, car il paraît tant par l’histoire ancienne, que par les écrits des prophètes, que ce peuple toujours ingrat et toujours insensé, ne cessa point de se révolter de l’obéissance qu’il devait à Dieu, et de l’irriter par des idolâtries presque continuelles, jusqu’à ce qu’enfin étant comme forcé par les droits inviolables de sa justice, il suscita contre eux le roi des assyriens, qui après avoir saccagé leurs villes et leur temple les emmena captifs en Babylone. Cette captivité pourtant ne dura que soixante-dix ans, au bout desquels Dieu se souvint de son alliance, et les rétablis par les voies admirables de sa Providence. Mais ils ne laissèrent pas depuis ce temps-là de suivre leur train ordinaire, ils se divisèrent en plusieurs sectes, ils corrompirent la religion par plusieurs doctrines fausses et impies, ils altérèrent le véritable usage de la loi par des gloses et des interprétations mauvaises, et contraires à son véritable sens, ils y ajoutèrent je ne sais combien de traditions impertinentes, ils changèrent la piété en hypocrisie, et à l’égard des mœurs ils s’abandonnèrent à toutes sortes de vices. Cependant quelques grands que fussent leurs péchés, Dieu les supporta toujours patiemment, et ne se lassa pas de leur faire du bien, il ne leur ôta point les marques de son alliance, au contraire, quand le temps marqué par sa sagesse fut venu, il leur envoya son Fils, et il les fit appeler aux noces de son Évangile préférablement à toutes les autres nations.

Tout cela fait voir d’un côté combien est grande la bénignité de Dieu, et son inclination à attendre le retour ou la repentance des hommes, qui est la chose du monde qu’il commande le plus expressément. Mais cela fait voir aussi d’autre part combien est extrême la dépravation de notre nature, et combien le fond de notre corruption est grand et insurmontable, puisque tant de grâce de Dieu, et tant de patience ne l’ont pu vaincre dans le peuple des Juifs. Que peut-on conclure de cet exemple, sinon qu’en général l’homme est fait d’une telle manière, que si quelquefois il arrive qu’il s’apprivoise avec Dieu et avec sa vérité, c’est comme un tigre, ou un lion qui s’apprivoise avec un maître qui le chérit, et qui le nourrit. Le maître fait ce qu’il peut pour adoucir sa férocité naturelle, mais il n’en saurait venir à bout, il le flatte, il le caresse, mais enfin il en sera lui-même déchiré. C’est dans ces vues que Jésus-Christ s’écriait autrefois : Jérusalem, Jérusalem, qui tues les prophètes, et qui lapides ceux qui te sont envoyés, combien de fois ai-je voulu rassembler tes enfants comme la poule assemble ses poussins sous ses ailes, et vous ne l’avez point voulu !

Mais direz-vous, ne pourrait-on pas découvrir à peu près par quels principes les Juifs se sont portés à cette extrémité, non seulement de rejeter l’Évangile de Jésus-Christ, mais de crucifier Jésus-Christ lui-même, et de persécuter ses apôtres et ses disciples jusqu’à les faire mourir comme ils ont fait. Car de dire que ça été par un pur caprice, sans aucune ombre de raison, il n’y a nulle apparence. Les hommes n’agissent pas de cette sorte, il y a toujours quelque fausse lumière qui les éblouit, ou du moins quelque prétexte qu’ils mettent en avant pour justifier leur conduite. De dire aussi qu’ils ne pouvaient pas suffisamment connaître Jésus-Christ pour le vrai Messie, c’est ce qu’on ne peut pas raisonnablement soupçonner après une si parfaite désignation qu’ils en avaient dans leurs prophètes, et tant de preuves qu’il donnait lui-même de ce qu’il était. Cela est vrai, et l’on ne peut dire, sinon qu’ils se laissèrent misérablement aveugler par des préjugés, qui leur firent faire tout ce qu’ils firent. Voici à peu près les maximes sur lesquelles ils agirent autant que nous les pouvons recueillir de l’histoire de l’Évangile.

Leur premier principe fut, qu’il ne faut rien innover dans la religion, parce que les innovations sont dangereuses, et que le plus sûr est de marcher sur les traces des anciens, sans s’en éloigner. Nous sommes, disaient-ils, quant à nous, disciples de Moïse. Nous savons que Dieu a parlé à Moïse, mais quant à celui-ci nous ne savons d’où il est. Nous avons les traditions des anciens, et celui-ci les renverse. Pourquoi tes disciples, disaient-ils, n’observent-ils pas les traditions des anciens. Dans cette vue ils accusaient Étienne d’être un blasphémateur, pour avoir dit, que ce Jésus-ci changerait les ordonnances que Moïse leur avait données. Mais qu’y avait-il de plus captieux ou de plus sophistique que ce prétexte ? Car il est vrai qu’il ne faut point admettre de nouveautés en matière de religion. Mais il faut bien aussi prendre garde de prendre pour ancien ce qui en effet est nouveau, et pour nouveau ce qui est ancien. Or c’est ce que les Juifs faisaient, car Jésus-Christ qu’ils appelaient nouveau, et inconnu, était véritablement ancien, et du premier établissement de la religion. Et à cet égard lui-même leur disait, Moïse en qui vous avez espérance sera celui qui vous condamnera. Car si vous croyiez Moïse vous croiriez aussi en moi, puisqu’il a écrit de moi. Et pour leurs traditions, elles étaient nouvelles, de l’invention des hommes, et par conséquent postérieures à la loi de Dieu. C’est pourquoi le Seigneur leur disait : Hypocrites, Ésaïe a bien prophétisé de vous quand il a dit, ce peuple-ci m’honore de ses lèvres, mais leur cœur est fort éloigné de moi. En vain m’honorent-ils enseignant des doctrines qui ne sont que commandements d’hommes. Car en délaissant le commandement de Dieu, vous retenez la tradition des hommes.

