La Parabole des Noces

Sermon troisième

Mes Frères,

Lorsque nous jetons les yeux sur cette profondeur des richesses de la sagesse et de la connaissance de Dieu, dont Saint-Paul parle dans son épître aux Romains, un des plus admirables mystères qui s’y découvrent d’abord, c’est celui de la distinction que Dieu a faite des peuples en deux ordres laissant les uns dans les ténèbres de leur ignorance naturelle, éclairant les autres de la lumière de sa parole. Il pouvait sans doute les traiter tous d’une même manière, ou en les appelant tous également à sa grâce, ou en les abandonnant tous également à la rigueur de sa justice. Mais s’il eût fait sentir à tous les effets de sa justice, le démon eût éternellement triomphé de la créature, et Dieu lui-même eût vu périr pour toujours entre les hommes, son culte et sa religion. Si d’autre part il eût fait tous les hommes participants de la révélation de sa grâce, la haine naturelle qu’il a pour le crime avait été obscurcie, et la grâce elle-même n’en eût pas assez paru. Il était donc convenable qu’il garda ce tempérament de sagesse qui consistait à distinguer les hommes, c’est-à-dire à faire connaître aux uns sa miséricorde, et à laisser les autres dans l’ignorance de son secret. C’est par ce principe qu’au commencement Dieu sépara du reste des nations la famille d’Abraham, le peuple d’Israël, pour lui être, comme dit Moïse, un royaume de sacrificateurs, et une nation sainte pendant qu’il négligeait tous les autres peuples. Et pour donner un symbole visible de cette séparation, il voulut dès le moment qu’il les retira d’Égypte, mettre entre eux et les Égyptiens une nuée, qui du côté des Égyptiens n’étaient que ténèbres, et du côté des Israélites n’était que lumière. Mais quelque admirable que soit ce mystère, il faut pourtant avouer qu’il y a en a un autre qui l’est beaucoup plus, et qui rend beaucoup plus impénétrable cette profondeur de la sagesse divine.

C’est que tout l’avantage de cette séparation ayant été durant plusieurs siècles du côté des Israélites, et le désavantage du côté des Gentils, Dieu tout d’un coup dans l’accomplissement des temps à tourné sa nuée mystique, et a mis les ténèbres où la lumière était auparavant, et la lumière où étaient les ténèbres. La justice et la miséricorde sont demeurées dans leurs fonctions, mais elles ont changé de situation et d’objets. Et Dieu a fait sentir sa colère au peuple pour qui il avait eu tant d’amour, il a au contraire donné son amour à ceux pour qui jusqu’alors il n’avait témoigné que de la colère. Il a rejeté ceux qu’il avait autrefois choisis, et il a choisi ceux qu’il avait autrefois rejetés. C’est là en partie le sujet de cette parabole dont nous avons entrepris de vous donner l’explication. Nous vous fîmes voir dans notre dernière action, de quelle sorte Dieu traita les Juifs, et comment il vengea sur cette misérable nation l’outrage qu’ils avaient fait à ses serviteurs, et à son Fils même, en refusant de venir à ses noces. Mais bien loin que cet épouvantable accident est troublé ou interrompu ses noces évangéliques, il n’a fait au contraire que les rende plus authentiques, et plus célèbres, ayant donné lieu à la vocation des Gentils que Dieu avait si longtemps négligés. Écoutez-nous donc je vous prie attentivement, pendant que nous vous expliquerons cette partie de notre parabole qui parle de ce qui arriva après que le roi eut exterminé les meurtriers de ces serviteurs.

Alors le roi, dit notre texte, dit à ses serviteurs, or bien les noces sont apprêtées mais ceux qui étaient conviés n’en étaient pas dignes. Allez donc aux carrefours des chemins, et autant que vous en trouverez, conviez-les aux noces. Les serviteurs donc sortirent vers les chemins, et en assemblèrent autant qu’ils en trouvèrent, tant mauvais que bons, tellement que le lieu des noces fût rempli de gens qui étaient à table.

Ces paroles se divisent d’elle-même en deux points, le premier contient ce que le roi dit à ses serviteurs, et le second ce que les serviteurs firent pour exécuter l’ordre qu’ils avaient reçu. L’un est la vocation des Gentils, en tant qu’elle a Dieu pour auteur, et l’autre cette même vocation en tant qu’elle a été exécutée par les ministres que Dieu avait choisis pour cela.

*

Pour commencer donc par ces premières paroles, les noces sont apprêtées, Jésus-Christ nous met d’abord devant les yeux tout ce que Dieu avait fait jusque-là pour disposer les choses à la publication de son Évangile. Car c’est ce que veut dire cet apprêt des noces. En effet la providence divine avait pris pour cela des soins inconcevables. D’un côté la loi qu’il avait donnée aux Israélites convainquait les hommes de leurs péchés, et leur faisait voir évidemment les droits de la justice éternelle qui demandait leur damnation. Elle les humiliait devant la majesté infinie de leur Créateur, en leur enseignant que l’homme n’est que cendre et que poudre en la présence de son Dieu. Elle les couvrait de confusion par le sentiment de leur crime, et les remplissait de frayeur à la vue des peines qui les attendaient. Le joug des cérémonies les fatiguait, et l’esprit de servitude qui accompagnait tout ce ministère ne manquait pas de produire en eux ces violentes agitations que saint Paul décrit au septième chapitre de l’épître aux Romains, et qui produisait enfin cette exclamation funeste, misérable que je suis, qui me délivrera du corps de cette mort ! D’autre part Dieu avait répandu partout dans les livres de ces prophètes ce grand nombre d’oracles dont nous vous parlions dans notre première action, et ses oracles marquaient et promettaient tous la venue d’un Messie et d’un libérateur. Ils le désignaient par tout ces traits et par tout ces caractères sans en oublier un seul. Ils commandaient aux hommes de l’écouter avec attention, et avec respect, de le recevoir avec obéissance de foi, de le regarder comme leur justice, leur lumière, et leur salut, de mettre leur confiance en lui, et d’aller chercher dans cette grande espérance le remède de tous leurs maux.

Dieu avait fait quelque chose de plus, car il avait tracé dans tout le ministère légal un nombre presque infini d’images ou de portraits du Messie, et il les avait exposés aux yeux des hommes, afin qu’ils en eussent l’idée toujours présente pour ne pas méconnaître quand il paraîtrait. Enfin après avoir laissé les hommes dans cette attente pendant tout le temps que sa providence avait marqué, il avait envoyé son Fils, le Messie était venu lui-même, il était venu tout à fait tel qu’il avait été désigné, et qu’on le devait attendre, conçu du Saint Esprit, né d’une vierge, né à Bethléem, rejeton de la famille presque éteinte de David, précédé de son précurseur, humble lui-même, sans forme et sans apparence, juste pourtant, et patient, zélé, charitable, débonnaire, faisant des miracles, et recevant témoignage du Ciel. C’était là les préparatifs de la noce, tout était prêt, et il ne manquait plus rien que d’avoir les conviés, et d’ouvrir le festin.

