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13.
Sur la suffisance de la Révélation

Le riche disait : Père Abraham, je te prie d’envoyer Lazare dans la maison de mon père, car j’ai cinq frères, afin qu’il leur atteste ces choses, de peur qu’eux aussi ne viennent dans ce lieu de tourment. Abraham répondit : Ils ont Moïse et les prophètes, qu’ils les écoutent. Mais il répondit : Non, père Abraham, mais si quelqu’un des morts va vers eux, ils s’amenderont. Et Abraham lui dit : S’ils refusent d’écouter Moïse et les prophètes, ils ne seront pas plus persuadés, quand même quelqu’un des morts viendrait à ressusciter.

Luc 16.27-31

« Quand quelqu’un est tenté, qu’il ne dise point : C’est Dieu qui me tente ; car comme Dieu ne peut être tenté par aucun mal, aussi ne tente-t-il personne Jacques 1.13. » Cette sentence est de saint Jacques ; nous la lisons au chapitre premier de son Épître catholique. L’apôtre se proposait d’humilier les hommes dans le sentiment de leurs fautes, et de combattre cette erreur monstrueuse qui taxe Dieu d’injustice, et qui le fait auteur du péché. Cela paraît d’abord fort inutile, du moins par rapport à nous. Faire Dieu auteur du péché ! C’est une pensée si odieuse, si peu conforme aux idées que nous avons de l’Être Suprême, si opposée à ses lois, si indigne de la pureté de ces « yeux qui ne peuvent pas même voir le crime Habakuk 1.13, » qu’il semble qu’elle ne peut pas monter dans l’esprit humain, et que s’il y eut, du temps de saint Jacques, des âmes qui la conçurent, c’étaient des monstres qui furent étouffés dès leur naissance, et qui n’ont point eu de sectateurs dans les derniers siècles.

Cependant, reconnaissons-le, mes frères, et apprenons à nous connaître nous-mêmes. Si nous répugnons d’abord à cette pensée, il n’est que trop vrai, nous l’adoptons en secret, nous la roulons dans notre imagination, nous nous en servons même pour excuser notre corruption et notre ignorance. Comme l’étude de la vérité demande du temps et de la peine ; comme l’ouvrage de la sanctification est un travail long et pénible, l’homme, naturellement indolent dans les matières du salut, y renonce pour l’ordinaire, et porté à se décharger de ses crimes, il va chercher dans le ciel la cause de ses désordres, il s’en prend à la Divinité même, et l’accuse d’avoir mis un voile si impénétrable sur la vérité, qu’on ne saurait la découvrir ; et d’avoir placé la vertu dans un lieu si éminent et si escarpé, qu’il est presque impossible d’y atteindre. Il est donc important d’opposer aux hommes de nos jours la doctrine que l’apôtre opposait aux hérétiques de son temps, d’établir et de faire résonner dans nos auditoires cette maxime de saint Jacques : « Quand quelqu’un est tenté, qu’il ne dise point : C’est Dieu qui me tente ; car comme Dieu ne peut être tenté par aucun mal, aussi ne tente-t-il personne. »

Et c’est précisément le but que nous nous proposons aujourd’hui, but qui répond à celui du Sauveur du monde, et qu’il se proposait lui-même dans la conclusion de la parabole qui vient d’être lue en votre présence. Vous y voyez un malheureux qui, en sollicitant Abraham d’employer quelque nouveau moyen pour la conversion de ses frères, veut se disculper par cela même, et semble taxer la Providence de n’en avoir mis en avant que de faibles et d’imparfaits pour le convertir lui-même. Et vous entendez Abraham qui réprime ces reproches audacieux, et qui atteste la suffisance des voies ordinaires de la révélation et de la grâce. « Le riche, dit maintenant notre évangéliste, le riche disait : Père Abraham, je te prie d’envoyer Lazare dans la maison de mon père, car j’ai cinq frères, afin qu’il leur atteste ces choses, de peur qu’eux aussi ne viennent dans ce lieu de tourment. Abraham répondit : Ils ont Moïse et les prophètes, qu’ils les écoutent. Mais il répondit : Non, père Abraham, mais si quelqu’un des morts va vers eux, ils s’amenderont. Et Abraham lui dit : S’ils refusent d’écouter Moïse et les prophètes, ils ne seront pas plus persuadés, quand même quelqu’un des morts viendrait à ressusciter. »

Avant que d’entrer en matière, il faut faire deux réflexions générales, qui servent de fondement à ce que nous dirons dans la suite. D’abord on trouve ici quelque chose qui répugne ; ce mauvais riche dans les flammes, quoique dépouillé de son corps ; ces entretiens entre un malheureux dans l’enfer et Abraham dans le sein de la gloire : cette pitié affectueuse d’un damné, dans les tourments mêmes ; toutes ces choses semblent n’être pas bien dans les termes de la vérité, du moins elles fournissent un juste sujet de demander sur tout ce texte : Est-ce une histoire ? Est-ce un événement arrivé en effet, ou si c’est une image empruntée dont Jésus-Christ se sert, selon sa coutume, pour enseigner quelque vérité importante ?

A toutes ces différentes questions, nous ne répondrons que ce qui s’applique précisément à notre sujet. Soit que le fondement de cette narration ait été une vérité, comme on prétend le prouver, parce que Lazare est ici nommé, et par ce détail exact qui semble être plus d’un historien qui raconte que d’un génie qui feint ; soit que tout ce discours ait été parabolique, comme cela paraît vraisemblable, et comme le veulent quelques critiques, qui nous assurent avoir vu d’anciens manuscrits où l’on lit ces mots : « Jésus prononça une parabole disant, un homme richea, etc. ; » soit enfin que ce soit ici une histoire, mais colorée de quelque trait parabolique, comme il arrive très souvent ; quelque parti, dis-je, que l’on prenne sur ces questions, ce qui est au fond très peu important, il est certain qu’on ne saurait entendre à la lettre cette partie de notre texte, où le mauvais riche parle à Abraham, et où il témoigne de la tendresse pour ses frères. Non, mes frères, il n’y a point de communication entre les saints glorifiés et les victimes que la vengeance divine s’immole dans les enfers. Cet abîme qui les sépare et qui les empêche de se joindre ne saurait leur permettre de converser les uns avec les autres. D’ailleurs, ce coup qui nous enlève à la vie et qui nous arrache à tous les objets de nos inclinations passées, les efface de notre mémoire et les détache de nos cœurs. Et si la charité des saints glorifiés les fait intéresser pour l’Église qui combat, les tourments horribles des damnés ne permettent point qu’ils soient occupés d’autres sujets que de l’horreur de leurs tourments mêmes.

a – Voy. le Nouveau Testament de Jean Mill.

L’autre réflexion roule sur la réponse d’Abraham : « S’ils n’écoutent Moïse et les prophètes, ils ne seraient pas plus persuadés, quand même quelqu’un des morts viendrait à ressusciter. » Quel paradoxe ! Qui est-ce de nous qui, voyant des morts revenir de l’autre monde pour attester les vérités évangéliques, n’en serait frappé et converti ? Si les tyrans de nos jours pénétraient jusque dans ces lieux où les Néron, les Dioclétien et les Décie expient les cruautés qu’ils exercèrent contre le christianisme naissant, persisteraient-ils dans leur barbarie ? Si ce superbe fils, qui répand avec tant de faste les richesses que son père accumula par ses concussions, voyait les feux qui le dévorent, oserait-il s’abandonner à cette joie insensée, et ne répudierait-il pas incontinent un patrimoine de malédiction ? Cette difficulté est d’autant plus pressante que Jésus-Christ parle ici à des Juifs. Les Juifs connaissaient beaucoup moins que les chrétiens l’état des âmes après cette vie. Il semble qu’un mort revenant de l’autre monde, en augmentant leurs lumières sur cet article, les aurait aussi portés à la piété d’une manière plus puissante que la révélation ordinaire.

Mes frères, c’est ici une de ces vérités qui demeurent dans leur entier, quoiqu’elles souffrent quelque exception, et à l’égard desquelles il suffit qu’elles se vérifient dans le cours ordinaire des choses humaines. Voici donc, si je ne me trompe, le précis de la pensée de notre Sauveur. Il est renfermé dans ces deux propositions, dont l’une regarde les incrédules, et l’autre concerne les libertins.