Leur seconde maxime était, qu’il faut toujours en matière de religion s’en rapporter aux pasteurs, suivre aveuglément leurs décisions et leur exemple, et que dès qu’un peuple entreprend de juger par soi-même de ces sortes de choses, il commet un crime horrible. Quelqu’un des gouverneurs, disaient-ils, ou des pharisiens, a-t-il cru en lui ? Mais cette populace-ci, qui ne sait ce que c’est que la loi est pire qu’exécrable. Cette maxime est pernicieuse, car il n’y a que Dieu à qui nous devions une obéissance aveugle, et quant à ses ministres il ne veut point qu’ils prennent aucun empire sur les consciences. Le juste vit de sa foi et non de celle de ses pasteurs. Nous n’avons point de domination sur votre foi, disait saint Paul. Aussi Jésus-Christ ayant égard à ce faux principe ne le réfute qu’avec indignation. Laissez-les, dit-il, se sont aveugles, conducteurs d’aveugles, et si un aveugle conduit un autre aveugle, ils tomberont tous deux dans la fosse.

A cette seconde maxime, ils en ajoutaient une autre qui n’était pas moins dangereuse, c’est qu’ils étaient l’Église de Dieu, son peuple, son héritage, sa nation, d’où ils concluaient que quoi qu’ils fassent, Dieu ne pouvait pas avoir d’autre peuple qu’eux, et par conséquent qu’il ne pouvait point y avoir de vrai Messie que celui qu’ils approuveraient. Ils raisonnaient à peu près de cette sorte, que Dieu ne pouvant se laisser sans Église dans le monde, et n’en pouvant avoir d’autre qu’eux, ils ne pouvaient pas par conséquent les rejeter, ni permettre qu’il tombassent dans l’apostasie. C’est ce qui leur faisait dire, nous sommes la postérité d’Abraham, nous ne servîmes jamais à personne. Nous ne sommes point de paillardise, nous avons un Père qui est Dieu. Cette maxime était fière et illusoire, et Jésus-Christ la réfute en leur disant, si vous étiez les enfants d’Abraham, vous feriez les œuvres d’Abraham, si Dieu était votre Père vous-même m’aimeriez. Jean-Baptiste l’avait déjà réfuté dans ses prédications : Ne présumez point, disait-il, en vous-mêmes de dire, nous avons pour père Abraham, car je vous dis que Dieu peut de ces pierres-ci faire naître des enfants à Abraham. En effet il ne faut jamais raisonner de cette sorte : nous sommes l’Église de Dieu, nous ne pouvons donc jamais faillir quoi que nous fassions ; mais il faut dire au contraire : nous sommes l’Église de Dieu, prenons donc garde de ne pas faillir, pour nous conserver un si glorieux avantage. Ce dernier raisonnement est juste et humble, il excite une Église à faire son devoir, et lui donne de la précaution, et il attire sur elle la bénédiction de Dieu. Mais le premier est téméraire et vain, qui inspire en même temps une fausse sécurité jusqu’à ne rien craindre, et une folle audace jusqu’à tout entreprendre.

Le quatrième préjugé des Juifs contre Jésus-Christ était qu’il n’avait point de vocation sous prétexte qu’il n’était ni sacrificateur, ni scribe, ni docteur de la loi reçu et appelé dans les formes. De quelle autorité lui disait-il, fais-tu ces choses, et qu’est-ce qui t’a donné cette autorité ? Mauvais préjugé, comme si lorsque la vocation ordinaire est corrompue, la providence divine ne pouvait pas susciter des personnes hors de la forme commune pour réformer l’Église, et rétablir la religion. C’est dans ce sens qu’il est dit au neuvième chapitre de saint Matthieu, que Jésus voyant les troupes, fut ému de compassion envers elle, de ce qu’ils étaient dispersés, comme des brebis qui n’ont point de pasteur, et qu’alors il dit à ses disciples : certes la moisson est grande, mais il y a peu d’ouvriers. Priez donc le Seigneur de la moisson qu’il pousse des ouvriers dans sa moisson.

Un cinquième préjugé était pris de ce que Jésus-Christ paraissait d’une condition vile et basse. Qui est celui-ci, disaient-ils, n’est-ce pas le fils d’un charpentier ? Sa mère n’est-elle pas appelée Marie, et ses frères Jacques et Joseph, et Simon et Jude ? Ses sœurs ne sont-elles pas aussi toutes parmi nous ? Ils étaient occupés des idées de la grandeur et de la pompe mondaine, à peu près comme ceux qui disaient dans l’autre siècle, que la Réformation était juste et nécessaire mais que c’était une chose insupportable qu’un chétif moine entreprit de réformer toute la terre. Vit-on jamais rien de moins raisonnable que ce préjugé, comme si Dieu avait égard à l’apparence des personnes, ou que ses œuvres et sa vérité fussent dépendantes de l’éclat ou de la splendeur temporelle. Saint Paul combat cette ridicule maxime, quand il dit à ses Corinthiens : Vous voyez votre vocation, que vous n’êtes point, ni beaucoup de sages selon la chair, ni beaucoup de nobles. Mais Dieu a choisi les choses folles de ce monde pour rendre confuses les sages, et les faibles pour rendre confuses les fortes.

En sixième lieu ces gens accusaient Jésus-Christ d’être l’ennemi du culte divin et le destructeur de la religion, sous prétexte que de son côté il rejetait leurs cérémonies superstitieuses, et que de l’autre il préférait les œuvres de la loi morale aux actes du culte extérieur. C’est ce qui leur faisait dire, cet homme-ci n’est point de Dieu, car il ne garde pas le sabbat. Et ailleurs il est dit qu’ils se scandalisèrent de voir que ses disciples ne lavaient pas leurs mains quand ils prenaient leur repas car cela même était une de leurs cérémonies religieuses. Mais Jésus-Christ dissipa cette fausse accusation en plusieurs lieux, comme quand il déclare que Dieu qui est esprit, veut qu’on le serve en esprit et en vérité, ou quand il dit, que Dieu veut miséricorde plutôt que sacrifice, et que le sabbat est fait pour l’homme, et non l’homme pour le sabbat, ou lorsqu’il assure que toutes leurs cérémonies superstitieuses, n’étaient que des actes d’hypocrisie.