Au reste ces paroles, les noces sont apprêtées, mais ceux qui étaient conviés n’en étaient pas dignes, méritent une particulière considération. Car c’est le discours d’un roi qui ne veut point différer sa noce, pour l’ingratitude des conviés, ni perdre le fruit de ses soins et de ses préparatifs. En effet l’œuvre pour laquelle le Messie était envoyé, sa rédemption, et son Évangile étaient d’un prix et d’un mérite trop grand, pour être ainsi abandonnés sans succès, et soit que vous considériez la majesté de la personne du Fils de Dieu, ou la dignité de sa satisfaction, ou la gloire de sa communion, ou la sainteté de ses lois, où la divinité de ses exemples, soit que vous regardiez la miséricorde éternelle du père, dont il était et l’auteur et le dispensateur, soit que vous ayez égard à toutes ces préparations dont je viens de vous parler, il n’eût été ni de la justice ni de la sagesse de Dieu de laisser tout cela sans en tirer aucun fruit. Il fallait qu’il y eût non seulement des conviés, mais des conviés qui vinssent actuellement aux noces, c’est-à-dire des fidèles qui obéissent à leur vocation, et qui reçoivent l’Évangile. Car s’il n’y eût point eu de fidèles, le salut que Jésus-Christ nous a acquis, et toute sa médiation fût demeurée inutile, contre ce que Dieu proteste dans Ésaïe :

Comme la pluie, dit-il, et la neige descendent du ciel et n’y retournent plus, mais arrosent la terre, et la font produire et germer, tellement qu’elle donne la semence au semeur, et le pain à celui qui mange. Il en sera de même de ma parole qui sera sortie de ma bouche, elle ne retournera point vers moi sans effet, mais elle fera tout ce en quoi j’aurais pris plaisir.

C’est pourquoi vous trouverez dans les anciens prophètes qu’un des principaux caractères qu’ils attribuent à la nouvelle alliance pour la distinguer de la première, et que la première a été rompue et violée par la rébellion des hommes, au lieu que dans la seconde Dieu écrit ses lois dans nos cœurs, et les grave dans nos entendements, afin que nous lui obéissions. Et de même dans la parabole du semeur, vous voyez bien qu’une partie de la semence tombe dans le chemin, ou entre les épines, ou parmi les pierres, mais vous voyez aussi qu’il y en a toujours une autre partie, qui tombe dans une bonne terre où elle prend racine, et produit le fruit pour lequel elle est destinée.

Mais, direz-vous, que veulent dire ces paroles, ceux qui étaient conviés n’en étaient pas dignes ? Car il est vrai qu’ils n’en étaient pas dignes, mais s’il en faut avoir de dignes où est-ce qu’on les trouvera ? Tous les hommes ne sont-ils pas plongés dans la corruption commune, et les autres peuples n’étaient-ils pas impies, séditieux, idolâtres, éloignés de la connaissance et de la communion du vrai Dieu, beaucoup plus même que les Juifs, quelle dignité pouvait-il donc y avoir en ces gens-là ? Pour éclaircir cette difficulté, il faut remarquer que c’est une figure assez ordinaire dans le style de l’Écriture de mettre l’expression négative pour l’affirmative, comme dans cet exemple : je ne prends point honte de l’Évangile de Jésus-Christ, pour dire, je m’en glorifie, et dans cette autre, Dieu n’a pas épargné son propre Fils, Pour dire qu’il a déployé sur lui toutes les rigueurs de sa justice. Il en est donc ici de même, ils n’en n’étaient pas dignes, c’est-à-dire ils s’en étaient rendus entièrement indignes. Mais outre cela il faut prendre cette expression dans ce sens de comparaison, c’est-à-dire qu’ils s’en étaient rendus beaucoup plus indignes que les autres peuples. Et cela même doit être entendu en deux manières ou dans deux sens, l’un qu’ils s’étaient mis dans un état entièrement incompatible avec la grâce de la vocation, ce que les autres peuples n’avaient pas encore fait, lorsqu’ils avaient mérité d’en être absolument exclus, et qu’ils l’avaient mérité beaucoup plus que les autres peuples.

Je dis premièrement qu’il s’étaient mis dans un état incompatible avec la grâce de la vocation évangélique. Car qu’y a-t-il de plus incompatible avec la grâce de la vocation qu’un refus opiniâtre qu’on en fait, une réjection obstinée des offres de la miséricorde divine, accompagnée d’un dernier effort de malice qui s’en prend à la miséricorde même, qui la traite d’ennemie, et qui va jusqu’à la persécution sanglante de ceux mêmes qui vous y appellent. Or c’est l’état où nous vîmes les Juifs dans notre première action. Après avoir maltraité les prophètes, négligé les anciens oracles, méprisé la parole de Dieu, crucifié le Messie, rejeté son Évangile, ils allèrent jusqu’aux dernières persécutions contre les apôtres, et les autres serviteurs de Dieu qui leur prêchaient les mystères du Royaume des cieux. Mais je dis en second lieu que par ce procédé ils avaient mérité d’être désormais entièrement exclus de cette vocation. Car cette fière et dure obstination, cette persécution violente, contre Jésus-Christ et ses ministres, ne pouvait manquer d’irriter la justice de Dieu contre eux, jusqu’à faire cesser absolument l’honneur qui leur faisait de les appeler. Sa sagesse donc et sa justice y étaient également intéressées. Sa sagesse, car : On ne jette point les perles devant les pourceaux, et l’on ne donne pas les choses saintes à des chiens. Sa justice aussi, car : Si ceux qui avaient méprisé la loi de Moïse mourraient sans aucune miséricorde, combien pires tourments pensez-vous que mérite celui qui aura foulé aux pieds le Fils de Dieu et qui aura tenu pour profane le sang de son alliance.

C’est pourquoi Jésus-Christ qui voyait bien ce que cette malheureuse conduite des Juifs devait produire, leur a souvent prédit ce qui leur est arrivé à cet égard, voici, leur dit-il au 13me chapitre de Saint Luc, votre maison s’en va vous être laissée déserte, et ailleurs, le Royaume de Dieu vous sera ôté et sera donné à une nation qui en rapportera les fruits.

Mais suivant votre texte, le roi dit à ses serviteurs, allez aux carrefours des chemins, et autant que vous en trouverez conviez-les aux noces. C’est ici l’ordre que Dieu donne pour la vocation des Gentils, sur quoi il faut faire d’abord cette réflexion, que cette vocation n’est pas l’œuvre de la permission de Dieu, comme le sont tous les succès des fausses religions, mais que c’est l’œuvre de sa bonté et de sa miséricorde, une bonne œuvre qu’il commande, ou pour mieux dire qu’il fait lui-même, qu’il approuve, et qui lui est agréable. Car c’est en cette qualité que le Seigneur la lui attribue, en lui faisant dire à ses serviteurs, allez aux carrefours des chemins, et autant que vous en trouverez conviez-les aux noces. C’est aussi en cette qualité que les prophètes avaient prédit plusieurs siècles avant que Jésus-Christ en parlât, et que la chose arrivât ; car Dieu l’avait déclaré dans les oracles anciens comme la plus grande et la plus glorieuse de toutes ses œuvres. Il n’y a sans doute pas un de vous qui ignore cette vérité, mais comme elle est d’une très grande importance et qu’elle fournit un argument convaincant pour la divinité de notre religion, contre les incrédules et les profanes, il ne sera pas hors de propos d’y insister un peu, et de rapporter ici quelques-unes de ses prédictions.

Une des premières est celle que Dieu fit lui-même à Abraham dans l’alliance qu’il traita avec lui, où il lui dit en propres termes : Qu’en sa semence seraient bénites toutes les nations de la terre. Je ne vous dirai pas que par cette semence on ne peut entendre que le Messie, car quant au peuple des Juifs, bien loin qu’on puisse dire que toutes les nations aient été bénites en lui, qu’au contraire ils prétendent que pour l’amour d’eux Dieu a abandonné tous les autres peuples. En effet avant la venue de Jésus-Christ la bénédiction de Dieu, c’est-à-dire son alliance, et sa communion était si particulière aux Israélites que hors de l’enceinte de la Palestine, il n’y avait que mort et malédiction. Il suffit de vous faire remarquer que ces paroles signifient clairement que la bénédiction dont Dieu honorait Abraham en se faisant connaître à lui, et en lui promettant d’être son Dieu et le Dieu de sa postérité devait un jour se répandre sur toutes les nations, et par conséquent que les nations devaient être appelées à la connaissance et au service du vrai Dieu. A cette première prophétie faut ajouter celle de Jacob au 49me chapitre de la Genèse. Le sceptre, dit-il, ne se départira point de Judas, ni le législateur d’entre ses pieds jusqu’à ce que le Scilo vienne, et à lui appartient l’assemblée des peuples. Car que peut signifier cette assemblée des peuples, si ce n’est la vocation des Gentils et leur conversion des idoles à Dieu sous la direction du Messie. Vous trouverez la même chose au 32me ch. du Deutéronome où Moïse introduit Dieu se plaignant de l’ingratitude et de l’infidélité des Israélites, puis tout d’une suite il ajoute comme de sa part ses paroles :

Ils m’ont ému à jalousie par ce qui n’est point le Dieu fort, ils ont provoqué ma colère par leurs vanités, et moi je les émouvrai à jalousie par un peuple qui n’est point un peuple, et je les provoquerai à colère par une nation folle.

