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5.
Sur la recherche de la vérité

Achète la vérité.

Proverbes 23.23

Qu’est-ce que la vérité Jean 18.38 ? Ce fut la question que Pilate fit autrefois à Jésus-Christ. On ne peut lire cette circonstance de l’évangile, mes frères, sans être surpris de ce que Jésus-Christ ne répondit point à Pilate, et de ce que Pilate ne fit point d’instance pour avoir une réponse de Jésus-Christ. Une des principales vues de l’incarnation du Fils de Dieu a été de dissiper les nuages dont l’ennemi du genre humain avait enveloppé la vérité, de détromper la misérable postérité d’Adam de tant d’erreurs dont cet esprit de mensonge l’avait imbue, et de suppléer par les lumières de la révélation aux chancelants systèmes de la raison. Jésus-Christ dit lui-même, immédiatement avant les paroles que nous venons d’alléguer : Je suis venu dans le monde pour rendre témoignage à la vérité Jean 18.37. Cependant voici un homme croupissant dans l’affreuse nuit du paganisme, un homme né dans les ténèbres, sans Dieu et sans espérance Éphésiens 2.12, selon l’expression de l’Écriture : le voici, qui du fond de cet abîme où il est plongé, implore le secours de cette lumière qui éclaire tous les hommes en venant au monde Jean 1.9, et qu’il demande à Jésus-Christ : Qu’est-ce que la vérité ? Jésus-Christ se refuse à ses recherches : il ne daigne pas répondre à une question si sage et si intéressante ; n’est-ce pas là un juste sujet d’étonnement ? n’est-ce pas là une espèce de prodige ?

Mais s’il y a lieu d’être surpris de ce que Jésus-Christ ne répond pas à Pilate, n’y a-t il pas lieu d’être surpris aussi de ce que Pilate ne fait point d’instance pour avoir une réponse de Jésus-Christ ? Un homme qui avait entrevu les motifs de la rage des Juifs ; un homme qui avait connu que les accusations formées contre cet illustre prévenu ne venaient que de ses vertus ; un homme qui ne pouvait ignorer le bruit de ses miracles, et qui avait été comme forcé de prononcer lui-même cette apologie en sa faveur ; apologie, qui en même temps justifie celui pour qui elle est prononcée, et fait la condamnation de celui qui la prononce, Je ne trouve aucun crime en lui Jean 18.38, un tel homme ne prête, s’il est permis d’ainsi dire, que la superficie de son esprit à l’occasion qui lui est offerte de connaître la vérité : il fait cette demande : Qu’est-ce que la vérité ? Mais peu lui importe si Jésus-Christ répond, ou s’il ne fait aucune réponse. N’y a-t-il pas là encore un sujet de s’étonner ? N’est-ce pas là encore une espèce de prodige ?

Mes frères, pour connaître la raison de ces prodiges, il ne faut pas les considérer séparément ; l’un est la cause de l’autre. D’un côté Jésus-Christ ne fit point de réponse à Pilate, parce qu’il vit bien que ce juge inique n’avait pas pour la vérité cet amour ardent, cet esprit de sacrifice, ce zèle véhément dont elle est si digne. D’un autre côté Pilate, qui aurait peut-être aimé à connaître la vérité, si un simple désir avait pu suffire pour y parvenir, se rebute au premier silence de Jésus-Christ. Il ne trouve pas que la grâce qu’il a demandée, mérite d’être demandée une seconde fois.

Cette conduite de Jésus envers Pilate, et cette conduite de Pilate envers Jésus-Christ, se renouvelle tous les jours. Notre assiduité dans ce temple, notre attention à la voix des serviteurs de Dieu, notre attachement pour ces livres sacrés, dans lesquels la vérité est comme en dépôt, toutes ces dispositions et toutes ces démarches sont comme autant de questions semblables à celles de Pilate : Qu’est-ce que la vérité ? Qu’est-ce que la vérité à l’égard de la conduite des mœurs ? Qu’est-ce que la vérité à l’égard des dogmes touchant une vie à venir, un jugement, un enfer, un paradis ? Mais combien de fois, satisfaits d’avoir fait ces questions, refusons-nous cette contention d’esprit, cette concentration de pensées, que demanderaient les réponses qui nous seraient faites ? Combien de fois même craindrions-nous que le flambeau qu’on allumerait devant nous, ne nous fît découvrir certains objets, auxquels nous aimons de fermer les yeux ? Aussi Jésus-Christ nous laisse-t-il souvent dans le misérable égarement où nous sommes. De là tant de préjugés : de là tant de fausses idées sur la religion et sur la morale : de là tant de funestes illusions que nous chérissons, lors même qu’elles nous éloignent du grand but auquel nous devrions diriger toutes nos pensées, tous nos desseins, toutes nos vues.

Je voudrais aujourd’hui, mes frères, vous ouvrir la carrière de la vérité, pour vous montrer le chemin qui y conduit, et vous animer par les motifs, pris des grands avantages qu’on trouve à y marcher avec fermeté et avec constance. Ce qu’il en coûte pour connaître la vérité, c’est ce que nous examinerons en premier lieu : ce que vaut la vérité, ce sera le sujet de notre seconde partie : Achète la vérité. La logique du chrétien, ce sera donc le titre de mon discours et de mon texte. Sans doute, le plus grand dessein qui puisse rouler dans l’esprit d’un homme, c’est celui de connaître soi-même la vérité ; et le dessein qui le suit immédiatement après en importance, et qui le surpasse en difficultés, c’est celui de la faire connaître aux autres. Mais si l’amour de la vérité, si le désir de la communiquer à un peuple que l’on porte dans le cœur, si les soupirs ardents poussés vers le Dieu de la vérité, si ces dispositions obtiennent le secours pour y parvenir soi-même et pour y faire parvenir ceux à qui l’on adresse sa voix, nous osons espérer de ne pas porter la parole sans succès. Dieu veuille couronner lui-même nos espérances !

Premier point

Nous vous entretiendrons premièrement du chemin qui conduit à la vérité, ou pour nous servir des idées de notre texte, nous vous dirons ce qu’il en coûte pour connaître la vérité.

Il est important, avant toutes choses, de déterminer ce que nous entendons par la vérité. S’il y a un terme équivoque dans l’usage de la vie, soit à l’égard des sciences humaines, soit à l’égard de la religion, c’est celui de la vérité. Mais sans faire une dissertation métaphysique sur les différentes idées que l’on attache à ce terme, contentons-nous de marquer celle que nous devons y attacher dans cet endroit.

La vérité ne doit pas être regardée ici comme subsistant dans un sujet, indépendamment des réflexions d’un esprit qui le considère. Je ne dis pas qu’il n’y ait dans chaque objet une vérité qui subsiste, soit que nous y fassions attention, soit que nous n’en fassions aucune : mais je dis que dans ces phrases, chercher la vérité, aimer la vérité, acheter la vérité, ce terme est un mot relatif entre un objet et un esprit qui le considère. Il est destiné à marquer la convenance qui se trouve entre un objet et l’idée que nous en avons. Chercher la vérité, c’est chercher à avoir des idées justes de l’objet de nos réflexions ; et acheter la vérité, c’est faire tous les sacrifices nécessaires pour ne se former que de ces idées proportionnées aux objets dont elles doivent être les images. Nous entendons donc ici par vérité la convenance qui se trouve entre un objet et l’idée que nous en avons.

