Des hommes nouveaux

3. LA LIBÉRATION DE LA LOI

INTRODUCTION

Le troisième grand privilège du croyant, exposé dans Romains 7, est d'être libéré de la loi. Mais contestera peut-être quelqu'un, comment est-il possible d'envisager la libération de la loi comme un privilège du chrétien ? Voyons, cette loi n'était-elle pas la loi de Dieu, l'une des richesses les plus vénérées des Juifs ? En Romains 9.4 « le don de la loi » fait partie des faveurs spéciales dispensées à Israël. Parler de la loi pour la déprécier, ou saluer la délivrance de la loi comme un privilège chrétien, peut sonner aux oreilles juives presque comme un blasphème. Les pharisiens étaient enflammés de colère contre Jésus, parce qu'ils le tenaient pour un transgresseur de la loi. Quant à Paul, la foule juive faillit le lyncher un jour dans l'enceinte du Temple, croyant qu'il prêchait « partout et à tout le monde contre le peuple, contre la loi et contre ce lieu » (Actes 21.28, Segond).

Mais pour Paul, que représentait donc la loi ? Par deux fois dans Romains 6 il écrit que les chrétiens ne sont « pas sous la loi mais sous la grâce » (v. 14, 15). Une telle affirmation a dû sembler révolutionnaire aux lecteurs de son époque. Que voulait-il bien dire ? La loi sainte de Dieu était-elle maintenant abrogée ? Les chrétiens pouvaient-ils se permettre de ne plus en tenir compte ? Ou bien avait-elle encore une fonction dans la vie chrétienne ?

Ce genre de discussion devait sans doute être chose courante du temps de l'apôtre. Et si le problème garde aujourd'hui encore son intérêt, ce n'est pas simplement à titre d'antiquité, mais parce que la loi de Moïse était la loi de Dieu et l'est toujours. Si nous sommes des chrétiens réfléchis, nous avons besoin de savoir quelle place doit occuper aujourd'hui encore la loi de Dieu dans nos vies. D'ailleurs, dans ces derniers temps, ce problème est redevenu actuel avec le débat sur la Nouvelle Morale. Le disciple de cette, nouvelle morale est un peut l’« antinomien » du 20e siècle — quelqu'un qui prend position contre la loi. Il déclare que la vie chrétienne est totalement dégagée du concept de loi, que le chrétien n'a rien à voir avec la loi et que la loi n'a rien à voir avec le chrétien. C'est pourquoi nous allons découvrir que les arguments quelque peu compliqués que développe l'apôtre dans Romains 7, parlent dans notre situation contemporaine avec beaucoup d'à-propos.

Les attitudes à l'égard de la loi

En guise d'introduction, nous pourrions être aidés dans notre étude de ce chapitre difficile, en réfléchissant à trois attitudes possibles à l'égard de la loi : celle du légaliste, celle du libertin ou « antinomien » et celle du croyant fidèle à la loi.

1. Le légaliste est esclave de la loi. Il pense que sa relation avec Dieu dépend de son obéissance à la loi. Et tandis qu'il recherche la justification par les oeuvres de la loi, il trouve qu'elle est un maître cruel et intraitable. Selon les termes de Paul, il est « sous la loi ».

2. L'« antinomien », parfois assimilé au libertin, se situe à l'autre extrême. Il rejette entièrement la loi, il lui reproche même d'être à l'origine de la plupart des problèmes moraux et spirituels de l'homme.

3. Le croyant fidèle à la loi maintient l'équilibre. Il reconnaît la faiblesse de la loi (Romains 8.3, « Ce qui était impossible à la loi, car la chair la vouait à l'impuissance, Dieu l'a fait »). Cette faiblesse tient au fait que la loi ne peut ni nous justifier, ni nous sanctifier, parce que nous n'avons pas en nous la capacité d'y obéir. Cependant le croyant fidèle à la loi y prend plaisir, voyant en elle une expression de la volonté de Dieu. Et il cherche à lui obéir par la puissance de l'Esprit qui l'habite.