En septième lieu ils l’accusaient d’être ennemi des mortifications extérieures, sous prétexte qu’il mangeait et buvait, et que ses disciples ne jeûnaient point, et de cela même ils s’en faisaient un préjugé contre lui. Pourquoi, lui disaient-ils, les disciples de Jean jeûnent-ils souvent, et font des prières, et de même ceux des pharisiens, mais les tiens mangent et boivent ? Et ailleurs : Voici un mangeur et un buveur, un ami des péagers, et des mal vivants. Mais le Seigneur dissipant encore cette accusation, en distinguant les temps, et faisant voir que les mortifications et les jeûnes sont destinés pour les jours d’affliction extraordinaire, et non pour ceux où l’on reçoit des marques de la bénédiction de Dieu. Les gens de la chambre du nouveau marié dit-il, peuvent-ils jeûner pendant que le nouveau marié est avec eux ? Mais les jours viendront que le nouveau marié leur sera ôté, et alors ils jeûneront.

Ils avaient encore un huitième préjugé contre lui, c’est qu’ils le soupçonnaient d’être ennemi des puissances supérieures, et par conséquent de vouloir exciter des séditions et troubler la tranquillité publique. C’est pour cela qu’ils lui tendaient des pièges, afin de le faire parler contre les Romains. Maître, lui disaient-ils, nous savons que tu es véritable et que tu enseignes la voie de Dieu en vérité, sans te soucier de personnes, car tu ne regardes pas à l’apparence des hommes. Dis-nous donc ce qu’il te semble, est-il permis de payer le tribut à César, ou non ? Mais Jésus-Christ ne repoussa pas moins cette injuste accusation que les autres, lorsque leur ayant montré l’image de César gravé dans la monnaie, il leur répondit : Rendez donc à César les choses qui sont à César, et à Dieu celles qui sont à Dieu.

Enfin à tous ces méchants préjugés leur corruption en ajoutait deux autres, qui bien qu’ils fussent les moins équitables ne laissaient pas d’être les plus forts, l’un et que quoi qu’il en fût, il fallait toujours conserver le temporel, et se donner bien de garde de s’engager dans une mauvaise affaire qui aurait sans doute de fâcheuses suites, et où ils seraient dépouillés de leurs biens, et réduits à une dernière misère. C’est pourquoi dans l’assemblée qu’ils firent sur ce sujet, leur principal raisonnement fut celui-ci : Que faisons-nous, car cet homme fait beaucoup de signes. Mais si nous le laissons ainsi, chacun croira en lui, et les Romains viendront qui nous extermineront, et le lieu et la nation. L’autre était un préjugé de passion et de ressentiment fondé sur ce que Jésus-Christ découvrait librement leurs vices, et les censurait assez rudement. Maître, lui disaient-ils, en disant ces choses, tu nous outrages aussi. Par l’un de ces préjugés ils conclurent sa mort : Il est expédient qu’un homme meure, de peur que toute la nation ne périsse, et par l’autre ils inventèrent contre lui mille calomnies et le chargèrent d’injures disant que c’était un blasphémateur, un sacrilège, un samaritain, un séducteur, un démoniaque, un ministre du diable, un émissaire de Belzébub.

Y-eût-il jamais de préoccupations plus insensées ? Car pour la première, que profitera-t-il à l’homme de gagner tout le monde, s’il fait perte de son âme, ou que donnera-t-il pour récompense de son âme ? Et quant à l’autre il fallait non s’irriter, mais se corriger, faire son profit de la censure de Jésus, et non vomir contre lui des blasphèmes et des impiétés. Génération incrédule et de sens renversé, jusqu’à quand serai-je avec vous, jusqu’à quand vous supporterai-je ?

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Mais il est temps de passer à la seconde partie de notre discours, nous avons vu le crime, voyons à présent la peine. Quand le roi, dit la parabole, l’eut entendu, il se mit en colère, et ayant envoyé ses gendarmes il fit périr ces meurtriers-là, et il brûla leur villes.

Je ne prétends pas vous faire ici une exacte description de la désolation effroyable qui fondit sur les Juifs presque immédiatement après qu’ils eurent crucifié Jésus-Christ, rejeté les dernières offres de grâce et de paix que Dieu leur fit faire par ses serviteurs. Vous en savez l’histoire, et Dieu en conservant encore d’assez tristes monuments dans les débris qui restent de cette malheureuse nation pour n’en perdre pas le souvenir. Je désire seulement que vous y fassiez quelques remarques importantes, que notre texte nous fournira.

Quand le roi, dit la parabole, l’eut entendu. Ses premières paroles appliquées à Dieu, nous apprennent que rien ne peut échapper à sa connaissance ni à son jugement, ses yeux sont partout, il voit partout, il pénètre tout et l’on a beau se cacher dans des prétextes, et déguiser ses actions par des raisonnements spécieux, il en juge toujours selon la vérité. Quelques plausibles que parussent aux Juifs tous ces préjugés que nous venons de représenter, et quelque soin qu’ils prissent de se les persuader, ils n’empêchèrent pas que la voix du sang de Jésus-Christ ne montât au Ciel, et que Dieu ne l’entendit. Tous les faits que ces préjugés produisirent furent d’endormir la conscience de ces misérables et d’étouffer en eux le sentiment de leur crime, mais ils n’endormirent pas la justice divine, ni ne lui firent illusion, elle se rit de nos petits artifices, et comme toutes nos forces ne sauraient arrêter son bras quand elle veut punir, tous nos sophismes ne sauraient aussi tromper ses lumières quand elle veut juger.