Qui ne voit-là, la vocation des Gentils ! Ils y sont assez marqués par ces expressions, un peuple qui naît. Peuple, une nation folle, et leur vocation ni clairement représentée par cette jalousie à laquelle il dit qu’il provoquera les Juifs, à cause d’eux. Car cela veut dire qu’il donnera son amour et son alliance à cette nation qui était auparavant folle, et que comme les Juifs avaient donné leur cœur à d’autres qu’à Dieu, de même il donnerait le sien à d’autres qu’à eux. David de s’en était pas expliqué moins clairement que Moïse, car il y a dans ses psaumes je ne sais combien de déclarations semblables à celle-là. Ainsi au psaume 22, parlant au nom du Messie il lui fait dire :

Je te louerai dans la grande assemblée, je rendrai mes vœux en la présence de ceux qui te craignent. Les débonnaires en mangeront et ils seront rassasiés ceux qui cherchent l’Éternel le loueront, votre cœur vivra à perpétuité. Tous les bouts de la terre en auront souvenance, et se convertiront à l’Éternel, et toutes les familles des nations se prosterneront devant toi. Car le règne appartient à l’Éternel et il domine sur les nations.

Ainsi au psaume 66 :

Toute la terre, dit-il, jetez des cris de réjouissance à Dieu. Psalmodiez la gloire de son nom, et rendez sa louange glorieuse. Toute la terre se prosternera devant toi, et elle te psalmodiera.

Et au psaume 67 :

les peuples te célébreront, ô Dieu, tous les peuples te célèbreront. Les nations se réjouiront, et chanteront de joie, car tu jugeras les peuples en équité, et tu conduiras les nations parmi la terre.

Dans le psaume 72, il décrit le règne du Messie en ces termes :

Le juste fleurira dans son temps, et il y aura une paix profonde jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de lune. Même il dominera depuis une mer jusqu’à l’autre, et depuis le fleuve jusqu’au bout de la terre. Tous les rois se prosterneront devant lui et toutes les nations le serviront.

Il prophétise la même chose au psaume 96 :

Vous familles des peuples, dit-il, attribuez à l’Éternel gloire et force. Attribuez à l’Éternel la gloire de son nom. Apportez l’oblation, et entrez dans ses parvis. Prosternez-vous devant l’Éternel avec une sainte magnificence. Vous tous les habitants de la terre, tremblez tout étonnés pour la présence de sa face. Dites parmi les nations : l’Éternel règne, même la terre habitable est affermie et ne sera point ébranlée, il jugera les peuples en équité. Que les cieux se réjouissent, que la terre s’en égaie, la mer et tout ce qu’elle renferme bruisse. Alors tous les arbres des forêts crieront de joie, au-devant de l’Éternel, parce qu’il vient. Il vient pour juger la terre, il jugera le monde habitable en justice, et les peuples selon sa fidélité.

Tous ces oracles sont si clairs qu’on ne saurait rien ajouter à leur évidence, et vous en direz de même de ceux qui se trouvent dans les psaumes 98, 100, 117 et 138, si vous prenez soin de les lire car ils contiennent comme ce que je viens de remarquer, des déclarations expresses de ce grand dessein que Dieu avait d’appeler les Gentils à sa connaissance, et à sa communion.

Mais si pour établir de plus en plus cette importante vérité des oracles anciens, vous voulez bien, après Moïse et David, passer aux autres prophètes, il est certain que vous les entendrez tous tenant un même langage. Combien de fois Ésaïe s’en est-il nettement expliqué :

Il adviendra aux derniers jours, dit-il au chapitre second, que la maison de la montagne de l’Éternel sera affermie au sommet des montagnes, est élevée par-dessus les coteaux, et toutes les nations y aborderont. Et plusieurs peuples iront, et diront : Venez, montons à la montagne de l’Éternel, à la maison du Dieu de Jacob, et il nous enseignera touchant ses voies, et nous marcherons par ses sentiers. Car la loi sortira de Sion et la parole de l’Éternel de Jérusalem. Il exercera gouvernement parmi les nations et il rédarguera plusieurs peuples, lesquels forgeront leurs épées en hoyaux, et leurs hallebardes en serpes, une nation ne lèvera plus l’épée contre l’autre, et elle ne s’adonnera plus à la guerre.

Au chapitre onzième, il assure qu’en ces temps-là, la terre sera remplie de la connaissance de l’Éternel, comme le fond de la mer est rempli des eaux qui la couvrent. Car, ajoute-t-il, en ce jour-là il arrivera que les nations rechercheront la racine d’Isaï, laquelle sera dressée pour être l’enseigne des peuples. Et au chapitre 25, après avoir dit que Dieu devait faire un banquet à tous les peuples, il ajoute ces excellentes paroles : Il engloutira en cette montagne-ci l’enveloppe redoublée qu’on voit sur tous les peuples, et la couverture qui est étendue sur toutes les nations. Qu’est-ce que cette enveloppe redoublée, et cette couverture étendue sur toutes les nations, si ce n’est l’aveuglement et les ténèbres épaisses d’idolâtrie et de superstitions, dans lesquelles tout le monde était autrefois plongé, et que la prédication de l’Évangile a heureusement dissipées ?

Mais entre toutes les prédictions de cette nature qui se trouve dans ce prophète, il n’y en a point ce me semble de si expresse que celle qu’on lit au chapitre 49. Là, premièrement il introduit le Messie qui dit que Dieu l’a envoyé vers le peuple d’Israël, ensuite de quoi il se plaint que quelque soin qu’il ait pris de ramener Israël, il n’a pu en venir à bout. J’ai, dit-il, travaillé en vain, j’ai usé ma force pour néant et frustratoirement, toutefois mon droit est par-devers l’Éternel, et mon œuvre par devers mon Dieu, puis immédiatement après il ajoute les paroles suivantes : Pour cette cause l’Éternel m’a dit, c’est peu de chose que tu sois mon ministre pour rétablir les tribus de Jacob, et pour restaurer les désolations d’Israël, c’est pourquoi je t’ai donné pour lumière aux nations afin que tu sois mon salut jusqu’aux bouts de la terre. Cet oracle ne vous paraît-il pas précis et formel, il parle des nations par opposition au peuple d’Israël et aux tribus de Jacob, il dit que les Israélites n’ont pas voulu écouter la voix du Messie, ni se rassembler sous lui, il dit que la fière incrédulité de ce peuple a obligé Dieu de répandre par le moyen du Messie sa lumière sur les nations, il explique que c’est cette lumière, savoir son salut qui est allé jusqu’au bout de la terre ? Que peut-on opposer à tant de clarté. Mais que peut-on dire contre ce qui suit dans le même chapitre, Dieu est introduit parlant de cette sorte à son Église :

Élève tes yeux alentours de toi, et regarde tous ceux-ci qui se sont assemblés, ils sont venus pour toi. Je suis vivant dit l’Éternel, que tu te revêtiras de ceux-ci comme un ornement, et tu t’en orneras comme un épousé. Certainement tes déserts étaient lieux désolés et ton pays détruit, et toi-même, tu seras maintenant trop à l’étroit pour les habitants, et ceux qui t’engloutissaient s’éloigneront. Encore diront les enfants que tu auras après avoir perdu les autres, ce lieu est trop étroit pour moi, fais-moi place, afin que j’y puisse demeurer. Et tu diras en ton cœur, qui m’a engendré ceux-ci, puisque j’avais perdu mes enfants et que j’étais seule ? J’ai été menée en captivité, et tracassée, et qui m’a nourri ceux-ci ! J’étais demeurée toute seule, et ceux-ci où étaient-ils, ainsi a dit le Seigneur l’Éternel, aussi je lèverai ma main vers les nations, et je hausserai mon enseigne vers les peuples, ils apporteront des fils entre leurs bras, et l’on chargera ses filles sur les épaules. Et les rois seront tes nourriciers, et les princesses leurs femmes tes nourrices, ils se prosterneront devant toi la face baissée, et ils lècheront la poudre de tes pieds.