Résumons-nous : le légaliste craint la loi et en est l'esclave ; l'antinomien » hait la loi et la rejette ; le croyant fidèle à la loi l'aime et y obéit.

Directement ou indirectement, l'apôtre trace le portrait de chacune de ces trois sortes d'attitude dans Romains 7. On ne peut pas dire qu'il les décrit systématiquement et qu'il s'adresse tour à tour à chacune d'elles. Mais nous pouvons les voir esquissées en filigrane dans ce chapitre, lorsqu'il renverse les arguments du légaliste et de l'« antinomien », et qu'il décrit le conflit et la victoire du croyant fidèle à la loi.

Les grandes lignes du chapitre

Un survol de l'ensemble du chapitre facilitera la compréhension de ses différentes parties.

1. Dans les versets 1-6, Paul déclare que la loi n'exerce plus son pouvoir sur nous. Nous avons été délivrés de sa tyrannie par la mort de Christ. Comme chrétiens nous sommes esclaves non de la loi ou de la lettre de la loi, mais de Jésus-Christ par la puissance de l'Esprit. Voilà ce qu'il annonce au légaliste.

2. Dans les versets 7-13, il défend la loi contre les critiques injustes de ceux qui veulent s'en débarrasser, et qui lui reprochent l'état misérable de péché (v. 7) et de mort (v. 13), dans lequel se trouve l'homme. Paul démontre dans ce passage que la cause de notre péché et de notre mort n'est pas la loi de Dieu, mais bien notre chair, notre nature pécheresse. La loi en elle même est bonne (v. 12, 13), c'est dans notre chair qu'il n'y a rien de bon (v. 18). Il est donc faux et injuste de rejeter la responsabilité sur la loi. Voilà ce qu'il annonce à l'« antinomien ».

3. Enfin de 7.14 à 8.4, il décrit le conflit intérieur du croyant et le secret de sa victoire. D'après Galates 5, il y a conflit entre « la chair et l'Esprit ». Dans le texte de Romains les mots employés sont différents. Ici le conflit se déroule entre « l'intelligence » et la « chair », ou entre « la loi que ratifie mon intelligence » et « la loi du péché qui est dans mes membres », ou encore entre « la loi de l'Esprit qui donne la vie » et « la loi du péché et de la mort ». Romains 7.25 résume la situation ainsi : quant à moi, je suis le serviteur de deux maîtres. Par mon intelligence « je suis assujetti à la loi de Dieu », je l'aime et je veux l'observer; mais par ma chair, par ma vieille nature, je suis « assujetti à la loi du péché ». C'est-à-dire que, si je suis livré à moi même, bien que chrétien, je suis un prisonnier impuissant, esclave du péché, incapable d'observer la loi.

Mais (8.4), Dieu est intervenu de telle sorte que « la justice exigée par la loi soit accomplie en nous, qui ne marchons pas sous l'empire de la chair mais de l'Esprit. » En d'autre termes, le Saint-Esprit me rend capable de faire ce que je ne peux pas faire, même en tant que chrétien. Voilà ce que Paul annonce au croyant fidèle à la loi.

Je crois qu’il est important de souligner le point fort du message que l'apôtre adresse à chacune de ces attitudes. Pour le légaliste qui est sous l'esclavage de la loi, Paul met en valeur la mort de Christ comme instrument de notre libération de cette esclavage. Pour l'« antinomien » qui accuse la loi, il désigne la chair comme cause principale de la faillite de la loi, qui a entraîné notre péché et notre mort. Pour le croyant fidèle à la loi, qui l'aime et désire ardemment lui obéir, il met en valeur le Saint-Esprit demeurant en nous comme unique moyen choisi par Dieu pour accomplir la justice de la loi en nous.

