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4.
Sur les projets chimériques

Ce qui a été fait se fera encore : il n’y a rien de changé sous le soleil.

Ecclésiaste 1.9

Il y a peu de personnes qui ne se fassent d’agréables chimères, qui ne se forment de l’avenir certaines idées flatteuses, qui n’ont de fondement que dans leur imagination. Cette disposition d’esprit, qui est si générale parmi les hommes, est aussi une des principales causes de l’amour qu’ils ont pour la vie. On a mis en question s’il y eut jamais de mortel assez heureux pour vouloir recommencer à vivre, à condition de passer par tous les états où il s’est trouvé depuis le commencement de ses jours. Sans prononcer sur ce problème, j’ose assurer que les hommes seraient beaucoup moins attachés au monde, s’ils ne se flattaient de trouver enfin de plus grandes douceurs que celles qu’ils y ont rencontrées jusqu’au moment actuel de leur existence. Un enfant s’imagine que, dès qu’il sera parvenu à une certaine stature, il aura des plaisirs tout autrement vifs que ceux qu’il goûte dans les années de l’enfance : cela est pardonnable à un enfant. Celui qui a atteint l’adolescence se persuade que des hommes, qui ont ce qu’on appelle un établissement, sont incomparablement plus heureux qu’on ne le peut être à son âge. Lorsque nous nous voyons condamnés à vivre seuls, la solitude est ce qui nous paraît moins supportable ; quand nous nous sommes formé une société, nous regrettons ces temps heureux où nous jouissions de la tranquillité de la solitude. C’est ainsi que nous roulons d’imagination en imagination, et de chimères en chimères, jusqu’à ce que la mort, venant renverser tous nos projets imaginaires de béatitude, nous fasse connaître, par notre propre expérience, ce que l’expérience des autres pouvait nous avoir suffisamment appris. C’est qu’il n’y a rien que de vain dans le monde ; c’est que chaque état, chaque âge, chaque condition, ont leurs inconvénients qui leur sont propres ; c’est qu’ils en ont tous un qui leur est commun : je veux dire un caractère de disproportion avec notre cœur ; en sorte qu’en changeant de situation, nous ne faisons que changer de genre de misère.

C’est ce dont je voudrais vous convaincre aujourd’hui, mes frères, et ce sera le sujet de ce discours, que je destine à combattre ces projets chimériques de félicité. Ce qui a été, sera, dit Salomon ; ce qu’on a pratiqué jusqu’à ce jour, c’est ce qu’on pratiquera encore : il n’y a rien de nouveau sous te soleil. Et, comme en cherchant ma félicité dans tout ce qu’il y avait en apparence de plus propre à me rendre heureux parmi les objets du monde, je n’ai encore rien trouvé qui ne m’ait convaincu que tout est vanité, l’expérience du passé m’est un garant pour l’avenir. J’ai lieu de porter sur tous les biens que le monde pourrait m’offrir à l’avenir le même jugement que je porte sur ceux qu’il m’a offerts auparavant : c’est que, jusqu’à la fin des siècles, ils ne seront que vanité, comme ils n’ont été que vanité jusqu’à présent. Ce qui a été, sera ; ce qu’on a pratiqué jusqu à ce jour, c’est ce qu’on pratiquera encore : il n’y a rien de nouveau sous le soleil.

Trois choses sont nécessaires pour entrer dans la pensée du sage : et nous allons vous montrer : I. l’erreur qu’il attaque ; II. les armes qu’il y oppose ; III. le but qu’il se propose en la combattant. Laissez-moi, pour vous intéresser à ce plan, vous en donner une idée plus étendue avant que de le mettre en exécution.

I. Dans le premier article, je voudrais développer l’idée de Salomon ; vous engager à entrer dans les replis les plus cachés de votre cœur, et vous faire reconnaître que nous sommes tous, plus ou moins, prévenus de cette trompeuse pensée : c’est que l’avenir nous prépare dans ce monde quelque chose de plus solide que ce que nous y avons trouvé jusqu’à ce jour : c’est du moins, que si nous pouvions parvenir à la possession de certains objets qui n’ont pas encore été à notre portée, nous éprouverions un contentement que nous avons vainement cherché jusqu’à présent.

II. Dans le second article, nous prouverons qu’en supposant même les révolutions les plus heureuses, nous serions trompés dans nos espérances : en sorte que, soit que ces révolutions arrivent, ou qu’elles n’arrivent point, nous aurions lieu de reconnaître qu’il n’y a rien sur la terre qui soit capable de nous y rendre heureux.

III. Enfin nous conclurons de ces deux principes, avec le sage, que s’il est permis à un esprit raisonnable de s’appliquer à améliorer sa condition et à se procurer sur la terre un avenir plus supportable que le présent et que le passé ; il ne doit jamais se promettre beaucoup de succès de ce travail, et que c’est en Dieu seul, et dans l’espérance d’une autre vie, qu’il doit chercher sa félicité.