Première proposition. Dieu a donné à la révélation qu’il nous adresse tous les caractères de vérité capables de convaincre toute personne raisonnable qui voudra se donner le soin de l’examiner.

Seconde proposition. Dieu a appuyé les exhortations à la vertu de tous les motifs les plus propres à nous y faire soumettre ; d’où il suit cette conséquence que les hommes n’ont aucun droit de demander ni une révélation plus claire, ni des motifs plus pressants, et que quand même Dieu aurait égard à cette injuste prétention, quand même il aurait la condescendance d’évoquer des morts de l’autre monde pour attester cette révélation et pour nous adresser de nouveaux motifs, il est probable, pour ne pas dire démontré, que ce prodige nouveau n’aurait aucun effet ni pour convaincre les uns, ni pour sanctifier les autres. L’apologie de la religion, c’est donc le titre de mon discours et de mon texte ; l’apologie de la religion contre les difficultés des incrédules, l’apologie de la religion contre les subterfuges des libertins. Prouvons aux uns et aux autres que qui résiste à Moïse et aux prophètes, ou plutôt à Jésus-Christ, aux apôtres, à l’Évangile (car nous prêchons à un auditoire chrétien), prouvons que qui leur résiste ne serait pas plus convaincu, quand même un mort viendrait à ressusciter. Si l’obscurité de la révélation adressée aux Juifs semble rendre la proposition de notre texte moins soutenable à leur égard, nous répondrons à cette objection à la fin de notre discours.

première partie

Nous commençons par les incrédules, et nous les réduisons tous à cinq classes : l’incrédule stupide, l’incrédule négligent, l’incrédule bel esprit, l’incrédule passionné et l’incrédule philosophe. Nous disons que la proposition de Jésus-Christ, qu’il n’est pas juste, qu’il serait même inutile, pour l’ordinaire, d’évoquer des morts de l’autre monde pour attester la révélation, se vérifie à l’égard de ces cinq ordres d’incrédules.

1. Nous mettons dans le premier rang l’incrédule stupide. Par l’incrédule stupide, nous entendons ces personnes qui ont un génie si borné, qu’elles sont incapables d’entrer dans les preuves les plus aisées et dans les discussions les moins profondes. Esprits confus et ténébreux, dont la raison est enchaînée, et que Dieu semble n’avoir placés dans la société que pour relever le génie des autres hommes. Ils apportent dans l’étude de nos mystères la même incapacité qu’ils ont fait paraître dans les affaires de la vie, et ils refusent de croire, parce qu’ils sont incapables de sentir et de concevoir les motifs de crédulité. Les incrédules de ce genre ne sont-ils pas fondés en raison de demander quelque révélation plus proportionnée aux bornes de leurs lumières, et Dieu peut-il, dans les règles exactes de sa justice et de sa bonté, les renvoyer à la révélation ordinaire ? A cela nous répondons deux choses. Premièrement, cette prétention pourrait avoir lieu si Dieu exigeait des esprits stupides une foi aussi étendue que de ceux qui ont un génie plus vif et plus pénétrant. Mais c’est une vérité très conforme à ses perfections, et attestée dans nos Écritures, que la mesure des talents que Dieu nous a donnés sera la règle du compte qu’il nous demandera dans ce grand jour, où il viendra juger le monde. « Ceux qui auront péché sans la loi Romains 2.12 » (retenez bien ces maximes, consciences faibles et tremblantes, esprits fertiles en doutes et en scrupules, et qui, après mille travaux entrepris, craignez encore d’avoir pris pour la vérité même ce qui n’en a que l’apparence), « ceux qui auront péché sans la loi périront sans la loi, » c’est-à-dire sans être jugés par cette loi qu’ils n’avaient point reçue. Celui qui n’a pas fait là volonté du maître après l’avoir connue sera battu de plus de coups que celui qui n’a manqué à la faire que pour l’avoir ignorée. Tyr et Sidon seront traitées avec plus d’indulgence que ces villes au milieu desquelles Jésus-Christ prêcha lui-même son Évangile. Ainsi quand il serait vrai qu’un prodige tel que l’apparition d’un mort pourrait frapper l’incrédule stupide, Dieu n’est point engagé à le produire, parce que, dans les règles de son jugement, il aura égard, non seulement à la nature de la révélation qui lui a été adressée, mais aussi à la portion de génie qu’il lui avait donnée pour la comprendre ; réflexion que je voudrais inculquer à ces esprits atrabilaires, qui semblent être commis sur les trésors de colère, et qui sont aussi libéraux des jugements de Dieu qu’il l’est de ses miséricordes éternelles. Non, mes frères, ce ne sont pas là les « saints qui jugeront le monde 1 Corinthiens 6.2. » C’est le serviteur réfractaire qui accuse son maître de « moissonner là où il n’avait point semé Matthieu 25.24, » et la Divinité, qui incline moins à condamner qu’à faire grâce, n’imputera jamais les erreurs d’une ignorance invincible. Sans cela, je l’avoue, quoique je voie la lumière sortant de toutes parts pour me confirmer dans ma religion et dans ma foi, j’aurais la conscience dans des craintes continuelles, et mille et mille expériences que j’ai faites de la faiblesse de mes lumières me rempliraient d’épouvante et d’horreur dans l’étude la plus sincère de mon salut.

Nous disons que les vérités fondamentales de la religion sont à la portée des génies les plus bornés, s’ils veulent se donner le soin de les examiner. C’est ici un des fondements de notre réformation. Heureux ! pour le dire en passant, si l’on avait toujours ces principes devant les yeux, et si, ou par une hérésie obstinée, ou par une orthodoxie trop scolastique, on ne tombait presque toujours dans l’un de ces deux écueils, ou de renier la religion en réduisant à presque rien ses vérités fondamentales, ou de l’affaisser, s’il faut ainsi dire, en la chargeant de questions épineuses de l’école.

Nous disons donc que les points fondamentaux de la religion sont à la portée des génies les plus bornés. La religion vous apprend que Dieu a créé le monde. Cette vérité, que la philosophie a établie par tant de preuves abstraites et métaphysiques, ne se démontre-t-elle pas d’elle-même à notre esprit, à nos regards, à tous nos sens ! Et tant de créatures, qui frappent nos yeux, ne nous annoncent-elles pas d’une manière énergique la gloire et l’existence du Créateur ? La religion nous apprend qu’il faut bien vivre ; cette vérité ne se démontre-t-elle pas encore d’elle-même ! Et la voix de la conscience, de concert avec la voix de la révélation, ne parle-t-elle pas avec évidence en faveur des lois qui nous sont prescrites ? La religion nous apprend que Jésus-Christ est venu au monde, qu’il a vécu parmi les hommes, qu’il est mort, qu’il est ressuscité, qu’il a répandu son esprit sur les premiers héros de l’Évangile ; ce sont là des faits, et nous soutenons que ces faits sont appuyés sur des preuves si claires et si palpables, qu’il faudrait n’avoir aucune étincelle de raison pour ne pas en sentir la force.

Portons plus loin cette réflexion. Prenez les controverses qui s’agitent aujourd’hui parmi les chrétiens, vous verrez qu’un esprit même très borné est capable de distinguer la vérité d’avec le mensonge sur ce sujet ; car, mes frères, il ne faut s’épouvanter ni par l’autorité, ni par le caractère de ceux qui forment des difficultés. Les plus grands génies ont souvent soutenu les plus grandes absurdités. On a nié qu’il y eût du mouvement dans la nature. Il s’est trouvé des philosophes et des philosophes de nom qui ont osé soutenir qu’il était incertain s’il y avait des corps ; d’autres ont dit qu’il n’était pas même assuré que nous subsistons. Si vous ne vouliez recevoir que les propositions sur lesquelles on n’a point formé de difficultés, il faudrait n’en admettre aucune. Mais considérez sans préjugé les controverses de nos jours. Avec un esprit médiocre, on peut démêler parmi les points contestés la vérité d’avec le mensonge. Avec un esprit médiocre, on peut reconnaître dans l’Écriture que l’auteur de ce livre n’a voulu nous enseigner ni le culte des images, ni l’invocation des saints, ni la transsubstantiation, ni le purgatoire. Avec un esprit médiocre, on peut reconnaître que l’Écriture, en attribuant à Jésus-Christ les noms, les perfections, les ouvrages, le culte de la Divinité, a voulu nous enseigner qu’il est Dieu. Avec un esprit médiocre, on peut reconnaître encore que cette même Écriture, en nous comparant à des sourds, à des aveugles, à des morts, au néant, a prétendu nous enseigner que nous avions besoin de la grâce, et qu’il n’est pas possible de se sauver sans son secours. Tout homme qui n’a pas assez de pénétration et assez d’étendue d’esprit pour comprendre ces vérités, n’en aurait point assez non plus pour discerner si un mort revenant de l’autre monde serait une preuve faible ou concluante.