J'intitulerai les versets 1-6 « La rigueur de la loi », parce que c'est ce que craint le légaliste qui considère la loi comme son dominateur et ignore son émancipation ; les versets 7-13 « La faiblesse de la loi », parce que c'est ce que l'« antinomien » ne comprend pas, croyant que cette faiblesse est inhérente à la loi, alors qu'en fait elle est en nous qui sommes incapables de l'observer ; enfin les versets 7.14 à 8.4 « La justice de la loi », parce que c'est ce qui est réalisé dans le croyant conduit par l'Esprit et fidèle à la loi.

I. LA RIGUEUR DE LA LOI (7.1-6)

« Ou bien ignorez-vous, frères — je parle à des gens compétents en matière de loi — que la loi n'a autorité sur l'homme qu'aussi longtemps qu'il vit ? Ainsi, la femme mariée est liée par une loi à un homme tant qu'il vit ; mais s'il vient à mourir, elle ne relève plus de la loi conjugale. Donc, si du vivant de son mari. elle appartient à un autre, elle sera appelée adultère ; mais, si le mari vient à mourir, elle est libre à l'égard de la loi, en sorte qu'elle ne sera pas adultère en appartenant à un autre. Vous de même, mes frères, vous avez été mis à mort à l'égard de la loi, par le corps du Christ, pour appartenir à un autre, le Ressuscité d'entre les morts, afin que nous portions des fruits pour Dieu. En effet, quand nous étions dans la chair, les passions pécheresses, se servant de la loi, agissaient en nos membres, afin que nous portions des fruits pour la mort. Mais maintenant, morts à ce qui nous tenait captifs, nous avons été affranchis de la loi, de sorte que nous servons sous le régime nouveau de l'Esprit et non plus sous le régime périmé de la lettre. »

Le verset 1 commence par : « Ignorez-vous, frères que la loi n'a autorité sur l'homme qu'aussi longtemps qu'il vit ? » Le mot grec traduit par « a de l'autorité » est rendu par « tenir sous la domination » dans la phrase « les chefs des nations les tiennent sous leur domination » (Marc 10 .42). Il suggère l'autorité absolue ou la domination de la loi sur ceux qui lui sont assujettis.

Le principe énoncé par Paul dans ce premier verset pouvait être immédiatement accepté comme évident par toute personne ayant quelques notions de droit, qu'elle fût juive ou romaine. La loi, en effet, a comme but le bien des hommes sur terre. Elle ne lie un homme que tant qu'il vit. Pour illustrer ce principe général, Paul choisit l'exemple du mariage qui est contracté entre deux personnes jusqu'à ce que la mort les sépare. En fait, le cas auquel Paul applique le principe du verset 1 représente déjà une extension, à savoir que la loi concernant une relation entre deux personnes les lie tant qu'elles sont toutes deux en vie. Si l'une meurt, la loi n'a plus d'effet. Ainsi dans le mariage, quand l'un des conjoints meurt, l'autre est libre de se remarier. Versets 2 et 3 : « La femme mariée est liée par une loi à un homme tant qu'il vit ; mais s'il vient à mourir, elle ne relève plus de la loi conjugale. Donc, si du vivant de son mari elle appartient à un autre, elle sera appelée adultère ; mais, si le mari vient à mourir, elle est libre à l'égard de la loi, en sorte qu'elle ne sera pas adultère en appartenant à un autre. » Dans le premier cas une femme mariée qui vit avec un autre homme « s'expose à l'infamie d'une adultère » (LPNT) ; dans l'autre cas celle qui se remarie n'est pas adultère. D'où vient la différence ? Pourquoi, dans un cas, le remariage fait d'elle une adultère et pas dans l'autre ? La réponse est simple : le remariage n'est légitime que si la mort a mis un terme à la première union. La mort a dégagé la femme de la loi qui régissait sa relation précédente, et l'a rendue libre de se remarier.