I

Fixons d’abord la pensée du sage, et examinons l’erreur qu’il attaque. Nous nous sommes déjà expliqués sur l’idée que nous attachons à ses expressions : elles sont vagues et indéterminées ; elles doivent être restreintes par la nature des objets sur lesquels elles pourraient porter la pensée, et expliquées par la place qu’elles occupent.

1. L’intention du sage, lorsqu’il dit que ce qui a été sera, n’est pas d’attribuer aux événements qui nous, concernent un caractère de fermeté et de constance. Jamais homme ne connut mieux que lui les révolutions des choses humaines ; il n’est pas même nécessaire pour les connaître d’avoir joué dans le monde un aussi grand rôle que le sien : une vue superficielle sur la condition des corps publics, et sur celle des particuliers, suffit pour ouvrir un vaste champ à nos réflexions sur ce sujet.

La condition des corps publics est pour l’ordinaire appuyée sur des fondements si frêles, qu’il n’y a pas lieu de s’étonner qu’elle varie à chaque instant. Un spectateur novice et éloigné s’étonne de ces rapides changements, qui lui font voir, dans un moment, comme plusieurs mondes nouveaux : il croyait qu’il fallait des siècles entiers pour faire remuer ces masses énormes des corps publics, pour entraîner la fortune, pour transporter la victoire. Mais qu’il pénètre jusqu’à l’origine des événements, il verra qu’il ne faut souvent qu’un mince ressort pour tourner la roue sur laquelle roule la prospérité et l’adversité publique, et pour donner à la société une face nouvelle.

Quelquefois c’est de la prudence d’une seule tête que partent ces sages conseils, ces mûres délibérations, ces mesures concertées, qui sont la prospérité des États. Cette seule tête réprime la vénalité de l’un, et l’animosité de l’autre ; l’ambition de celui-ci, et l’avarice de celui-là. Une vapeur monte dans cette tête ; le vent de la prospérité l’aveugle et l’étourdit ; la mort la fauche. Monde nouveau : alors ce qui était n’est plus ; avec cette tête s’évanouissent mesures bien concertées, mûres délibérations, sages conseils.

Quelquefois ce sont les rares qualités d’un général qui animent toute une armée, qui donnent à chacun l’ouvrage qui lui est propre ; au prudent, ce qui demande de la prudence ; à l’intrépide, ce qui exige de l’intrépidité ; à l’insensé même, ce qui a besoin de folie et d’extravagance. De ces rares qualités, on voit partir ces coups étonnants, ces victoires complètes, ces chants de triomphe dans un État. Ce général se perd par ses propres défauts, ou se voit accablé par la cabale d’un parti contraire, ou bien le torrent de la vanité de la vie l’entraîne au milieu de ses triomphes ; un plomb fatal, tiré comme par hasard et sans dessein, perce ce cœur si noble et si généreux. Monde nouveau : alors ce qui était n’est plus ; avec ce général s’évanouissent victoires et chants de triomphe.

Quelquefois c’est l’habileté et la vertu d’un favori, qui dirige l’esprit du prince, qui dissipe l’enchantement de l’adulation, qui guérit le poison de la flatterie, qui fait discerner la fausse louange d’avec la sincère, qui ouvre l’accès aux cris de la veuve et de l’orphelin. Ce favori voit sa faveur s’évanouir, parce qu’il l’avait crue trop affermie, et qu’il n’a pas pris assez de soin pour la conserver ; un rival industrieux prend sa place. Roboam néglige les conseils des prudents vieillards, et abandonne son âme aux folles suggestions des jeunes gens. Un seul de ces changements traîne mille changements après soi.

Il serait aisé de justifier, à l’égard des particuliers, ce que nous avons justifié à l’égard des corps publics ; c’est que le monde est le théâtre des changements et de l’inconstance ; c’est que chaque jour, et pour ainsi dire chaque instant, y offre quelque scène nouvelle et quelque changement de décoration. Il est donc clair que la proposition de mon texte doit être restreinte par la nature même des choses, sur lesquelles elle semble d’abord devoir porter notre pensée.