Mais il faut porter plus loin notre méditation. Le terme de vérité, pris dans le sens que nous venons de lui donner, est un de ces termes abstraits dont on ne peut bien marquer le sens et la précision, si l’on ne détermine l’objet auquel on l’attribue. Dans chaque art, dans chaque science, il y a une vérité. Il y a une vérité dans l’art de s’avancer dans le monde, un certain choix de moyens, un certain ménagement de circonstances, une certaine promptitude à se saisir de l’occasion. Le courtisan achète cette vérité par son assiduité auprès de son prince, par l’attention continuelle aux regards de son prince, aux traits de son visage, à ses gestes, à ses volontés et à ses caprices. Le marchand achète cette vérité aux dépens de son repos, aux dépens de sa santé, quelquefois aux dépens de sa vie, souvent même aux dépens de son salut et de sa conscience. De même il y a une vérité dans les sciences. Un mathématicien se distille le cerveau, passe les jours et les nuits, suspend les plaisirs les plus touchants, les inclinations les plus naturelles, pour trouver dans le rapport des figures, dans la combinaison des nombres, la solution de quelque problème. Ce ne sont pas là les vérités que le sage nous exhorte d’acheter. Elles ont leur prix, je l’avoue, mais combien rarement valent-elles ce qu’il en coûte pour y parvenir !

Quelle est donc l’idée de Salomon ? Entend-il seulement les vérités de la religion et la science du salut ? C’est là que se trouve sans doute la vérité par excellence, nous ne saurions trop donner pour l’acheter. Je ne crois pourtant pas que ce soit marquer avec la dernière précision les vues du sage, que de borner là sa pensée, et d’entendre ici simplement par la vérité la science du salut. Son expression est vague : elle embrasse toutes les vérités dans son enceinte : elle offre à l’esprit une idée générale, l’idée de la vérité universelle : Achète la vérité.

Mais qu’est-ce que cette idée générale de la vérité ? Qu’est-ce que la vérité universelle ? Salomon veut-il que nous parvenions à avoir des idées exactes de tous les êtres, que nous acquérions la perfection de tous les arts, que nous approfondissions les secrets de toutes les sciences ? Qui est-ce qui peut suffire à cet ouvrage ?

Il me semble, mes frères, que quand il nous exhorte ici d’acheter la vérité, dans cette idée vague et indéterminée, il veut nous porter à acquérir cette heureuse disposition d’esprit, qui fait que nous donnons à chaque question qui nous est proposée, le temps et l’attention qu’elle mérite ; à chaque preuve la force ; à chaque difficulté son poids ; à chaque bien sa véritable valeur. Il veut nous inspirer cette exactitude de discernement, cette équité de jugement qui nous fait regarder comme démontré, ce qui est démontré, comme problématique, ce qui est problématique, comme digne d’une grande application, ce qui est digne d’une grande application, comme digne d’un amour modéré, ce qui est digne d’un amour modéré, comme digne d’un amour sans bornes, ce qui est digne d’un amour sans bornes, et ainsi du reste. Voilà, ce me semble, mes frères, la disposition de l’esprit que Salomon veut nous inspirer ; voilà, s’il est permis d’ainsi dire, l’aptitude à la vérité universelle. Avec cette disposition nous pourrions aller aussi loin dans la connaissance des vérités particulières, que le peut permettre la mesure des talents que nous avons reçus du ciel, et les circonstances diverses dans lesquelles la providence nous aura mis. Surtout avec cette disposition nous nous convaincrons de ce principe, auquel le grand but de Salomon est de nous conduire, c’est que la science du salut est ce qu’il y a de plus digne de l’application de nos esprits et de nos cœurs, et avec cette disposition nous ferons des progrès immenses dans cette science du salut.

Mais cette vérité universelle, cette disposition d’esprit qui y conduit, ne s’acquièrent pas sans travail et sans sacrifice. Il faut les acheter : Achète la vérité. Et pour me borner à quelques idées distinctes, la vérité universelle, la disposition d’esprit qui y conduit, demandent le sacrifice de la distraction ; le sacrifice de l’indolence et de la paresse de l’esprit ; le sacrifice de la précipitation du jugement ; le sacrifice du préjugé ; le sacrifice de l’entêtement ; le sacrifice de la curiosité et le sacrifice des passions. Nous comprenons tout ce sujet dans sept préceptes. 1. Soyez attentifs. 2. Ne vous rebutez pas pour le travail. 3. Suspendez votre jugement. 4. Faites céder le préjugé à la raison. 5. Ayez de la docilité. 6. Réfrénez l’insatiable désir que vous avez de savoir et de connaître. 7. Pour éclairer votre esprit, rendez-vous maître de votre cœur. Voilà le prix auquel Dieu a mis cette vérité universelle, et cette disposition d’esprit qui y conduit. Si vous ne pouvez vous résoudre à tous ces sacrifices, vous pourrez bien parvenir à quelque vérité particulière ; mais vous ne parviendrez jamais à la vérité universelle. Vous pourrez parvenir peut-être à être grand mathématicien, grand géomètre, critique judicieux, guerrier célèbre ; mais vous ne parviendrez jamais à être vrai disciple de la vérité.

1. Le sacrifice de la distraction, c’est ce premier prix que nous devons donner pour acheter la vérité. Soyez attentifs, c’est le premier précepte que nous devons suivre pour la connaître. Un philosophe modernea a porté bien loin cette pensée : il prétend que l’esprit de l’homme est uni à deux êtres bien différents. 1° A cette portion de matière qui fait la masse de son corps ; 2° à Dieu, à la sagesse éternelle, à la raison universelle. Il prétend que comme les mouvements qui s’excitent dans notre cerveau, sont la cause de nos sentiments, effets de l’union de notre âme avec notre corps, l’attention est la cause occasionnelle de nos connaissances et de nos idées, effets de l’union de notre esprit avec Dieu, avec la sagesse éternelle, avec la raison universelle. Le système de ce philosophe sur ce sujet a été taxé depuis longtemps d’être un roman philosophique. Il renferme pourtant un grand sens sur la nécessité et sur les fruits de l’attention. La distraction est cette disposition qui fait que nous attachons une portion de notre esprit à divers sujets, lorsque nous devions la fixer toute entière à un seul. L’attention est cette disposition opposée qui recueille nos idées, et qui les fixe à un seul sujet. Deux réflexions vous feront sentir que la vérité est inaccessible sans ce sacrifice, et sans l’observation de ce précepte.

a – Malebranche, Recherche de la Vérité, Liv. 3, chap. 6.

La première réflexion est prise de la nature de notre esprit : il est renfermé dans d’étroites limites. Nous n’avons qu’une portion de génie. Si lorsqu’il est question d’examiner une proposition combinée, nous ne donnons à cette proposition une attention proportionnée à son étendue, nous ne la verrons que par de certains côtés, nous tomberons dans l’erreur. Les propositions les plus absurdes ont quelque motif de crédibilité. Si nous ne considérons que deux motifs de crédibilité dans un sujet qui a deux degrés de probabilité, et que nous considérions trois degrés de probabilité dans un sujet qui n’en a que quatre, ce dernier nous paraîtra mieux prouvé que l’autre.