Le roi, donc, l’entendit, et il se mit en colère. La patience de Dieu a ses bornes et ses mesures, il supporte longtemps nos péchés, et pour nous appeler à la repentance il n’interrompt pas même le plus souvent le cours de ses grâces envers nous, mais il ne serait pas raisonnable que ce support durât toujours. C’est pourquoi l’Écriture nous parle d’un certain temps auquel les iniquités des hommes sont accomplies, où Dieu se réveille pour visiter leurs péchés, et d’un certain jour auquel il aiguise la lame de son épée et où sa main saisit le jugement, pour faire tourner la vengeance sur ses adversaires, et pour le rendre à ceux qui le haïssent. La parabole exprime cela même par cette colère où elle dit que le roi se mit. Car cela signifie qu’après que les Juifs eurent abusé de toutes les faveurs que Dieu leur avait faites, qu’ils eurent méprisé sa vocation, qu’ils eurent poussé contre lui leurs crimes jusqu’à la dernière extrémité, en un mot après qu’ils eurent épuisé sa patience, il prononça contre eux l’arrêt de leurs pertes, et forma le dessein de les punir exemplairement. Dieu est bon, mais il est juste et quand sa bonté se trouve elle-même outragée, elle se change en fureur. Pour cette raison saint Paul après avoir dit aux Juifs : Tu méprises les richesses de sa bénignité, de sa patience, et de sa longue attente, ne connaissant pas que la bénignité de Dieu te convie à repentance, ajoute tout d’une suite : Mais par ta dureté, et ton cœur qui est sans repentance, tu t’amasses colère, pour le jour de colère, et de la déclaration du juste jugement de Dieu. Le roi donc se mit en colère. La colère du roi, dit Salomon, est comme le rugissement d’un jeune lion. Que sera-ce donc de la colère de Dieu, le Roi des rois, n’est-ce pas le rugissement de cent mille lions ?

Il envoya ses gendarmes, il fit périr ces meurtriers-là, et il brûla leur ville. Remarquez ici je vous prie les voies admirables de la providence divine. La ruine de Jérusalem, et de toute la Judée par les Romains fut un effet visible des crimes qu’ils avaient commis contre Jésus-Christ et contre son Évangile, les Romains eux-mêmes n’en savaient pourtant rien. Ils ne paraissaient nulle liaison entre Jésus-Christ, et leurs armes, ils furent excités contre les Juifs par d’autres intérêts, fort éloignés de celui-ci, ils vengeaient leurs propres querelles, et ils ne pensaient à rien moins qu’à venger celle du Messie, lequel ils ne connaissaient pas. Dieu qui est le Maître des hommes, et qui préside sur les mouvements de leur cœur, les tourne du côté qui lui plaît, et en les tournant il les ajuste et les adresse à ses fins d’une manière si imperceptible, et si sûre, que sans y penser, et quelquefois même contre leur pensée, ils font toujours ce qu’il a l’intention de faire. Les causes secondes sont dans ses mains, ni plus ni moins que des flèches dans les mains de celui qui les tire, elles ignorent leur chemin, elle ne savent où elles vont, mais celui qui s’en sert les dirige avec tant d’art, et de lumière, qu’elles ne manquent pas d’aller juste au but qu’il s’est proposé. C’est ce qui fait que les prophètes parlant de la première destruction de Jérusalem appelle le roi des assyriens qui en fut l’exécuteur, la verge de la fureur du Seigneur, et le bâton de son indignation, et maintenant Jésus-Christ parlant de la seconde, dont les Romains furent les auteurs, il les appelle les gendarmes du roi, c’est-à-dire les gendarmes de Dieu, Leroy, dit-il, qui envoya ses gendarmes.

Cette destruction fut donc l’œuvre de Dieu, et les Romains dans cette sanglante expédition n’étaient que ses gendarmes. Ce n’était ni Vespasien ni Tite qui les conduisait, mais c’était Dieu lui-même qui était leur chef et leur empereur invisible. Il présidait dans leur conseil, il y réglait les avis par les lumières de sa sagesse, il aplanissait les difficultés, il y formait les résolutions, et après les avoir formées ils les les faisaient heureusement réussir. En qualité de Dieu des batailles il ordonnait tout parmi eux, il exécutait tout, il animait leur courage, il leur inspirait la fureur, il relevait le cœur des faibles, il fortifiait leurs bras, il soutenait leurs épées, il dressait lui-même leurs machines, il aiguisait la pointe de leur javelot. Sa Providence était partout remplissant leurs rangs, commandant leurs bataillons, portant leurs grands aigles, marchant à leur tête, et couvrant leur corps d’armée de l’ombre de sa protection. Il faisait tomber devant eux les murailles des villes, il renversait les forteresses, il embrasait les cités, il disposait des victoires en leur faveur. L’horreur et l’effroi marchaient devant lui, la mort accompagnait ses pas, le sang coulait de toutes parts sous l’épée de sa justice, il désolait tout, il consumait tout. Alors il ne fallait plus dire qu’il faisait des vents ses anges, et de la flamme de feu ses ministres, car il était lui-même et son ange et son ministre, et ses vents et sa flamme de feu.