Après le principe (v. 1) et l'illustration (v. 2 et 3) vient l'application (v. 4-6) qui est la suivante : comme la mort met fin à un mariage, ainsi la mort a mis fin à notre esclavage de la loi. « Vous de même, mes frères, vous avez été mis à mort à l'égard de la loi, par le corps du Christ, pour appartenir à un autre, le Ressuscité d'entre les morts, afin que nous portions des fruits pour Dieu » (v. 4).

C'est « le corps du Christ » qui est mort sur la croix, mais par l'union avec lui par la foi nous avons eu part à sa mort. Ayant été unis à Jésus-Christ par la foi, on peut dire que nous sommes « morts ... par le corps du Christ ». Et puisque nous sommes morts, la mort nous a totalement soustraits à la sphère où la loi exerce son pouvoir. La terrible sanction réclamée par la loi contre le péché a été portée par Christ à notre place, ou par nous en Christ. Par conséquent, puisque la mort de Christ a satisfait aux exigences de la loi, nous ne sommes plus sous la loi, mais sous la grâce.

Dans la relation entre mari et femme, c'est la mort de l'un qui rend l'autre libre de se remarier. Dans la vie chrétienne, c'est notre propre mort (en Christ) qui nous rend libres de nous « remarier ». Autrefois nous étions liés à la loi, maintenant nous sommes morts à son égard. Nous sommes donc libres de nous unir à Christ avec lequel nous sommes non seulement morts, mais aussi ressuscités, afin de « porter des fruits pour Dieu ». Les oeuvres que nous produisions dans l'ancienne vie conduisaient à la mort (v. 5), dans la nouvelle nous en produisons pour Dieu.

Jusqu'ici ces versets montrent clairement que le fait de devenir chrétien suppose un changement radical de relation et de soumission. La fin du chapitre 6 mettait en contraste deux esclavages. Par contre, ici, Paul compare la position du chrétien à deux mariages : le premier est dissous par la mort, le second devient donc possible. Nous étions pour ainsi dire « mariés » à la loi, notre obligation de lui obéir était aussi contraignante que l'engagement du mariage. Mais nous avons été libérés pour épouser Christ. Cette parabole du mariage est une très belle illustration de la réalité et de l'intimité de notre union avec Jésus-Christ.

Ceci nous amène aux versets 5 et 6. Après avoir opposé les deux mariages et leurs effets (v. 4), Paul va comparer la fonction de la loi dans les deux situations. Le verset 5 décrit notre vie avant la conversion : « quand nous vivions selon notre nature humaine » (BNA), et le verset 6 notre nouvelle vie : « mais maintenant... ». Dans notre ancienne vie, la loi avait pour effet de faire naître nos passions pécheresses et celle-ci nous conduisaient à la mort. « Mais maintenant, morts à ce qui nous tenait captifs, nous avons été affranchis de la loi » (v. 6).

Remarquez au verset 5 l'enchaînement de ces mots : « chair », « péché », « loi » et « mort ». Nos passions pécheresses prennent naissance dans la chair, sont éveillées par la loi et mènent à la mort. Mais maintenant nous avons été libérés de la loi et de son incitation.

Nous avons été dégagés de la loi. Mais attention : être libéré de la loi n'implique pas que nous soyons libres désormais de faire ce que bon nous semble. Loin de là ! La libération de la loi. n'appelle pas la licence, mais une autre forme d'esclavage : « de sorte que » nous sommes esclaves (v. 6). En effet, nous sommes libres à l'égard de la loi, mais libres pour servir, non pour pécher. Notre nouvel esclavage de chrétiens est, littéralement, non selon l'ancienneté de la lettre », mais dans la « nouveauté de l'Esprit » (cf. Segond). Ici nous sommes en présence du contraste bien connu entre l'Ancienne et la Nouvelle Alliance, entre la loi et l'évangile (cf. 2 Corinthiens 3.6). L'Ancienne Alliance était une « lettre », un code écrit sur des tables de pierre, extérieur à nous ; la Nouvelle Alliance, l'évangile, est « esprit », car le Saint-Esprit écrit la loi de Dieu dans nos coeurs. Voilà notre nouvel esclavage.