La seconde réflexion est prise de l’expérience. Il n’y a personne de nous qui n’ait éprouvé que les choses lui paraissent fausses ou vraies, démontrées ou problématiques, selon la distraction qui le partage en les examinant, et selon le degré d’attention qu’il leur a donnée. D’où vient que dans certains jours de recueillement, de retraite, de concentrement de pensées, la piété nous paraît être seule digne de notre attachement ; et que nous disons du fond d’une âme convaincue et pénétrée : J’ai conclu que ma portion était de garder tes paroles Psaumes 119.57 ? D’où vient qu’à l’ouïe d’un discours, dans lequel l’art du prédicateur nous arrache notre attention comme malgré nous, nous disons comme autrefois le peuple d’Israël : Nous ferons tout ce que l’Éternel a dit Exode 19.8 ? D’où vient que dans un lit de mort nous reconnaissons si bien la solidité des leçons qu’on nous avait données sur le néant des choses du monde, et que nous joignons si aisément notre voix à toutes celles qui crient : vanité des vanités, tout est vanité et tourment d’esprit Ecclésiaste 1.2 ? D’où vient au contraire que, dans les années de notre jeunesse, dans le fort de notre santé, nous trouvons si réels et si solides ces mêmes objets, qui nous paraissent si vains dans un lit de mort ? D’où vient que le commerce du monde renverse tous ces systèmes de piété que nous avions formés dans le cabinet ? D’où vient qu’à la porte de ces temples, et à la fin de ces exercices, les preuves que nous avions senties perdent toute leur démonstration et toute leur force ? Est-ce donc qu’il n’y a rien de fixe dans la nature des êtres ? Est-ce donc que la vérité n’est rien qu’une dénomination extérieure , comme l’on parle dans les écoles, qu’un être de raison et une manière de concevoir ? Est-ce que notre esprit change de nature à mesure que les circonstances changent de face ? Est-ce que ce qui était vrai dans nos cabinets, dans nos temples, dans le calme de nos passions, devient faux dans l’accès de ces passions, hors de ce temple, dans le commerce du monde ? Arrière de nous cette pensée. C’est que dans ces premières circonstances nous sommes tous concentrés dans l’étude de la vérité ; au lieu que la santé, que le monde, que les passions, répandent pour ainsi dire notre attention, et l’affaiblissent en la répandant.

Je dis plus encore. La distraction est une des sources les plus ordinaires, non seulement des fautes que l’on fait dans la spéculation, mais de celles dont on se rend coupable dans la pratique. Nous déclamons peut-être trop contre la malice des hommes ; les hommes ne sont peut-être pas aussi méchants que nous le croyons. Quand nous pouvons les rendre attentifs à certaines vérités, nous les y rendons sensibles. Nous retrouverons des cœurs accessibles à des motifs de justice, de reconnaissance, de charité. Si les hommes nous paraissent si éloignés de ces vertus, c’est que le cercle des choses temporelles les occupe ; c’est que tout les distrait ; c’est que le bruit du monde ne cesse de les étourdir. L’ignorance et l’erreur sont inséparables de la distraction. Soyez attentifs, c’est le premier précepte que nous vous donnons. Le sacrifice de la distraction est donc nécessaire pour parvenir à la connaissance de la vérité.

Mais si l’on n’y peut parvenir que par l’observation de ce précepte, et en faisant ce sacrifice, reconnaissons-le ingénument, la vérité est mise à prix, et à un grand prix. L’expression du sage est juste ; il faut acheter la vérité : Achète la vérité. Notre esprit, ennemi du recueillement et de l’attention, aime à voltiger d’objet en objet : il fuit surtout de s’attacher à ceux qui n’ont rien de sensible, tels que sont ceux de la religion. La majesté d’un Dieu invisible et qui se cache ne saurait le captiver : et comme la terre l’occupe pour l’ordinaire, les idées terrestres le suivent. Le démon, qui voit que le fidèle porte les plus rudes coups à son règne dans l’étude de la vérité, travaille à l’en détourner, Abraham n’a pas plutôt préparé les viandes sacrées, que des volées d’oiseaux Genèse 15.11 viennent interrompre son sacrifice : un disciple de la vérité chasse ces oiseaux. Parmi tant d’objets divers, au milieu de tant de distractions, malgré tant d’idées opposées qui s’entreheurtent et qui s’entrechoquent, il se recueille en lui-même, il offre son âme sans réserve à l’étude de la vérité.

2. Le second sacrifice, c’est celui de l’indolence et de la paresse de l’esprit. Ne vous rebutez point par le travail, c’est le second précepte qu’il faut observer pour parvenir à la connaissance de la vérité. Cet article est lié avec celui qui le précède. On ne saurait faire le sacrifice de la distraction, sans faire celui de la paresse de l’esprit et de l’indolence. L’attention est un travail : c’est même un des travaux les plus pénibles. Le travail de l’esprit est souvent plus pénible que celui du corps ; et la plus grande partie du genre humain supporte avec moins de répugnance les plus grandes fatigues du corps, que la moindre application de l’esprit. La vie militaire paraît la plus laborieuse : cependant quelle multitude innombrable d’hommes la préfèrent à l’étude des sciences ! Parce que l’étude des sciences demande une contention qui coûte plus à notre indolence et à notre paresse que la vie militaire.

Si le travail de l’esprit est pénible, il est pourtant surmontable : on s’y forme par la même voie qui rend supportable celui du corps. Un homme accoutumé à l’aise et au repos, un homme élevé avec délicatesse, ne saurait soutenir de passer les jours et les nuits à cheval, de n’avoir point de demeure fixe, d’être continuellement en action, de se sentir consumer par le hâle de la journée et par les frimas de la nuit. Il n’y a que l’exercice et que l’habitude qui puissent endurcir à ces travaux. De même un homme accoutumé à passer les nuits à cheval, à n’avoir point de demeure fixe, à être continuellement en action, à se laisser consumer par le hâle du jour et par les frimas de la nuit, un homme dont le corps semble avoir changé de nature, et avoir contracté la dureté du fer ou de la pierre, un tel homme ne pourra pas supporter l’effort de l’attention. Il est donc nécessaire d’accoutumer son esprit au travail, de le tenir en haleine, de le rendre propre, par l’habitude et par l’exercice, à faire ces efforts d’attention qui élèvent ceux qui en sont capables, aux idées les plus sublimes, et aux connaissances les plus abstruses.

Les personnes, que la providence appelle à exercer des arts mécaniques, sont à plaindre : tout ce à quoi elles sont engagées, pour remplir les devoirs de leur vocation, les détourne du but que nous marquons, plonge leur esprit dans les sens et dans la matière. Elles seront pourtant l’objet du support de Dieu : le cas où elles se trouvent, est une présomption de la diversité admirable que Dieu observera dans le jour du jugement : il fera une parfaite combinaison des diverses circonstances où les hommes se seront trouvés : Il demandera beaucoup de celui à qui il aura été beaucoup donné Luc 12.48. Il demandera moins de celui à qui il aura été donné moins.

Que personne n’abuse de cette maxime. Il n’y a point d’artisan qui, jusques à un certain degré, ne soit engagé au sacrifice de la paresse de l’esprit et de l’indolence : il n’y a point d’artisan qui n’ait une âme immortelle : il n’y a point d’artisan qui ne doive acheter la vérité par le travail de l’attention. Que chacun se fasse une loi d’avoir des temps de méditation et de recueillement. Que chacun, au milieu des occupations les plus grossières, s’accoutume à s’élever au-dessus de l’économie présente. Que chacun travaille à surmonter cette répugnance, que nous avons tous à nous fixer sur des sujets abstraits. Ne vous rebutez pas par le travail, c’est le second précepte ; le second sacrifice que demande de nous la vérité, c’est celui de l’indolence et de la paresse de l’esprit.