2. Mais ces paroles indéterminées, ce qui a été, sera ; il n’ y a rien de nouveau sous le soleil, doivent être expliquées aussi par la place qu’elles occupent. Le principal secours que nous avons pour déterminer le sens de certaines propositions vagues d’un auteur, c’est cela même ; c’est d’examiner dans quel endroit il les a placées ; quelle était précisément l’idée qui était présente à son esprit lorsqu’il les énonçait. Quand on observe cette règle, on trouve que les mêmes sentences ont souvent un sens différent. Sans en chercher d’autres exemples, contentons-nous des paroles que nous expliquons. Elles se trouvent dans deux endroits des écrits de Salomon : 1°, dans le chapitre d’où nous les avons tirées ; 2°, dans le troisième du même ouvrage, où nous lisons ces mots : ce qui a été, est maintenant ; ce qui doit être, a déjà été. Il est pourtant certain que ces deux sentences, qui ont tant de conformité dans l’expression, n’en ont aucune dans le sens. Le but de Salomon, dans le dernier passage, est de combattre ces personnes qui frémissent à la moindre tentation ; qui se plaignent que Dieu donne à leur vertu un exercice plus pénible que celui qu’il donne à la vertu des autres hommes, et, qu’en les appelant à de plus rudes combats, il refuse de leur fournir de plus grands secours pour les soutenir. Non, dit Salomon, quelque variété qu’il semble y avoir dans la conduite de Dieu à l’égard des hommes, elle a toujours une certaine uniformité, qui est le grand caractère de ses actions. Il donne bien cinq talents à l’un, tandis qu’il n’en confie qu’un seul à l’autre ; à cet égard, il y a variété ; mais il ne demande compte que d’un talent à celui à qui il n’en a confié qu’un, tandis qu’il demande compte de cinq à celui à qui il en a confié cinq. A cet égard, sa conduite est parfaitement uniforme ; et ainsi du reste. J’ai connu que, quoique Dieu fasse, (ce sont les propres paroles du sage) j’ai connu que, quoique Dieu fasse, il est toujours le même : on ne saurait qu’y ajouter, ni qu’en diminuer : et Dieu le fait afin qu’on le craigne. Ce qui a été, est maintenant, et ce qui doit être, a déjà été, et Dieu rappelle ce qui est passé.

Mais dans notre texte, ces mêmes paroles, ce qui a été, sera, ont un sens différent. Il paraît, par la place qu’elles occupent, que le sage, en les prononçant, était tout rempli du dessein de décrier les biens de la vie, d’en faire connaître le néant, et de convaincre les hommes, qu’il ne saurait y avoir aucune révolution dans la vie qui puisse changer ce caractère de vanité qui est essentiel à leur condition. A quels événements le genre humain peut-il s’attendre, leur dit-il, qui lui procurent un bonheur stable et solide sur la terre ? Quels mouvements se donnera-t-il dont il se puisse promettre des biens plus réels que ceux qui l’ont trompé jusqu’à ce jour ? Quel avantage retire l’homme de tout son travail sous le soleil ? Une génération passe, l’autre revient ; mais la face du monde est toujours la même. Le soleil se lève, il se couche ensuite ; puis il se lève de nouveau : le vent souffle vers le midi, il souffle ensuite vers l’aquilon ; puis il retourne au point d’où, il était venu. Les fleuves vont du lieu de leur origine dans la mer, puis ils reviennent de la mer, par des conduits souterrains, au lieu de leur origine. Le monde moral est conduit comme le monde physique. En vain vous attendez-vous à quelque vicissitude qui rende la suite de votre vie beaucoup plus heureuse que ses commencements. L’œil n’est jamais rassasié de voir, ou, comme je traduis, de considérer ; l’oreille n’est jamais assouvie d’ouïr, ou, comme je traduis, l’oreille ne cesse jamais d’être attentive. Mais cette contention, qui nous fait tendre toutes nos facultés pour chercher quelque objet qui remplisse ce vide que laissent dans notre cœur tous les biens dont nous avons joui jusqu’à présent, cette contention ne saurait changer la nature des choses : tout sera vanité à l’avenir, comme tout a été vanité par le passé : ce qui a été, sera ; ce qui a été fait, se fera encore : il n’y a rien de nouveau sous le soleil.

Pesez bien ces paroles, mes frères : l’œil n’est jamais rassasié de considérer ; l’oreille n’est jamais assouvie d’écouter. Il me semble que c’est là précisément la disposition d’esprit que le sage veut combattre. Disposition, comme j’ai dit, générale parmi les hommes, et une des causes les plus ordinaires de notre attachement pour la vie. Que chacun s’étudie ici ; qu’il se développe soi-même à soi-même, et qu’il voie s’il n’a pas lieu de se reconnaître au portrait que nous allons tracer du cœur humain.

Nous déclamons bien quelquefois sur la vanité des biens de la vie ; mais ces déclamations sont plus, pour l’ordinaire, des dédommagements de notre orgueil, que des expressions d’un cœur détrompé. Nous aimons à décrier des biens qui ne sont pas à notre portée, et nous nous vengeons, en les décriant, de ce qu’ils refusent de se prêter à nos désirs. Ces idées, en apparence si justes, que nous nous en formons, n’atteignent que la superficie de notre esprit. L’intérieur erre, tandis que nous voudrions nous persuader que nous sommes véritablement détrompés, et que nous envisageons le monde dans son véritable point de vue.

Un mourant est tout occupé de son état. Le désir de la santé occupe toute la capacité de son âme ; et il ne fait pas attention que, s’il retournait au monde, il y trouverait les mêmes dégoûts et les mêmes peines, qui lui ont déjà causé tant de regrets et fait répandre tant de larmes. Un homme, qui est retenu sur le rivage, n’est animé que du désir d’un vent favorable ; et il ne pense pas qu’il trouvera sur l’autre bord des croix peut-être plus pesantes que celles qui le portent à quitter celui où il se trouve. Voilà notre image : nous avons l’esprit borné ; lorsqu’un objet s’offre à nos réflexions, nous ne l’envisageons que sous un seul point de vue, et nous ne pouvons suffire à voir les autres côtés.