C’est dans le même sens, et avec la même évidence qu’il dit au chapitre 54 : Réjouis-toi avec champ de triomphe, stérile qui n’enfantait point, toi qui ne savais ce que c’est que le travail d’enfants, éclate de joie avec chant de triomphe, et t’égaie, car les enfants de celle qui était délaissée seule, seront en plus grand nombre que les enfants de celle qui était mariée.

Qui est cette misérable stérile qui n’enfantait point, si ce n’est le corps des Gentils que Dieu avait abandonnés pendant qu’il avait donné son alliance et son mariage mystique à l’heureuse nation des Juifs, et quels sont les enfants de cette délaissée qui devait surpasser en nombre ceux de celle qui était mariée, si ce n’est les fidèles de l’Église chrétienne, par opposition à ceux de l’Église judaïque. Mais il faudrait parcourir tous les chapitres de ce prophète si nous voulions rapporter ici toutes les prédictions qu’il a faites de cette grande vocation, car elle se trouve partout. On n’en trouve pas moins dans les autres prophètes qui ont suivi Ésaïe. Car quant à Jérémie voyez de quelle manière il parle au chapitre 16me de ses révélations :

Éternel les nations viendront à toi des bouts de la terre, et diront, quoi qu’il en soit, nos pères ont hérité le mensonge, et la vanité, et des choses inutiles. L’homme se fera-t-il bien des dieux ? Ce ne sont pas des dieux, c’est pourquoi voici je m’en vais leur faire connaître, je leur ferai connaître cette fois ma main et ma force, et ils sauront que mon nom est l’Éternel.

Ézékiel en parle de-même : Ainsi a dit l’Éternel, je sanctifierai mon nom qui est grand, et qui a été profané parmi les nations, vous l’avez profané parmi elles, mais les nations sauront que je suis l’Éternel. Daniel au chapitre septième de son livre, parlant du Fils de l’homme qu’il avait vu en vision, ne dit-il pas que l’ancien des jours lui donna domination, honneur, et règne, et que tous peuples, nations, et les langues le serviront.

Osée : J’userai de miséricorde envers celle de qui je n’avais point de miséricorde, je dirais à celui qui n’était pas mon peuple, tu es mon peuple, et il me dira mon Dieu.

Joël : En ces jours là je répandrai mon Esprit sur toute chair, et il arrivera que quiconque invoquera le nom de l’Éternel sera sauvé. Paroles qui marquent l’étendue de l’alliance de Dieu par tout le monde. Achevons je vous prie de parcourir ces témoignages qui sont d’une si grande consolation à notre foi. Vous en trouverez un semblable dans Amos :

En ce temps-là, dit-il, je relèverai le tabernacle de David qui sera tombé, et je refermerai ces brèches, et je redresserai ses ruines, et je les réédifierai comme il était aux jours anciens afin qu’il possède le reste d’Idumée et toutes les nations sur lesquelles mon nom est réclamé, a dit l’Éternel qui fait cela.

Vous en trouverez un autre dans Michée, et qui répète les mêmes paroles qu’Ésaïe avaient dites sur ce sujet :

Il adviendra, dit-il, au dernier jour que la montagne de l’Éternel sera affermie sur le sommet des montagnes, et qu’elle sera élevée par-dessus les coteaux, et les peuples y aborderont. Et plusieurs nations iront et diront, venez et montons à la montagne de l’Éternel, et à la maison du Dieu de Jacob, et il nous enseignera touchant ses voies, et nous marcherons par ses sentiers. Car la loi sortira de Sion, et la parole de l’Éternel de Jérusalem.

Vous en trouverez encore un autre dans Aggée :

Ainsi a dit l’Éternel des armées, encore une fois qui sera dans peu de temps, j’émouvrai le ciel et la terre, et la mer et le sec. J’émouvrai toutes les nations afin que les désirés d’entre toutes les nations viennent, et je remplirai cette maison-ci de gloire.

Zacharie n’en dit pas moins, car après après avoir prédit la venue du Messie, et l’avoir décrit par toutes ses qualités il ajoute ces paroles : Il ne parlera que de paix aux nations, et sa domination sera depuis une mer jusqu’à l’autre, et depuis le fleuve jusqu’au bout de la terre.

Enfin Malachie le dernier des prophètes a voulu s’en expliquer d’une manière capable de convaincre tout ce qu’il y a de plus infidèle. Après avoir introduit Dieu, rejetant son ancien peuple, et lui disant : Je ne prends point plaisir à vous, et je n’aurai point pour agréable l’oblation qui viendra de vos mains, il ajoute tout d’une suite pour marquer la vocation de sa nouvelle Église : Mais depuis le soleil levant jusqu’au soleil couchant mon nom sera grand entre les nations, et l’on offrira en tout lieu parfum à mon nom, et oblation pure, car mon nom sera grand entre les nations a dit l’Éternel des armées.

C’est ainsi que cette grande merveille avait été prédite par les prophètes comme l’œuvre de la puissance et de la miséricorde de Dieu, et qu’elle avait été prédite avec tant de force, avec tant de clarté, et avec tant d’uniformité qu’à moins que de renoncer volontairement à l’usage des yeux, il faut demeurer d’accord qu’il n’y a rien de plus constant dans l’Écriture ancienne que cette vocation des Gentils dont il s’agit. Nous verrons dans la suite les conséquences qu’il en faut tirer, reprenons maintenant l’explication de notre texte.

*

Les paroles que le roi dit à ses serviteurs, allez aux carrefours des chemins, et autant que vous en trouverez conviez-les aux noces, étant couchées dans notre parabole, comme dites après le refus que les premiers conviés firent d’y venir, semblent d’abord signifier que les gens qui n’ont été appelés à la connaissance du vrai Dieu et à l’espérance de son salut que par accident, c’est-à-dire, par l’occasion de la réjection que les Juifs ont fait du Messie, d’où il s’en suit que si les Juifs eussent obéi à leur vocation, et qu’ils eussent reçu Jésus-Christ, les Gentils n’eussent eu aucune part à la rédemption. Cependant il est vrai qu’une si grande chose ne peut nullement s’être faite sans que Dieu l’eût déterminée en les conseils éternels de sa sagesse. C’est pourquoi Saint-Paul écrivant aux éphésiens ne fait pas difficulté de rapporter leur vocation au décret de l’élection éternelle :

Béni soit Dieu, dit-il, qui est le Père de notre Seigneur Jésus-Christ qui nous a bénis en toute la bénédiction spirituelle aux lieux célestes en Jésus-Christ, selon qu’il nous avait élus en lui avant la fondation du monde, afin que nous fussions saints et irrépréhensibles devant lui en charité. Nous ayant prédestinés pour nous adopter à foi par Jésus-Christ selon le bon plaisir de sa volonté, à la louange de la gloire de sa grâce à laquelle il nous a rendu agréables en son bien-aimé.