Avant de terminer cette partie nous devons revenir à cette question : le chrétien est-il encore lié par la loi ? La réponse est non et oui. « Non », parce que notre acceptation devant Dieu ne dépend pas d'elle. En effet, en mourant Christ a pleinement satisfait aux exigences de la loi, si bien que nous en sommes délivrés. Elle n'a plus aucun droit sur nous, elle ne nous domine plus. « Oui », parce que notre nouvelle vie est encore un esclavage. En effet, nous « servons » encore, nous sommes encore esclaves, bien que dégagés de la loi. Mais les mobiles et les moyens de notre service ont changé.

Pourquoi servons-nous ? Non parce que la loi est notre maître et que nous sommes obligés de servir, mais parce que Christ est notre « mari » et que nous avons le désir de servir. Non parce que l'obéissance à la loi conduit au salut, mais parce que le salut nous conduit à l'obéissance à la loi. La loi dit : Si vous faites ceci, vous vivrez. L'évangile dit : Vous vivez, faites donc ceci. Les mobiles ont changé.

Comment servons-nous ? Non selon la lettre qui a vieilli, mais selon l'esprit nouveau. C'est-à-dire, non par obéissance à un code extérieur, mais par soumis sion à l'Esprit qui demeure en nous.

Résumons cette argumentation. Nous sommes encore esclaves. La vie chrétienne est, elle aussi, une sorte d'esclavage, mais le maître que nous servons, c'est l'Esprit et non plus la lettre. La vie chrétienne, c'est servir Christ ressuscité par la puissance de son Esprit qui habite en nous.

II. LA FAIBLESSE DE LA LOI (7.7-13)

« Qu'est-ce à dire ? La loi serait-elle péché ? Certes non ! Mais je n'ai connu le péché que par la loi. Ainsi je n'aurais pas connu la convoitise si la loi n'avait dit : Tu ne convoiteras pas. Saisissant l'occasion, le péché a produit en moi toutes sortes de convoitises par le moyen du commandement. Car sans loi, le péché est chose morte. Jadis, en l'absence de loi, je vivais. Mais le commandement est venu, le péché a pris vie et moi je suis mort : le commandement qui doit mener à la vie s'est trouvé pour moi mener à la mort. Car le péché, saisissant l'occasion, m'a séduit par le moyen du commandement et, par lui, m'a donné la mort. Ainsi donc, la loi est sainte et le commandement, saint, juste et bon.

Alors, ce qui est bon est-il devenu cause de mort pour moi ? Certes non ! Mais c'est le péché : en se servant de ce qui est bon, il m'a donné la mort, afin qu'il fût manifesté comme péché et qu'il apparût dans toute sa virulence de péché, par le moyen du commandement. »

Le verset 5 semblait rendre la loi responsable de nos péchés et de notre mort : « Quand nous étions dans la chair, les passions pécheresses, se servant de la loi, agissaient en nos membres, afin que nous portions des fruits pour la mort. » A présent, l'apôtre prend la défense de la loi contre cette critique injuste à laquelle il a semblé un instant faire écho. Remarquez ses questions : « Qu'est-ce à dire ? La loi serait-elle péché ? » (v. 7). Et : « Ce qui est bon (c'est-à-dire la loi) est-il devenu cause de mort pour moi ? » (v. 13). En d'autres termes, la loi de Dieu est-elle responsable de mon péché et de ma mort ? Arrêtons-nous sur ces deux questions et sur la réponse que Paul y apporte.