De là, cet intérêt que nous prenons aux événements, aux révolutions des états, aux phénomènes de la nature, aux vicissitudes des saisons ; de là, cet amour pour le changement ; de là, ces fantômes qui ne cessent d’être présents à notre imagination ; de là, ces projets chimériques qui roulent continuellement dans nos esprits ; ou, comme parle le sage, de là, ces yeux qui ne sont jamais rassasiés de considérer, et ces oreilles qui ne sont jamais assouvies d’être attentives. Mais si j’étais guéri de cette infirmité qui répand du dégoût sur tous les biens dont je jouis ! Mais si je me voyais délivré de cette société qui fait le poison de ma vie ! Mais si j’allais habiter les climats où l’on suit des maximes toutes différentes de celles du lieu où j’ai fixé ma demeure ! Mais si je parvenais à cet emploi, qui me tirerait de l’obscurité dans laquelle je me trouve comme enseveli ! Mais si je pouvais me faire un certain revenu, avoir un certain nombre de domestiques, me procurer certains appartements, dans lesquels le silence et la retraite favoriseraient le désir qui m’anime d’employer ma vie à méditer sur des choses solides ! Pauvres mortels, courrez-vous toujours après des fantômes ! Non ; aucune des révolutions après lesquelles vous soupirez ne saurait changer ce caractère de vanité essentiel aux choses humaines : au milieu de ces avantages, que vous recherchez avec tant d’ardeur, vous vous trouveriez à peu près aussi vides et aussi inquiets que lorsque vous en êtes privés. Ce qui a été, sera ; ce qui s’est passé dans le monde jusqu’à ce jour, c’est ce qui s’y passera encore : et il n’y a rien de nouveau sous le soleil. Que n’est-il aussi aisé d’imprimer ces vérités dans nos cœurs, qu’il est aisé d’en convaincre notre esprit !

II

Essayons du moins (et ce sera la matière de notre seconde partie), essayons un ouvrage dans lequel nous avons si peu de lieu d’attendre du succès. 1. La destination de l’homme, 2. l’école du monde, 3. l’expérience de Salomon, 4. l’histoire de notre vie : quatre barrières aux projets chimériques ; quatre preuves ou plutôt quatre sources de démonstrations pour l’oracle de mon texte. Ce qui a été, c’est ce qui sera ; ce qu’on a pratiqué dans le monde jusqu’à ce jour, c’est ce qu’on y pratiquera encore : il n’y a rien de nouveau sous le soleil.

1. Faisons d’abord réflexion sur la destination de l’homme, et ne formons pas des projets contraires à ceux du Créateur. Quand il nous a mis dans ce monde, il n’a pas eu dessein de nous y borner ; et quand il nous a formés susceptibles de félicité, il a voulu que nous la cherchassions dans une économie différente de celle-ci. Sans ce principe, l’homme est une énigme que rien n’est capable d’expliquer : ses facultés, ses désirs, ses misères, sa conscience, sa vie, sa mort, tout ce qui concerne l’homme est énigmatique.

Ses facultés sont énigmatiques. Qu’on nous explique quel est le but des facultés de l’homme. Pourquoi a-t-il la faculté de savoir, de connaître ? Quoi ! pour arranger quelques mots dans son cerveau ? Pour connaître les sons que les diverses nations du monde ont attachés à leurs idées ? Pour savoir du grec et de l’hébreu, pour débrouiller des chaos historiques, pour remonter à travers l’obscurité des siècles, et pour découvrir, au milieu d’un amas de doutes et d’incertitudes, quels ont été les habits, quelles les coutumes, quelles les folies des premiers habitants de cet univers ? Pour se distiller le cerveau et se perdre dans le monde des abstractions, afin de démêler, dans les labyrinthes métaphysiques, quelle est l’origine des idées, quels les attributs, quelle la nature d’un esprit ? Digne objet des connaissances d’un être intelligent ! objet plus propre pour l’ordinaire à imprimer le pyrrhonisme qu’à procurer une opinion démontrée et une conscience proprement dite. Faites un semblable raisonnement sur les autres facultés de l’homme.

Ses désirs sont énigmatiques. Quelle puissance lui arrachera, quelle puissance suffira même à modérer les désirs qu’il a de se perpétuer et de s’étendre, d’embrasser dans l’enceinte de ses vœux le passé, le présent, l’avenir, l’éternité même avec ses gouffres et ses abîmes ? Qu’on nous explique quelle proportion il peut y avoir entre ces désirs de l’homme et ces trésors qu’il amasse, ces dignités après lesquelles il s’égare, ce sceptre qu’il tient en ses mains et cette couronne qu’il porte, sur la tête ?

Ses misères sont énigmatiques. Et cet article ouvre une plus ample carrière à notre méditation que celui qui le précède, les félicités de l’homme n’étant qu’un point, qu’un atome, au prix des misères qui l’atteignent et qui le poursuivent. Qui pourra concilier le dogme d’un Dieu bon avec celui d’un homme misérable, avec les doutes qui le partagent, avec les remords qui le rongent, avec les incertitudes qui le tourmentent, avec les catastrophes qui l’enveloppent, avec les vicissitudes qui l’entraînent, avec les faux amis qui le trahissent, avec les douleurs qui le minent, avec l’indigence qui l’exténue, avec le mépris et la honte qui l’abattent, et avec tant de fléaux qui se réunissent pour empoisonner sa durée et son existence ?