Pour une marque de cela même Dieu avait prédit cette vocation dans ses oracles et ses prophètes, comme nous venons de le voir. Comment donc se fait-il qu’ils ne soient appelés que sur le refus que les Juifs avaient fait devenir aux noces ?

Mais il n’est pas difficile de répondre à cette objection. Il est vrai que Dieu avait déterminé la vocation des Gentils dès les temps éternels, mais il l’avait déterminé sur la prévision qu’il avait de l’incrédulité de Juifs, et il avait résolu de l’exécuter dans cet ordre, savoir que la réjection des uns serait la vocation des autres. C’est le mystère que Saint Paul traite expressément, et assez au long dans le 11me chapitre de l’épître aux Romains où il dit :

Par la chute des Juifs le salut est arrivé aux Gentils, pour provoquer les autres à jalousie. Leur chute a été la richesse du monde, et leur diminution la richesse des Gentils. Que leur réjection a été la réconciliation du monde. Que quelques-unes des branches de l’olivier de Dieu ont été retranchées, et que nous qui étions l’olivier sauvage avons été entés à leur place, et avons été faits participants de la racine, et de la graisse de l’olivier.

Mais direz-vous Dieu ne pouvait-il pas empêcher l’incrédulité des Juifs ! Oui sans doute, il le pouvait, car il est le maître des cœurs il les tourne où il veut, de la manière qu’il veut. Mais il n’a pas trouvé bon de se servir de sa puissance à l’égard des Juifs, il a permis leur chute afin de faire abonder sa grâce sur nous. Il nous avait au commencement abandonnés pour l’amour d’eux, maintenant il les abandonne pour l’amour de nous. C’est ainsi qu’il en use pour faire voir que son salut est de pure grâce, sa grâce libre, et qu’il la donne à qui bon lui semble sans qu’il soit poussé par aucune qualité qu’il trouve dans la créature. Il nous a enfermé les uns et les autres dans la rébellion chacun son tour, les Gentils les premiers, et les Juifs ensuite, afin que, dit l’apôtre, qu’il fit miséricorde à tous, c’est-à-dire afin qu’il parut que tant la conversion de ceux-là que la foi de ceux-ci vient de sa pure miséricorde. C’est donc une chose certaine dans la doctrine de l’Écriture que l’Évangile de Jésus-Christ est parvenu jusqu’aux Gentils par la défection des Juifs, à cause de quoi saint Paul disait aux Juifs au 13me chapitre du livre des Actes : C’était bien à vous qu’il fallait premièrement annoncer la parole de Dieu, mais puisque vous la rejetez et que vous vous jugez vous-mêmes indignes de la vie éternelle, nous nous tournons vers les Gentils. Mais cela n’empêche pas que Dieu ne résolut la vocation de ces derniers de toute éternité, toutes ses œuvres lui sont connues de tous temps, et c’est pourquoi tant les anciens prophètes que Jésus-Christ avait prédit celle-ci longtemps avant qu’elle n’arriva.

Il faut pourtant fait ici une remarque assez nécessaire, avant que d’aller plus loin, c’est qu’encore que Dieu est arrêté dans la sagesse de son conseil d’appeler les Gentils, et qu’il s’en fût assez expliqué aux Juifs comme nous avons vu, néanmoins il n’avait donné aucune connaissance de son dessein aux Gentils mêmes. Il les avait laissés à cet égard dans une ignorance profonde, et notre parabole nous l’enseigne fort nettement, quand elle déclare qu’ils n’étaient pas du nombre des premiers conviés. Et de là vous pouvez voir en passant combien ont été fausses et contraire aux vues de Jésus-Christ les vues de quelques anciens qui se sont imaginés qu’ils feraient une fort bonne chose et fort utile aux intérêts du christianisme, s’ils pouvaient faire trouver dans les oracles des sibylles des prédictions du Messie, et de l’établissement de sa doctrine partout le monde. On appelle cela des fraudes pieuses, mais à dire le vrai ce sont des supercheries indignes de gens de bien et honteuses à la religion qui n’a que faire de nos mensonges. Outre cela ce sont des supercheries fort imprudentes, car Jésus-Christ distingue ici formellement les Gentils d’avec les conviés, et par cela même il nous fait voir que Dieu n’avait donné aucune connaissance aux nations idolâtres de l’envoi de son Fils au monde, ni de leur future conversion.

En quel état donc étaient-ils, et où est-ce que la vocation divine les va prendre ? Jésus-Christ l’explique ici d’une manière admirable : Allez vous en dit le roi, dans les carrefours des chemins. On pourrait prendre ces paroles dans un sens plus simple, pour dire seulement, allez aux lieux les plus fréquentés où l’on trouve d’ordinaire beaucoup plus de monde, sans aucun égard pourtant à la qualité des personnes. Mais Saint Luc qui rapporte aussi cette parabole au 14me chapitre de son Évangile nous empêche de nous arrêter à cette explication, car il dit formellement que le maître de la noce commanda qu’on lui amena les pauvres, les impotents, les boiteux, les aveugles, ce qui fait voir que le Seigneur a aussi eu égard à la qualité des personnes, et beaucoup plus mêmes qu’aux lieux fréquentés. Cette expression donc aux carrefours des chemins, nous donne une idée de ces gens fainéants et vagabonds qui sont dans la dernière misère, et qui ne tiennent nul rang dans le monde, gens qui n’ont nulle demeure fixe, que l’on rejette comme des immondices de la société, et qui n’y sont en effet de nul usage, un poids inutile de la terre, gens en un mot qui ne servent que de nombre, et qui accablés de leurs propres maux n’ont d’autre recours qu’à être ou mendiants ou voleurs, et le plus souvent l’un et l’autre. C’est là l’image de ce qu’étaient les Gentils, c’est-à-dire des malheureux que Dieu avait proscrits en sa colère, et qui n’ayant rien de fixe, couraient après des chimères et des fantômes, peuples qui a proprement parler n’avaient ni Dieu ni religion, ni loi, ni règle, ni espérance, plongés dans les crimes, ignorants de tous les mystères de la divinité, préoccupés de mille ridicules superstitions, adorateurs des idoles mortes et muettes. Tels étions-nous quand l’ordre de nous appeler est venu d’en-haut : Allez aux carrefours des chemins, et autant que vous en trouverez conviez-les aux noces.

Cet ordre fut ponctuellement exécuté, les serviteurs, dit la parabole, sortirent vers les chemins et assemblèrent autant qu’ils en trouvèrent, tant bons que mauvais, tellement que le lieu des noces fut rempli de gens qui étaient à table. C’est notre second point, qui nous fournit trois choses sur lesquelles il faut méditer, l’obéissance que les serviteurs rendirent au roi, la manière dont ils exécutèrent son ordre, et le succès qu’ils eurent dans leur ministère.