3. Elle demande en troisième lieu celui de la précipitation du jugement. Il y a peu de personnes capables de ce sacrifice : il n’y en a même qu’un très petit nombre, qui ne regarde comme une faiblesse cette suspension de jugement, qui est un des plus grands efforts de génie. A l’égard des sciences humaines, on croirait se décrier, si l’on disait : Je n’ai point pris de parti sur telle et telle question ; elle demanderait tant d’années de recherches et de discussions ; il n’y a que tant d’années que je suis au monde, et j’en ai consumé une partie à telle science, une partie à telle autre science, une partie à telle occupation domestique : il implique contradiction que j’aie pu examiner tous les principes, toutes les conséquences, tous les calculs, toutes les preuves, toutes les difficultés d’où dépend l’éclaircissement de cette question. La sagesse demande que mon esprit demeure indéterminé sur ce qui la concerne, que je ne prenne le parti ni de nier, ni d’affirmer sur un sujet dont les preuves et les objections me sont presque également inconnues.

A l’égard de la religion, on se fait même pour l’ordinaire un scrupule de conscience de cette suspension de jugement à laquelle, selon nous, un chrétien est d’autant plus engagé, que les vérités qui sont l’objet de la foi, surpassent en sublimité et en importance tous les objets des sciences humaines. Je pardonne cette faiblesse à un homme élevé dans le sein de la superstition, à un homme qu’on menace d’une condamnation éternelle s’il n’adhère à certains dogmes, lesquels non seulement il n’a pas examinés, mais dont même on lui interdit l’examen sous la même peine. Mais que de casuistes éclairés, ou qui doivent l’être, croient avoir remporté de beaux triomphes sur l’incrédulité, et faire honneur à la religion, lorsqu’à force de déclamations effrayantes, ils ont extorqué quelque aveu d’un catéchumène ; c’est ce dont nous aurions de la peine à nous convaincre, si l’expérience ne nous en faisait voir mille et mille exemples. Et que vous, mes frères, qui êtes un peuple libre, des hommes spirituels qui doivent discerner toutes choses 1 Corinthiens 2.15, que vous puissiez quelquefois déférer à ces casuistes ; c’est encore ce dont on ne pourrait se persuader, si cette même expérience n’en fournissait tant de mortifiantes preuves.

N’incorporons point nos chimères dans la religion. La persuasion d’une vérité, reçue sans preuve, ne saurait nous rendre plus agréables à Dieu que le mensonge même. Une vérité, reçue sans preuve, est par rapport à nous une espèce de mensonge. Bien plus : une vérité, reçue sans preuve, est une source féconde de mensonges, parce qu’une vérité, reçue sans preuve, n’est fondée par rapport à nous que sur de faux principes. Mais si par une espèce de hasard, dans lequel la raison n’entre pour rien, un faux principe nous fait recevoir la vérité dans cette occasion, ce même principe nous fera recevoir un mensonge dans une autre occasion. Il faut donc suspendre son jugement, quelque inclination que nous ayons naturellement à prononcer, pour nous épargner l’attention et le travail que nous imposerait une plus ample discussion de la vérité. Avec cette démarche nous ne parviendrons pas véritablement à toutes les connaissances ; mais nous préviendrons toutes les erreurs. La bonté de Dieu ne demandait pas qu’elle nous fît connaître toutes les vérités, mais elle demandait qu’elle nous donnât des secours pour rejeter tous les mensonges : elle demandait que nous ne fassions jamais contraints, par la nécessité de notre nature, à donner notre consentement à l’erreur ; et ce secours il nous l’a donné. Il n’y a point d’homme qui ne soit souverainement libre de ne pas donner son consentement à un sujet qu’il n’a pas examiné sous toutes ses faces.

4. Le quatrième sacrifice que demande la vérité, c’est celui du préjugé ; et le quatrième précepte, c’est que vous fassiez céder le préjugé à la raison. Cette proposition a besoin d’éclaircissement. Le mot de préjugé est équivoque : quelquefois il est employé à marquer une preuve qui n’a pas une entière évidence, mais qui est pourtant de quelque poids ; en sorte qu’un grand nombre de ces préjugés, qui, pris séparément, ne pouvaient suffire pour former une démonstration, doivent entraîner le consentement lorsqu’ils se trouvent réunis. Mais quelquefois le mot de préjugé a une signification odieuse : il se prend pour cette impression, qu’une circonstance étrangère à une proposition, fait sur l’esprit de celui qui est appelé à prononcer, si cette proposition doit être reçue ou si elle doit être rejetée. Dans ce sens on dit qu’un esprit est rempli de préjugés, pour désigner cette disposition, qui lui fait donner à de fausses preuves l’attention et l’autorité qui n’étaient dues qu’à des arguments solides.

Selon le différent sens que vous attribuerez à ce terme, il faudra donner un sens différent à ce quatrième précepte ; faites céder le préjugé à la raison. Si vous prenez le mot de préjugé dans la première signification, nous entendons lorsque nous vous demandons le sacrifice du préjugé, que vous donniez à une probabilité et à une demi-preuve, comme l’on parle, l’attention et l’autorité que méritent une demi-preuve et une probabilité. Nous entendons que l’évidence et la démonstration l’emportent toujours dans votre âme sur les apparences. La justice de ce précepte s’offre d’elle-même à l’esprit : il n’est pourtant pas inutile qu’on en presse la nécessité, pour nous engager à le suivre. J’ai déjà dit que les hommes étaient ennemis du travail que demande la recherche de la vérité : ils aiment pourtant à savoir et à connaître ; de ces deux dispositions combinées résulte le penchant qu’ils ont au préjugé. Un homme, qui se laisse persuader par des préjugés, s’affranchit des travaux que demande la recherche de la vérité ; cela satisfait son indolence : il se flatte pourtant qu’il est parvenu à la vérité ; cela satisfait le désir qu’il a de savoir et de connaître. Il faut être en garde contre ce genre de tentation. C’est le premier sens de ce précepte. Faites céder le préjugé à la raison.

