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14.
Sur les dévotions passagères

Que te ferai-je, Ephraïm ? que te ferai-je, Juda ? puisque votre piété est comme une nuée du matin, et comme une rosée de l’aube du jour qui se dissipe.

Osée 6.4

On a vu peu d’aussi beaux jours dans l’Église que ceux qui nous sont décrits dans le chapitre 19 de l’Exode, et dans quelques-uns de ceux qui le suivent. Dieu n’avait jamais versé ses bénédictions sur un peuple avec une plus riche abondance ; jamais peuple n’avait marqué une reconnaissance plus vive, ni une piété plus fervente. La mer Rouge était traversée, Pharaon et son insolente cour étaient engloutis dans les ondes, l’accès à la terre promise était ouvert, Moïse avait été admis sur la sainte montagne pour puiser dans le sein de Dieu la félicité dans sa source, et pour la porter ensuite au milieu de sa nation ; à ces grandes faveurs étaient ajoutées des promesses plus grandes encore, et Dieu disait : « Vous avez vu ce que j’ai fait aux Égyptiens, vous avez vu comment je vous ai portés sur des ailes d’aigle : voici maintenant, si vous obéissez exactement à ma voix et si vous gardez mon alliance, vous serez entre tous les peuples mon plus précieux joyau, bien que toute la terre m’appartienne Exode 14.4-5. » Le peuple est frappé de tant de merveilles, chacun est occupé des mêmes objets, chacun paraît animé d’un même désir, tous les cœurs semblent réunis, et on n’entend plus qu’une voix en Israël : « Nous ferons tout ce que l’Éternel nous a dit Exode 19.3. » Mais cette dévotion eut un grand défaut, c’est qu’elle ne dura que quarante jours. Dans quarante jours la délivrance d’Égypte, la catastrophe de Pharaon, la mer traversée, l’alliance renouvelée, dans quarante jours, vœux, promesses, serments, tout fut effacé du cœur et de la mémoire. Moïse ne paraissait plus, l’éclair ne brillait plus, le tonnerre ne résonnait plus, et les Juifs « firent un veau en Horeb, se prosternèrent devant l’ouvrage de leurs mains, et changèrent la gloire de Dieu en l’image d’un bœuf qui broute l’herbe Psaumes 106.9 » pour parler avec l’Écriture : c’est ce qui attira à Moïse ce sanglant reproche de la part de Dieu. « Va, dit Dieu à Moïse, toujours fervent pour le salut de son peuple, toujours prêt à plaider pour lui ; va, descends, car ton peuple que tu as fait monter d’Égypte s’est corrompu ; ils se sont bientôt détournés de la voie que je leur avais commandé de suivre Exode 32.7-8 ; » ils se sont bientôt détournés, voilà le grand défaut de leur dévotion, voilà ce qui rendit leur dévotion funeste et infructueuse.

Ce portrait vous est-il étranger, mes frères ? Cette histoire n’a-t-elle rien qui vous regarde d’une manière directe ? Y eut-il jamais de jours plus solennels que ceux que nous célébrons dans ces conjonctures ? Dieu vint-il jamais à nous avec plus de grâces ? Allâmes-nous jamais à lui avec plus de vœux ! D’un côté cette année qui se renouvellea, et qui rappelle à nos esprits tant de discours effrayants que nous adressèrent les ministres de Jésus-Christ au commencement de l’année dernière, tant de coups frappés, sur qui ? sur les ennemis de Dieu ? Hélas ! sur l’État, sur l’Église ; tant de personnes enlevées au milieu du champ de bataille, tant d’autres entraînées par le tourbillon des choses humaines ; tant de périls en un mot dont nous étions menacés, mais dont la miséricorde, ô Dieu, nous a affranchis ; d’un autre côté, cette table sacrée, ces symboles augustes, ces arrhes de notre félicité éternelle, tous ces objets n’égalent-ils pas ce jour aux plus beaux de notre vie ?

a – Ce sermon fut prononcé le premier dimanche de l’année 1710.

Si le ciel a ainsi répondu à la terre, nous aimons à le reconnaître, mes frères, et nous embrassons avec avidité cette occasion de faire votre éloge, la terre a répondu au ciel. A en juger par l’extérieur, vous avez épuisé nos souhaits et surpassé nos espérances. Il fallait se préparer à la sainte Cène, vous vous y êtes préparés ; il fallait venir dans ce temple, vous y êtes venus ; il fallait faire des promesses, vous en avez fait. Il nous semblait, en voyant ce matin ce peuple venir avec une égale ardeur à la table de Jésus-Christ, il nous semblait lui entendre dire, comme autrefois les Israélites : « Nous ferons tout ce que l’Éternel nous a dit. »

Mais vous le dirons-nous, mes frères, un nuage obscurcit les lumières de cette solennité. Je vous crains, dirai-je dans quarante ? hélas ! je vous crains dans quatre jours. Ces temples vont être fermés, cette table ne paraît plus, la voix des serviteurs de Dieu va cesser de retentir à vos oreilles, et je crains que Dieu ne dise de vous : « Ils se sont bientôt détournés de la voie que je leur avais commandée. »

Ne nous contentons pas de prévoir le mal, travaillons à le prévenir ; c’est la destination de ce discours, il roulera sur les dévotions passagères. Nous vous adressons ces paroles, ces tendres paroles, qui nous engagent à bien plus de réflexions qu’elles ne semblent en présenter d’abord à l’esprit, et dont toutes nos réflexions ne sauraient épuiser le sens ; nous vous adressons de la part de Dieu ces tendres paroles : « Que te ferai-je, Éphraïm ? que te ferai-je, Juda ? puisque votre piété (ou votre gratuité) est comme une nuée du matin, comme la rosée de l’aube du jour qui se dissipe. »

Ainsi nous voudrions rendre vos dons à l’égard de Dieu aussi fermes que ceux de Dieu à votre égard. Les dons que Dieu vous a faits « sont irrévocables Romains 11.29. » L’alliance qu’il a traitée avec vous porte cette clause : « Quand les montagnes crouleraient, quand les coteaux s’ébranleraient, ma bonté ne se retirera point de toi, l’alliance de ma paix subsistera Ésaïe 54.10. » Il faut aussi que nos dons envers Dieu soient « irrévocables ; » il faut que nous puissions lui dire aussi : « Quand les montagnes crouleraient, quand les coteaux s’ébranleraient, ma fidélité ne se départira point de toi, » l’alliance que j’ai traitée avec toi « ne sera point méprisée : j’ai juré, et je le tiendrai, d’observer les ordonnances de ta justice Psaumes 119.106. » Amen.

« Que te ferai-je, Éphraïm ? Que te ferai-je, Juda ? » Éphraïm, Juda, ne sont pas les termes de notre texte qui ont un plus grand besoin d’explication. Vous savez que depuis le schisme de Jéroboam, arrivé sous Roboam, fils de Salomon, le peuple de Dieu, qui avait été réuni jusqu’alors sous un même gouvernement, constitua deux royaumes, celui de Juda et celui d’Israël : celui de Juda dont Jérusalem était la capitale, celui d’Israël dont Samarie était la capitale, et qui est désigné du nom d’Éphraïm dans nos Écritures ; « Juda, Éphraïm » marquent donc l’un et l’autre de ces royaumes : cela n’a pas besoin de preuves ; et s’il y a quelque chose à remarquer à cette occasion, c’est qu’il est étonnant que la plupart des interprètes, qui sont souvent l’écho les uns des autres, aient parlé du ministère d’Osée comme n’étant destiné qu’au royaume d’Israël, au lieu qu’il paraît par ce texte et par plusieurs autres, qu’il était adressé et au royaume de Juda et à celui d’Israël, tout ensemble.