Quant à la première de ces choses, j’avoue que quand Dieu donne des ordres ou des commandements aux hommes, leur devoir est d’y obéir sans se mettre en peine du succès de leur obéissance. Il est le Roi des rois, il a une autorité souveraine sur sa créature, il lui donne l’emploi qui lui plaît. Ainsi quand il sera question de juger de l’action de ses serviteurs, on ne peut que louer leur fidélité. Mais comme les hommes ne font pas toujours ce qu’ils sont obligés de faire, il faut bien nécessairement avouer non seulement que Dieu est l’auteur de la religion chrétienne, mais aussi qu’il est le Maître absolu des esprits et des cœurs, et qu’il leur inspire les sentiments qu’il veut, qui préside dans leurs délibérations, en un mot qu’il en fait ce que bon lui semble. Car sans cela comment se fut-il trouvé des serviteurs capables d’entreprendre l’ouvrage tel que celui-ci ? Certainement à en juger selon toutes les règles ordinaires du bon sens et de la raison mettant à part ce qu’il y a de surnaturel et de divin, et la considérant comme une œuvre simplement humaine, c’était l’entreprise du monde la plus téméraire et la plus folle, non seulement pleine d’embarras et de difficultés, mais absurde et impossible selon toutes les apparences, non seulement impossible, mais dangereuse, et accompagné de mille périls, et non seulement dangereuse, car on peut bien quelquefois hasarder dans les grands desseins, mais telle que la nudité, la faim, les disgrâces, les prisons, les persécutions, la mort même y était certaine et inévitable. Il s’agissait d’aller courir par toute la terre, d’aller changer la face de tout le monde, d’arracher les faux dieux de leurs temples, d’abattre leurs autels, de faire taire leurs oracles, d’abolir leur culte, et de faire tout cela non extérieurement mais intérieurement dans le cœur de leurs dévots, d’abolir leurs coutumes, d’anéantir leurs préjugés, en un mot de combattre et de vaincre une religion qui se trouvait presque aussi ancienne que le monde, qui était en possession de l’esprit de tous les hommes, et qui par conséquent intéressait à sa défense tout ce qu’il y avait de grands et d’autorité parmi les nations.

Il s’agissait d’aller troubler la tranquillité de tous les royaumes, de former un schisme général dans l’univers, de braver la puissance des magistrats, de combattre les sophismes des philosophes, et la politique des sages, de soutenir la violence des peuples, et d’essuyer les conspirations des plus scélérats. Tout cela sans armes, sans protection, sans appui, sans habitude, sans avoir même le moyen de s’encourager ni de se consoler les uns les autres. Une telle entreprise pourrait-elle tomber dans l’esprit humain, à moins que Dieu ne l’y mit par une inspiration insurmontable ? Ne fallait-il pas pour cela que des gens fussent parfaitement convaincus et persuadés que c’était là la volonté, l’ordre, et le commandement exprès de Dieu ? Outre cela ne fallait-il pas qu’ils fussent fort assurés du succès ? On entreprend point de choses de cette nature qui choquent toutes les lumières de la raison, sans être muni d’une pleine confiance. Mais encore après toutes ces assurances ne fallait-il pas que Dieu lui-même leur en fit naître la volonté, car de la manière que l’homme est fait on voit assez qu’il ne sacrifie point ainsi ses intérêts, son repos, et sa vie pour la gloire de Dieu, et pour le salut de ses prochains, encore qu’il sache qu’il le doit, et que Dieu le veut, et qu’il espère que cela réussisse.

Ce fut pourtant là l’entreprise des apôtres. Dans un fort petit espace de temps ils parcoururent la Palestine, la Syrie, l’Arabie, l’Égypte, la Perse, les Indes, la Grèce, l’Italie, l’Illyrie, l’Espagne, et les autres pays voisins. Ils visitèrent tout ce qui était contenu dans l’étendue de l’empire romain, ils en passèrent les bornes, il ne se rebutèrent pour aucunes difficultés, ils arrosèrent de leur sang les chemins par où ils passèrent, ils franchirent tout, et surmontèrent tout. Et pour cet effet ils partirent de Jérusalem nus, pauvres, désolés, dispersés, sans conseil, sans guide, sans direction. Après cela qui dira que ce mouvement héroïque n’est pas du ciel ?

Quant à la manière dont ils exécutèrent leur ordre, la parabole dit qu’ils rassemblèrent autant qu’ils en trouvèrent tant mauvais que bons. Ne pensez pas que Jésus-Christ veut dire qu’ils en trouvèrent quelques-uns de bons, c’est-à-dire qu’ils fussent bons avant leur vocation. Ce n’est pas son sens, car qui est bon avant la grâce de Dieu ? Ils étaient tous mauvais, des batteurs de grand chemin, cela veut dire des garnements, des injustes, des idolâtres, des avares, des ravisseurs, des violents, des gens cruels et des impies. Mais cela signifie qu’ils assemblèrent extérieurement tant ceux qui reçurent la parole d’un cœur honnête et bon, comme parle l’Écriture, et qui se convertirent réellement, que d’autres qui ne se convertirent qu’en apparence, plusieurs vrais fidèles, mais aussi plusieurs hypocrites, plusieurs profanes, et plusieurs mondains qui ne vinrent à la profession de l’Évangile que par de méchants motifs. L’Église visible a été et sera toujours composée de ces deux sortes de personnes, et de là vient que l’Écriture la compare à une aire dans laquelle on assemble le froment et la paille mêlés ensemble, tantôt à un filet jeté dans la mer qui apporte des herbes et des serpents avec les bons poissons, tantôt à un champ ou l’ivraie est semée avec le bon grain, et tantôt à une maison dans laquelle il y a des vaisseaux de bois et de terre avec d’autres d’or et d’argent. Jésus-Christ dans le même sens se compare au 15me ch. de saint Jean à une vigne qui pousse deux sortes de sarments, les uns qui portent du fruit, les autres qui n’en portent pas. Ce n’est pas qu’à proprement parler les hypocrites appartiennent au corps mystique de Jésus-Christ qui est la vraie Église, ni qu’ils soient en effet dans sa communion. Il n’y a que les vrais fidèles à qui l’on doive attribuer cet avantage. Mais parce que ces autres font avec les vrais fidèles une même profession extérieure de la religion chrétienne, on les confond en quelque sorte avec eux dans cette notion vague et confuse que l’on se forme de l’Église.

Or il faut encore que nous remarquions ici ce que nous avons déjà remarqué dans notre première action, savoir que la vocation extérieure, non seulement en tant qu’elle se fait par les ministres de Dieu, mais en tant qu’elle vient de Dieu même, s’adresse indifféremment à tous, c’est-à-dire tant à ceux qui doivent véritablement se convertir qu’à ceux qui ne se convertissent pas. La prédication de l’Évangile ne distingue point les élus et les réprouvés, Dieu appelle indifféremment sans avoir égard à cette distinction. Car vous voyez bien ce que les serviteurs font ici assemblant tant bons que mauvais ; ils le font par l’ordre exprès du roi qui leur avait dit, autant que vous en trouverez conviez-les aux noces. La distinction des élus et des réprouvés se fait dans la suite, lorsque Dieu donne ou ne donne pas la foi aux appelés, car il ne donne la foi qu’à ses élus, et il la donne à tous ses élus. C’est pourquoi saint Luc au 13e chapitre des actes, voulant rendre la raison du différent succès de la prédication de saint Paul, la tire de l’élection éternelle, Tous ceux, dit-il, qui étaient ordonnés à la vie éternelle crurent. Mais quand Dieu appelle extérieurement, quand il convie aux noces, quand il promet sa grâce à tous ceux qui croiront, il ne distingue point, il appelle en commun, et il les appelle tous sérieusement, sans leur faire illusion, n’ayant que leur seule incrédulité qui les exclut de son salut.

Mais voyons enfin le succès de cette vocation. Ils en assemblèrent, dit Jésus-Christ, autant qu’ils en trouvèrent tant mauvais que bon, tellement que le lieu des noces fut rempli de gens qui étaient à table.