Sa vie est énigmatique. Et quel rôle, pauvres humains, quel rôle jouez-vous sur la terre ? Qui vous a si mal placés ?

Sa mort est énigmatique. C’est l’énigme des énigmes : quatre jours de vie, soixante, cent années de vie ; voilà à quoi aboutit tout le séjour que fait sur la terre cette créature qu’on appelle homme, presque aussitôt disparue que produite, couchée dans le tombeau que dans le berceau, enveloppée dans les langes de la mort que dans les langes de l’enfance.

Posez le principe que nous avons avancé, établissez que le grand but du Créateur, en plaçant l’homme au milieu des objets du monde, n’est pas de borner ses désirs aux objets du monde ; alors tous ces nuages se dissipent, tous ces voiles se lèvent, toutes ces énigmes s’expliquent ; alors rien n’est énigmatique dans l’homme.

Ses facultés ne sont point énigmatiques : la faculté de connaître n’est pas bornée à ces vaines sciences, qu’il peut acquérir dans ce monde. Il n’y a pas été placé pour acquérir des connaissances, mais pour acquérir des vertus ; du moins, il n’est placé dans ce monde pour acquérir des connaissances qu’autant qu’il en faut pour acquérir des vertus. S’il acquiert ces vertus, il sera admis dans un autre monde, où il satisfera pleinement cette soif de savoir, de connaître, qui le ronge et qui le dévore.

Ses désirs ne sont point énigmatiques. Qu’il les gêne et qu’il les suspende pour se soumettre aux lois de l’ordre, qui demande qu’ils soient encore gênés et suspendus. Qu’il gêne et qu’il suspende le désir des sensations agréables, et qu’il souffre patiemment les croix des tribulations, les tortures, quand la profession de la foi l’y appelle. Qu’il gêne et qu’il suspende ses désirs pour l’élévation et pour la grandeur, et qu’il demeure avec humilité dans le poste de bassesse qu’il a plu à la Providence de lui donner. Qu’il gêne et qu’il suspende ses désirs pour les richesses, et qu’il vive patiemment dans la pauvreté et dans l’indigence. Après qu’il se sera ainsi soumis aux lois du Créateur, il pourra se promettre alors un période, où ses désirs pour les plaisirs, pour les richesses, pour les grandeurs seront satisfaits.

Ses misères ne sont plus énigmatiques ; elles sont des exercices à sa vertu, qui seront couronnés de gloire.

Sa vie n’est plus énigmatique. C’est une économie d’attente, c’est un temps d’épreuve, c’est une période, qui lui ont été donnés pour opter entre une éternité de bonheur et une éternité de misères.

Sa mort n’est plus énigmatique ; et il n’était pas possible que sa vie et que sa mort fussent l’une et l’autre des énigmes : l’une est l’explication de l’autre. La vie de l’homme n’est pas énigmatique, parce qu’elle aboutit à la mort, et la mort vérifie, prouve, démontre l’idée que nous avons donnée de la vie.

La destination de l’homme ; première barrière à ses projets chimériques. Changez la face de la société ; bouleversez l’ordre du monde ; mettez le gouvernement despotique à la place du démocratique ; faites succéder la paix à la guerre, l’abondance à la disette, vous ne trouverez d’altération que dans la superficie des choses humaines ; leur substance sera toujours la même. Ce qui a été, sera ; ce qui s’est pratiqué jusqu’à ce jour, se pratiquera encore : il n’y a rien de nouveau sous le soleil.

2. L’école du monde nous ouvre une seconde source de démonstrations. Allez à cette école, vous renoncerez à tous ces projets de félicité dont vous vous bercez.

Vous y apprendrez que la plupart des plaisirs du monde, sur lesquels vous avez de si grands desseins, sont des fantômes qui paraissent avoir quelque solidité et quelque consistance, lorsqu’on les envisage de loin, mais qui se dissipent et s’évanouissent quand on les touche et qu’on s’en approche.

Vous y apprendrez que ces grandes vues, ces vastes desseins, ces plans d’immortalité et de gloire, qui roulent dans l’âme d’un ambitieux, le mettent continuellement à la torture, troublent son repos, lui interdisent le sommeil, le rendent insensible à toutes les douceurs de la vie.

Vous y apprendrez que ces amis, qu’on s’attire lorsqu’on est à la source des grâces, sont des âmes vénales qui mettent leur amour à l’enchère et qui le donnent au plus offrant, des sangsues qui se nourrissent de la substance de ceux auxquels ils s’attachent ; que ces noms sacrés d’amitié, de tendresse, de zèle, de dévouement, ne sont, dans leur bouche, que de vains sons, auxquels ils n’attachent ni idée, ni sentiment.