Pour mieux comprendre la grandeur de cette vengeance il s’en faut un peu de mots représenter tous les degrés, ou si vous voulez tous les caractères, autant que l’histoire nous les peut fournir, car par ce moyen on verra combien il est terrible de tomber entre les mains du Dieu vivant. Premièrement il déploya tout à la fois sur ce malheureux peuple des Juifs tous les plus épouvantables fléaux de sa colère, la sédition, la révolte, la guerre, la famine, la division entre eux, l’esprit d’étourdissement, le fer et le feu, les prodiges effrayants, les signes au ciel, et les monstres sur la terre. Ils se soulevèrent séditieusement contre leurs propres magistrats, ils secouèrent le joug des Romains, les attaquèrent en divers lieux et s’attirèrent leurs armes par la conduite du monde la plus insolente. Ils se déchirèrent ensuite eux-mêmes en plusieurs factions, la faim consumait ce que la guerre épargnait, et ce qui échappa aux mains cruelles de la guerre et de la famine, les flammes le dévorèrent. Ils marchaient à grands pas au-devant de leur malheur, et de quelque côté qu’ils se tournassent ils ne voyaient que des images funestes et menaçantes. Un seul de ces fléaux suffit pour un châtiment ordinaire, mais la justice divine voulue faire dans cette occasion quelque chose de singulier.

C’est ce qui vous paraîtra si vous considérez en second lieu, que non seulement Dieu joignait tous ces fléaux ensemble pour les déployer sur ce peuple, mais qu’il les déploya chacun dans le plus haut degré où ils pouvaient aller. La sédition alla jusqu’au massacre, qui firent couler des torrents de sang dans la Palestine, dans la Syrie, dans l’Égypte, et dans toutes les villes où les Juifs se trouvèrent mêlés avec les Romains, la guerre ne se termina qu’après une entière consomption des forces de la Judée, la famine alla jusqu’à contraindre les mères à manger la chair de leurs misérables enfants. La division s’établit si terrible au milieu d’eux, qu’après s’être déchirés en cent parties qui s’entre-tuaient tous les jours, après avoir plusieurs fois fait couler le sang des concitoyens, et dans les rues et dans les campagnes, enfin ils s’avisèrent de s’égorger les uns les autres un jour de fête solennelle dans le temple de Jérusalem, où la rage les avait assemblés plutôt que la dévotion. Quant à l’esprit d’étourdissement, il fut tel que par une opiniâtreté sans exemple ils refusèrent diverses fois la paix que les Romains leur offrirent, et lors même qu’il n’y eut plus rien à espérer pour eux du côté de la résistance, ils aimèrent mieux périr que d’accepter des conditions de salut. Le fer en fit tomber un nombre presque infini, le feu consuma leur ville depuis un bout jusqu’à l’autre sans y laisser rien d’entier, le ciel leur fit voir des comètes en forme d’épée de feu et des météores en forme d’armée combattante, enfin les monstres naquirent jusqu’au pied de leurs autels.

Mais il faut faire une troisième remarque. La vengeance divine alla encore plus loin. Dieu la fit tomber sur son propre temple. Ce temple, la merveille de toute l’Asie, le sanctuaire de la religion, où Dieu avait fait si longtemps sa demeure, où il avait été invoqué, servi, célébré, et où il avait rendu mille fois ses oracles, et exaucé les vœux de ses saints, ce beau temple, dis-je, le siège de la gloire, et de la majesté, l’image du Ciel, ou pour mieux dire un Ciel en terre, le trône de la divinité, fut enveloppé lui-même dans cette générale destruction. Les Romains frappés en quelque sorte du respect de la religion, et retenus par la sainteté du lieu, le voulurent sauver, Tite fit pour cela tous ses efforts. Mais Dieu qui en avait ordonné autrement rendit les efforts de cet empereur inutile. De sa main toute rouge de colère, il lança son feu sur ce temple et le brûla depuis le haut jusqu’au bas, et ensuite il en arracha les fondements. Les sacrificateurs sortant du milieu de ces cendres demandèrent la vie, mais Dieu par la bouche de Tite prononça son arrêt : Non, dit-il, puisque je n’ai plus de temple, je n’ai plus que faire de sacrificateurs, allez, race impure et perfide, je vous ai abandonné à ma malédiction, vous en serez accablés. Ce triste arrêt fut exécuté sur-le-champ, car de là, sans autre retardement, ils furent menés au supplice.

A cette troisième remarque il en faut ajouter une autre, qui est que cette vengeance divine fut irrévocable. Dieu qui voulut dès lors en donner des marques fit que les Romains passèrent la charrue sur la place où avait été Jérusalem et le temple, et la réduisirent en guérets. Les Juifs furent arrachés de toute la Judée et dispersés deçà et delà parmi les diverses nations qui composaient l’empire. Ils ne furent plus menés tous ensemble en captivité, comme ils l’avaient été autrefois en Babylone, mais ils furent répandus parmi les autres peuples, Dieu leur voulant donner par cela même un témoignage certain qu’ils ne seraient plus rassemblés. En effet voilà déjà plus de 1600 ans qui se sont écoulés pendant lesquels on peut dire en quelque sorte que ce misérable peuple n’a pu ni vivre ni mourir. On les voit errants parmi des étrangers et des inconnus, sans chef, sans ordre, sans magistrat, soumis aux lois de leurs adversaires, et portant écrites sur leur front en gros caractères ces exécrables paroles que leurs pères prononcèrent touchant Jésus-Christ : Que son sang soit sur nous et sur nos enfants. Dieu les a dépouillés de toutes les marques de son alliance, ils n’ont plus de Canaan, ils n’ont plus de temple, ils n’ont plus d’autel, ils n’ont plus de sacerdoce, ils n’ont plus de sacrifices, et ce qui est très considérable, les ennemis qui les détruisirent ont été eux-mêmes détruits, ces fiers Romains ne sont plus, leur empire a pris fin, les nations qu’ils avaient subjuguées ont repris leur ancienne liberté. Mais quant à vous, meurtriers de Jésus-Christ, enfants bâtards d’Abraham vous n’êtes plus Isaac, vous êtes devenus Ismaël, votre main est contre tous, et la main de tous est contre vous. Quand Moïse rompit les tables de votre loi, Dieu les rétablit, mais à présent que Dieu lui-même les a rompus, qui est-ce qui les rétablira ?