Ce lieu des noces c’est la société chrétienne où Dieu a dressé sa table spirituelle, et où il fait son festin. Et cette table ou ce festin n’est autre chose comme vous voyez que l’abondance de ses grâces qu’il expose aux yeux des hommes, et qu’il leur présente, afin qu’ils les reçoivent par une vraie et vivante foi, la rémission de leurs péchés, la paix de la conscience, la communion de Jésus-Christ, l’amour et la miséricorde du Père, la protection de sa Providence, la joie et la consolation du Saint Esprit, l’espérance des biens célestes. Ce sont là les délicieuses et les viandes exquises dont le festin de ses noces est composé et sa table couverte, viandes pour lesquelles les mondains n’ont de goût, mais qui ne laissent pas d’être en elles-mêmes d’un prix et d’une excellence divine, solide, vivifiante, et qui communique l’immortalité. C’est pourquoi le Seigneur disait autrefois aux troupes qui le suivaient pour du pain : Travaillez non après la viande qui périt mais après celle qui demeure pour la vie éternelle, et que le Fils de l’homme vous donnera. Le lieu des noces fut donc rempli de gens qui étaient à table.

L’entreprise des apôtres paraissait folle aux yeux de la chair, en effet elle l’eût été si elle n’eût été qu’humaine, mais parce qu’elle était divine, Dieu la conduisit si bien par les voies admirables de sa providence qu’il la fit réussir au-delà de ce qu’on peut concevoir. Ils renversèrent les idoles, ils dissipèrent les anciennes erreurs, ils arrêtèrent le cours des superstitions, échangèrent les lois et les coutumes, ils renouvelèrent la face du monde. Ils acquirent à Jésus-Christ un nombre presque infini de personnes, et non seulement des familles entières, mais des villes et des provinces qui embrassèrent la profession de son Évangile. Les grands et les petits, les savants et les ignorants, les magistrats et les peuples, les jeunes gens et les vieillards, tout âge, tout sexe toute condition, s’empressaient à venir jouir de cette douce lumière que les serviteurs de Dieu leur apportaient, et la foi avec laquelle ils la recevaient était si forte et si vive qu’elle en faisait mépriser les persécutions des ennemis et courir au supplice avec la même joie qu’on courrait à une distribution de couronnes. Ce sont là les grands miracles de Dieu, car dans les autres miracles il agit à la vérité au-dessus des lois ordinaires de la nature, mais il agit sur des créatures inanimées, au lieu qu’ici il agit sur les esprits et sur les cœurs. Ainsi ressusciter les morts, calmer les orages, rendre à la mer sa première tranquillité, arrêter la force du feu, changer les eaux en sang, ce n’est rien au prix de convertir des hommes rebelles, et d’amener les pensées prisonnières à l’obéissance de sa parole.

Ces heureux succès des apôtres et des disciples de Jésus-Christ considérés seuls et en eux-mêmes sont déjà une preuve assez évidente de la divinité de la religion chrétienne. Car quelle autre que Dieu pouvait faire de si grandes choses ? Si vous les joignez avec la réflexion que nous avons faite sur les apôtres mêmes lorsqu’ils en formèrent le dessein la preuve en sera beaucoup plus forte, car qui pouvait leur inspirer une telle pensée et avec tant de courage et de confiance, si ce n’est Dieu ? Mais si vous y ajoutez la considération des oracles et des prophéties anciennes telles que nous les avons vues, il en résultera une démonstration aussi forte et aussi convaincante qu’il est possible de la désirer. Car d’un côté le succès justifie la vérité de l’oracle, et de l’autre la vérité de l’oracle justifie la divinité de la religion. Je dis premièrement que le succès justifie l’oracle. L’oracle porte la vocation des Gentils, et leur conversion au vrai Dieu d’Israël qui a fait le ciel et la terre. Il s’agit de savoir si cette prophétie est véritable, et pour décider la question il ne faut que jeter les yeux sur ce que les apôtres et leurs successeurs ont fait et qui se voient encore en nos jours. Nos anciennes idoles ne sont plus, on ne parle plus parmi nous ni de Jupiter, ni de Mercure, un seul Dieu créateur du monde est adoré, l’événement conclut donc que l’oracle n’est pas trompeur.

Je dis en second lieu que l’oracle justifie notre religion. Il s’agit de savoir si notre religion est divine ou non. Or il ne faut pour cela que considérer les anciens oracles, et voir si elle y répond, et si elle les accomplit. Car si elle les accomplit il faut nécessairement qu’ils soient de Dieu. Il déclare par ces prophètes non seulement que la chose arrivera, mais que ce sera lui qui la fera, je veux dire qu’il appellera les Gentils à sa connaissance, il faut donc que l’œuvre soit de lui, car autrement il aurait laissé faire son œuvre à une autre, et l’artifice humain lui aurait ôté le pouvoir d’accomplir sa promesse et de dégager sa parole, ce qui serait la chose du monde la plus contraire à sa sagesse, et à sa vérité. Il a promis qu’il appellerait les Gentils, ce n’est pas une chose à faire, elle est déjà faite, il faut donc où que ce soit lui-même qui l’ait faite, ou si ce sont des imposteurs qui l’ont faite sans ordre, il faut que la providence se soit laissée prévenir par des imposteurs qui l’ont mis hors d’état de faire ce qu’il avait promis qu’il ferait. Or cette dernière pensée choque non seulement la piété, mais le sens commun, la première est donc vraie est incontestable, d’où il s’ensuit que notre religion est divine, puisque c’est Dieu lui-même qui nous y a appelés. Ainsi, soit qu’on agisse contre des Juifs, soit qu’on agisse contre des profanes, il y a ici de quoi triompher des uns et des autres. Si c’est contre des Juifs, on leur peut dire, votre Dieu a prédit que ce serait son Messie qui convertirait les nations. Nul autre que lui ne peut donc faire une si grande œuvre. Jésus-Christ l’a faite. Il est donc le Messie et vous êtes des aveugles et des méchants. Au profane on leur dira, nul autre que le vrai Dieu ne pouvait prédire si longtemps auparavant une si grande chose et aussi hors d’apparence qu’ait été le changement des nations qui est arrivé, nul que lui ne pouvait faire le projet tout semblable à l’événement. Le Dieu d’Israël l’a fait, il est donc le vrai Dieu, et s’il est le vrai Dieu, vous êtes des perfides et des insensés.

C’est ainsi qu’on peut parler aux ennemis de l’Évangile. Mais pour passer maintenant à un autre sujet, quelque vérité et quelque évidence qu’il y ait en tout cela je ne sais si nous ne serons pas des imprudents de leur tenir ce langage ; car ne vous imaginez pas qu’il n’aient rien à nous répliquer, ni qu’ils soient réduits à la dernière confusion et au silence, ils n’ont que trop de choses à dire. Grâce à Dieu, ils ne peuvent rien mettre en avant de solide ou de raisonnable contre notre religion, mais ils ne seront pour autant pas muets, et s’ils ne peuvent parler contre la religion, ils parleront au moins, et parleront fort justement contre les personnes qui la professent, de sorte que si nous sommes assez heureux pour leur fermer la bouche d’un côté, nous sommes assez misérables pour la leur ouvrir de l’autre. Car quant à eux s’ils sont incrédules, ils diront au moins qu’ils sont uniformes, et réglés dans les suites de leur principe, ils sont incrédules et ils vivent en incrédules, sans qu’il y ait aucune disproportion entre les pensées de leur esprit et les actions de leurs mains. Mais pour nous, nous sommes fidèles, et nous vivons en infidèles, une partie de nous-mêmes dément l’autre, et on ne voit qu’une perpétuelle opposition entre nos lumières et nos œuvres. En eux tout est uni, en nous tout est irrégulier.