Mais de toutes les conjectures peu heureuses, je doute s’il pourrait y en avoir quelqu’une qui le fût moins que celle de quelques docteurs, qui croient que notre texte est prophétique ; la « gratuité » dont il est ici parlé marque, selon eux, la miséricorde que Dieu devait déployer sous les périodes de l’Évangile : cette « rosée » signifie le Messie : le « matin, ta gratuité est comme la rosée du matin, » désigne l’économie nouvelle ; et comme chacun propose ses pensées sous quelque apparence de fondement, on ne manque pas d’en alléguer en faveur de celle-ci. Cette expression, dit-on, « ta gratuité, » ne marque pas la gratuité que le peuple exerce, mais celle qui est exercée envers le peuple, et là-dessus on vous allègue le génie de la langue sainte et divers passages qui justifient ce tour d’expression, comme celui-ci : « Mon peuple pend attaché à sa rébellionb, » pour dire à sa rébellion contre moi. « La rosée, ajoute-t-on, signifie le Messie, car il est promis sous cet emblème dans divers passages de l’Écriture. « Le matin, » marque l’économie nouvelle qui nous est souvent annoncée sous cette idée par les prophètes, et tout ce texte : « ta gratuité est comme la rosée de l’aube du jour qui se dissipe, » est une merveilleuse opposition de la loi à l’Évangile. La loi était comme une grêle qui ravage la terre, l’Évangile est une rosée qui la réjouit ; la loi était une sombre nuit, l’Évangile est un jour serein ; « ta gratuité est comme la rosée de l’aube du jour qui se dissipe, » c’est-à-dire qui vient. Voilà bien des vérités qui ne sont point à leur place. « Ta gratuité » peut signifier la gratuité qu’on exerce envers toi ; le Messie nous est représenté comme une « rosée, » l’économie de l’Évangile est promise sous l’emblème du matin, tout cela est vrai, mais tout cela n’est point à sa place. Ce mot de « gratuité, » qui forme la première erreur de ce commentaire, peut être entendu de la piété en général, il a cette signification dans plusieurs passages de l’Écriture. Le substantif qui en est dérivé se prend ordinairement pour les hommes pieux, et si nous en croyons un célèbre critiquec, c’est du mot « Hasidim, » les pieux, qu’est dérivé celui « d’Esséens, » qui était le nom d’une secte parmi les Juifs, ainsi nommée, parce qu’elle faisait profession d’une piété plus soutenue que les autres. Une « gratuité » qui est « comme la rosée du matin qui se dissipe, » c’est une piété apparente, mais qui est de peu de durée ; et toutes ces paroles : « Que te ferai-je, Éphraïm ? Que te ferai-je, Juda ? puis que votre piété est comme une rosée du matin qui se dissipe, » sont un reproche de Dieu à son peuple sur l’inconstance de ses dévotions. Envisageons ce texte sous cette face, et considérons premièrement la nature, secondement l’inutilité des dévotions passagères. C’est le but de tout ce discours.

bOsée 11.7, traduction de la Bible Martin.

c – Grotius.

Première partie

Quelle est cette gratuité ou cette piété qui est « comme la nuée du matin » ou comme « la rosée de l’aube du jour qui se dissipe ? » Nous n’entendons ici ni ces dehors trompeurs des hypocrites, qui, sous des voiles de ferveur et de religion, cachent des cœurs irréligieux et profanes ; ni la disposition de ces chrétiens qui, après s’être élevés jusques au ciel par les élans de leur zèle, sont rappelés au monde par leur propre fragilité, éprouvent même les mouvements de la cupidité, après s’être laissés entraîner par ceux de la grâce : la dévotion que nous voulons dépeindre va plus avant dans la religion que cette première disposition, mais elle ne va pas si loin que la seconde.

La dévotion passagère dont nous parlons n’est pas l’hypocrisie ; l’hypocrisie n’est pas capable de suspendre un seul moment les coups de la justice divine ; elle est moins propre à l’éteindre qu’à l’embraser. Ce n’est point aux hypocrites que Dieu tient ce tendre langage : « Que te ferai-je, Éphraïm ? que te ferai-je, Juda ? » Leur sentence est prononcée, leur malheur est arrêté. « Hypocrites, Ésaïe a bien prophétisé de vous, lorsqu’il a dit : Ce peuple m’honore vainement de ses lèvres, mais son cœur est bien éloigné de moi ; malheur à vous, scribes et pharisiens Matthieu 15.7. » Leur portion sera avec les hypocrites là où il y a « des pleurs et des grincements de dents Matthieu 23.13. »

La piété que nous voulons dépeindre n’est pas non plus celle du fidèle faible et chancelant. Quelque imparfaite que soit cette piété, elle est pourtant véritable. Sans doute, c’est un objet bien humiliant pour le fidèle que ces bornes étroites qui le renferment et qui l’arrêtent dans l’activité de sa dévotion. Qu’il lui est doux dans ces heureux jours de sa vie, où, perdant le monde de vue, il est tout occupé du ciel ; qu’il lui est doux de s’élever alors au-dessus des sens et de la matière, de monter avec Dieu, comme autrefois Moïse, sur la sainte montagne, et là de s’entretenir avec Dieu, de lui parler de la religion, du salut, de l’éternité ! Qu’il lui est doux de se dédommager alors du temps qu’il a perdu sur la terre, de verser ses soucis dans le sein de Dieu, de donner l’essor à son amour, de lui dire avec de saints hommes : « Seigneur, tu sais que je t’aime Jean 21.15 ; approcher de Dieu, c’est mon bien Psaumes 73.28 ; mon âme est rassasiée comme de moelle et de graisse Psaumes 63.6 ; » et que c’est une chose mortifiante pour lui, après avoir donné de si grands objets à ses méditations, d’être forcé par la faiblesse de sa nature de revenir au monde et de s’occuper, de quoi ? d’un habit, d’un domestique, d’un rien ; surtout que c’est une chose mortifiante pour lui, après avoir goûté des plaisirs si purs, de se trouver encore sensible à ceux du péché ! Mais après tout, cette piété, quoique imparfaite, est pourtant véritable ; elle doit bien nous humilier, mais elle ne doit pas nous confondre, et ce serait être animé-d’un esprit trop sévère que de l’envelopper avec cette piété qui est « comme la nuée et comme la rosée du matin qui se dissipe. »

La piété dont nous parlons tient le milieu entre ces deux dispositions : comme j’ai dit, elle ne va pas si avant que la seconde dans la carrière de la religion, mais elle va plus avant que la première. Elle est sincère, en cela elle est supérieure à l’hypocrisie ; mais elle est infructueuse, en cela elle est inférieure à la piété du chrétien faible et chancelant ; elle est assez vive pour faire connaître le crime, mais non pas pour le faire corriger ; assez pour faire promettre avec sincérité, mais non pas pour faire tenir avec fermeté ; assez pour attendrir le cœur, mais non pas pour le transformer ; assez pour arracher des larmes, mais non pas pour déraciner de mauvais penchants ; c’est une certaine piété de temps, d’occasion, de circonstances, qui se diversifie en mille espèces, qui a des causes sans nombre ; et, pour entrer dans quelque détail, c’est une piété qui doit ordinairement sa naissance, ou aux catastrophes publiques, ou aux fêtes solennelles, ou à l’approche de la mort, mais qui s’évanouit incontinent avec les causes qui la faisaient naître.

1. Nous entendons par cette piété qui est comme la « rosée de l’aube du jour qui se dissipe, » celle qu’excitent pour l’ordinaire les catastrophes publiques ; un État prospère, son commerce fleurit, ses armées triomphent, son suffrage donne le branle à l’univers, les vices, suites ordinaires de la prospérité, naissent du sein de la prospérité même, la conscience dort au milieu du tumulte des passions, et à mesure que la corruption grossit, la sécurité augmente. La patience de Dieu se lasse, et par les coups dont elle frappe, ou par ceux dont elle menace de frapper, elle enlève cette prospérité, du moins elle menace de l’enlever ; les sinistres messagers de la vengeance de Dieu viennent signifier leur commission formidable. Ces « vents, » dont il « fait ses anges, » font déjà entendre leurs sons affreux ; « ces flammes de feu, » dont il fait « ses ministres, » font déjà voir leur épouvantable lueur ; la peste, la guerre, la famine, exécuteurs de ces arrêts du courroux céleste, préparent leur redoutable ministère ; un être nommé « la mort, » et un autre appelé « sépulcre, » reçoivent cet ordre sanguinaire : Allez, courez, exterminez « par la mortalité, par l’épée et par la famine, la quatrième partie de la terre Apocalypse 6.8, » Chacun voit dans le malheur public sa perte particulière, « Capernaüm élevée jusqu’au ciel va être abaissée jusqu’aux enfers Luc 10.15. » Les Jonas se promènent dans Ninive, et font retentir ses murs de ces sons lugubres : « Encore quarante jours, et Ninive sera détruite ; encore quarante jours et Ninive sera détruite, » ou, pour laisser les noms empruntés, et pour rapprocher nos portraits des originaux qui nous en ont fourni la matière, vos pasteurs affranchis de leur timidité ou de leur lâcheté naturelle, méprisant ces petits tyrans, dirai-je, ou ces vermisseaux, qui voudraient qu’au milieu d’un peuple tout libre nous fussions les seuls esclaves, que tandis qu’on voit les vices courir déchaînés, la « parole de Dieu » fût « liée » et que dans l’exercice d’un ministère de réformation, nous fussions plus lâches que des évêques de cour ou des prédicateurs de princes ; vos pasteurs vous font entendre leur voix : on vous fait remonter jusqu’à votre première origine, on retrace à vos yeux ces édits cruels, ces proscriptions sanguinaires, ces flots de sang, ce tas de morts et de mourants qui ont été, s’il faut ainsi dire, les premiers fondements de cette république ; de ce que vous fûtes alors on passe à ce que vous êtes aujourd’hui, on vous représente quel fut le but que Dieu s’était proposé en signalant ainsi sa miséricorde envers vous, on vous dit que c’avait été de vous engager à étendre la vérité dans les climats idolâtres, à la défendre dans les pays cruels et persécuteurs, à la maintenir dans votre sein et à éloigner ainsi du milieu de vous la profanation, l’incrédulité, l’athéisme ; on vous somme si vous avez répondu à ces vues, si ces « mains affaiblies, » si ces « genoux chancelants Hébreux 12.12, » si ces voiles de superstition étendus encore dans les lieux de votre domination, si cette « ruine de Joseph » négligée Amos 6.6, si l’irréligion levant insolemment la tête au milieu de vous et se trouvant si souvent chez ceux qui devaient travailler à la bannir de chez les autres, si ces objets ne témoignent pas contre vous ; on vous fait voir la Divinité prête à venger ces rébellions, et, s’il est permis d’ainsi dire, on prêche à la lueur de l’éclair et au son même du tonnerre : alors chacun est frappé de ces objets, tous les cœurs semblent réunis ; nous voulons « nous mettre à la brèche pour détourner la colère de Dieu Psaumes 106.23 ; » le magistrat descend de son tribunal, le marchand quitte son négoce, l’artisan laisse son ouvrage, le libertin suspend ses plaisirs ; vœux, prières, protestations, larmes, attendrissements, promesses, promesses même sincères, rien ne manque à vos dévotions : les anges s’en réjouissent, la Divinité même fléchie ou retenue montre un visage apaisé, le grain regerme, la guerre finit, du moins elle affermit une sûreté qu’elle avait si fort ébranlée : mais avec la première prospérité l’on reprend sa dépravation première, même nonchalance pour la vérité, même froideur pour l’Église, même incrédulité, même profanation ; voilà le premier ordre de cette piété qui est « comme la rosée de l’aube du jour qui se dissipe : » apprenons-le des versets qui précèdent notre texte, et voyons dans l’image de l’ancien peuple la nôtre propre. « Venez, » dirent-ils, quand le prophète eut annoncé à Juda la captivité de Babylone et aux dix tribus leur transport en Assyrie, « venez, retournons à l’Éternel, car c’est lui qui a déchiré, mais il nous guérira ; il a frappé, mais il bandera nos plaies ; il nous aura rendu la vie dans deux jours, au troisième il nous aura rétablis Osée 6.1. » « Dès qu’ils avaient du repos, » dit Néhémie, « ils retournaient à faire du mal en ta présence, c’est pourquoi tu les abandonnais entre les mains de leurs ennemis ; puis ils criaient à toi, et tu les exauçais des cieux Néhémie 9.28. Que te ferai-je, Éphraïm ? que te ferai-je, Juda ? puisque votre piété est comme une nuée du matin, comme une rosée de l’aube du jour qui se dissipe. »