2. Mais ce n’est guère parmi ceux qui sont simplement stupides qu’on trouve des incrédules. Leur défaut est plutôt de trop croire que de ne pas croire assez. Passons à la seconde classe. Nous avons marqué secondement les incrédules négligents, ceux qui refusent de croire, parce qu’ils ne veulent pas se donner le soin d’examiner. Justifions à leur égard la proposition de notre texte, que si l’on résiste aux preuves ordinaires, « on ne serait pas plus persuadé, quand même quelqu’un des morts ressusciterait. »

Premièrement, ces gens ne sauraient demander, sans témérité, des preuves nouvelles. Si vous aviez fait vos recherches et vos diligences ; si vous aviez pesé nos preuves ; si vous aviez examiné nos systèmes ; si, après tous ces travaux entrepris, vous ne trouviez rien dans la religion qui satisfît votre esprit ; si notre foi manquait en effet de preuves ; si, malgré ce défaut, Dieu vous condamnait pour n’avoir pas cru, et qu’au lieu de vous proposer des arguments nouveaux, il voulût que vous vous rendissiez à des raisons également, insuffisantes pour persuader votre esprit, et pour entraîner votre cœur : vous auriez raison de vous plaindre. Mais c’est une chose étonnante que l’injustice et l’ingratitude des hommes. Dieu s’est communiqué à eux de la façon la plus affectueuse et la plus tendre ; il leur a annoncé les vérités auxquelles ils sont le plus intéressés : un enfer, un paradis, une affreuse alternative de félicité ou de misère éternelle. Il a accompagné ces vérités de mille preuves sensibles, preuves de fait, preuves de raison, preuves de sentiment. Il n’a rien laissé en arrière de tout ce qui était le plus propre à nous persuader et à nous convaincre. L’on ne daigne pas ouvrir les yeux à ses lumières, on ne daigne pas creuser ce champ où Dieu a caché son trésor ; on aime mieux laisser égarer son esprit après mille objets vains et inutiles, on aime mieux être à charge à soi-même dans les ennuis de l’oisiveté, que de se fixer à l’étude de la religion, et l’on se plaint ensuite que la religion est obscure. Les personnes qui vous en attestent la vérité sont des personnes vénérables. Elles vous disent qu’elles ont lu, pesé, examiné : elles vous offrent d’éclaircir, de prouver, de vous démontrer. N’importe, vous ne voulez pas les honorer de votre attention. On vous presse, on vous dit qu’il s’agit d’une affaire sérieuse, de votre salut, de votre âme, de votre bonheur éternel ; n’importe encore : tout cela n’est pas capable de vous faire entrer dans ces discussions ; et, comme nous disions tout à l’heure, vous aimez mieux vous attacher à des affaires inutiles ; vous aimez mieux des entretiens souvent fades et ennuyeux : vous aimez mieux vous dessécher dans les langueurs insupportables de l’oisiveté que de donner une année de votre vie, un mois, un jour à l’examen de la religion ; et vous vous plaignez ensuite que Dieu vous conduit dans une vallée de ténèbres, et qu’il vous fait marcher parmi les doutes et les illusions. La Divinité doit-elle donc se régler selon vos caprices, et venir à vous précisément et à point nommé par la voie qu’il vous a plu de lui prescrire ?

Ce n’est pas tout. Il est constant que quand Dieu aurait, pour les personnes de ce caractère, l’indulgence que demande le mauvais riche ; quand Dieu évoquerait, à la lettre, des morts de l’autre monde pour leur apprendre ce qui s’y passe, il est constant qu’ils n’en seraient pas plus convaincus, et que ce même fonds de négligence qui les empêche aujourd’hui d’adhérer à la religion serait un obstacle invincible à leur foi, après même qu’elle leur aurait été confirmée d’une manière si nouvelle. Ce n’est pas là un paradoxe. En voici une raison décisive : c’est que cette apparition d’un mort aurait besoin d’un enchaînement de principes et de conséquences. Elle serait susceptible d’un grand nombre de difficultés, et de difficultés plus fortes que celles qu’on oppose aujourd’hui à la religion. Il faudrait examiner d’abord si l’on avait l’esprit sain lorsqu’on a eu cette apparition, ou si ce n’était point l’effet de quelque renversement de cerveau ou d’une rêverie profonde. Il faudrait examiner si cet objet vient réellement de l’autre monde, ou s’il n’a pas été suscité par la fourberie de quelque chef de parti, telles que sont celles des monastères ; telles qu’étaient celles qu’on mettait en avant dans le temps de la réformation pour surprendre la foi des peuples, comme on le voit dans un livre touchant les spectres, composée par un de nos docteursb. Il faudrait examiner, supposé que ce mort vînt de l’autre monde, s’il est envoyé de Dieu ou de l’ennemi de notre salut, qui, sous prétexte de réformation, veut tendre des pièges à notre innocence, et faire’naître des scrupules dans nos esprits. Il faudrait examiner si cette vision est l’effet du jugement de ce Dieu qui « donne efficace à l’erreur et à ceux qui résistent à la vérité 2 Thessaloniciens 2.11, ou si c’est un effet de sa grâce, qui veut aplanir les voies de la religion. Toutes ces questions, et mille autres de même genre qui naîtraient naturellement sur cette matière, demanderaient aussi du temps, du travail et de la peine. Elles demanderaient que le marchand fût moins attaché à son négoce, que le libertin suspendit ses plaisirs, que l’homme de guerre eût du recueillement et de la retraite. Elles demanderaient que l’on consultât la raison, l’Écriture, l’histoire. Le même fonds de négligence qui cause aujourd’hui l’obstination de notre incrédule la causerait encore alors, et l’empêcherait d’entrer dans l’examen nécessaire, pour voir si cette apparition conclut pour la religion qu’elle atteste, et de résoudre les objections dont elle serait susceptible. Disons donc à l’égard de l’incrédule négligent : « Ils ont Moïse et les prophètes, qu’ils les écoutent. S’ils n’écoutent Moïse et les prophètes, ils ne seraient pas plus persuadés, quand même quelqu’un des morts ressusciterait. »

b – Lavater.

3. Les réflexions que nous venons de faire sur les esprits négligents s’appliquent d’elles-mêmes à un troisième ordre de gens, que nous avons appelés incrédules beaux esprits. Nous en faisons une classe particulière à cause du rang qu’ils occupent dans le monde, et de l’ascendant qu’ils savent prendre sur les cœurs. Nous appelons incrédules beaux esprits, ces personnes qui, selon le goût du siècle passé, n’ont pas cultivé leur génie par une philosophie saine et raisonnée, mais qui ont fait une riche provision de tout le clinquant des sciences (passez-nous cette expression) et ont ainsi poli leur esprit et enrichi leur mémoire aux dépens de leur jugement. Ils sont prompts dans leurs reparties, vifs dans leurs répliques, piquants dans leurs railleries, et éblouis les premiers du faux brillant de leur génie, ils se dispensent de discuter avec le reste des hommes, et savent faire suppléer ce qu’on appelle un bon mot à une raison solide. Disputez avec un homme de ce caractère, vous n’en aurez jamais de réponse précise. Il aura d’abord en main un trait d’histoire et d’érudition ; il vous citera un passage d’Hérodote ou de Juvénal, et éludant ainsi vos preuves et vos objections, il se croira victorieux pour avoir su éviter le combat, et pensera, par cela même, être autorisé à persister dans son incrédulité.