Je ne sais si après ce que je viens de dire et qui est tout fondé sur des faits notoires et constants, nos profanes qui révoquent en doute la vérité de la religion chrétienne, auront encore quelque chose à répliquer. Cette effroyable ruine des Juifs, soit qu’on la considère en elle-même, soit qu’on la regarde dans ses circonstances, ne marque-t-elle pas assez visiblement la grandeur de leur crime, et la grandeur de leur crime n’est-elle pas une preuve évidente de la divinité de notre Évangile qu’ils ont outragé, et que Dieu a vengé d’une manière si éclatante ? Dira-t-on qu’il ne faut pas attribuer cet accident à aucune vengeance particulière de Dieu, mais qu’il faut la ranger simplement dans l’ordre des choses humaines où il arrive souvent de semblables révolutions. Mais outre que la justice du Ciel paraît si manifestement dans celle-ci, il faut s’aveugler volontairement soi-même pour ne la pas voir ; que peut-on dire à cette parabole, car elle n’est pas historique, elle est prophétique ! Jésus-Christ l’a proposé non seulement plusieurs années avant que la chose arriva, mais même avant qu’il y en eût aucune apparence, pendant que les Juifs jouissaient d’une profonde prospérité, pendant qu’ils étaient en paix avec les Romains, et avec tous les autres peuples. Et ce n’est pas seulement une fois qu’il leur a prédit ce malheur, et qu’il a marqué formellement la cause, il l’a fait plusieurs fois, comme dans la parabole des vignerons, ou après avoir dit que les vignerons mirent à mort le fils du maître de la vigne, il ajoute incontinent : Que fera donc le Seigneur de la vigne. Il viendra et fera périr ces vignerons-là, et donnera sa vigne à d’autres. D’ailleurs il est dit que voyant la ville de Jérusalem, il pleura sur elle, disant : Ô si toi aussi tu eusses connu en cette tienne journée les choses qui appartiennent à ta paix ; mais maintenant elles sont cachées de devant tes yeux. Car les jours viendront que tes ennemis t’assiégeront, et t’environneront de toutes parts, et te détruiront toi et tes enfants, et ne laisseront en toi pierre sur pierre, parce que tu n’as pas connu le temps de ta visitation.

Mais si l’impudence des profanes va jusqu’à cet excès que de nier la vérité de ces prédictions de Jésus-Christ, parce que ce sont des faits rapportés par nos évangélistes, que diront-ils de celle de Moïse que les Juifs eux-mêmes, nous ont données et qui se trouvent encore aujourd’hui dans leurs propres Écritures. Car voici de quelle manière il parle au 28me chapitre du Deutéronome :

Dieu fera venir contre toi de loin, savoir du bout de la terre une nation qui volera comme vole l’aigle, une nation de laquelle tu n’entendras pas le langage, une nation impudente qui n’aura point d’égard à la personne de l’ancien, et qui n’aura point pitié de l’enfant. Elle ne te laissera rien de reste, ni froment, ni vin, ni huile, ni la portée de tes vaches, ni les brebis de ton troupeau ; jusqu’à ce qu’elle t’ait ruinée. Et elle t’assiègera en toutes tes villes jusqu’à ce que tes murailles les plus hautes et les plus fortes sur lesquelles tu te seras assuré dans tout ton pays, tombent à terre, elle assiégera toutes tes villes par tout le pays que le Seigneur ton Dieu t’aura donné. Tu mangeras le fruit de ton ventre, la chair de tes fils et de tes filles que l’Éternel ton Dieu t’aura donnés durant le siège, et la détresse dont ton ennemi te serrera. L’homme le plus tendre et le plus délicat d’entre vous regardera d’un œil malin son frère et sa femme bien-aimée et le reste de ses enfants, pour en donner à aucun de la chair de ses enfants, laquelle il mangera. Et de même la plus tendre et la plus délicate femme d’entre vous, qui n’aura pas essayé de mettre la plante de son pied sur la terre, regardera d’un œil malin son mari bien-aimé, son fils, et sa fille, et l’enveloppe de son petit enfant qui sortira d’entre ses pieds, et les enfants qu’elle enfantera, car elle les mangera en secret, pour la disette où elle sera de toute chose à cause du siège et de la détresse dont ton ennemi te serrera en toutes tes villes… Et il adviendra que comme l’Éternel s’est réjoui sur vous en vous faisant du bien, et en vous multipliant, aussi se réjouira-t-il sur vous en vous faisant périr et en vous exterminant, et vous serez arrachés de dessus la terre que vous allez posséder, l’Éternel vous dispersera parmi tous les peuples, depuis un bout de la terre jusqu’à l’autre.

Telle fut alors la menace, et telle aussi a été dans la suite l’exécution, Dieu l’a fait comme il l’avait dit, et l’événement a justifié la prophétie.