Nous croyons que Jésus-Christ est le Fils de Dieu, et nous le méprisons, nous croyons qu’il est notre Époux, et au lieu de l’aimer nous n’avons que de l’indifférence pour lui, nous croyons qu’il est notre Roi, et nous ne lui obéissons pas, nous croyons qu’il est notre guide et nous ne le suivons pas, nous croyons que son Évangile est saint et divin, et nous l’outrageons. D’où vient, diront-ils, cette composition monstrueuse de deux choses qui ont si peu de rapport entre elles ? C’est ce que les profanes et les incrédules ont à nous reprocher, et à quoi nous ne saurions répondre. Car qu’y-a-t-il à répondre ? Nierons-nous l’accusation ? Mais c’est un fait constant et dont nous sommes nous-mêmes convaincus. Dirons-nous que notre religion nous permet de vivre de cette manière ? Mais le démon lui-même, quoiqu’il soit le père du mensonge n’oserait le dire. Mettrons-nous en avant que les règles du christianisme sont dures et difficiles ? Ce serait contredire à Jésus-Christ en qui nous faisons profession de croire, car il est dit, mon joug est aisé et mon fardeau léger. En effet quelle difficulté y a-t-il à être gens de bien, ou plutôt quelle difficulté n’y-a-t-il pas à être avares, ravisseurs, violents, cruels, impitoyables, ambitieux, fourbes, menteurs, et médisants ? Qu’est-ce que la religion chrétienne nous ordonne qui ne soit doux et conforme à la droite raison, et au contraire à quoi est-ce que le monde nous engage qui ne soit pénible et embarrassant ? Car sans parler des soucis rongeants et des travaux infinis qui accompagnent la poursuite de ces faux biens, dites moi je vous prie, si c’est une chose fort douce, et fort plaisante avoir sans cesse à combattre contre sa conscience, et à résister à ses propres lumières, comme nous faisons d’ordinaire quand nous péchons ?

Dirons-nous donc que ce sont nos intérêts, notre honneur, qui nous éloigne ainsi de notre devoir malgré que nous en ayons ? Mais avons-nous de plus grand intérêt que celui de nous sauver, et à quel honneur pouvons-nous être sensibles si nous ne le sommes à celui de la vertu et à celui de l’engagement où nous sommes entrés par notre baptême et que nous avons confirmé depuis par mille promesses et par mille résolutions ? Après tout il n’y a que deux partis à prendre, de renoncer entièrement à la religion, ou de vivre conformément à ses lois. Car de s’imaginer qu’on puisse être chrétien et vicieux tout ensemble, c’est une imagination fausse et folle ; fausse, car cela ne se peut, le christianisme ne subsiste pas avec le désordre et l’injustice ; folle, car par ce moyen on se rend malheureux et dans cette vie et dans la vie à venir, dans cette vie par les remords de la conscience, dans la vie à venir par les jugements de la justice divine. Il faut donc choisir de ces deux partis celui qui vous paraîtra le meilleur, et ne plus clocher ainsi des deux côtés comme nous avons fait jusqu’ici.

Pour nous aider à faire un choix si important, jetant premièrement les yeux sur cette loi que Dieu donna autrefois aux Israélites afin de leur servir de voie et de préparation à l’Évangile de son Fils. Consultons-la sur l’état des pécheurs et sur celui des justes, car elle nous en fera voir clairement les différences. Elle nous dira ce que toute la nature nous enseigne avec elle : qu’il y a un Dieu, un Dieu juste, un Dieu tout-puissant devant le trône duquel il faut que l’homme comparaisse pour être jugé, un Dieu qui n’a point d’égard à l’apparence des personnes, mais qui juge équitablement, qui ne trompe personne à qui personne ne saurait aussi faire illusion, qui ne condamne point l’innocent, mais qui ne justifie pas aussi le coupable, un Dieu qui voit tout, qui connaît tout, qui n’oublie rien, et qui est au reste si pur et si saint qu’il ne peut en nulle manière souffrir le mal. Elle nous dira ce que la raison et la conscience nous enseignent pas moins qu’elle, savoir que les peines des pécheurs que Dieu condamne sa justice sont infinies, proportionnée à la grandeur de celui que nous avons offensé, qu’elles sont inévitables, nul ne pouvant nous délivrer de ses mains, et qu’elles sont aussi éternelles, consistantes dans une absolue et irrévocable malédiction.

Ces objets ne seront être pas si peu considérables qui ne fassent quelque impression sur nous, mais il faut encore ajouter quelque chose, tournons je vous prie un peu nos yeux sur l’état déplorable où nous étions avant que Dieu nous eût appelé à sa connaissance. J’avoue que nous ne saurions aujourd’hui tout à fait bien comprendre ce que c’était, car les idées de nos anciennes superstitions sont éloignées de nous. Nous pouvons pourtant nous figurer un peuple brutal qui adorait le bois et la pierre, et qui se faisait des divinités d’autant de créatures qu’il y avait au monde, qui s’échauffait après les chimères de son cerveau, qui n’avait pour instruction que des fables, ni pour culte de religion que des crimes, enfin un peuple abandonné, sans consolation, sans conduite, et sans espérance. C’est là ce que nous étions autrefois, lorsqu’il plût à Dieu de nous regarder en ses compassions, et nous appeler au festin de ses noces mystiques. Une si grande grâce reçue contre toute sorte d’apparence, lorsque nous en étions entièrement indignes, ou pour mieux dire lorsque nous étions dignes d’un traitement tout contraire, ne mérite-t-elle pas que nous en perdions jamais le souvenir, et serait-il juste que Dieu ne reçut de nous que des offenses en reconnaissance de tant de bontés ? La lumière du soleil et les pluies d’en haut ne viennent jamais inutilement sur la terre, la terre en étant échauffée et abreuvée ne manque pas de produire ses herbes, ses plantes, et ses fruits et de faire multiplier ses animaux. Ne permettant donc pas que la culture céleste qui nous a été si abondamment communiquée soit moins heureuse en nous qu’elle ne l’est sur une créature morte et insensible. Quand le fruit que Dieu en attend serait séparé de notre intérêt, il ne faudrait pas laisser de le lui rendre, car la reconnaissance est une vertu qui s’exerce non par espérance, mais par justice, qui regarde le passé et non l’avenir, et qui tout attachée à s’acquitter de ce qu’elle doit ne songe pas à faire de nouvelles acquisitions. Mais cela même ne se trouve pas ici, puisque reconnaître le bienfait de Dieu et travailler à notre propre salut n’est qu’une seule et même chose, de sorte qu’en rendant à Dieu le fruit de sa culture, c’est semer pour une nouvelle moisson.

Portons encore je vous prie nos yeux sur la manière dont les premiers serviteurs de Dieu et de son Fils Jésus-Christ travaillèrent à notre conversion. Avec quel courage et quelles fidélités obéirent-ils à l’ordre qu’ils en avaient reçu. Combien de travaux, de fureur, et de sang leur coûta-t-elle ? Faut-il que tout cela soit perdu pour nous ? Lâches et misérables que nous sommes que ferions-nous si Dieu nous commandait aujourd’hui ce qu’il fit autrefois à ses apôtres, abandonner nos familles, nos chères espérances, aller au prix de notre vie lui conquérir ce qui reste encore d’infidèles au monde, que ferions-nous dis-je en ce cas, puisque ne s’agissant à présent que de travailler à nous sauver nous-mêmes, nous sommes si pervers de n’en vouloir rien faire ? Sortons, mes frères, d’un assoupissement qui ne peut que nous être funeste, et pendant que nous sommes dans le temps de la vocation de Dieu profitons-en, et l’employons autant qu’il nous sera possible à avancer l’ouvrage de notre régénération. Il nous a mis dans la salle de son festin évangélique, où il nous présente déjà mille joies et mille consolations, si nous les voulons goûter. Mais il nous en a préparé une autre après celle-ci qui sera bien plus riche et plus éclatante. C’est celle de la gloire éternelle, où nous serons rassasiés de ses biens divins, et abreuvés au fleuve de ses délices. Soupirons après un si grand bonheur et prions le de toute notre âme qu’il nous y veuille un jour introduire selon la fidélité de ses promesses. Amen ! Et à lui Père, Fils et Saint Esprit soit honneur et gloire au siècle des siècles.

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