Les mêmes réflexions qui regardent l’incrédule négligent, s’appliquent à celui que nous combattons dans cet article. Il n’est ni de la justice de Dieu, ni de sa sagesse, d’employer en sa faveur des preuves nouvelles. Non de sa justice : car comment un profane de profession, un homme qui, pour se rendre agréable dans la société, et pour avoir la réputation d’homme ingénieux, tourne en ridicule les vérités les plus graves et les plus sérieuses, fait une guerre ouverte à Dieu, se joue de ce qu’il y a de plus sacré ; comment un homme de ce caractère serait-il l’objet de l’amour de Dieu ? Comment Dieu changerait-il en sa faveur l’économie de son esprit et de sa grâce ? Cela n’est pas aussi de sa sagesse : et comme vous pouvez appliquer à cet article ce que nous avons dit dans le précédent, nous passons au quatrième ordre d’incrédules, que nous avons nommés incrédules de passion.

4. Il faut le reconnaître, ce sont ceux qui font le grand nombre. Je demande toujours d’où vient que dans toute autre matière que celle de la religion, nos incrédules se contentent d’un certain degré d’évidence, au lieu que sur celle-ci ils ne voient point au milieu de la lumière la plus vive ? Plus vous y ferez d’attention, plus vous verrez que la seule raison de cette différence vient de ce que ces autres sujets n’intéressent que peu les passions humaines. Que le soleil tourne autour de la terre pour lui porter sa lumière, ou que la terre elle-même tourne autour du soleil, comme pour lui demander sa chaleur et ses influences ; que la matière soit susceptible d’une division sans fin, ou que l’on puisse trouver un atome proprement dit ; qu’il y ait du vide dans la nature, ou que le vide répugne ; quelque parti qu’on prenne sur ces questions, on peut être avare, ambitieux, fier, superbe, usurier. On peut être pasteur négligent, père idolâtre, fils désobéissant, ami infidèle ; mais qu’il y ait un Dieu au ciel, qu’il « ait assigné un jour auquel il doit juger l’univers en justice Actes 17.31 ; » qu’un œil, qu’un œil invisible veille sur nos actions, et pénètre même dans nos pensées ; cela choque nos préjugés, attaque nos passions, traverse tout le système de notre cupidité.

Tels sont les incrédules de passion. Et il est aisé de prouver à leur égard que la résurrection d’un mort serait inutile pour les convaincre. Rentrez dans vous-mêmes, mes frères, vous y trouverez la preuve de notre proposition ; vous trouverez que les sentiments du cœur ont un rapport intime avec les idées de l’esprit, et que les passions sont comme ces prismes diversement colorés, qui répandent leur couleur sur tous les objets.

Donnez par exemple à un homme de bon sens, et qui a quelque principe de christianisme, la commission de réconcilier deux ennemis : vous admirerez la manière forte et solide dont il réfutera tous les sophismes que la passion leur inspire. Qu’on exagère les sujets qu’on a de se plaindre ; il prendra incontinent une balance d’équité, et retranchera ce que la colère avait ajouté à la vérité. Qu’on lui dise qu’on a reçu une injure atroce, il ajoutera incontinent que, parmi des chrétiens, il ne s’agit point sur cette matière d’examiner qui a droit, ou qui a raison, mais qu’il s’agit de faire grâce. Qu’on allègue qu’on a pardonné plusieurs fois, il répliquera que c’est là précisément notre cas auprès du juge du monde, que mille perfections outragées, que mille grâces mises en oubli, que mille serments faussés, que mille résolutions violées, ne l’empêchent pas de nous ouvrir les trésors de ses miséricordes. Qu’on ait recours au subterfuge ordinaire, et qu’on proteste n’avoir jamais aucune animosité dans le cœur, que seulement on est résolu d’éviter tout commerce avec un homme si odieux ; il dissipera cette grossière illusion par l’exemple de ce Dieu miséricordieux, qui ne se contente pas de nous pardonner, mais qui, malgré les crimes les plus énormes, lie avec nous les relations les plus tendres. Belle morale, mes frères ! Effet admirable d’un esprit qui envisage la vérité sans passion et sans préjugé ! Mais posons ce prédicateur dans des circonstances contraires. Au lieu d’arbitre, laissons-le partie : au lieu de médiateur des offenseurs et des offensés, mettons-le lui-même dans le cas. Servez-vous de ses propres arguments pour le convaincre, vous serez surpris de les voir traités de sophistiques, au tribunal d’un cœur animé de la colère et de la vengeance : tant il est vrai que nos passions changent nos idées, et que les preuves les plus claires perdent toute leur évidence auprès d’un homme passionné.

Et de bonne foi, croyez-vous que les docteurs de Rome, lorsqu’ils disputent avec nous, par exemple, sur la doctrine du purgatoire et des indulgences, croyez-vous que ce soient des preuves et des raisonnements qu’ils nous demandent ? Point du tout. Plus nos raisons sont fortes contre eux, et plus ils sont irrités contre nous. Il me semble que je les vois calculant ce que ces dogmes leur rapportent : consultant ce livre scandaleux, où ils taxent la grâce de chaque crime, tant pour un meurtre, tant pour un assassinat, tant pour un inceste ; et trouvant, dans chaque partie de l’inépuisable revenu des fautes humaines, des arguments pour établir leur croyance. Ainsi nos incrédules passionnés rejettent les plus fortes preuves. Leur principe est que la religion qui favorise leurs passions, est la bonne religion ; que celle qui les condamne est mauvaise. Voilà la règle, voilà la pierre de touche, à laquelle ils examinent toutes choses. Plus vous apporterez de preuves pour la religion, et plus vous les préviendrez contre la religion : parce que plus vos preuves sont fortes, plus vous combattez leurs passions ; et plus vous combattez leurs passions, et plus vous les aliénerez de cette religion qui les combat.

J’en appelle à l’expérience. L’Écriture nous en fournit un exemple sensible, et un commentaire vivant, en la personne des Juifs incrédules qui vivaient du temps de Jésus-Christ. Jésus-Christ prêche : il condamne les préjugés de la synagogue ; il renverse ce système de chair et de sang qu’elle avait formé ; il attaque les vices de leurs supérieurs ; il déclame contre le dérèglement de leurs mœurs, et il démasque avec soin l’hypocrisie des pharisiens. En voilà assez pour allumer leur rage et leur fureur. Disposés de cette manière, ils n’examinent la doctrine de Jésus-Christ que pour la combattre : il faut perdre Jésus-Christ : pour cet effet, il faut tendre des pièges à son innocence, trouver du faible dans sa doctrine, et le convaincre, s’il est possible, d’être un faux Messie. On l’interroge sur des matières de religion et de politique ; Jésus-Christ satisfait pleinement à ces questions. On examine ses mœurs ; on n’y trouve rien que de sage. On épluche ses entretiens ; on n’y découvre rien qui ne soit « assaisonné de sel et de grâce. » Ce n’est pas assez. Cet homme, disent-ils, vient prêcher une doctrine nouvelle. S’il est envoyé de Dieu, qu’il produise quelque caractère de sa mission. Moïse et les prophètes ont fait des miracles. Jésus-Christ rend la santé aux malades et la vie aux morts, il calme les vents et les flots, il force les lois de la nature. Il y en avait là trop pour persuader les âmes bien disposées. Mais leur passion leur suggère une réponse : « Celui-ci chasse les démons par Béelzébuth, le prince des démons. » Mais Lazare, ressuscité et vivant au milieu de nous, parle en faveur de Jésus-Christ ; il faut se défaire de Lazare, il faut le coucher une seconde fois dans le tombeau, il faut ôter toutes les traces de la gloire de Jésus-Christ, et éteindre, s’il est possible, une lumière dont l’éclat, désormais trop brillant, nous gêne et nous importune.