La seconde classe des dévotions passagères est celle qui doit sa naissance aux solennités religieuses. La Providence qui veille pour notre salut a établi dans son Église non seulement un ministère ordinaire pour cultiver notre piété, mais elle a voulu qu’il y eût certains périodes extraordinaires propres à la réveiller, et elle s’est ainsi proportionnée à notre faiblesse ; car quelque grandes que soient les vérités de la religion, il est certain qu’elles perdent de leur force par l’habitude où nous sommes de les voir, et nous ne les envisageons qu’avec sécheresse quand on nous les montre toujours sous les mêmes faces : il faut qu’il y ait des jours où on les revête de je ne sais quoi d’extraordinaire et où l’on remue, s’il faut ainsi dire, les grands ressorts de la religion : c’est à quoi sont destinées nos solennités ; c’est surtout un des principaux usages de la sainte Cène. Quand la sainte Cène ne servirait qu’à ce dessein, quand il serait vrai, comme le prétendent quelques-uns, que Dieu n’y a pas annexé des faveurs particulières, qu’il n’y vient pas à nous avec des redoublements de grâces, ce serait un faible prétexte pour s’en éloigner, et cet avantage qu’on ne peut contester serait toujours une raison suffisante pour y appeler ceux qui ont leur salut à cœur. Quoi qu’il en soit, il est certain que c’est particulièrement le but de ces jours solennels qui donne occasion à ces dévotions passagères dont nous nous entretenons, et qui produit pour l’ordinaire cette piété qui est comme la « nuée du matin et comme la rosée de l’aube du jour qui se dissipe. »

Nous ne voulons pas désigner ici un caractère de chrétiens trop odieux, même pour être mis dans la classe vicieuse que nous produisons ; car, mes frères, on voit un ordre de gens bien singuliers au milieu de nous : on en voit qui, plongés dans tout l’excès de la mondanité, veulent pourtant participer à nos mystères, quelque effort que nous fassions pour les en éloigner et quelque soin que nous prenions de les en déclarer indignes ; ils veulent même y participer avec quelque sorte de préparation et de bienséance : pour cela ils retranchent une certaine portion du temps destiné à leurs excès, mais ils la marquent si juste qu’il est aisé de voir qu’ils regardent la dévotion plutôt comme un fardeau que comme un exercice doux et salutaire. Ils suspendront durant le jour qui précède la communion, et durant celui qui la doit suivre, les actes de leurs habitudes ; ils communieront dans cet intervalle, résolus de reprendre immédiatement après leur premier genre de vie. Quelle dévotion ! Dévotion où l’âme brûle de l’amour du monde et de ses plaisirs, lorsque l’on fait au dehors quelque démarche apparente d’amour pour Dieu et pour la religion ! Dévotion où l’on dispute à Jésus-Christ ces mêmes jours qu’on ne lui donne qu’à regret et avec contrainte, et où l’on murmure peut-être du génie de la religion qui met l’âme à la torture, et qui la force d’être trois jours entiers hors du jeu et de la débauche ! Dévotion où l’on trame le dessein de trahir son Sauveur, comme Judas, lors même que comme lui on est assis à sa table ! Ces gens-là n’ont pas besoin qu’on les caractérise. On ne fait jamais de communion qu’on ne proteste contre eux ; c’est à eux particulièrement que l’on crie arrière, arrière ; et si, à la faveur d’une discipline trop modérée, ils échappent à l’excommunication ecclésiastique, ils ne sauraient échapper aux anathèmes que Dieu lance dans sa parole contre les indignes communiants.

Mais nous voulons marquer ici un autre caractère : c’est celui de ces chrétiens qui ne donnent pas tête baissée dans tous les crimes, mais qui s’en réservent quelques-uns, quelques-uns même de ceux dont l’Évangile prononce que ceux qui les commettent « n’hériteront pas le royaume de Dieu 1cor.6.10, » chrétiens qui ne commettent pas ces crimes avec cette brutale fureur qui rend l’âme inaccessible aux remords et à la réflexion, et qui ont un désir sincère jusqu’à un certain degré de se corriger ; ils prennent un temps qui devrait suffire pour les préparer à la communion, ils entrent alors dans leur conscience, ils méditent les grandes vérités de la religion, cette justice exacte qui paraît dans toutes les lois de l’Église, cet amour pour l’ordre qui y brille de toutes parts, ce riche présent de son propre Fils que Dieu a fait à l’Église ; ils sont touchés de ces objets, ils appliquent ces vérités à leur état ; ils promettent à Dieu de se réformer : mais, peu de jours après la communion, non seulement ils retombent dans quelques actes vicieux, mais ils s’abandonnent comme auparavant à leur habitude vicieuse et persistent dans cet état jusqu’à la première communion, où ils reprennent le même exercice de dévotion pour retomber ensuite dans les mêmes vices, en sorte que toute leur vie est un retour continuel de la repentance au péché, du péché à la repentance ; c’est le second ordre de gens que nous voulions désigner, c’est la seconde classe des dévotions passagères.

Mais de toutes les dévotions de ce genre celle qui a le plus besoin qu’on la caractérise, parce qu’approchant de plus près de la véritable piété elle peut être plus facilement confondue avec elle, c’est celle qui vient des approches de la mort et qui s’évanouit ensuite dès qu’on croit la mort reculée.

De tous les prédicateurs, le plus énergique, le plus pressant, le plus pathétique, c’est la mort : que peut-on nous dire dans cette chaire, que la mort ne nous dise avec plus de force encore ? Quelle vérité peut-on nous annoncer que la mort ne nous annonce encore avec plus d’évidence ? Nous parle-t-on de la vanité du monde ? La mort nous en parle avec plus de force encore : ces voiles impénétrables dont elle couvre tous les objets de la terre, cette nuit affreuse dont elle les enveloppe, ces ordres irrévocables qu’elle nous donne de les quitter, cette force insurmontable qu’elle emploie pour nous en arracher, représentent les vanités du monde, mieux que les discours les plus pathétiques. Nous parle-t-on des horreurs du péché ? La mort nous en parle avec plus de force encore : ces douleurs qu’elle nous envoie, ces symptômes auxquels elle nous expose, ce tombeau qu’elle ouvre à nos yeux, nous représentent mieux les horreurs du vice que les discours les plus pathétiques. Nous parle-t-on du prix de la miséricorde de Dieu ? La mort nous en parle avec plus de force encore : cet enfer qu’elle ouvre sous nos pieds, ces exécuteurs de la vengeance divine qu’elle range autour de notre lit d’infirmité, ces flèches envenimées qu’elle décoche contre nous, nous représentent mieux le prix de la miséricorde divine que les discours les plus pathétiques. Lors donc qu’une maladie qu’on croit mortelle est envoyée à un homme qui a assez de sentiment et de lumière pour n’être pas inaccessible aux motifs et aux réflexions, mais qui n’a pas un assez grand fonds de respect pour l’ordre ni d’amour de Dieu pour s’attacher à la vertu, c’est alors que s’élève cette « nuée du matin, » cette « rosée de l’aube du jour » qui s’évanouit incontinent.