Dans le second sens, et en donnant au mot de préjugé la signification odieuse que nous lui avons attribuée, nous exigeons de celui qui veut être le disciple de la vérité, que, quand il examinera un problème, il en écarte tout ce qui n’y a aucune liaison. Le préjugé, dans le premier sens, nous conduit quelquefois à la vérité ; mais il en éloigne toujours quand il est de ce second genre. Quelle idée vous formeriez-vous d’un homme, qui, pour examiner cette question : Y a-t-il une partie dans le monde qui est appelée Amérique ? mettrait parmi les preuves qui le déterminent à prendre le parti de l’affirmative ou celui de la négative sur ce sujet, cette considération, que le soleil brille aujourd’hui à nos yeux dans tout son éclat, ou que des nuages épais nous dérobent une partie de sa lumière ? Qui ne sent que le problème dont on cherche la solution, n’a aucune relation avec ce milieu dont on se sert pour y parvenir ? Cet exemple ne peut servir qu’à faire entendre notre pensée : aussi ne le destinons-nous pas à vous munir contre une erreur particulière. Il n’y a personne au milieu de vous, qui, dans l’examen du problème que nous avons marqué, ait regardé comme une preuve ou comme une objection cette considération que le soleil brille aujourd’hui dans tout son éclat, ou que des nuages épais nous dérobent une partie de sa lumière. Il n’est pourtant que trop certain que dans des discussions bien plus importantes, nous nous déterminons souvent par des raisons qui leur sont aussi étrangères que l’étaient au problème proposé celles que nous avons indiquées. Par exemple, il s’agit de déterminer si un homme pense avec netteté, s’il s’exprime avec justesse, s’il est digne qu’on défère à son témoignage, ou si son témoignage doit être rejeté. Qu’y a-t-il de plus étranger à cette question, que l’habit dont cet homme est couvert, que le nombre des domestiques qui le servent, que les chevaux qui le traînent, que le ton dont il accompagne ses discours, que l’air décisif avec lequel il les prononce. Et cependant combien de fois l’air décisif d’un homme, le ton dont il accompagne ses discours, les chevaux qui le traînent, les domestiques qui le servent, et les habits dont il est couvert, combien de fois des motifs de ce genre nous ont-ils déterminés à déférer au témoignage d’un homme, et à lui livrer notre raison ? De même on peut savoir à fond l’histoire ancienne et la moderne, posséder toutes les langues orientales, connaître les rites des peuples les plus éloignés et les plus barbares, et être mauvais logicien : car quelle liaison peut-il y avoir entre une logique exacte et la connaissance de ces rites, de ces langues, de cette histoire ancienne et moderne ? Et cependant combien de fois l’idée d’un homme hérissé de ces sortes de sciences a-t-elle imposé à nos esprits ? Combien de fois avons-nous cru qu’un homme, qui savait énoncer le mot d’âme en trente ou quarante langues différentes, en connaissait mieux la nature, les propriétés, la durée, que celui qui ne savait l’exprimer que dans sa langue naturelle ? Le terme de préjugé, qui signifie quelquefois une probabilité et une demi-preuve, se prend donc quelquefois aussi pour l’impression que fait sur l’esprit une circonstance étrangère au sujet qu’on examine. Quand nous demandons le sacrifice du préjugé dans ce dernier sens, nous voulons vous engager à ne faire entrer dans les motifs, qui vous portent à croire, ou à ne croire pas, que ce qui a quelque rapport prochain ou éloigné au sujet de vos discussions.

Le précepte que nous venons de prescrire fera plus d’impression sur vos esprits, si nous l’appliquons à un sujet particulier. Voici un fameux exemple, qui prouve combien il est nécessaire de faire le sacrifice du préjugé dans les deux sens que nous avons marqués. Il y a des cas dans lesquels le grand nombre de ceux qui adhèrent à une communion forme un préjugé en sa faveur. Une communion est suivie de la multitude des savants, des philosophes, des beaux génies : une autre communion n’a que peu de ces sortes de partisans : c’est une probabilité, c’est un préjugé en faveur de la première de ces communions ; c’est un préjugé, c’est une probabilité contre la seconde. Il est probable que la communion, qui a pour elle le plus grand nombre de beaux génies, de philosophes, de savants, est mieux fondée que celle qui n’en a que peu. Ce n’est pourtant là qu’une probabilité, ce n’est pas une démonstration. Les esprits les plus élevés sont capables des plus grandes extravagances, comme les saints du premier ordre sont capables des plus grandes faiblesses. Si vous avez des démonstrations pour la religion que la multitude des grands hommes condamne, la probabilité que forme la multitude doit céder à la démonstration. Faites le sacrifice du préjugé dans ce premier sens.

Mais il y a des cas dans lesquels le grand nombre des partisans d’une doctrine ne forme pas même une probabilité en sa faveur. Par exemple, l’église romaine ne cesse de s’autoriser du suffrage de la multitude. Et nous soutenons que la multitude de ceux qui adhèrent à l’église romaine ne forme pas même une probabilité en faveur de l’église romaine, et nous le prouvons.

Si vous voulez que le préjugé de la multitude forme une probabilité, il faut supposer que cette multitude a examiné ce qu’elle professe, et qu’elle ne professe que ce qu’elle croit. Il faut retrancher d’abord de cette multitude, que l’église romaine étale avec tant de faste, ces esprits indolents qui demeurent sans savoir pourquoi, et comme par hasard, dans la religion qu’ils ont reçue de leurs ancêtres. Il faut en retrancher ce nombre prodigieux d’ignorants, qui ne savent absolument rien de ce qui peut rendre leur religion soutenable. Il faut en retrancher ces provinces et ces royaumes entiers, où l’on sait à peine qu’il y a un livre divin sur lequel la foi de l’église est fondée. Il faut en retrancher cette foule d’ecclésiastiques, qui, pour avoir un habit qui les distingue du peuple, n’en croupissent pas moins dans l’ignorance, qui vivent dans une oisiveté éternelle, du moins dont les exercices n’ont aucun rapport avec la recherche de la vérité. Il faut en retrancher encore tous ces chers nourrissons de l’église, qui sont retenus dans son sein par les richesses immenses qu’ils y possèdent, qui jugent du poids d’un argument par les avantages qu’il procure, et qui à la lettre font ce raisonnement : l’église qui laisse croupir ses ministres dans la pauvreté est une mauvaise église ; celle qui les enrichit est la bonne église ; mais cette église enrichit ses ministres, et cette autre laisse les siens dans la disette ; donc cette dernière est une mauvaise église, et l’autre est la seule bonne. Il faut en retrancher encore tous ces cœurs endurcis, qui suppriment la vérité injustement Romains 1.18, et qui ne combattent contre elle que par un esprit de parti. Si vous suivez cette méthode, vous verrez que cette foule de gens qui vous avait effrayés sera dissipée incontinent, et que cet argument, tant de fois ramené par ceux de l’église romaine, ne forme pas même une probabilité en faveur de leur communion.

5. Le sacrifice de l’entêtement est le cinquième que nous demande la vérité. Soyez docile, c’est le cinquième précepte que nous devons observer pour y parvenir. Cette maxime porte sa preuve avec elle. Qu’y a-t-il de moins sensé que cette disposition d’esprit, qui fait que l’on soutient une proposition par cette raison unique qu’on a eu la témérité de l’avancer, et qu’on aime mieux entasser absurdité sur absurdité, que d’en désavouer une seule échappée sans dessein et comme sans réflexion ? Qu’y a-t-il de plus opposé à la raison que cette disposition d’esprit, qui fait que l’on préfère de tomber mille et mille fois dans le mensonge, que de dire une seule fois : Je me suis trompé ? Si l’on n’avait quelque connaissance de l’homme, si on réglait son cours de morale sur des idées métaphysiques, on croirait qu’il est inutile de prescrire la docilité, et qu’il n’y a personne qui ne soit porté à observer cette vertu. Mais ce qui paraît inutile dans la spéculation est souvent plein de raison dans la pratique. Munissons-nous contre l’entêtement. Regardons toujours comme le plus beau triomphe celui que nous remportons sur nous-mêmes. Disons, lorsque la vérité nous y engage : J’ai erré ; je consacre le reste de ma vie à publier cette vérité que j’ai méconnue, et que je n’ai attaquée que parce que j’avais eu le malheur de la méconnaître.