Voilà une image naturelle de l’incrédule passionné. La passion lui a fait fermer les yeux aux preuves les plus évidentes. Il n’est pas possible de convaincre un homme qui ne veut pas être convaincu. Une disposition essentielle pour connaître la vérité, c’est de l’aimer sincèrement. « Le secret de l’Éternel est pour ceux qui le craignent. Si quelqu’un veut faire la volonté de celui qui m’a envoyé, il connaîtra de ma doctrine, si elle est véritable ou si je parle par moi-même, C’est ici la condamnation, que la lumière est venue au monde, mais les hommes ont mieux aimé les ténèbres que la lumière, parce que leurs œuvres étaient mauvaises. »

5. Nous voici arrivés enfin à l’incrédule philosophe ; à celui qui n’est, si nous l’en croyons, ni aveuglé par ses préjugés, ni retenu par sa négligence, ni ébloui par son imagination, ni entraîné par des passions déréglées. Écoutez-le. Il vous assure qu’il n’est animé d’aucun désir que de celui de connaître la vérité, résolu de la suivre, dans quelque lieu qu’il la rencontre ; mais qu’après mille questions agitées, mille recherches entreprises, mille volumes consultés, il ne trouve rien qui soit capable de le satisfaire : et qu’il n’est incrédule en un mot, que parce qu’il ne trouve point de raison de croire. Peut-on dire d’un tel homme, qu’il « ne serait pas plus persuadé, quand même un mort viendrait à ressusciter ? »

Nous répondrons tout à l’heure. Mais qu’il nous soit permis avant toutes choses de faire aussi une question. Trouve-t-on de ces sortes d’incrédules ? L’homme que nous venons de dépeindre, est-ce une réalité ou une chimère ? Quelle question, direz-vous ? Quoi ? cet homme tout concentré dans la méditation et dans l’étude ; cet homme qui a fouillé dans l’antiquité, qui a débrouillé des chaos, qui s’est distillé le cerveau à chercher des solutions et des preuves, et qui ne se nourrit, s’il faut ainsi dire, que de la substance de la vérité : cet homme, d’ailleurs, qui semble avoir rompu tout commerce avec les vivants, et qui ne goûte pas même les plaisirs innocents de la société, bien loin de s’abandonner aux autres ; cet homme, peut-on le soupçonner d’être incrédule par d’autres raisons que parce qu’il croit devoir l’être, et d’avoir d’autres motifs de son incrédulité que la raison même ?

Sans doute : et ce serait mal connaître le cœur humain, de s’imaginer que les passions qui le portent vers des objets sensibles sont les plus puissantes sur lui. Ces passions détachées des sens et de la matière, ce désir de se distinguer, cet amour de la renommée, cette gloire de passer pour un génie supérieur, et qui s’affranchit des erreurs vulgaires ; ce sont là des passions vives et touchantes, et c’est là, pour l’ordinaire, le grand mobile qui anime ces incrédules. Une preuve sensible que c’est ce qui les fait agir, c’est qu’ils aiment à le répandre et à publier leur incrédulité. Or cela ne saurait venir que d’un principe de fausse gloire. Car pourquoi répandre ces pensées ? Pour nous, quand nous publions nos systèmes, soit que nous soyions dans l’erreur, soit que nous soyions fondés en vérité, nous avons de justes raisons de notre conduite. Nous croyons que notre devoir nous engage à enseigner ce que nous pensons. Nous croyons que ceux qui l’ignorent se plongent dans une misère éternelle. En voilà assez pour nous faire élever la voix. Mais vous qui ne croyez ni Dieu, ni jugement, ni enfer, ni paradis, quelle fureur vous anime à publier vos sentiments ? C’est, dites-vous, le désir d’affranchir la société de l’esclavage que la religion lui impose. Malheureux affranchissement, qui, en nous délivrant de ce que vous croyez une erreur, nous plonge dans mille misères réelles, sape tous les fondements de la société, répand la division dans les familles, les rébellions dans l’État ; ôte à toutes les vertus, tous leurs motifs, tous leurs fondements, toutes leurs bases ! Et qui nous soutiendra, si ce n’est la religion, dans ces catastrophes si ordinaires aux fortunes même les plus éclatantes ? Qui adoucira nos esprits, si ce n’est la religion, dans ces misères sans nombre que la fragilité humaine traîne essentiellement après elle ? Qui calmera, si ce n’est la religion, qui calmera nos consciences, dans leurs agitations et dans leurs troubles ? Surtout, qui nous rassurera dans les langueurs d’une maladie mortelle, couchés dans un lit d’infirmité, placés entre des maux réels et présents, et la nuit affreuse d’un avenir ténébreux ? Ah ! si la religion qui produit des effets si pleins de réalité est chimérique, laissez-moi ma chimère, je veux qu’on me trompe, et je tiens pour mon plus cruel adversaire celui qui viendra dessiller mes yeux.

Mais répondons d’une manière plus directe. Vous êtes philosophe. Vous avez examiné la religion. Vous ne sentez rien qui vous frappe. Partout vous trouvez lieu au doute et à l’incertitude : obscurité dans les prophètes, contradictions dans les dogmes, ambiguïtés dans les préceptes ; incertitude dans les miracles. Vous demandez quelque prodige nouveau, et pour vous convaincre qu’il y a un autre monde, vous voulez quelqu’un qui vous dise : J’en viens et j’en suis témoin. Je réponds que si vous raisonnez conséquemment, ce motif serait inutile ; et qu’après avoir résisté aux preuves ordinaires, vous devez, si vous raisonnez conséquemment, refuser de vous rendre au prodige même que vous demandez. Bornons-nous à une seule preuve pour nous convaincre, et prenons, par exemple, le fait de la résurrection de Jésus-Christ. Les apôtres ont témoigné que Jésus-Christ est ressuscité. Voilà notre preuve. Elle vous paraît peu solide, et votre âme incertaine flotte entre l’une et l’autre de ces deux pensées, que les apôtres ont été trompés, ou qu’ils ont voulu tromper les autres. Voilà vos objections. Or si une de ces objections a lieu, je soutiens que vous ne seriez pas fondés en raison de croire, quand même un mort viendrait de l’autre monde pour vous persuader.

Les apôtres se sont trompés, dites-vous. Si cette objection est fondée, il faut non seulement qu’une personne, mais que douze apôtres ; non seulement que douze apôtres, mais que « cinq cents frères 1 Corinthiens 15.6 ; » non seulement que « cinq cents frères, » mais que tous ceux qui attestent les miracles opérés en faveur de cette résurrection ; il faut que toutes ces personnes, d’ailleurs sensées, aient eu le cerveau frappé d’une même maladie ; qu’elles aient cru voir ce qu’elles ne virent point, entendre ce qu’elles n’entendirent point, converser avec un homme avec qui elles ne conversèrent point, opérer des prodiges qu’elles n’opérèrent point. Il faut qu’elles aient persisté dans cette extravagance, non pas pendant une heure, non pas pendant un jour, mais pendant quarante jours, mais pendant toute la suite de leur vie. Or je demande : puisqu’une persuasion si forte et si vive est susceptible d’illusion, comment vous assurerez-vous que vous ne vous tromperez point, lorsque vous aurez ce nouveau degré d’évidence que vous demandez ? Si tant de personnes différentes peuvent être taxées d’avoir eu un même renversement d’imagination, comment ne croirez-vous pas aussi avoir l’imagination renversée, à la vue d’un fantôme ?

Faisons un jugement semblable sur la seconde supposition. Si les apôtres ont été des imposteurs, il faut qu’il y ait eu dans l’univers des hommes assez dénaturés pour souffrir les prisons, les cachots, la mort même afin de soutenir un mensonge. Il faut que cette fureur ait saisi non seulement une personne, mais tous ces milliers de peuples qui scellèrent l’Évangile de leur sang. Il faut que les apôtres n’aient pas eu une étincelle de sens commun, et qu’ayant dessein de tromper le monde, ils aient pourtant agi de la manière la moins propre à l’abuser ; marquant le lieu, le temps, les témoins, toutes les circonstances propres à faire découvrir cette prétendue imposture. Il faut plus encore : il faut que leurs ennemis aient été d’intelligence avec eux pour nous faire illusion. Il faut que les juifs, que les chrétiens, que les gentils, divisés sur tout autre sujet, se soient accordés sur celui-ci seul, puisqu’il n’y en a aucun qui ait jamais convaincu, que dis-je ? qui ait même accusé nos auteurs sacrés d’imposture, quoique la chose eût été très aisée, supposé qu’ils eussent été des imposteurs. En un mot, il faut faire mille suppositions inouïes. Mais je demande encore, si ces suppositions ont lieu, si Dieu a donné au mensonge tant de caractères de vérité, s’il a permis que le démon jouât si habilement son rôle pour nous séduire, comment ne lui permettra-t-il pas de vous séduire encore, par l’apparition d’un fantôme ? Comment du moins pourrez-vous vous assurer qu’il ne l’a pas fait ? Concluons donc à l’égard des incrédules, de quelque genre qu’ils puissent être, que si les preuves ordinaires sont insuffisantes pour les convaincre, les plus grands prodiges le seraient aussi. Justifions maintenant en peu de mots les motifs de pénitence contre les impénitents, comme nous avons justifié les motifs de crédulité contre les incrédules.