J’en atteste plusieurs de vous. Rappelez à votre souvenir ces temps mémorables de votre vie, où une soudaine frayeur, des symptômes sinistres, des douleurs cuisantes, un médecin pâlissant, et plus que tout cela une défaillance universelle de vos facultés, semblaient vous condamner à une mort prochaine ; souvenez-vous de cette prudence que vous eûtes de faire, au moins en apparence, de votre salut, votre soin unique, éloignant le monde, écartant vos propres enfants, ne conversant qu’avec votre pasteur seul ; souvenez-vous de cette docilité avec laquelle, renonçant à la répugnance que nous avons de penser à nos défauts, et d’en entendre parler les autres, vous écoutiez avec respect tout ce que l’on se donnait la liberté de vous dire sur cet humiliant sujet, vous souffriez les plus mortifiants détails, vous fournissiez vous-mêmes des articles au procès qu’on vous intentait ; souvenez-vous de ces soupirs que vous poussiez, de ces larmes que vous versiez, de ces reproches que vous vous faisiez, de ces noms odieux que vous vous donniez à vous-même ; souvenez-vous de ces vœux, de ces résolutions, de ces promesses : que sont devenus tous ces beaux projets de conversion et de pénitence qui devaient avoir tant d’influence sur votre vie ? Le degré de votre piété se régla selon le degré de votre maladie ; la ferveur de votre dévotion sembla hausser et baisser selon le mouvement de votre pouls et le battement de vos artères, les flammes de votre zèle diminuèrent avec l’ardeur de la fièvre dont vous étiez consumé, et le retour de la santé fut le retour parfait du crime : cet homme qui priait, qui méditait, qui s’élevait jusqu’au ciel par les élans de sa piété, est aujourd’hui tout plein du monde. Vous êtes, mon frère, l’original que nous voulions dépeindre, votre piété est ce troisième ordre de « nuée du matin, de rosée de l’aube du jour qui se dissipe. » Nous en avons vu la nature, voyons-en l’insuffisance ; fournissons ainsi la seconde partie de ce discours, et sentons l’énergie de ce reproche : « Que te ferai-je, Éphraïm ? que te ferai-je, Juda ? puisque votre piété est comme une nuée du matin, comme la rosée de l’aube du jour qui se dissipe ? »

Deuxième partie

1. Dans un jour comme celui-ci, où nous avons participé à ce qu’il y a de plus tendre dans la religion, et où nous devons être susceptibles de ces attendrissements que la religion est si capable d’exciter, écoutons un argument d’un genre singulier que notre texte propose contre les dévotions passagères ; c’est un argument d’amour et de sentiment. « Que te ferai-je, Éphraïm ? que te ferai-je, Juda ? puisque votre piété est comme une nuée du matin et comme la rosée du matin qui se dissipe. »

Sans doute, toutes les images que Dieu emprunte dans nos Écritures pour se faire connaître à nous, celles qui sont prises de nos infirmités, de nos passions, de notre amour ou de notre haine, tout cela est trop imparfait pour représenter un Dieu trop élevé au-dessus de l’homme pour être représenté par rien d’humain ; cependant toutes ces images ont un fond et une réalité, un fond et une réalité même qui conviennent à Dieu dans un degré éminent et proportionné à sa grandeur.

Dieu se représente ici comme un prince qui aurait formé une étroite liaison avec un de ses sujets, ce sujet y a paru sensible ; le prince a signalé son amour par une profusion de grâces ; ce sujet en a abusé, le prince lui a fait des reproches ; on s’y est endurci ; aux reproches ont été ajoutées les menaces, les menaces ont été suivies de la suspension des grâces ; on a paru touché, ému, ranimé ; le prince a reçu le pénitent à bras ouverts et a couronné son retour par un redoublement de faveurs ; le sujet ingrat en abuse encore, le prince reproche encore, menace encore, suspend encore les effets de son amour ; pour éloigner le même malheur on se sert du même moyen, on se prévaut de l’empire que donnent la bonté et l’amour du prince, et on le force encore de revenir ; le prince aime cette violence, mais le perfide sujet connaissant ce faible retombe autant de fois dans son ingratitude que son bienfaiteur se laisse aller aux suggestions de son amour, et devient ainsi également barbare, soit qu’il paraisse sensible à l’amour qu’on lui portait, soit qu’il paraisse n’en avoir point de sentiment : car, mes frères, on a bien moins de peine à s’arracher d’un ami tout perfide que de celui qui n’est perfide qu’à moitié. Ces retours équivoques et ces apparences de tendresse sont bien plus cruels qu’une ingratitude totale et qu’une haine déclarée. Dans une entière rupture, l’âme est bientôt déterminée, mais dans ces liaisons imparfaites on est livré à mille pensées opposées, on se sent partagé entre la crainte de se donner à l’ingratitude et celle de se refuser à la fidélité. Encore une fois, cette image est sans doute infiniment au-dessous de Dieu, c’est pourtant celle qu’il emprunte : « Que te ferai-je, Éphraïm ? que te ferai-je, Juda ? puisque votre piété est comme la nuée du matin et comme la rosée de l’aube du jour qui se dissipe ? » Éphraïm, Juda, pourquoi déchires-tu mon cœur tour à tour par tes vertus et par tes vices ? Que ne me laisses-tu me donner tout entier à toi ou m’en détacher tout entier ? Que ne me laisses-tu donner un libre cours à mon amour ou à ma colère ? Que ne me laisses-tu me glorifier par ton retour ou par ta ruine ? Tes dévotions arrêtent mon bras, tes crimes embrasent ma fureur. Détruirai-je un peuple qui a recours à ma clémence ? Conserverai-je un peuple qui se soustrait à mes lois ? « Quête ferai-je, Éphraïm ? que te ferai-je, Juda ? puisque votre piété est comme la nuée du matin et comme la rosée de l’aube du jour qui se dissipe. » C’est le premier argument que nous opposons aux dévotions passagères, un argument d’amour et de sentiment.

2. Cette première réflexion nous conduit à une seconde, elle roule sur l’injustice de ces dévotions ; car quelque vaines qu’elles fussent, le peuple voulait que Dieu les couronnât de ses bienfaits. Lisez ce que nous dit le prophète Esaïe au chapitre 58 de ses révélations : « Ils me cherchent chaque jour, ils prennent plaisir à savoir mes voies, ils sont comme une nation qui aurait suivi la justice ; puis ils disent : Pourquoi avons-nous jeûné et tu n’y as point eu d’égard ? Pourquoi avons-nous affligé nos âmes et tu ne t’en es point soucié ; » et ce qu’il y a de plus remarquable, c’est que quelque injustes que fussent ces plaintes, Dieu y avait quelquefois égard : car, quoiqu’il sache pénétrer jusques au fond des cœurs et démêler la véritable piété d’avec ce qui n’en a que l’écorce, il a tant d’amour pour la repentance qu’il en récompense quelquefois même les dehors et qu’il en couronne jusqu’aux apparences. Voyez sa conduite à l’égard d’Achab : Achab était un méchant roi, Dieu lui fait dénoncer ses jugements et s’apprête à les exécuter ; Achab déchire ses vêtements, il revêt le sac et la cendre, il se couche dans la poussière ; que dit Dieu à Élie ? « N’as-tu pas vu qu’Achab s’est humilié devant moi ? Parce qu’il s’est humilié, je ne ferai point venir ce mal sur la ville 1 Rois 21.29. » Je ne ferai point venir ce mal sur la ville ! Achab a-t-il donc renversé les autels des idoles ? a-t-il restitué le bien mal acquis ? a-t-il rompu ses alliances avec les ennemis de Dieu ? Non ; cependant « Achab s’est humilié, à cause de cela je ne ferai point venir ce mal sur la ville. » Tant est vrai ce que nous disons que Dieu aime la repentance jusqu’à en couronner quelquefois les dehors et en récompenser même les apparences.