Apprenons, mes frères, de ce grand et terrible exemple, à connaître et à craindre la justice divine, et vous profanes, soyez-en saisis d’étonnement. Il n’est plus ici question de chicaner et d’ergoter sur la religion chrétienne, il s’agit de trembler à la vue du plus épouvantable objet qui se présenta jamais aux yeux des hommes. Quand un pyrronien est seul et en repos dans son cabinet il peut philosopher à son aise, et chercher des arguments pour révoquer en doute les choses les plus sensibles, mais quand il est en plein air et qu’il voit l’orage crever et le tonnerre tomber auprès de lui, que le tonnerre fracasse les grands arbres et embrasse les maisons, qu’il voit dans un tremblement de terre le feu qui descend du ciel et qui monte en même temps de l’abîme, et des villes entières englouties ou consumées, alors il ne s’agit plus de faire le subtil, il faut être effrayé, il faut sentir malgré qu’on en ait l’effet de ce qu’on ne veut pas croire. Il en va ici de même ; s’il s’agissait de dogme et de mystère, nos esprits forts pourraient faire les chagrins et les difficiles, mais il s’agit d’une foudre qui est partie de la plus puissante main qui soit dans tout l’univers, il s’agit d’une plaie incurable qui saigne encore, et qui a saigné depuis mille six-cents ans, il s’agit d’un incendie qui fume à nos yeux et qui fumera jusqu’à la fin du monde, et qui ne peut n’en être pas épouvanté ? J’avoue que Dieu ne déploie pas tous les jours ses jugements d’une manière si éclatante, aussi ne s’en présente-t-il pas tous les jours de semblables occasions, le Fils de Dieu ne descend plus sur la terre pour être personnellement crucifié. La ruine des Juifs est un événement singulier, et de là vient que l’Écriture nous la représente comme une image du jugement dernier et de la fin du monde.

Mais en gardant la proportion je dis que Dieu ne laisse point les crimes des hommes impunis, et surtout ceux qui outragent ou qui méprisent son Évangile, et si nous voulions ouvrir les yeux pour reconnaître les voies de la providence, tous les siècles, et le nôtre même, nous en fourniraient des exemples assez remarquables. Apprenez donc à craindre, et sachant ce que c’est que de la frayeur du Seigneur, souffrez au moins qu’on vous induise à la foi. Pendant que Dieu se tient caché dans la nuée de sa miséricorde et de sa longue attente, et qu’il a pour ainsi dire les bras liés, vous ne concevez ni sa puissance, ni sa colère, ni sa justice, mais sachez que si vous vainquez sa patience par votre dureté, la victoire vous en coûtera cher. Souvenez-vous de ce que Dieu disait au méchant dans le psaume cinquante, car après lui avoir représenté ses péchés, il ajoute : Tu as fait ces choses, et parce que je m’en suis tu, tu as cru que j’étais semblable à toi, mais je t’en rédarguerai, et je déduirai le tout par ordre en ta présence. Il est vrai que Dieu a mis également nos maux, et nos biens, nos punitions, et nos récompenses entre les idées de l’avenir, mais ce que saint Paul a dit pour la consolation du juste, si le Seigneur tarde attends-le, car il viendra et ne tardera, nous le pouvons dire encore à plus forte raison pour imprimer de la terreur au méchant, si la justice divine tarde elle viendra et ne tardera point. C’est à mon avis ce qu’on peut dire à plus forte raison des effets de sa justice que de ceux de sa bonté, car il n’y a rien dans le méchant qui ne hâte sa justice, au lieu que sa bonté trouve dans les plus justes mille sujets de retardement.

Mais, dira-t-on, pourquoi nous parlez-vous ainsi, nous ne sommes par la grâce de Dieu, ni méchants, ni profanes, ni infidèles, nous croyons en Jésus-Christ, et nous avons fait profession de son évangile ? Mes frères, je sais que nous faisons tous profession d’être chrétiens, et que s’il ne s’agissait que de condamner l’action des Juifs, aucun de nous ne voudrait en entreprendre la défense. Je suis même persuadé que encore qu’il y ait parmi nous plusieurs profanes et plusieurs mondains qui ne font aucun état de la religion, il y a pourtant plusieurs bonnes âmes qui désirent de faire leur salut, et si cela n’était pas, Dieu ne nous conserverait pas comme il le fait le ministère de sa parole. Mais ne nous rendons-nous pas pour la plupart tous les jours indignes de sa grâce par ce grand nombre de péchés que nous commettons, et par le peu de compte que nous faisons de l’Évangile ? Nous sommes intéressés et avares, durs, inflexibles, injustes, et violents, fiers, et arrogants, sensuels, et adonnés à nos plaisirs, envieux, médisants, malins, implacables comme le reste des hommes, et comment pouvons-nous nous glorifier de notre christianisme ? C’est sur cela que Dieu nous fait entendre sa voix depuis fort longtemps, il nous exhorte, il nous censure, il nous presse, il nous sollicite, il nous châtie, il nous supporte, et cependant combien sont petits les fruits qu’il a recueillis jusqu’ici de tant de soins ? Nous avons donc un juste sujet d’appréhender qu’enfin il ne s’irrite contre notre négligence et notre ingratitude, et nous l’avons d’autant plus que quelques menaces qui nous ait faite, et quoi qu’il est déjà commencé d’exécuter contre nous, on ne voit nul amendement au milieu de nos troupeaux. Nous sommes déjà tout meurtris des coûts de sa verge, et pas un de nous, ne se met pourtant en peine de l’apaiser. On ne songe pas même à sa colère, car on est si fort occupé des idées de la terre, on a ses yeux si attachés sur les causes secondes, qu’on ne s’élève presque jamais jusqu’à la Providence divine pour en reconnaître les voies, dans les afflictions publiques qui nous arrivent.