Nous croyons, dites-vous, les vérités de la religion ; mais mille pièges sont tendus à notre innocence ; notre esprit nous séduit ; l’exemple nous entraîne. Notre cœur même se pervertit par sa propre pente ; un prodige nouveau rallumerait notre zèle, et nous réveillerait de notre indolence.

Nous répondons deux choses. Premièrement, nous vous contestons l’effet que vous attendez de cette apparition. Car, ou ce prodige arriverait communément, ou il serait plus rare. S’il arrivait tous les jours, il perdrait de sa force par cela même ; et comme les Israélites étaient enfin accoutumés à voir tantôt les eaux changées en sang, tantôt les premiers nés d’Egypte exterminés, tantôt la mer séparée pour leur faire passage, tantôt le pain descendu du ciel et les eaux sourdre d’un rocher ; comme vous n’êtes plus frappés vous-mêmes de voir le ciel, la terre, la nature, les éléments, et tant d’ouvrages divers, qui, en vous prouvant l’existence du Créateur, vous prêchent les hommages que vous devez lui rendre ; vous vous endurciriez aussi à la voix d’un mort qui vous exhorterait à la repentance.

Si ce prodige était plus rare, il vous arriverait infailliblement ce que vous éprouvez dans d’autres occasions : vous en seriez frappés dans l’instant, ces impressions s’évanouiraient, et vous retomberiez dans vos vices. On voit tous les jours dans la société des preuves de cette conjecture. On y voit des personnes touchées, pénétrées à la vue de certains objets, reprendre leurs premières habitudes, dès que la force du charme est cessée. N’avez-vous jamais lu dans l’âme d’un vieillard avare qui accompagne au tombeau une personne de son âge ? Il me semble que je l’entends se parlant ainsi à lui-même : J’ai quatre-vingts ans accomplis : j’ai déjà passé les limites que Dieu a marquées aux humains, et j’assiste à un convoi funèbre. Voici des flambeaux lugubres, une troupe couverte de deuil, le tombeau qui attend sa proie. Pour qui se fait cette pompe ? Quel rôle joué-je dans cette tragédie ? Assisté-je au convoi d’un autre, ou si ce sont mes funérailles qu’on prépare ? Ah ! si ces restes de mouvement et de vie me disent que je suis encore sur la terre, ce vieillard qu’on ensevelit me dit que j’en vais sortir. Ces rides qui défigurent mon visage, ce poids d’années qui m’accable, ces infirmités qui me minent, ce cadavre mouvant encore secondent sa voix et m’avertissent de ma fin prochaine. Cependant que fais-je ? Je bâtis des maisons, j’amasse et j’accumule : je me réjouis dans la pensée que l’année qui suit verra mes revenus grossis, et mes capitaux augmentés. Aveuglement fatal ! Folie d’un cœur que l’avarice rend insatiable ! Désormais je ne veux penser qu’à la mort. Je vais préparer mon convoi funèbre, revêtir mes langes mortuaires, descendre dans mon cercueil et devenir insensible à tout autre soin qu’à celui de « mourir de la mort des justes. Nombres 23.10 » Ainsi raisonne ce vieillard, et vous croyez peut-être que sa vie répondant à ses réflexions, on va le voir désormais charitable, libéral, désintéressé. Non ; ces réflexions s’évanouissent avec l’objet qui les avait fait naître, et ce mort disparu de devant ses yeux, il oublie qu’il est mortel. De même le retour d’un mort vous frapperait peut-être sur-le-champ, vous feriez de belles réflexions, vous formeriez mille résolutions nouvelles ; mais ce fantôme évanoui, votre corruption reprendrait sa première force, et vos réflexions seraient sans succès. C’est notre première réponse.

Voici la seconde. Un homme persuadé de la divinité de la religion ; un homme qui, malgré cette persuasion, persiste dans l’impénitence ; un homme de ce caractère a porté l’endurcissement à un si haut point, qu’il n’est pas concevable qu’il se laisse émouvoir par des motifs nouveaux ; il est si coupable, que bien loin d’avoir lieu de demander des secours extraordinaires, il doit s’attendre de voir supprimer les faveurs qu’il avait déjà reçues, et auxquelles il a résisté si obstinément. Fouillons dans la conscience de ce pécheur, sondons pour un moment les profondeurs du cœur humain, écoutons ces propos affreux qu’il ose se tenir à lui-même : Je crois la vérité de la religion ; je crois qu’il y a un Dieu au ciel ; je crois que Dieu voit chacune de mes actions, et qu’aucune de mes pensées ne saurait échapper à sa connaissance ; je crois qu’il tient la foudre en sa main et qu’il ne faut pour m’abîmer qu’un acte de sa volonté ; je crois ces choses, des réflexions si effrayantes devraient bien me retenir dans les bornes dames devoirs. N’importe, je pécherai, quoiqu’en sa présence ; je « provoquerai sa jalousie comme si j’étais plus fort que lui 1 Corinthiens 10.22, » et ce glaive qui pend sur ma tête, et qui ne tient qu’à un fil, ne jettera aucune terreur dans mon âme. Je crois la vérité de la religion ; je crois que Dieu a eu pour moi « un amour qui surpasse toute connaissance Éphésiens 3.18 ; » je crois qu’il m’a tiré du néant, que je lui dois ces mains, ces yeux, ce mouvement, cette vie, cette lumière ; je crois plus, je crois qu’il m’a donné son sang, son fils, ses entrailles. De si tendres réflexions devraient bien confondre mon cœur, me faire rougir de mon ingratitude, me porter à lui rendre amour pour amour, et vie pour vie. Mais non, résistons à tant de motifs, outrageons notre bienfaiteur, perçons nous-même ce sein qui n’était ouvert que pour nous : « crucifions de nouveau ce Dieu de gloire.« Si son amour nous importune, éloignons-en la pensée. Si notre conscience nous presse, étouffons-en les remords, et péchons avec assurance. Je crois la vérité de la religion ; je crois qu’il y a un paradis ; je crois qu’en la face de Dieu « se trouvent des rassasiements de joie, » et que l’on goûte « pour jamais des plaisirs à sa droite Psaumes 16.11. » L’idée d’une félicité si consommée et si éclatante devrait bien m’élever au-dessus des plaisirs du monde, et cette « fontaine d’eaux vives » me devrait bien détromper de mes « citernes crevassées Jérémie 2.13. N’importe encore : je sacrifierai aux « choses visibles les invisibles 2 Corinthiens 4.11, » aux « délices du péché Hébreux 11.25, » les glorieuses délices de la vertu, et à des biens de quelques moments, « le poids d’une gloire éternelle 2 Corinthiens 4.17. » Je crois la vérité de la religion. Je crois qu’il y a un enfer réservé à l’impénitence, « des chaînes d’obscurité 2 Pierre 2.4, un ver qui ne mourra point, » des flammes qui ne doivent jamais « s’éteindre Marc 9.44 ; » je crois que dans l’enfer on souffre des douleurs plus vives et plus violentes qu’un homme tourmenté de la goutte ou de la pierre, qu’un forçat sous la chaîne, qu’un criminel sur la roue, qu’un martyr déchiré avec des ongles de fer. Je crois ces choses ; je sais que je suis dans le cas de ceux à qui ces tourments sont dénoncés ; je sais qu’il est en mon pouvoir de m’en affranchir, et que je puis, si je veux, me fermer le « puits de l’abîme Apocalypse 9.11 ; » mais n’importe encore ; je me jette tête baissée dans ces antres affreux. Un peu de réputation, un peu de gloire, un peu de bien, des plaisirs vides et trompeurs, ferment mes yeux à des périls dont l’idée seule trouble l’imagination et bouleverse la pensée. Ver rongeant, chaînes d’obscurités, flammes dévorantes, esprits infernaux, feu, soufre, fumée, remords, rage, fureur, désespoir, idée, idée affreuse de mille ans, de dix mille ans, de dix millions d’années, des révolutions absorbantes de l’éternité, vous ne faites point d’impression sur mon âme : je mets ma force d’esprit à vous braver, et ma gloire à vous affronter.