Vous y apprendrez que ces passions, auxquelles on ne refuse rien lorsqu’on est élevé à un grade où l’on a le pouvoir de leur accorder tout, sont des sources de troubles et de remords, et que tout le plaisir qu’on trouve à les satisfaire ne vaut pas un des bourrellements que cause le souvenir de s’y être abandonné.

Vous y apprendrez qu’un artisan, qui a traîné le soc et la charrue pendant le jour, et qui trouve le soir, dans son domestique, des enfants affectionnés, une famille tendre, une table pourvue des mets les plus simples, est incomparablement plus heureux que ce favori de la victoire et de la fortune, qui est traîné dans un char superbe, accompagné d’un cortège magnifique, assis à une table, où l’art et la nature semblent se disputer pour prodiguer leurs trésors, entouré de courtisans attentifs aux regards de ses yeux et aux signaux de sa main, arrêts de leur destinée.

Vous y apprendrez, en un mot, que les changements les plus heureux en apparence, qui pourraient arriver à votre condition, contribueraient peu à votre bonheur.

3. Mais si l’école du monde est capable de nous faire renoncer à nos projets chimériques de félicité, personne n’a jamais été plus savant dans cette école que Salomon. Aussi avons-nous fait de son témoignage la troisième source de nos démonstrations.

Quand vos prédicateurs déclament contre le néant des choses humaines, vous vous dites en secret que leur jugement mérite peu qu’on y défère. Vous croyez que, nourris, pour la plupart, dans le silence et dans la retraite, n’ayant jamais respiré que l’air de l’école et la poussière du cabinet, ils ne connaissent point ce monde qui fait la matière de leurs déclamations. Je ne veux point examiner la nature de ce reproche. Les gens de notre robe sont très sujets, je l’avoue, à se former de fausses idées du monde. Mais croyez, sur notre parole, une vérité, dont nous pourrions vous alléguer mille et mille preuves : cela même qu’ils ne connaissent pas le monde, c’est ce qui le grossit dans leur imagination. Un anachorète qui a toujours vécu dans les antres et dans les déserts, une fille, séquestrée dès les premières années de son enfance, et ensevelie dans le fonds d’un monastère, un homme qui a vieilli sur les livres, les gens de cet ordre s’imaginent, pour l’ordinaire, que tout est rempli dans la société, et que le démon de la volupté a parsemé de fleurs toutes les routes par lesquelles il conduit ceux qui se rangent sous ses étendards. Je ne connais personne plus propre à faire un bon cours de morale, qu’un vieux courtisan revenu à lui-même, et qui choisit la retraite, après avoir vécu, dans la dissipation.

Sur ce principe, quelle impression ne doit pas faire sur nos esprits le témoignage de Salomon ? Mais quelle idée nous donne-t-il de tous ces biens qu’il a connus par expérience ? Et cela aussi, dit-il de chacun, en faisant la liste de tous, et cela aussi n’est que vanité. Que ce mot me semble remarquable : et cela aussi, et cela aussi n’est que vanité !

Il y a peu d’hommes dont le monde ait assez fasciné les yeux pour les empêcher de reconnaître qu’une partie des choses du monde n’est que vanité. Il y a peu d’hommes qui ne disent de quelque objet particulier, cela n’est que vanité. Mais il y a peu d hommes assez raisonnables pour comprendre tous les biens de la vie dans la classe de la vanité, et pour dire de chacun d’eux, comme Salomon : Et cela aussi n’est que vanité. Un homme, qui est à peine à l’abri des injures de l’air dans une chaumière, dira volontiers : ma chaumière n’est que vanité ; mais il s’imagine qu’il y a beaucoup de solidité dans le bonheur de celui qui est logé dans un superbe palais. Un homme, qui n’est admis que dans un petit cercle de personnes à peine connues dans la société, dira, sans répugnance : mon cercle n’est que vanité ; mais il s’imagine qu’il y a beaucoup de solidité dans le bonheur de ceux qui sont admis dans ces cercles, dirai-je ? ou dans un chaos, où le Juif et le Grec, le Scythe et le Barbare, où chaque nation, chaque religion, semble avoir contribué pour y apporter le désordre et la confusion.

Salomon connaît tous les états de la vie : c’est parce qu’il les connaît tous qu’il les décrie tous, et l’idée qu’il s’en forme, après les avoir éprouvés, c’est celle que vous vous en formeriez comme lui, si comme lui vous les connaissiez par expérience. Voyez comment il les parcourt tous, et comment il dit de chacun en particulier, ce qu’il a dit de tout en général : cela aussi n’est que vanité. Quoi ! d’avoir de grandes richesses ? Oui. Celui qui aime l’argent n’est point rassasié par l’argent. Et cela aussi n’est que vanité Ecclésiaste 5.10. Quoi ! si je devenais un auteur célèbre, un exemple d’érudition ? Oui, dit-il ; il n’y a point de fin à composer plusieurs livres : celui qui s’accroît de la science, s’accroît de la douleur ; et cela aussi n’est que vanité ; Ecclésiaste 12.14 ; 1.18 et ainsi du reste.