Que pouvons-nous donc espérer, ou pour mieux dire que nous devons-nous pas craindre de notre état, puisque nous sommes sourds à sa parole et aveugle à ses jugements, également insensibles à sa voix, et aux coups de sa verge ? Un des plus mauvais signes qu’on puisse remarquer dans un malade, est que les remèdes qu’on emploie pour sa guérison, au lieu de lui profiter ont un effet tout contraire à la pensée du médecin, car c’est une marque infaillible que la nature défaut, et que la mort approche. Je ne sais ce qui nous arrivera, mais il est vrai qu’on voit en nous quelque chose de fort semblable. Les remèdes que Dieu a jusqu’à présent employés pour notre conversion, n’ont point produit d’autre effet que de nous endurcir de plus en plus dans nos vices, il semble que nous soyons cette terre dont saint Paul parle au sixième chapitre de l’épître aux hébreux, laquelle boit souvent la pluie qui vient sur elle mais qui ne produit pourtant que des épines et des chardons. Car quant à la parole, soit qu’elle soit forte, ou soit qu’elle soit douce, il n’importe, soit qu’elle se tienne dans les plus simples termes de l’exhortation, où qu’elle aille jusqu’aux censures et aux menaces tout est égal, elle n’a plus d’efficace sur nous. Nous ne la regardons plus que dans une seule vue qui est celle de notre divertissement, et désormais ce n’est plus à la conscience qu’il faudra prêcher, c’est à l’esprit et à l’imagination. Et quant aux afflictions dont Dieu nous visite, elles n’ont pas un meilleur succès. D’un côté ils nous dépouillent peu à peu de nos biens temporels, il appauvrit nos familles à vue d’œil, il fait tomber sa verge sur ce que nous aimons le plus, sur nos maisons, sur nos champs, sur nos affaires, sur nos prétentions. Mais que produit cela si ce n’est le malheur de nous rendre plus ardents et plus attachés à la poursuite de ces faux biens, plus ils fuient, et plus nous les suivons. Nous courons, et nous crions après celui qui nous les emporte comme après un ennemi, de la même manière que Laban courut après Jacob en lui disant : Pourquoi m’as-tu dérobé mes dieux ? Mais il n’en est pas de même lorsque Dieu nous châtie dans les choses qui appartiennent immédiatement à la religion, comme lorsqu’il abat nos temples, qu’il nous ôte en plusieurs lieux la liberté de nos assemblées, qu’il nous ravit les moyens de nous avancer dans la connaissance de ses mystères, et ceux de nous fortifier et de nous consoler nous-mêmes dans nos angoisses. Car à cet égard au lieu de nous faire courir avec plus de force après ces biens célestes, et de nous les faire désirer plus ardemment, ce qui serait le plus juste effet que cette affliction devrait produire en nous, elle n’en produit point d’autre que de nous accoutumer à leurs privations, et de nous faire regarder notre religion comme une religion mourante, à qui nous disons : Va t’en en paix. Mais misérables, si elle s’en va, que deviendrez-vous ? Pourrez vous bien vivre sans elle, et ne craignez-vous point de tomber dans cette faim terrible de la Parole de Dieu dont les prophètes menaçaient autrefois les Juifs ? Et quand vous pourriez vivre sans elle, pourriez-vous bien mourir sans elle, et ne la regretterez-vous pas quand vous serez sur le point d’aller comparaître devant le tribunal de votre souverain juge ? Ne vous souvenez-vous point de l’état où se trouvait David lorsqu’il faisait son séjour au milieu des Philistins, et qu’il était privé des consolations de la religion :

Comme le cerf, dit-il, brame après le secours des eaux, ainsi mon âme aspire après toi, ô Dieu ! Mon âme a soif de Dieu, du Dieu fort et vivant. Ô quand entrerai-je, et me présenterai-je devant la face de Dieu. Mes larmes m’ont tenu lieu de pain et jour et nuit, lorsqu’on me disait : Où est ton Dieu. Je dirai au Dieu fort, qui est mon rocher, pourquoi m’as-tu oublié ! Pourquoi cheminerais-je tout noirci de deuil pour l’oppression de l’ennemi. Mes adversaires m’ont fait outrage, mais ce qui a été comme une épée dans mes os, est lorsqu’il m’ont dit par chaque jour, où est ton Dieu ?

Mais, direz-vous, cela n’arrivera jamais, car Dieu lui-même est intéressé dans la conservation de sa religion. Que cette espérance est fausse et frivole ! J’avoue que Dieu est intéressé à la conservation de sa religion, mais pensez-vous que la religion périsse quand Dieu vous en privera ? Non sans doute, elle ne périra pas, mais vous périrez, et vous périrez avec justice. Il transportera son chandelier ailleurs, il le donnera à d’autres peuples qui en useront mieux que nous n’avons fait, ou pour parler dans les termes de l’Écriture, il louera sa vigne à d’autres vignerons qui leur rendront les fruits en leur saison. Entre tous les préjugés des Juifs que nous avons représentés, le plus méchant était celui qui leur faisait dire, nous sommes à la postérité d’Abraham, et quoique nous fassions, Dieu ne saurait avoir d’autres peuples que nous. Mais Dieu confondit la vanité de cette confiance, et selon la prédiction de Jean-Baptiste, d’entre les pierres mêmes, il suscita d’autres enfants à Abraham. Prenons garde qu’il ne nous arrive la même chose, si nous continuons à nous rendre indignes de la grâce que Dieu nous a faite, il se pourvoira d’un autre peuple et il nous abandonnera.

Prévenons, mes frères, un si grand malheur, et pour cet effet recourons à la miséricorde de Dieu pour lui demander avec toute l’ardeur et toute l’humilité dont nous sommes capables le pardon de tant d’ingratitudes, et de tant de péchés que nous avons commis contre lui. Recourons à l’amour de Jésus-Christ, et en l’attendrissant envers nous, disons-lui ce que les disciples lui disaient à Emmaüs : Demeure Seigneur avec nous, car notre soir commence à venir, et notre jour est déjà décliné. Et pour l’avenir amendons-nous, profitons des enseignements de la Parole de Dieu, faisons-la fructifier abondamment au milieu de nous, afin qu’il plaise à Dieu de nous la conserver, sanctifions nos cœurs et nos corps, et en nous détachant des objets du monde. Appliquons-nous de plus en plus à ceux de l’éternité. Laissant les choses qui sont derrière nous, avançons-nous vers le but de la vocation d’en-haut. C’est Dieu qui nous y appelle, veuille lui-même nous y conduire, et nous rendre un jour participant de la gloire et de la félicité qu’il a promise. Et à lui Père, Fils, et Saint Esprit soit honneur et gloire dès maintenant et à jamais. Amen !

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