6. La vérité demande le sacrifice de la curiosité. Réfrénez l’avidité insatiable de savoir et de connaître ; c’est le sixième précepte qui nous est imposé. Sacrifice difficile, précepte même mortifiant. La faculté de savoir et de connaître est une des plus belles prérogatives de l’homme. Le désir de savoir et de connaître est un des désirs les plus naturels. Aussi ne le condamnons-nous pas comme mauvais en lui-même ; mais nous voudrions vous faire sentir que quand on s’y livre indiscrètement, au lieu de faire des progrès dans la connaissance de la vérité, on abandonne le chemin qui y conduit, et pour vouloir s’attacher à l’étude des choses qui sont au-dessus de notre portée, et qui sont inutiles par rapport au séjour que nous faisons sur la terre, et au but que Dieu s’est proposé en nous y plaçant, on néglige celles que l’on pouvait découvrir et qui avaient un rapport intime avec ce but. Nous devons donc faire le sacrifice de la curiosité. Nous devons réfréner le désir insatiable que nous avons de savoir et de connaître, et nous bien persuader que certaines vérités, qui sont souvent l’objet de nos spéculations, ne sont pas d’un genre à pouvoir être connues par des esprits bornés, surtout par des esprits auxquels Dieu a imposé la nécessité de s’attacher à l’étude de certaines vérités et à la pratique de certains devoirs.

Mais de tous les sacrifices que nous devons faire à la vérité, celui des passions est le plus indispensable ; c’est ce que nous avons prouvé dans d’autres occasions, et que nous nous contentons d’indiquer aujourd’hui.

Tels sont les sacrifices que la vérité demande de nous ; tels sont les préceptes qui nous sont imposés pour la connaître. Et ce que nous venons de proposer explique un triste phénomène. Pourquoi y a-t-il tant de gens qui se trompent ? Pourquoi tant de gens qui croupissent dans les erreurs les plus grossières ? Pourquoi tant de gens qui admettent comme des démonstrations les propositions les plus absurdes ? Pourquoi, en un mot, tant de gens qui ont l’esprit faux ? C’est que la droiture de l’esprit ne s’acquiert pas sans peine et sans travail ; c’est que la vérité est mise à prix ; c’est qu’il en coûte beaucoup pour la connaître, et qu’il y a peu de gens qui l’aiment assez pour l’acquérir au prix des sacrifices qu’elle demande : mais quelque grands que soient ces sacrifices, ils ne sont pas comparables aux avantages que la vérité vous procurera. 1° La vérité vous ouvrira une source féconde de plaisirs ; 2° elle vous formera aux divers emplois auxquels vous serez appelés dans la société ; 3° elle vous délivrera de certains scrupules importuns que vous pouvez avoir sur la religion ; 4° elle vous rendra intrépides à la vue de la mort. Quatre objets dont la plus rapide inspection suffira pour vous convaincre, qu’à quelque prix que Dieu ait mis la vérité, vous ne sauriez trop donner pour y parvenir : Achète la vérité ; c’est la dernière partie et la conclusion de ce discours.

Second point

1. La vérité vous ouvrira une source féconde de plaisirs. Le plaisir de savoir et de connaître est infiniment plus sensible que ceux qui sont excités par les organes des sens, ou par les passions turbulentes de l’âme. Que si la connaissance de la vérité est si remplie de délices, lorsqu’elle a les sciences humaines pour objet, de quel charme n’est-elle pas accompagnée lorsqu’elle roule sur la science du salut ?

Mes frères, qu’il me soit permis de le dire, vous n’êtes pas capables pour la plupart d’entrer dans ces réflexions. Comme vous n’envisagez la religion pour l’ordinaire que d’une manière vague et superficielle, vous n’en connaissez ni la beauté, ni l’excellence ; vous n’en voyez ni les conséquences, ni les principes ; aussi votre âme est-elle gênée lorsqu’on l’y attache. La lecture vous lasse, la méditation vous fatigue, un discours d’une heure vous accable ; et jugeant des autres par vous-mêmes, vous regardez un homme qui s’occupe dans le silence du cabinet à étudier la religion, un homme qui a l’âme ravie lorsqu’il accroît ses lumières et qu’il perfectionne ses connaissances ; vous le regardez comme une espèce de mélancolique, à qui un genre de maladie bizarre a renversé le cerveau et troublé l’imagination. Etudier, apprendre, découvrir ; quelle occupation pitoyable, selon vous ! Que me fait l’explication d’un passage, la cause d’un phénomène, l’arrangement d’un système ? Il y a bien plus de noblesse dans le dessein d’un courtisan, qui, après avoir langui plusieurs heures dans le vestibule d’un prince, parvient enfin à en avoir un regard ! Il y a bien plus de solidité dans les projets d’un joueur, qui se propose de voir dans un instant sa fortune élevée sur les débris de celle de son prochain ! Il y a bien plus de réalité dans les spéculations d’un négociant qui découvre ce que vaut ceci, ce que vaut cela ; qui dîme, s’il faut ainsi dire, le ciel, la terre, la mer, la nature, les éléments !

Mais vous vous trompez de la façon du monde la plus grossière. L’étude de la religion, telle que nous la faisons dans nos cabinets, est bien différente de celle que vous en faites vous-mêmes dans quelque sermon, quelquefois mal dirigé et souvent mal écouté, ou dans quelque livre de piété parcouru à la hâte et sans réflexion. A mesure que nous méditons, nous connaissons ; à mesure que nous connaissons, le désir de connaître augmente. Dans nos cabinets, nous envisageons la religion sous toutes ses faces : là, nous la comparons avec la voix de la conscience, avec les désirs de notre cœur, avec ce concert général de toutes les créatures : là, nous admirons comment le Dieu de la nature est d’accord avec le Dieu de la religion ; ou plutôt, comment la religion n’est que le renouvellement et la réparation de la nature : là, nous comparons auteur à auteur, économie à économie, prophétie à événement, événement à prophétie ; là, nous admirons comment malgré la diversité des temps, des lieux, des conditions, des caractères, les auteurs sacrés ont été conformes les uns aux autres, et animés par le même esprit ; comment la promesse faite à Adam fut renouvelée à Abraham ; confirmée à Moïse ; publiée par les prophètes et accomplie par Jésus-Christ : là, nous envisageons la religion comme un amas de vérités qui se donnent la main les unes aux autres ; et quand nous faisons quelque découverte nouvelle, quand nous rencontrons quelque preuve que nous avions ignorée, nous avons des plaisirs plus vifs que dans tous vos jeux, dans tous vos spectacles, dans tous ces mouvements divers qui consument votre vie. Nous sommes plus affamés de faire des progrès dans une route si belle, que vous de voir votre ambition ou votre avarice assouvies et comme ces chérubins, courbés sur l’arche mystique, nous désirons d’en voir le fond 1 Pierre 1.12.

Un chrétien, qui sait nourrir son âme de ces sublimes connaissances, peut toujours puiser à la source des vrais plaisirs. Si vous persistes dans ma parole, disait le Sauveur du monde, vous connaîtrez la vérité, et la vérité vous affranchira Jean 8.32. Cette sentence se vérifie à’ divers égards : elle peut être appliquée à notre sujet. Un homme qui n’a pas de goût pour la vérité, est un esclave : les heures lui sont à charge : il faut qu’il rampe devant toutes les créatures, pour leur demander des secours contre cet ennui qui le ronge et qui le dévore : il faut qu’il cherche partout des moyens d’éviter la vue de lui-même, qui lui est insupportable. Mais un chrétien, qui aime la vérité et qui la connaît, et qui cherche à y faire de plus grands progrès, est hors de cet esclavage : la vérité l’a affranchi. Dans la retraite, dans le cabinet, dans les déserts mêmes, il peut trouver de quoi suppléer, par ses méditations, au défaut du monde universel, et de ses délices.