Le peuple connaissait cette condescendance de Dieu et il en abusait de la façon la plus odieuse : « Venez, retournons à l’Éternel, car c’est lui qui a déchiré, mais il nous guérira ; il a frappé, mais il bandera nos plaies ; il nous aura rendu la vie dans deux jours, et au troisième il nous aura rétablis Osée 6.1 ; » et quand il nous aura rétablis, nous reprendrons notre premier genre de vie, quand l’orage sera passé, nous vomirons de nouveau nos blasphèmes contre celui qui peut exciter les tempêtes. N’est-ce pas là l’excès, n’est-ce pas le comble de l’injustice ?

3. Il y a de la contradiction entre ces deux périodes de notre vie, entre le période de nos dévotions et celui de nos crimes. Le motif qui détruit l’un doit nécessairement détruire l’autre ; un homme qui raisonne conséquemment doit opter : ou n’avoir point de ces périodes de dévotion, ou les répandre sur tout le cours de sa vie. Oui, il faut opter : ou il faut communier avec une piété réelle, intérieure, qui ait de l’influence sur la conduite ; ou il faut n’avoir aucun de ces sentiments superficiels dont on est animé dans cette action. Il faut opter : ou il faut donner tête baissée en philosophe inébranlable, dirai-je, ou en bête brute dans les abîmes de la mort ; ou il faut que la piété qu’on témoigne alors se répande dans toute la vie. Avoir l’une de ces dispositions sans l’autre, c’est tomber dans une manifeste contradiction. Que supposent ces solennités qu’on célèbre lorsque l’État est prêt à se bouleverser ? C’est qu’un Dieu juste veille sur cet univers, dispense les biens et les maux, abîme tôt ou tard les États qui pèchent avec insolence, et montre enfin une justice d’autant plus sévère que sa patience a été plus longue. Si nous croyons tout cela, il faut donc travailler à régler la conduite de l’État sur ces grands principes ; et si nous ne le croyons pas, il faut donc ne pas s’humilier, ne pas jeûner, ne pas « courber sa tête comme un jonc Ésaïe 58.5. » Que supposent ces recueillements, ces protestations, ces soupirs que nous apportons à la table de Jésus-Christ ? C’est que Dieu nous a aimés, c’est qu’il a porté la charité jusqu’à nous donner son Fils, c’est qu’un chrétien doit rendre à Jésus-Christ amour pour amour et vie pour vie. Si nous croyons cela, nous devons être toujours fidèles à Dieu ; et si nous ne le croyons pas, il faut donc ne pas communier, ne pas se recueillir, ne pas protester, ne pas promettre. Que suppose tout cet appareil de dévotion que nous revêtons au lit de la mort ? C’est que l’âme est immortelle, c’est qu’il y a une vie après la mort, c’est qu’une éternité de bonheur ou une éternité de misère nous attend. Si nous croyons cela, nous devons donc rapporter nos actions à ces grandes vérités ; et si nous ne le croyons pas, si l’âme n’est pas immortelle, si l’enfer et le paradis sont des chimères, il ne faut donc point revêtir cet appareil de religion au lit de la mort. Mais telle est notre petitesse, que quand nous cessons de penser aux choses, il nous semble que les choses ne sont plus ; quand nous avons eu l’art d’éloigner de notre esprit certaines vérités, il nous semble que ces vérités ne subsistent plus ; quand nous sommes parvenus à ne pas penser à notre juge, il nous semble que notre juge n’existe plus. Nous sommes comme les enfants lorsqu’ils veulent se dérober à la vue de ceux qui veillent sur eux, ils ferment les yeux et s’imaginent ensuite qu’on ne les voit plus.

4. Chaque partie de notre dévotion suppose quelque action dans la vie, en sorte que si cette action manque, tout ce qu’il y avait de prix dans notre dévotion s’évanouit par cela même. Nous écoutons un discours ; dans ce discours on nous annonce quelque vérité de religion qui a une relation intime et inséparable avec la conduite de nos mœurs ; on nous dit qu’il faut être juge intègre, ami désintéressé, dépositaire fidèle. Nous faisons bien d’être attentifs à ce discours, mais si après l’avoir ouï nous violons toutes ces règles, si nous sommes juges obliques, amis ingrats, dépositaires perfides, et si, parce que nous avons écouté ce qu’il fallait faire, nous nous en croyons dispensés, ne renversons-nous pas l’ordre et la destination de ce discours ? Nous participons à la sainte Cène, nous y venons pour serrer les nœuds qui nous unissent à Jésus-Christ, pour nous détacher de la terre, pour nous préparer à l’éternité. Nous faisons bien de participer à la sainte Cène, mais si après y avoir participé nous relâchons ces nœuds qui nous unissent à Jésus-Christ, nous nous attachons à la terre, nous nous éloignons de l’éternité ; et si, sous prétexte que nous avons fait les démarches qui se rapportaient à ces devoirs, nous négligeons ces devoirs mêmes, ne renversons-nous pas alors la destination de la sainte Cène ? Ces raisonnements sont si clairs, qu’il semble qu’il est inutile de les mettre dans un plus grand jour ; cependant la plupart des gens raisonnent de cette manière : J’ai été à l’Église, j’ai écouté un sermon, j’ai communié ; je puis donc à présent donner l’essor à mes passions. Et c’est parce que vous avez été à l’Église, c’est parce que vous avez écouté un sermon, c’est parce que vous avez communié, c’est à cause de cela que vous devez vous employer tout entier à faire l’ouvrage auquel toutes ces dévotions étaient destinées.

5. Les dévotions passagères répondent peu au but général de la religion ; ce but, c’est de réformer l’homme, c’est de le transformer, c’est de le rendre semblable aux saints glorifiés, c’est de l’approcher de la nature de Dieu même. Mais que fait à ce but ce torrent rapide de dévotion, lorsqu’il est destitué d’une conduite soutenue ? Si, lorsque je jeûne, je déracine le monde de mon cœur ; si, reconnaissant l’énormité de ma vie passée, je travaille à la réformer ; si, donnant le coup de mort au vieil homme, je forme le nouveau au dedans de moi ; et si j’élève ainsi l’édifice de la grâce sur celui de la corruption, alors je rapporte le jeûne au grand but de la religion. Mais que dit Dieu du jeûne d’un autre genre ? « Est-ce là le jeûne que j’ai choisi, que l’homme afflige son âme pour un jour ? Est-ce en courbant sa tête comme un jonc, et en étendant le sac et la cendre ? Appelleras-tu cela comme un jeûne, et un jour agréable à l’Éternel Ésaïe 58.5 ? » Et que dit Dieu en général des dévotions extérieures ! « Qu’ai-je à faire, dit l’Éternel, de la multitude de vos sacrifices ? Je suis rassasié d’holocaustes et de parfums, et quant à vos nouvelles lunes, je n’en puis plus supporter l’ennui.

Qui a requis cela de vous ? Qui a requis cela de vous Ésaïe 1.11 ? » La réponse semble s’offrir d’elle-même à l’esprit. N’est-ce pas toi qui as établi ce culte, qui as bâti un temple superbe, et qui as ordonné que les Juifs montassent à Jérusalem ? Ces sabbats, ces convocations, ces nouvelles lunes, ne te doivent-elles pas leur origine ? Non, quand elles sont destituées de fond et de réalité. « Je suis las d’holocaustes, et quant à vos nouvelles lunes, je n’en puis plus supporter l’ennui. » De même, disons de toutes nos dévotions, quelles qu’elles puissent être, lorsqu’elles ne répondent pas à cette destination, et disons-le en particulier du sacrement de la sainte Cène : je suis las de vos préparations, je suis las de vos sacrements, je suis las de vos soupirs, je suis las de vos larmes, je suis las de ces dévotions qu’un moment voit naître et qu’un moment voit dissiper, et quant à vos résolutions, je n’en puis plus supporter l’ennui. « Que te ferai-je, Éphraïm ? que te ferai-je, Juda ? puisque votre piété est comme la nuée du matin, comme la rosée de l’aube du jour qui se dissipe. »