Ainsi raisonne un pécheur qui croit, mais qui vit dans l’impénitence. Voilà le cœur qu’il faut toucher. Mais je demande, concevez-vous quelque prodige qui puisse émouvoir une âme si dure ? Je demande, après tant de motifs inutiles, concevez-vous qu’on en puisse trouver d’efficaces ? Vouliez-vous que Dieu remuât de plus grands ressorts, pour se rendre maître de vous ? Vouliez-vous qu’il vous donnât plus que la vie, plus que son Fils, plus que son ciel ? Vouliez-vous qu’il vous présentât des objets plus affreux que l’enfer et l’éternité ?

Nous savons ce que vous allez nous répondre. Vous direz que nous donnons l’essor à notre imagination, et que nous nous formons des fantômes pour les combattre ; que si le pécheur pensait à ces choses, il y serait très sensible, mais qu’il les éloigne de son esprit, et qu’il est ainsi moins coupable d’insensibilité que de distraction ; au lieu qu’un mort venu de l’autre monde pour le rappeler à lui-même le réveillerait de son indolence. Sophisme de la corruption ! Comme si la distraction, au milieu de tant d’objets qui nous crient d’être attentifs, n’était pas le comble de l’insensibilité même. Mais que dis-je, la distraction ? J’ai en main une preuve claire, parlante, décisive, que lors même que le pécheur a ces objets devant les yeux, il n’en tire aucune conséquence pour sa conduite. Oui, j’ai une preuve de fait et d’expérience, et par conséquent sans réplique, que tous ces motifs d’amour, de crainte, d’horreur réunis, sont encore faibles chez le pécheur. Cette preuve, mes frères, le croiriez-vous ? c’est vous-mêmes : réfutez-nous, démentez-nous, c’est à vous que nous présentons maintenant tous ces motifs. Ne parlez pas de distraction, car vous m’écoutez et je le vois. Nous vous présentons tous ces motifs, ce Dieu témoin et juge de votre cœur, ces entrailles de miséricorde que Dieu ouvrit en votre faveur, et ce Jésus mourant pour vous, parmi les tourments du plus cruel de tous les supplices. C’est à vous que nous ouvrons les cieux, et que nous faisons percer ces voiles qui vous dérobent l’avenir. C’est à vous, à vous, que nous présentons les démons avec leur rage, l’enfer avec ses tourments, l’éternité avec ses horreurs. C’est vous que nous sommons dans ce moment, par la force de ces motifs, de revenir à vous-mêmes. Encore une fois, vous ne sauriez prétexter votre distraction dans ce moment ; vous ne sauriez alléguer que vous ne pensez pas à ces choses, et vous n’échapperez point aujourd’hui ou à la gloire de la conversion, ou à la confusion que donne l’impénitence, lorsqu’elle peut résister à des objets si touchants et si pathétiques. Mais n’est-il pas vrai que tous ces motifs ne vous touchent point ? J’entends qu’ils ne vous changent point. Car ce n’est pas un grand effort de piété, si, après que nous avons médité un sujet, épluché des expressions et des pensées, fait des efforts d’imagination pour vous peindre avec les plus vives couleurs les gloires du paradis et les tourments de l’enfer ; ce n’est pas un grand effort de piété si vous sentez quelque mouvement dans votre sang, et quelque émotion dans vos entrailles. Vous êtes bien tels à peu près à la vue d’une représentation dont vous savez le sujet feint et les acteurs empruntés, et vous ne nous faites pas beaucoup d’honneur de nous donner ce que vous accordez à des déclamateurs de théâtre. Mais êtes-vous assez touchés chacun de ces motifs, pour aller, sans plus tarder, vous, restituer un bien mal acquis ; vous, embrasser un ennemi ; vous, rompre un commerce impur ? Encore une fois, détrompez-nous, démentez-nous. Mais nous savons ce que peut faire un sermon, et nous ne sommes que trop fondés à soutenir que tous ces motifs ne changent point le cœur de plusieurs de nous, lors même qu’ils y sont attentifs, et à en tirer cette conséquence, que mille motifs nouveaux seraient inutiles comme les autres.

C’est ainsi que s’établissent la vérité et la suffisance de la religion chrétienne ; c’est ainsi que nous justifions la Providence contre les reproches injustes des impénitents et des incrédules ; et c’est ainsi que, malgré nous-mêmes, nous traçons notre propre condamnation. Car, puisque nous croupissons, les uns dans l’incrédulité, les autres dans l’impénitence, il faut s’en prendre ou au défaut des moyens que Dieu a employés pour nous convertir et pour nous instruire, ou il faut s’en prendre à nous-mêmes. Nous venons de voir que nos désordres ne viennent point de la première source ; ils viennent de la seconde : donc « à toi est la justice, ô Dieu ! et à nous la honte et la confusion de face Daniel 9.7. » C’est ce qu’il fallait prouver. Nous mettrions ici des bornes à ce discours si nous ne nous étions engagés à répondre à une difficulté qui naît naturellement de notre texte et de la manière dont nous l’avons traité. Comment les Juifs, à qui l’état des âmes après la mort était si peu connu, peuvent-ils être mis dans le nombre de ceux qui n’en seraient pas plus persuadés, « si quelqu’un des morts venait à ressusciter ? » Cette objection parait pressante. Nous avons deux voies pour y satisfaire.

Premièrement, nous pourrions nier tout ce qui fait la force de cette objection, et soutenir que l’état des âmes après la mort était beaucoup plus connu aux Juifs qu’on ne le suppose. Nous pourrions rapporter divers passages du vieux Testament, où sont révélés les dogmes d’un paradis, d’un enfer, d’un jugement et d’une résurrection, et étendre cette réflexion que les Juifs étaient si persuadés de ces dogmes, que les Saducéens qui les révoquaient en doute étaient censés être des sectaires distingués du reste du peuple.

Mais comme les limites étroites qui nous renferment ne nous permettent pas de donner à cet argument tout le temps dont nous aurions besoin pour en faire sentir la force, nous prendrons une autre voie pour répondre à l’objection.

Les Juifs avaient des preuves aussi sensibles de la divinité des livres écrits par Moïse et par les prophètes, que les chrétiens de la divinité de l’Évangile. Jusque-là, on peut dire d’un Juif comme d’un chrétien, que s’il résiste à la révélation ordinaire, il ne serait pas plus persuadé, quand même « quelqu’un des morts » viendrait la lui attester.

Il est question de savoir si cette révélation s’expliquait sur l’état des âmes après la mort d’une manière assez claire pour donner lieu à la proposition de Jésus-Christ. Mais quand nous avouerions à ceux qui font cette objection tout ce qu’ils semblent demander ; quand nous supposerions que l’état des âmes après la mort était aussi inconnu aux Juifs qu’on le prétend, il serait toujours vrai qu’il n’est ni de la justice ni de la sagesse de Dieu d’employer de nouveaux moyens de conversion en faveur d’un Juif qui résiste à Moïse et aux prophètes. En voici la preuve.

Moïse et les prophètes donnent de grandes idées de Dieu. Ils le représentent comme un être souverainement sage, souverainement puissant. D’ailleurs Moïse et les prophètes disent clairement que ce Dieu, dont ils donnent de si grandes idées, déploiera sa puissance et sa sagesse, pour rendre très heureux ceux qui obéiront à ses lois, et pour rendre très misérables ceux qui oseront en braver l’autorité. Un Juif qui est persuadé d’un côté que ce Moïse et ces prophètes parlent de la part de Dieu ; un Juif qui voit d’un autre côté dans ce Moïse et dans ces prophètes, dont la mission ne peut lui être suspecte, que Dieu veut rendre très heureux ceux qui obéiront à ses lois, et qu’il veut rendre très misérables ceux qui oseront en braver l’autorité ; un Juif qui, malgré cette persuasion, persiste dans l’impénitence, est si endurci qu’on ne peut concevoir qu’il se laisse ébranler par de nouveaux motifs ; du moins il est si coupable qu’il ne saurait demander sans injustice que Dieu emploie de nouveaux moyens pour sa conversion.

Que nous dit l’Évangile sur les supplices que Dieu infligera aux méchants, que nous dit-il de plus sur cet article que Moïse et les prophètes (je parle même dans la supposition de ceux qui nous ont fait cette difficulté) ? Il entre dans un plus grand détail ; il nous dit que ce seront « des grincements de dents, un ver qui ne mourra point, un feu qui ne s’éteindra point Marc 9.43. » Mais la thèse générale, que Dieu déploiera ses attributs contre les méchants et en faveur des gens de bien, la thèse générale était aussi connue aux Juifs qu’aux chrétiens, et la thèse générale suffit pour donner lieu aux paroles de notre texte.