4. Aux réflexions sur l’expérience de Salomon, ajoutez-en sur la vôtre propre, et rappelez-vous l’histoire de votre vie. Souvenez-vous de ces temps dans lesquels, soupirant après l’état où la Providence vous a donné d’arriver, vous le regardiez comme le centre de la félicité, et vous étiez prévenu de la pensée que vous ne désireriez plus rien lorsque vous y seriez parvenus. Avez-vous aujourd’hui de cet état les mêmes idées que vous vous en formiez alors ?

Vous qui, possédant à peine autrefois de quoi pourvoir à votre subsistance, possédez aujourd’hui de quoi fournir du moins en partie à votre cupidité, avez-vous moins de désir aujourd’hui d’augmenter votre superflu, que vous en aviez alors d’acquérir ce qui était nécessaire à votre entretien ?

Vous qui, d’un des postes les plus bas et les plus obscurs de la société, êtes parvenu à un des grades les plus relevés et les plus brillants, vous sentez-vous moins rongé aujourd’hui du désir de n’avoir point d’égal, que vous étiez rongé alors de celui d’avoir moins de maîtres ?

Vous qui, menacé jadis de ne pas atteindre la moitié de vos jours, êtes parvenu à un âge mûr, souhaitez vous aujourd’hui avec moins d’ardeur de parvenir à une blanche vieillesse, que vous souhaitiez alors de parvenir à un âge mûr.

Réduisez en réalité par la pensée tous les projets chimériques de félicité qui roulent dans vos esprits. Les biens que vous acquerrez dans cette supposition vous laisseront aussi affamés, aussi vides, que ceux que vous possédez réellement, et vous serez étonnés de l’extrême conformité que vous trouverez entre des conditions, dans lesquelles vous croyez voir une si extrême différence.

III

Quelles conséquences tirerons-nous de ces réflexions ? Que toutes les conditions sont absolument égales ? Que, comme ceux qui jouissent actuellement des biens les plus précieux de la vie, doivent les regarder avec un souverain mépris, les personnes qui en sont privées, ne doivent se donner aucun mouvement pour les acquérir, et pour améliorer leur condition ? Non, mes frères ; à Dieu ne plaise que nous vous prêchions une morale si farouche et si propre à décrier la religion.

D’un côté, ceux à qui Dieu accorde les biens de la vie doivent en connaître le prix, et voir avec reconnaissance la différence qu’il a mise entre eux et ceux qui en sont privés. Les prospérités de la vie, je l’avoue, ne sont pas les biens les plus solides ; ce ne sont pourtant pas des biens imaginaires ; ce ne sont pas véritablement des êtres permanents qui nous accompagnent après la mort ; ils sont pourtant capables d’adoucir le présent et de nous le rendre supportable.

Jouissez-vous de la liberté ? La liberté est un grand bien : sentez la douceur de la liberté. Voyez cet homme que des murailles affreuses et impénétrables renferment, qui ne respire qu’un air puant et empoisonné, qui est couché sur une couche de vers, et qui peut à peine apercevoir quelques rayons de lumière ménages avec industrie et avec travail : bénissez Dieu de n’être pas comme cet homme-là.

Possédez-vous des richesses ? Les richesses sont un grand bien : sentez la douceur des richesses. Voyez cet homme accablé de dettes, destitué de ressources, poursuivi par des créanciers intraitables, ayant de quoi se nourrir aujourd’hui, mais ignorant de quoi il se nourrira demain : bénissez Dieu de n’être pas comme cet homme-là.

Jouissez-vous de la santé ? La santé est un grand bien : goûtez les douceurs de la santé. Voyez cet homme étendu dans un lit d’infirmité, ne pouvant qu’à peine traîner un corps accablé de maux, ne se donnant aucun mouvement qui ne soit accompagné de quelque sensation douloureuse, allant à la mort par l’affreux chemin de la goutte ou de la gravelle.

Il n’y a qu’un fonds de stupidité ou d’ingratitude qui puisse nous rendre insensibles aux bénédictions temporelles, quand il plaît à Dieu de nous en combler. Quoi ! vous avez à peine pu ouvrir les yeux, que vous vous êtes vu couronné de mille avantages ; il semble que Dieu ait pris plaisir de faire de votre condition un composé de grandeur, de fortune, de dignité ; vous vous trouvez, sans y avoir contribué par le moindre de vos soins, abondamment fourni de tout ce qui peut rendre la vie non seulement aisée, mais délicieuse. Et, parce qu’à quelque degré que les félicités humaines puissent être portées, il n’y a rien de parfait parmi les félicités humaines, vous vous abandonnez à la mélancolie et à la tristesse ; une humeur noire et atrabilaire l’emporte au-dedans de vous sur tant de motifs qui devraient voué inspirer la joie et la reconnaissance !