6. Les dévotions passagères doivent rendre suspectes les promesses de grâce qu’on vous adressera, lors même qu’après mille retours trompeurs de piété et de pénitence, vous en aurez un véritable. Que pensez-vous sur cette question ? Un homme qui a vécu dans le crime se trouve couché dans un lit d’infirmité ; le sentiment de ses maux et la crainte d’une mort prochaine le font rentrer dans sa conscience ; il appelle un directeur, il lui ouvre son âme, il confesse ses péchés, il pleure, il gémit, il proteste mille et mille fois qu’il déteste sa vie passée, et qu’il ne demande qu’à la réformer. Il se persuade lui-même qu’il est réellement converti, et il en persuade aussi les autres. On lui promet la paix de Dieu ; on étale en sa présence toutes les consolantes déclarations qui sont répandues dans l’Évangile. Le malade revient au monde, il recouvre sa santé, et, oubliant tous ces projets de conversion et de pénitence, il suit son premier genre de vie, mêmes intrigues, mêmes emportements, même arrogance : cet homme se trouve une seconde fois dans le lit d’infirmité, il appelle encore une fois son pasteur, il lui ouvre encore son âme, il s’accuse encore, il gémit encore, il proteste encore de son amendement et de sa conversion. Sur le même principe on lui donne les mêmes espérances : il revient au monde comme la première fois, et comme la première fois il fausse tous ses serments. Cet homme est visité d’une troisième maladie, fait les mêmes démarches, et veut qu’on lui fasse les mêmes promesses. On demande comment un pasteur doit se conduire à l’égard d’un pareil homme. Que pensez-vous sur cette question ? Vous savez votre commission ; c’est d’annoncer la paix de Dieu à ceux qui reviennent à lui avec sincérité et de bonne foi. Les indices de la sincérité et de la bonne foi, ce sont les œuvres ; au défaut des œuvres, les indices de la bonne foi et de la sincérité, ce sont les protestations et les promesses. Ces indices ont été trompeurs dans l’homme dont nous parlons : le retour de la promesse à la violation a été aussi prompt que celui de la violation à la promesse. Sommes-nous en droit de présumer que le pénitent connaît mieux son cœur, et l’expose plus naturellement cette troisième fois, qu’il ne l’avait fait la première et la seconde ? Comment ne serions-nous pas incertains sur son état, comment lui adresserions d’autres promesses, que de tremblantes et douteuses, puisque Dieu revêt en quelque sorte ces sentiments dans les paroles de notre texte ? « Que te ferai-je, Éphraïm ? Que te ferai-je, Juda ? puisque votre piété est comme une nuée du matin qui se dissipe. »

Considérez enfin la fausse prudence d’un homme qui partage sa vie de cette manière, entre des périodes de dévotion et des périodes criminels ; il semble d’abord que c’est là le comble de la sagesse, et que celui qui y est parvenu a trouvé l’art inouï de réunir la récompense de la vertu avec les plaisirs du vice : d’un côté, pour quelques moments donnés à la religion, il s’épargne ces rigueurs qu’éprouvent ceux qui lui font le sacrifice entier de leurs penchants, et pour avoir suspendu durant quelque temps les actes de ses passions, il goûte la douceur de s’y abandonner ensuite : d’un autre côté, il écarte l’orage que la justice divine préparait à ses rébellions, et acquiert ainsi par des pratiques d’un instant une protection que les autres n’achètent que par un dévouement perpétuel. Détrompons-nous : un cœur partagé de cette manière ne jouit d’aucun repos ; la grande cause des peines que nous éprouvons dans le chemin du salut, c’est que nous n’y marchons qu’en partie, et que notre âme ne cesse de flotter entre le monde et la religion. Le monde combat la religion, la religion combat le monde : le cœur ainsi partagé est le champ de bataille où ce violent combat se livre. Pour vouloir jouir des délices de la vertu et de celles du péché, on ne jouit véritablement d’aucune, et l’on participe aux peines de l’un et de l’autre ; se déterminer, prendre son parti et le prendre sage, c’est la source de la véritable paix et de la solide félicité. D’ailleurs, cet état de suspension que Dieu revêt dans notre texte est un état violent qui ne saurait être de longue durée : les mêmes motifs de support qui retiennent le courroux de Dieu jusqu’à un temps ne peuvent le retenir dans un autre ; témoin ce royaume de Juda dont il est parlé dans notre texte, et qui fut livré enfin à la fureur des Chaldéens ; témoin cet Éphraïm, je veux dire le royaume des dix tribus, sur la destinée desquelles Dieu paraît encore flottant : il se détermine enfin ; elles furent dispersées enfin, ces tribus, et confondues avec ces peuples corrompus et idolâtres dont elles avaient suivi la corruption et l’idolâtrie : nous avons besoin aujourd’hui de tout le secours de l’histoire et de toute la pénétration des historiens pour en découvrir quelque trace, si les secours de l’histoire, si la pénétration des historiens peuvent nous en découvrir en effet.

Application

Mais pourquoi remonter ainsi jusqu’aux plus anciens périodes du monde, pour prouver une vérité qui frappe nos yeux, et dont nous avons présentes tant de sanglantes démonstrations ? S’il y a eu une année depuis la fondation de cet univers, s’il y a eu une année propre à prouver ces terribles vérités, c’est celle que nous venons de finir : les funestes événements dont elle a été marquée, et dont nous avons été sinon les victimes, du moins les témoins, sont trop récents et trop connus, pour que nous nous arrêtions à les retracer. Elle sera proposée, cette année, à la postérité la plus reculée, comme un des exemples les plus effrayants de la vengeance divine ; les prédicateurs à venir l’allégueront comme saint Jude autrefois la subversion de Sodome et le déluge universel. On dira à vos descendants que l’année mil sept cent neuf, la patience de Dieu, lassée envers l’Europe, enveloppa dans une même condamnation l’ami, l’ennemi, presque toute l’enceinte de cette belle partie du monde. Ils diront qu’on vit tous les fléaux de Dieu, de concert déchaînés pour perdre les peuples ; ils feront parcourir à leurs auditeurs les vastes pays du Nord, et montreront le Borysthène teint de sang, la contagion allant avec rapidité comme sur les ailes du vent d’une ville à une autre ville, d’un royaume à un autre royaume, d’une province à une autre province, ravageant dans une semaine tant de milliers de personnes, tant de milliers dans une autre. Ils parleront de ces monarchies, l’objet des prétentions de deux princes, et par les sanglantes images des exécutions qui y ont été opérées, ils feront douter si c’était le désir de conquérir ces royaumes, ou le désir de les détruire, qui avait armé le bras de ces rivaux : ils représenteront le théâtre sanglant de la Flandred, et peindront surtout avec de vives couleurs ces troupes animées d’une égale fureur, les unes pour défendre des postes qui semblaient n’avoir besoin que d’eux-mêmes pour leur défense, les autres pour attaquer des retranchements que l’art et la nature semblaient avoir mis hors de toute atteinte : ils montreront ces diverses troupes acharnées donnant un spectacle de fureur inouï jusqu’alors, se portant des coups réciproques, soit par la grandeur de la défaite, soit par le prix de la victoire : ils parleront de ce royaume, l’un des plus fertiles de l’Europe, et ils rappelleront cette disette, en ceci plus cruelle que la famine, qu’elle fait souvent périr d’une mort plus lente : ils feront entendre le laboureur hurlant sur les grands chemins ; ils représenteront « une férocité soudaine s’emparant de tous les esprits, les hommes se saisissant des convois publics, s’arrachant le pain les uns des autres, ne reconnaissant plus de retenue, plus de bonne foi, plus de religione. »

d – La bataille de Malplaquet, une des plus disputées et des plus sanglantes de la guerre pour la succession d’Espagne, fut perdue par Villars en 1709 ; mais les Français ne laissèrent que huit mille hommes sur le champ de carnage, les alliés vingt-deux mille. (Ch. Weiss)

e – Lettre pastorale de FIéchier.

Tant de victimes immolées à la vengeance divine, mes frères, tant de fléaux ravageant l’Europe, tant de coups ébranlant la terre, surtout tant de part que nous avions aux crimes qui avaient allumé le courroux du ciel, semblaient bien devoir faire crouler les fondements de cet État, et enlever d’une mort violente la plus grande partie de ces auditeurs. Cependant, il subsiste encore, cet État, grâces à tes miséricordes infinies, mon Dieu ! il subsiste encore, cet État, et quoique affligé, quoique pressé, quoique lassé d’une guerre longue, cruelle, il subsiste avec autant de grandeur et autant de gloire qu’aucun État de l’univers ; et ils subsistent encore ces auditeurs, grâces à tes miséricordes, mon Dieu ! ils sont encore sous nos yeux, et par une espèce de miracle, ils ont été préservés jusqu’au commencement de cette année ; que dis-je, ils ont été préservés ! ils ont été couronnés. Et comment commence-t-elle cette année que nous ne devions jamais voir, cette année marquée de tant de fléaux, de la peste, de la guerre, de la famine ; comment commence-t-elle pour nous ? elle commence par l’ouverture des cieux ; elle commence par notre participation à ce qu’il y a de plus auguste dans la religion ; elle commence par la descente du Saint-Esprit dans nos cœurs ; elle commence par le renouvellement de notre alliance avec Dieu ; et s’il m’est permis d’ainsi dire, elle commence par l’aveu que Dieu nous fait, que son amour pour nous ne lui permet pas de nous détruire, quelque dignes que nous soyons d’être détruits : « Comment te traiterais-je, Éphraïm ? comment te livrerais-je, Israël ? comment te ferais-je tel qu’Adma et que Iseboïm ? Mon cœur est agité au dedans de moi ; mes compassions se sont échauffées ; non, je n’exécuterai point l’ardeur de ma colère ; je n’en viendrai point à détruire Éphraïm Osée 11.8. » Ah ! pourquoi faut-il qu’une joie si vive soit mêlée de la juste crainte que vous abuserez de ses grâces ? Pourquoi faut-il qu’à travers tant de bienfaits, nous soyons contraints de voir un avenir de vengeance ? République chérie du ciel, et sur laquelle « Dieu a continuellement les yeux depuis le commencement de l’année jusqu’à la fin Deutéronome 11.12, » pourquoi faut-il que nous te fassions aujourd’hui de si tristes augures, en te faisant de si tendres vœux ? Et vous, fidèles qui nous écoutez, pourquoi faut-il qu’en vous souhaitant une année heureuse, nous soyons contraints de vous en annoncer une funeste ?