2. La vérité vous formera aux emplois auxquels vous êtes appelés dans la société. Sans doute que la religion, et que Salomon qui en est le héraut, ont des vues plus nobles et plus élevées que celles de nous dresser aux divers arts qui s’exercent dans le monde. Cependant les avantages de la vérité ne se bornent pas à la religion. Un homme qui a cultivé son esprit, se distinguera dans tous les postes qui lui seront confiés. La fausseté de l’esprit rend incapables de tout, ceux qui ne travaillent pas à s’en corriger. La droiture, la justesse de l’esprit, est nécessaire partout. S’agit-il d’une conférence politique ; qu’y a-t-il de plus insupportable que ces esprits, qui, dans les besoins publics et dans les mesures qu’on prend pour y remédier, ne sont jamais à l’état d’une question ; n’abordent jamais un sujet, et emploient en discours vagues et étrangers le temps qu’il fallait donner à éclaircir un sujet particulier ? S’agit-il d’un conseil de guerre ; qu’est-ce, je vous prie, qu’un guerrier qui manque de droiture d’esprit ? C’est un bras sans tête ; c’est un furieux qui peut fondre avec impétuosité sur une armée, frapper à droite et à gauche, mais qui se laisse surprendre par sa propre valeur, et qui, pour avoir manqué de discernement, rend son courage inutile, souvent même funeste à son parti. C’est à vous principalement, pères et mères de famille, que s’adresse cet article de mon discours. Il est naturel d’aimer à voir ses enfants dans les postes les plus éminents : si ce désir est innocent, il doit vous engager à élever vos enfants d’une manière sortable à la destination que vous en faites ; cultivez leur raison ; regardez comme la science la plus nécessaire, celle qui forme le jugement et qui peut rendre l’esprit juste.

Elle l’est particulièrement à ceux que Dieu appelle aux charges ecclésiastiques. Qu’y a-t-il de plus indigne d’un ministre de la vérité que la fausseté de l’esprit ? Qu’y a-t-il en même temps de plus propre à décrier la religion, que d’en établir la vérité sur des preuves qui concluent en faveur du mensonge ? Qu’y a-t-il de moins raisonnable que ce genre de logique, qui fait que l’on raisonne au jour la journée, s’il est permis d’ainsi parler, que l’on sape d’une main ce qu’on édifie de l’autre, et que l’on abandonne, en disputant contre certains adversaires, ces mêmes principes que l’on avait établis, en disputant contre des adversaires d’un autre ordre ? Quels funestes effets cette méthode, trop suivie par ceux qui devaient l’abhorrer, n’a-t-elle pas produits dans l’église ? A-t-on été appelé à tenir tête à des docteurs qui outraient la liberté de l’homme ; on a fait de l’homme un tronc, une pierre, un être destitué de raison et de volonté. A-t-on été appelé à tenir tête à des gens, qui, sous prétexte de défendre les perfections de Dieu, outraient l’esclavage de l’homme ; on a fait de l’homme une intelligence séraphique, dégagée des sens et de la matière, capable de guider sa méditation jusqu’au plus haut des cieux, et d’atteindre à la perfection des anges et des chérubins. A-t-on été appelé à tenir tête à des adversaires qui outraient la nécessité des bonnes œuvres ; on en a invalidé la nécessité ; on en a fait une simple bienséance de la condition du chrétien, et non une condition du christianisme ; on a fait consister l’essence de la foi en un simple désir d’être sauvé, ou si vous voulez, d’être sanctifié ; désir dans lequel on ne faisait entrer ni cette étude de son propre cœur, ni ce travail sur soi-même, ni cette mortification des passions, sans lesquels tout désir d’être sanctifié n’est qu’un jeu de la cupidité qui veut charger la divinité de l’ouvrage qui était imposé à l’homme. A-t-on été appelé à tenir tête à des gens qui énervaient la nécessité des bonnes œuvres ; on a fait consister la vocation du chrétien dans des exercices impraticables, dans un degré de sainteté inaccessible à des hommes faibles. On a détruit tout le génie de la religion et des sacrements ; on a entouré la table sacrée de feux, de flammes, de démons, et on l’a représentée plutôt comme un tribunal où Dieu exerçait sa vengeance, et comme sur le mont Hébal Deutéronome 11.29, d’où il criait, Maudit soit, maudit soit, que comme un trône de grâce où il invitait les pécheurs repentants, et où il leur faisait goûter toutes les douceurs de la miséricorde. A-t-on été appelé à tenir tête à des adversaires qui voulaient faire Dieu auteur du péché, et qui tiraient, des maux qu’il inflige aux pécheurs, des conséquences contre sa bonté et contre sa miséricorde ; on a ramassé avec soin toutes ces déclarations réitérées de l’Écriture, toutes ces tendres protestations, toutes ces attrayantes invitations qui démontrent que l’homme seul est l’artisan de sa perte, et que Dieu veut que tous les hommes soient sauvés 1 Timothée 2.4. A-t-on été appelé à tenir tête à des adversaires qui affaiblissaient l’empire de Dieu sur sa créature ; on a fait de la divinité, je ne dis pas un maître inexorable, je ne dis pas un roi sévère, mais, ô horreur ! on en a fait un tyran, et pis qu’un tyran. On n’a pas feint de soutenir qu’il n’a formé le genre humain que dans le barbare dessein d’en damner éternellement une partie, afin d’avoir le cruel plaisir de faire voir jusqu’où peut aller son courroux flamboyant et sa justice vengeresse : on a osé soutenir que l’arrêt prononcé contre le réprouvé avant sa naissance, porte non seulement qu’il sera puni s’il vient à pécher, mais qu’il péchera infailliblement ; parce que cela était nécessaire à la manifestation de la justice du Créateur et à la félicité de ses élus, qui goûteront bien mieux les délices célestes, quand il y aura mille et mille milliers de malheureux dans les flammes de l’enfer, que si tous les hommes avaient joui des félicités du paradis.

Ah, mon Dieu ! s’il y a quelqu’un parmi nous qui soit capable de se former des idées si injurieuses à vos perfections, ne l’imputez point à la société entière des chrétiens, et que le corps de nos églises ne souffre pas du dérèglement de quelques uns de ses membres ! Un seul autel dressé aux faux Dieux, un seul acte d’idolâtrie suffisait autrefois pour allumer votre courroux. Jaloux de votre gloire, vous veniez fondre avec vos plus redoutables châtiments contre la république d’Israël, lorsqu’elle vous associait les fausses divinités. De là, ces fléaux épouvantables ; de là, ces exils éternels ; de là, ce ciel et cette terre si souvent réunis contre les coupables ; mais si l’Israélite éprouva un traitement si rigoureux pour avoir attribué aux fausses divinités les perfections de la véritable, quels malheurs ne feriez-vous pas ressentir aux chrétiens, si, malgré le flambeau de l’Évangile qui les éclaire, ils chargeaient la véritable divinité des vices des faux dieux ; si, par une théologie indigne de porter ce nom, ils attribuaient au Dieu saint la cruauté, l’injustice, le mensonge de ces idoles, auxquelles les passions seules ont donné la naissance, et qu’elles ont revêtues de leurs abominations ! La vérité universelle, la disposition d’esprit qui y conduit affranchit de ces contradictions : elle accorde le pasteur et le docteur avec lui-même.