Si les personnes auxquelles Dieu accorde les biens de la vie doivent en connaître le prix et en jouir avec reconnaissance, il est permis à ceux qui en sont privés, il est même de leur devoir de travailler à les acquérir, à améliorer leur condition, et à se procurer un avenir plus heureux que ces temps de larmes et de travaux, auxquels ils ont été condamnés jusqu’à ce jour. L’amour de nous-mêmes est la plus naturelle et la plus légitime de toutes nos passions. Nous ne devons négliger d’acquérir un certain bien, qu’autant que sa possession serait contraire à celle d’un plus grand bien, et nous ne devons consentir à endurer de certains maux qu’au tant qu’ils contribuent à prévenir de plus grands maux. Mais, toutes choses d’ailleurs égales, chacun doit travailler dans ce monde à se procurer une vie douce.

Bien plus, l’amour du prochain, ce devoir si pressé par notre grand législateur, cet amour, que notre grand législateur veut que nous portions aussi loin pour notre prochain que pour nous-mêmes, ce devoir nous engage à cela même, à nous prévaloir de tous les moyens innocents qui nous sont offerts pour acquérir les biens de la vie. Plus vous aurez de richesses et plus vous serez en état d’assister les indigents. Plus vous serez élevés dans la société, et plus vous serez en état de secourir les opprimés. Plus vous aurez de lumière, de science, de précision, plus vous serez en état de presser les devoirs de la religion, de défendre la vérité, d’étaler les beautés et les avantages de la vertu.

Le dessein que nous avions, en réprimant vos projets, c’est de vous faire supporter avec patience les misères de votre condition présente, lorsque vous ne sauriez y remédier ; puisque, quelque différence qu’il semble y avoir entre le mortel le plus heureux et le plus misérable selon le monde, elle est beaucoup moins considérable que notre cupidité ne nous le représente.

Le dessein que nous avions, en refrénant le penchant immodéré que nous avons à former des projets chimériques, c’était de vous faire jouir tranquillement du bonheur présent. La plupart des hommes se rendent insensibles au bonheur présent par le désir qui les ronge d’être plus heureux à l’avenir. L’avidité, avec laquelle ils désirent d’acquérir de nouvelles richesses, les empêche de jouir de celles qu’ils possèdent actuellement ; l’avidité, avec laquelle ils désirent d’arriver à un plus haut grade dans la société, les empêche de goûter les plaisirs de celui où la Providence les a élevés.

Le dessein que nous avions, en refrénant le penchant immodéré que nous avons à faire des projets chimériques, c’était de vous porter à proportionner les soins que vous vous donnez pour les biens du monde à leur véritable valeur.

Surtout le dessein, le grand dessein, que nous avions, en vous dénonçant un avenir plus heureux scion le monde, c’était de vous faire soupirer pour un avenir heureux selon Dieu ; c’était de vous porter à chercher, dans l’éternité, des biens que vous ne sauriez vous promettre dans le temps. Et qu’attendrais-tu du temps, qu’il t’est permis de te promettre dans la vie, mon âme, si l’avenir doit être à peu près semblable au passé ; si tu dois éprouver, dans les années qui te restent encore, une condition à peu près semblable à celle où tu as été jusqu’à ce jour ; si tu dois à peu près passer par les mêmes vicissitudes, souffrir les mêmes maladies, être témoin des mêmes injustices, voir les mêmes infidélités et les mêmes perfidies, et ainsi du reste ?

Que si tous les hommes doivent se préserver de la maladie des projets chimériques pour l’avenir, nous le devons surtout, quand nous sommes parvenus à un certain âge, lorsque, les années commençant à s’accumuler sur nos têtes, nous touchons aux infirmités de la vieillesse ou au dernier terme de la vie. Que pourrais-je désormais attendre dans le monde, doit se dire à soi-même un pareil homme ? Quand, par une révolution inopinée, je parviendrais à changer la face de l’univers, et à réunir autour de moi tous les avantages de la terre, quel usage en pourrais-je retirer désormais ?

Quels avantages tirerais-je d’une table bien servie, moi, dont le palais, prêt à s’assécher, va perdre la faculté de goûter et de savourer ? Quel avantage tirerais-je de me voir entouré d’une troupe de courtisans, moi, à qui la société devient à charge, et qui suis en quelque sorte à charge à moi-même ? Quel avantage tirerais-je d’avoir de vastes appartements et des campagnes riantes, moi, dont les yeux sont incapables de discerner les objets ; dont le corps, devenu immobile, va être comme lié à un lit d’infirmité ? En un mot, quel fruit tirerais-je du concours de tous les avantages de la vie, moi, qui ai désormais si peu de chemin à faire pour arriver aux portes de la mort ? Heureux ! quand je vois ces années de ma vie se terminer, de pouvoir incorporer mon existence avec celle du Dieu immortel ! Heureux ! quand je sens la maison d’argile crouler sur ses fondements, heureux de me loger par cette foi, qui est une démonstration des choses que je ne vois point ! Encore heureux de me loger dans la cité fondée, dont Dieu est lui-même l’architecte et le fondateur Hébreux 9.1, 10 !

Puissions-nous, mes chers frères, vivre, vieillir et mourir dans ces sentiments ! Dieu nous en fasse la grâce. A lui soit honneur et gloire à jamais ! Amen.

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