Car, quel garant avons-nous que cette année sera plus sainte que tant d’autres ? Quel garant que cette communion sera plus efficace que tant d’autres ? Quel garant que ces résolutions auront plus d’influence sur notre vie que tant d’autres ? Quel garant que cette dévotion ne sera pas comme tant d’autres « une nuée du matin, une rosée de l’aube du jour qui se dissipe ? » et par conséquent, quel garant avons-nous que ce n’est point ici la dernière année de cette république ? quel garant que ce n’est pas la dernière communion et la dernière invitation de la grâce, pour plusieurs de ceux qui nous écoutent ?

Ah ! mes frères, mes chers frères, voici Dieu qui nous « retranche encore par ses prophètes Osée 6.5, » pour me servir de l’expression qui suit immédiatement mon texte : le voici qui vous « tue encore par les paroles de leur bouche ; » le voici qui, en la présence de ses anges, lesquels assistent dans ces assemblées, le voici qui vous dit encore : « Que te ferai-je, Éphraïm ? que te ferai-je, Juda ? puisque votre piété est comme la rosée du matin qui se dissipe. »

Deux grands motifs parmi tant d’autres, deux grands motifs vous pressent aujourd’hui à la conversion : votre participation au sacrement de l’Eucharistie, auquel vous avez pris part ce matin, et l’incertitude de votre vie que vous retrace le renouvellement de cette année.

Votre participation au sacrement de l’Eucharistie, cette paix de la conscience, ces consolations intérieures, ces douceurs ineffables, ces « joies inénarrables et glorieuses 1 Pierre 1.8 » que vous avez senties ce matin, si vous les avez senties véritablement, et si ce ne sont pas là, par rapport à vous, des idées destituées de sens et de vérité : quoi ! quatre jours, quatre jours effaceraient-ils ces impressions ? Quoi ! une société mondaine, une tentation des sens, une raillerie profane, vous feraient-elles fausser tous vos sentiments et violer toutes vos résolutions ? Ne tombez point dans la puérilité dont nous vous parlions dans le corps de ce discours ; ne croyez pas que ces grandes vérités qui vous remplissent aujourd’hui cesseront d’être, parce que vous cesserez d’y penser. Jésus est mort pour vous ; Jésus s’est donné à vous ; Jésus vous demande votre cœur ; Jésus vous promet une éternité de félicité, cela est vrai aujourd’hui, cela sera vrai demain, dans huit jours, au milieu de vos tentations et de vos plaisirs ; et que pourrait donc vous offrir le monde qui vous tînt lieu de ce paradis qui est descendu dans votre conscience, de ce Rédempteur qui s’est donné à vous ce matin d’une manière si tendre ?

A ce premier motif, ajoutez celui de la vanité de la vie, vanité que vous retrace le renouvellement de l’année. Je sais combien ce motif est faible sur le plus grand nombre de nous ; l’idée du passé nous rassure pour l’avenir, et parce qu’on n’a jamais été mort, il semble qu’on ne doit jamais mourir. Mais, mes frères, vous nous forcez aujourd’hui de retracer à vos yeux les plus lugubres images dont ils puissent être frappés ; vous nous forcez de rouvrir toutes les plaies qui commençaient à se fermer, et d’anticiper sur toutes les larmes que vous serez appelés à répandre dans le cours de cette année. On ne peut pas nous persuader, il faut nous convaincre ; on ne peut pas nous détacher de la terre, il faut nous en arracher.

Vous trompait-on l’année dernière quand on vous dénonçait que plusieurs de ceux qui en voyaient le premier jour, et qui étaient venus dans ce temple, ne fourniraient point l’année entière ? L’événement n’a-t-il point vérifié cette triste prédiction ? Répondez-moi, veuves désolées, qui avez vu expirer entre vos bras ces époux, objets d’un amour si pur et si tendre ? Répondez-moi, tristes enfants, qui avez accompagné vos pères à la sépulture ? Combien de Jacobs affligés pleurent encore leur mère ! Combien de Davids qui disant dans l’amertume de leur cœur : « Absalon mon fils, Absalon mon fils, que ne suis-je mort à ta place 2 Samuel 18.33 ! » Combien de Josephs qui ont à peine achevé ces tristes jours qu’on destine au deuil de celui de qui on a reçu la naissance ? Combien de Bénonis qui sont venus à la vie en donnant le coup de mort à celle qui les porta dans ses flancs ? Combien de Marthes et de Maries qui arrosent de leurs larmes le tombeau de leur frère, enseveli depuis quatre jours, et déjà infect ? Combien de voix plaintives retentissent en Rama ? Combien de Rachels éplorées qui ne veulent point de consolation, parce que leurs « enfants ne sont plus Matthieu 2.18 ? »

Après avoir envisagé l’année qui vient de s’écouler, jetez les yeux sur celle que nous commençons aujourd’hui. Quels cris n’entendrait-on point dans cet auditoire, si, au lieu de ces discours vagues que nous vous adressons, Dieu nous donnait dans ce moment de pénétrer dans l’avenir, de lire dans ses décrets, d’y voir la destinée des personnes qui nous écoutent, et de vous dire à chacun ce qui vous intéresserait dans cette révélation nouvelle ? Là, vous verriez cet homme superbe qui s’enfle par le vent de sa vanité, confondu dans la même poudre, avec le plus vil d’entre les hommes. Ici cette femme voluptueuse qui ne refuse rien à ses sens, vous la verriez couchée dans un lit d’infirmité, placée entre les douleurs d’une maladie mortelle et la juste crainte de tomber entre les mains d’un Dieu vengeur. Ailleurs, cet homme de guerre qui est couronné de lauriers, et qui en cherche une moisson nouvelle dans la campagne prochaine, vous le verriez couvert d’une tragique poussière, baigné dans son propre sang, et trouvant la sépulture dans ce même lieu où son imagination lui offrait un champ de victoire. Par tous les endroits de cet auditoire, à droite, à gauche, devant, derrière, à vos côtés, à votre place, je vous montrerais des cadavres, et dans cette supposition celui qui nous écoute peut-être avec le plus d’indolence, et qui se moque en secret de ceux que notre voix épouvante, servirait lui-même de preuve aux vérités que nous prêchons, et occuperait la première place dans cette liste fatale.

Mes frères, la Providence ne nous honore pas de ces révélations. Nous n’avons pas l’esprit prophétique, mais vous avez des yeux, vous avez une mémoire, vous avez une raison, et vous ne pouvez pas douter que la mort ne s’immole plusieurs de vous dans le cours de cette année. Sur qui tombera l’orage ? Qui justifiera le premier notre prédiction ? Vous n’en savez rien, et voilà ce qui vous fait braver la mort ; voilà sur quoi sont fondés ces systèmes de votre vanité qui vous attachent à la terre.

Mes frères, établissez votre tranquillité et votre bonheur sur des fondements plus fermes et plus solides. Que si vous êtes frappés en effet des motifs que cette journée vous présente ; si, résolus à présent de travailler à votre salut, vous craignez seulement que vos résolutions ne s’évanouissent, nous vous donnons encore une leçon, nous vous demandons une chose aisée dans la pratique ; c’est que, pendant chaque jour de l’année que vous commencez, vous vous recueilliez un quart d’heure, et vous pensiez à la mort. Là, enveloppez-vous par la pensée dans vos langes mortuaires, descendez dans votre cercueil, allumez vos flambeaux funèbres. Là, représentez-vous une famille éplorée, un médecin pâlissant ; une pompe mortuaire. Là considérez vos amis, vos enfants, vos titres, vos trésors enlevés pour jamais. Là, frappez votre imagination de ces idées salutaires, de livres ouverts, de trônes dressés, d’actions pesées dans des balances de justice. Là, perdez-vous dans la sombre économie de l’avenir.