Tout ce donc qu’on peut conclure de cette objection, c’est, non que la proposition de Jésus-Christ ne puisse pas se vérifier par rapport aux Juifs, mais qu’elle se vérifie beaucoup mieux par rapport aux chrétiens. Non que les Juifs qui résistaient à Moïse et aux prophètes ne fussent très coupables, mais que les chrétiens qui résistent à l’Évangile sont plus coupables encore. Nous en sommes très convaincus. Nous voudrions que vous en eussiez l’âme atterrée. C’est le but de l’application dans laquelle nous allons entrer.

Application

Premièrement, nous nous adressons aux incrédules. Qu’ils entrent une fois bien sérieusement dans cette raisonnable disposition, de vouloir connaître la vérité, de la chercher, et de la suivre ; qu’ils voient, qu’ils examinent ; et si après tous ces soins, ils ne trouvent rien dans la religion qui soit capable de les persuader, nous ne sommes pas maîtres de l’esprit humain, et nous les abandonnons à eux-mêmes. Mais ce qui nous irrite, c’est que nous sommes forcés de reconnaître que, parmi ce grand nombre d’incrédules qui déchirent les entrailles de l’Église, à peine s’en trouve-t-il quelqu’un chez qui l’erreur de l’esprit n’ait son principe dans un. mauvais cœur. C’est le cœur qui est incrédule, c’est le cœur qu’il faut attaquer, c’est le cœur qu’il faudrait convaincre.

On doute, c’est parce que l’on veut douter. Funeste disposition dont les traits les plus vifs ne peuvent faire voir toute l’énormité ! A quoi l’incrédulité est-elle bonne ? Quel charme peut-on trouver à forcer son esprit de ne savoir, ni d’où il vient, ni ce qu’il doit devenir ? Si dans ce petit espace où notre vie est limitée l’amour de l’indépendance fait goûter ce parti funeste, que ce parti coûte cher à l’extrémité de la vie !

C’est ici où je voudrais que ma plume eût été trempée dans le fiel de la colère céleste, pour vous dépeindre l’état d’un homme qui expire dans ces cruelles incertitudes, et qui envisage, malgré lui, malgré lui, ces vérités de la religion, qu’il a travaillé inutilement à déraciner de son cœur. Tout contribue à troubler son âme. Me voici dans un lit de mort ; me voici destitué de toute espérance de retourner au monde ; les médecins m’abandonnent ; mes amis n’ont plus à m’offrir que des soupirs inutiles, et des larmes impuissantes ; les remèdes sont sans fruit, les consultations sont sans succès, et non seulement cette portion des biens de la terre que je possède, mais tout l’univers entier ne saurait me tirer de cet état : il faut mourir. Ce n’est plus un prédicateur qui prêche, ce n’est plus un livre qui parle, ce n’est plus un déclamateur qui se joue, c’est la mort elle-même. Déjà je sens je ne sais quelle glace dans mon sang ; déjà une sueur mortelle se répand sur la superficie de mon corps ; mes pieds, mes mains, tous mes membres décharnés, tiennent déjà plus du cadavre que du corps animé, et du mort que du vivant : il faut mourir. Où vais-je ? Que dois-je devenir ? Si j’envisage mon corps, quel spectacle affreux, mon Dieu ! Déjà je me représente ces flambeaux lugubres, ces voiles sinistres, ces sons funèbres, une demeure souterraine, un cadavre, des vers, la pourriture. Si j’envisage mon âme, j’ignore sa destinée, je me jette tête baissée dans une nuit éternelle. Mon incrédulité me dit que l’âme n’est qu’une portion de la plus subtile partie de la matière ; que l’autre monde est une vision ; qu’une vie à venir est une chimère. Mais encore, je sens je ne sais quoi qui trouble mon incrédulité. La pensée du néant, toute terrible qu’elle est, me paraîtrait supportable si l’idée d’un paradis et d’un enfer ne se présentait, malgré moi-même, à mon esprit. Mais je le vois ce paradis, ce séjour immortel de gloire, je le vois au-dessus de ma tête, je le vois comme un lieu dont mes crimes me ferment l’entrée. Je le vois cet enfer, dont je faisais mes railleries, je le vois ouvert sous mes pieds. J’entends ces hurlements horribles que poussent les esprits malheureux ; et « la fumée qui monte du puits de l’abîme » trouble déjà mon imagination, et offusque ma pensée.

Tel est l’incrédule dans un lit de mort. Ce ne sont pas là des traits d’imagination, ce ne sont pas des images faites à plaisir, ce sont des tableaux pris d’après nature, c’est ce que nous voyons tous les jours dans ces visites fatales où notre ministère nous engage, où il semble que Dieu nous appelle pour nous rendre les tristes témoins de sa fureur et de sa vengeance. Voilà à quoi aboutit l’incrédulité ; voilà à quoi l’incrédulité est bonne ; voilà comment expirent la plupart de ces esprits forts, qui font gloire de s’affranchir des erreurs vulgaires. Encore une fois, quels charmes trouve-t-on dans un état qui a de si sinistres suites ? Et comment est-il possible que des hommes, des hommes raisonnables se portent à cet excès de fureur ?

Sans doute qu’il s’élèverait bien des murmures dans cet auditoire ; sans doute nous serions taxé d’outrer étrangement la matière, si nous osions avancer cette proposition, que plusieurs de ceux qui nous écoutent sont capables de porter la corruption au degré que je viens de dépeindre. Nous ne l’avancerons point aussi, votre délicatesse nous est trop connue ; mais nous vous donnons à chacun une tâche ; nous vous proposons à chacun ce problème :

Qui de ces deux hommes vous paraît le plus odieux ? Un homme est résolu de ne rien refuser à ses sens, de suivre sans retenue ses désirs, et de se procurer tous les plaisirs que l’on peut goûter dans une vie mondaine. Une pensée l’agite, c’est la pensée de la religion. L’idée d’un bienfaiteur outragé, d’un juge suprême mis en courroux, d’un salut éternel négligé, d’un enfer bravé ; cette idée empoisonne des plaisirs auxquels il est pourtant résolu de s’abandonner. Pour concilier ses désirs avec ses remords, il prend cette voie. Il déracine de son esprit la pensée de la religion, il devient athée obstiné pour devenir pécheur paisible, et il ne pèche avec tranquillité, que lorsqu’il est parvenu à se flatter, ou à se convaincre que la religion est une chimère ; c’est le cas de ce premier homme. Voici celui du second :

Un homme est résolu de ne rien refuser à ses sens, de suivre sans retenue ses désirs et de se procurer tous les plaisirs qu’on peut goûter dans une vie mondaine. La même pensée l’agite, c’est la pensée de la religion. L’idée d’un bienfaiteur outragé, d’un juge suprême mis en courroux, d’un salut éternel négligé, d’un enfer bravé, cette idée empoisonne les plaisirs auxquels il est pourtant résolu de s’abandonner. Il prend une autre voie pour concilier ses désirs avec ses remords. C’est non de se persuader qu’il n’y a point de bienfaiteur, mais de se rendre insensible à ses bienfaits : non de se flatter qu’il n’existe point de juge suprême, mais d’en braver la majesté ; non de croire que le salut est une chimère, mais de fermer le cœur à ses attraits ; non de révoquer l’enfer en doute, mais d’en affronter les tourments ; c’est le cas du second homme. La tâche que nous vous donnons, c’est d’examiner, mais d’examiner mûrement lequel de ces hommes est le plus coupable.

Puisse le grand nombre de ceux qui nous écoutent n’avoir d’intérêt à cet examen, que par la part qu’ils prendront au malheur des autres ! Puissent tant de faux chrétiens, qui, vivant dans l’impénitence, se félicitaient eux-mêmes de ne pas vivre dans l’incrédulité ; puissent-ils être sincèrement touchés, confus, consternés, de ce qu’on peut mettre en problème s’ils sont autant et plus odieux que ce qu’il y a de plus odieux, je veux dire les incrédules et les athées ! Puissions-nous chacun, après avoir mis à profit tant de moyens que Dieu emploie pour nous sauver, voir notre foi et notre obéissance couronnées, et être admis avec Lazare dans le sein du père des croyants ! Amen. Dieu nous en fasse la grâce. A lui soient honneur et gloire à jamais. Amen. Amen.

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