3. La vérité vous délivrera de certains scrupules importuns que vous pouvez vous former sur la religion. C’est une violente situation que celle d’un esprit flottant à tout vent de doctrine Éphésiens 4.14, pour me servir d’une expression de saint Paul, et qui, dans des sujets aussi intéressants que ceux de la religion, doute encore s’il est dans le chemin de la vérité ou dans celui de l’erreur, si le culte qu’il rend à la divinité lui est agréable ou odieux, si les travaux qu’il endure pour le salut sont des martyres qu’il subit par simplicité ou s’ils lui sont imposés par un Dieu rémunérateur.

Mais si cette situation d’esprit est violente, il est difficile de s’en affranchir. Il n’y a que ceux qui vivent sans réflexion ou ceux qui ont fait une étude sérieuse des vérités de la religion qui soient à l’abri de ces inquiétudes.

Nous voyons une variété presque innombrable de sectes qui sont diamétralement opposées. Comment se flatter qu’on est dans le sein de la véritable église, si l’on ne s’est profondément appliqué à discerner la vérité d’avec le mensonge ?

Nous entendons les partisans de ces différentes religions s’anathématiser et se damner les uns les autres : comment n’être pas effrayé de ces dénonciations ?

Nous ne saurions douter que, parmi ceux qui sont dans des systèmes opposés aux nôtres, il n’y en ait un grand nombre qui ont plus de lumière, plus d’érudition, plus d’élévation d’esprit, plus de pénétration que nous. Comment ne pas craindre que ces adversaires, ayant eu plus de secours que nous pour connaître la vérité, ne la connaissent mieux en effet, et qu’ayant employé plus de temps à l’étudier, ils n’y aient fait plus de progrès ?

Nous reconnaissons qu’il y a dans la religion que nous professons, des difficultés que nous ne saurions résoudre, des abîmes sans fond, des mystères qui non seulement sont au-dessus de notre raison, mais qui semblent même lui être opposés. Comment n’être pas scandalisé de ces ténèbres ? Comment ne pas former quelque soupçon contre une religion qui se couvre encore de tant de voiles ?

Nous sommes forcés de reconnaître que les préjugés de l’éducation et de la naissance sont pour l’ordinaire tout puissants sur notre esprit ; nous nous souvenons d’ailleurs qu’il n’y a rien qu’on nous ait inculqué avec plus de soin dans notre enfance que les dogmes de notre foi. Comment pouvoir se démontrer que ces dogmes doivent être mis dans la classe des vérités bien prouvées, non dans celle des erreurs reçues par préjugé ?

Nous savons par une triste expérience que nous avons souvent admis comme des principes incontestables, des propositions erronées, et que nous avons souvent cru avoir l’évidence lorsque nous avions à peine la probabilité. Comment ne pas se défier des jugements formés dans des esprits si sujets à l’illusion, et qui y sont tombés tant de fois ?

De ces différentes réflexions naît un mélange de lumière et de ténèbres, un contraste de doute et de certitude, de foi et d’incrédulité, de persuasion et de pyrrhonisme qui est un des plus funestes états dans lequel une âme puisse se trouver. Si les hommes ne sont pas toujours livrés à ces sombres idées, c’est que les objets de la cupidité remplissent toute la capacité de leur âme ; mais il y a certains temps de recueillement et de retour sur soi-même où ces funestes pensées s’offrent à notre raison, et lui font sentir toutes leurs amertumes.

Un homme qui est parvenu à la connaissance de la vérité, un homme qui a fait tous ces sacrifices pour y arriver, est au-dessus de ces scrupules, non seulement parce que la vérité a certains caractères qui la distinguent du mensonge, certains traits de lumière qui frappent les yeux, et auxquels il est impossible de se méprendre ; mais aussi parce qu’il n’est pas possible que Dieu laisse dans des erreurs capitales des hommes qui sont capables de faire de si grands sacrifices à la vérité : que s’il ne leur découvre pas tout ce qui leur paraissait d’abord fondamental dans la religion, il leur fera connaître tout ce qui est fondamental en effet. Il les supportera s’ils ont des erreurs d’un autre genre, dans lesquelles ils ne sont tombés que par une infirmité inséparable de la nature humaine.

4. Enfin considérez le prix de la vérité par rapport au calme qu’elle procure dans le lit de la mort. La vérité vous rendra intrépide à la vue de la mort. On dit que Caton d’Utique, résolu à sortir du monde, et ne pouvant plus survivre à la liberté de Rome, et à la gloire de Pompée, voulut, avant toutes choses, se bien convaincre d’une autre vie. Quoiqu’il eût médité sur ce grand sujet durant le cours de sa vie, il crut qu’il fallait en renouveler l’examen aux approches de la mort. Pour cet effet, il écarte la société ; il cherche la retraite ; il prend les livres de Platon, et lit avec attention les preuves de l’immortalité de l’âme. Convaincu de ce grand principe, il meurt avec tranquillité. Il me semble que je l’entends repoussant, par la persuasion de son immortalité, tous les raisonnements qu’on lui opposait pour le rappeler à la vie. Si Caton n’avait que des conjectures flottantes sur l’immortalité de l’âme, il ne pourrait mourir qu’avec regret ; si Caton ne connaissait point d’autre monde, il serait peu sensé de sortir de celui-ci. Mais Platon rassure Caton : Caton est persuadé d’une autre vie ; ce fer, qui va lui percer le flanc, ne saurait atteindre jusqu’à son cœur. L’âme de Caton voit une autre Rome, une autre république, dans laquelle la tyrannie ne sera plus sur le trône, dans laquelle Pompée ne sera plus opprimé, dans laquelle César ne triomphera plus.

Que j’aime à me représenter un païen se persuadant de l’immortalité de l’âme, par les seules lumières de la raison ! Et que je suis fâché qu’il ait souillé ces réflexions par l’homicide de lui-même ! Mais je trouve dans la fermeté qui résulta de ses méditations, un motif à suivre les leçons que le sage vient de nous donner. Tandis que l’âme flotte entre la lumière et l’obscurité, entre la persuasion et le doute, tandis qu’elle n’a que des présomptions et des probabilités en faveur de la religion, il est impossible qu’elle envisage la mort sans terreur ; mais un chrétien éclairé, affermi, trouve dans sa religion un refuge assuré contre ses frayeurs.

Et si le Caton païen a bravé la mort, que ne fera point le Caton chrétien ? Si le disciple de Platon a su percer ces nuages qui nous cachent l’avenir, que ne fera point le disciple de Jésus-Christ ? Si quelques preuves dictées par la raison, ont calmé les agitations de Caton, que ne feront pas tant de preuves lumineuses, tant de démonstrations rayonnantes qui déposent pour la certitude d’une autre vie ? Puissions-nous connaître le prix de la vérité par notre propre expérience ! Amen. Dieu nous en fasse la grâce. A lui soit fait honneur et gloire à jamais. Amen.

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