Après avoir écouté nos exhortations, recevez nos vœux. D’abord, je me tourne vers les murs de ce palais, où se forment ces lois d’équité et de justice qui font la gloire, et la félicité de ces provinces, où s’agitent ces grandes questions qui ont tant d’influence sur la religion et sur l’État, et qui donnent le branle à toute l’Europe. Nourriciers de l’Église, nos maîtres et nos souverains, Dieu veuille affermir ce pouvoir que vous soutenez avec tant de gloire ! Dieu veuille maintenir entre vos mains les rênes de cette république que vous conduisez avec tant de sagesse et avec tant de douceur ! Dieu veuille vous faire participer les premiers à cette prospérité, à cet éclat que vous répandez sur ce peuple ! Dieu veuille qu’on voie sous votre ministère la religion s’affermir, la justice et la paix sourdre de la terre, le nom Belgique redouté, cette nation triomphante, et après vous avoir élevés au faîte des grandeurs terrestres, Dieu veuille vous élever à la véritable gloire !

Je me tourne aussi vers vous, illustres personnages, qui représentez dans ces provinces les premières têtes du monde chrétien, et qui faites voir en quelque manière, au milieu de cette assemblée, des princes, des électeurs, des républiques, des rois, Dieu veuille ouvrir tous ses trésors en faveur de ces hommes sacrés, qui sont des dieux sur la terre, et dont vous portez l’auguste caractère ; et pour leur faire soutenir dignement le poids du pouvoir suprême, Dieu veuille leur conserver des ministres tels que vous êtes, qui sachent faire aimer et craindre tout ensemble l’autorité souveraine ! Dieu veuille maintenir une ligue formée pour la sûreté de toutes les nations et de tous les peuples ! Et, afin de former des vœux plus dignes encore de la majesté de ce lieu et de la sainteté de mon ministère, Dieu veuille vous unir non seulement par un même intérêt temporel, mais par les liens d’une même foi ; nous donner d’avoir un même Dieu pour père, un même Jésus pour rédempteur, un même esprit pour guide, une même gloire pour espérance ! A la vue de ces maîtres de l’univers à qui je viens d’adresser ma voix, je rentre dans mon néant, et j’eusse renfermé ces souhaits dans mon âme ; mais les vœux que je leur adresse sont les vœux de cette assemblée, ce sont les vœux de cet État, ce sont les vœux de toute l’Église.

Nous vous bénissons aussi, sacrés lévites du Seigneur, ambassadeurs du roi des rois, ministres de la nouvelle alliance, qui portez écrit sur vos fronts « la sainteté à l’Éternel, » et sur vos poitrines « les noms des enfants d’Israël Exode 28.29, 36. » Et vous, conducteurs de ce troupeau, qui êtes comme associés avec nous dans l’œuvre du ministère, Dieu veuille vous animer du zèle de sa maison ! Dieu veuille que vous preniez toujours pour modèle le « grand pasteur et évêque de nos âmes 1 Pierre 2.25 ! » Dieu veuille « qu’après avoir prêché aux autres, » vous soyez trouvés « recevables 1 Corinthiens 9.27, » et qu’ayant « amené plusieurs enfants à la justice, vous reluisiez dans le ciel, comme des étoiles, à perpétuité Daniel 12.3. »

Recevez nos vœux, pères et mères de famille, heureux de vous voir renaître en d’autres vous-mêmes, plus heureux encore de mettre dans l’assemblée des premiers-nés ceux que vous mîtes dans cette vallée de misères ! Dieu veuille que vous fassiez de vos maisons des sanctuaires à sa gloire, et de vos enfants des offrandes à celui qui est le « Père des esprits » et le « Dieu de toute chair Hébreux 12.9. »

Recevez nos vœux, gens de guerre, vous qui, après tant de combats, êtes appelés à de nouveaux combats encore ; vous qui, après être échappés à tant de périls, voyez une nouvelle carrière de périls qui vous est ouverte encore : puissiez-vous avoir le Dieu des batailles combattant sans cesse pour vous ! puissiez-vous voir la victoire constamment attachée à vos pas ! puissiez-vous, en terrassant l’ennemi, faire l’épreuve de cette maxime du sage : « que celui qui maîtrise son cœur vaut mieux que celui qui prend des villes Proverbes 16.32 ! »

Recevez nos vœux, jeunes gens : puissiez-vous être à jamais préservés de la contagion de ce monde, dans lequel vous venez d’entrer ! puissiez-vous vouer à votre salut le temps précieux dont vous jouissez ! puissiez-vous vous souvenir de votre « Créateur pendant les jours de votre jeunesse Ecclésiaste 11.3 ! »

Recevez nos vœux, vieillards qui avez déjà un pied dans le tombeau ; disons déjà « votre cœur » au ciel, « là où est votre trésor Matthieu 6.21 : » puissiez-vous voir « l’homme intérieur fortifié, » à mesure que « l’extérieur se détruit 2cor.6.16 ! » puissiez-vous voir réparées par les forces de votre âme les faiblesses de votre corps ; et les portes des tabernacles éternels s’ouvrir, lorsque la maison de poussière croulera sous ses fondements !

Recevez nos vœux, contrées désolées, qui êtes depuis tant d’années le théâtre sanglant de la plus sanglante guerre qui fut jamais ; puisse l’épée de l’Éternel, « enivrée de tant de sang, rentrer » enfin « dans son fourreau Jérémie 47.6 ! » puisse l’ange exterminateur, qui ravage vos campagnes, arrêter enfin ses exécutions sanguinaires ! puissent « les épées être changées en hoyaux, et les hallebardes en serpes Ésaïe 2.4, » et la rosée du ciel succéder à cette pluie de sang qui vous couvre depuis tant d’années !

Nos vœux sont-ils épuisés ? Hélas ! dans ce jour de joie, oublierions-nous nos douleurs ? Heureux habitants de ces provinces, importunés tant de fois du récit de nos misères, nous nous réjouissons de votre prospérité, refuseriez-vous votre compassion à nos maux ? Et vous, « tisons retirés du feu Amos 4.11 » tristes et vénérables débris de nos malheureuses Églises, mes chers frères, que les malheurs des temps jetèrent sur ces bords, oublierons-nous les malheureux restes de nous-mêmes ? Gémissements des captifs, sacrificateurs sanglants, vierges dolentes, fêtes solennelles interrompues, chemins de Sion couverts de deuil, apostats, martyrs, sanglants objets, tristes complaintes, émouvez tout cet auditoire ! « Jérusalem, si je t’oublie, que ma droite s’oublie elle-même ; que ma langue s’attache à mon palais si je ne me souviens de toi ; si je ne fais de toi le principal sujet de ma joie Psaumes 137.5-6. Jérusalem, que la paix soit dans tes murs, et la prospérité dans tes palais ! Pour l’amour de mes frères et de mes amis, je prierai pour ta paix Psaumes 122.7-8. » Dieu veuille être touché, sinon de l’ardeur de nos vœux, du moins de l’excès de nos misères ; sinon des malheurs de notre fortune, du moins de la désolation de ses sanctuaires ; sinon de ces corps que nous traînons par tout l’univers, du moins de ces âmes qu’on nous enlève !

Et toi, prince redoutable que j’honorai jadis comme mon roi, et que je respecte encore comme le fléau du Seigneur, tu auras aussi part à mes vœux. Ces provinces que tu menaces, mais que le bras de l’Éternel soutient ; ces climats que tu peuples de fugitifs, mais de fugitifs que la charité anime ; ces murs qui renferment mille martyrs que tu as faits, mais que la foi rend triomphants, retentiront encore de bénédictions en ta faveur. Dieu veuille faire tomber le bandeau fatal qui cache la vérité à ta vue ! Dieu veuille oublier ces fleuves de sang dont tu as couvert la terre, et que ton règne a vu répandre ! Dieu veuille effacer de son livre les maux que tu nous as faits, et, en récompensant ceux qui les ont soufferts, pardonner à ceux qui les ont fait souffrir ! Dieu veuille qu’après avoir été pour nous, pour l’Église, le ministre de ses jugements, tu sois le dispensateur de ses grâces et le ministre de ses miséricordes !

Je reviens à vous, mes frères, je vous comprends dans tous mes vœux ! Dieu veuille faire descendre son esprit sur cette assemblée ! Dieu veuille que cette année soit pour nous tous une année de bienveillance, une préparation à l’éternité. « O cieux ! envoyez la rosée d’en haut, que les nuées fassent pleuvoir la justice, que la terre s’ouvre, et qu’on produise le salut Ésaïe 45.8 ! »

Mais il ne suffit pas de vous souhaiter ces biens, il faut vous les procurer, il faut les puiser à la source. Il ne suffit pas qu’un homme mortel ait fait des vœux en notre faveur, il faut en demander la ratification au « Dieu bienheureux 1 Timothée 6.15 ; » il faut aller jusqu’au trône de Dieu même, lutter avec le Dieu fort, le forcer, par nos prières et par nos larmes, et ne le point « laisser aller qu’il ne nous ait bénis Exode 32.26. » Magistrats, peuple, soldats, citoyens, pasteurs, troupeau, venez, fléchissons le genou devant le monarque du monde ! Et vous, volées d’oiseaux, soucis rongeants, soins de la terre, éloignez-vous et ne troublez point notre sacrifice.

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