1. La loi est-elle péché ? (v. 7-12)

Si nous devons être libérés de la loi pour porter du fruit pour Dieu (v. 4), cela ne signifie-t-il pas que la loi est responsable de notre conduite pécheresse ? La réponse de Paul est un non catégorique. Et dans les versets suivants, il explique la relation entre la loi et le péché. La loi, dit-il, ne crée pas le péché ; si vous êtes pécheur ce n'est pas la faute de la loi. La relation entre le péché et la loi est triple.

a) La loi révèle le péché. « Je n'ai connu le péché que par la loi. Ainsi je n'aurais pas connu la convoitise si la loi n'avait dit : tu ne convoiteras pas » (v. 7). Ou encore : « La loi, en effet, ne donne que la connaissance du péché » (3.20).

b) La loi provoque le péché. Non seulement elle le révèle, mais elle le suscite et l'éveille, comme nous l'avons déjà vu au verset 5. « Saisissant l'occasion, le péché a produit en moi toutes sortes de convoitises par le moyen du commandement » (v. 8). Le terme « occasion » est utilisé pour désigner une base militaire d'où partent des opérations offensives.

Voilà ce que fait la loi. Elle nous incite à pécher. Quant à la façon dont cela se passe, c'est une affaire d'expérience quotidienne. Tout automobiliste connaît bien les panneaux de limitation de vitesse. Et, si je ne me trompe, la réaction instinctive de beaucoup d'entre nous est : « Et pourquoi ralentirais-je ? » Voilà notre réaction en face d'une loi. Ou encore, lorsque nous voyons sur une porte : « Entrée interdite » ou « Privé », n'avons-nous pas aussitôt envie de faire ce qui nous est interdit, parce que les ordres et les interdictions de la loi nous poussent à faire le contraire ? C'est ce que Paul a découvert à propos du dixième commandement interdisant la convoitise : « Saisissant l'occasion, le péché a produit en moi toutes sortes de convoitises. » Ainsi la loi révèle le péché et le provoque.

c) La loi condamne le péché. « Car, sans la loi, le péché est chose morte. Jadis, en l'absence de loi, je vivais. Mais le commandement est venu, le péché a pris vie et moi je suis mort (c'est-à-dire que je suis tombé sous le jugement de la loi) : le commandement qui doit mener à la vie s'est trouvé pour moi mener à la mort. Car le péché, saisissant l'occasion, m'a séduit par le moyen du commandement et, par lui, m'a donné la mort » (v. 8-11). Il est possible que l'apôtre relate ici ses premières expériences personnelles : dans son enfance il ignorait les exigences de la loi et, « en l'absence de loi », il était vivant spirituellement parlant. Mais plus tard, peut-être vers 13 ans (âge auquel le jeune garçon juif s'engage devant les obligations de la loi et devient un « fils de la loi »), d'après ses propres termes si suggestifs, « le commandement est venu, le péché a pris vie et moi je suis mort » (sous le jugement de la loi) (v. 9). Ou alors il résume l'histoire de l'humanité : Dieu a donné la loi pour révéler le péché, pour le provoquer même et l'accroître, et par là le condamner. En tout cas, la même loi qui promettait la vie (« L'homme qui la mettra en pratique vivra par elle » — voir Lévitique 18.5) apporte la mort spirituelle à Paul, et se servant du commandement comme base d'opération, l'a trompé et tué.

Voici donc les trois effets dévastateurs de la loi : elle révèle, elle provoque et elle condamne le péché. Mais la loi en elle-même n'est pas péché. Pas plus qu'elle n'entraîne par elle-même l'homme à pécher. C'est « le péché », notre nature pécheresse, qui se sert de la loi pour faire pécher les hommes et les conduire à la ruine. En elle-même (v. 12) « la loi est sainte et le commandement, saint, juste et bon ». Cela nous amène à la deuxième question.

2. La loi est-elle devenue une cause de mort ? (v. 13)

Il est bien vrai que : « Le commandement qui doit mener à la vie s'est trouvé pour moi mener à la mort » (v. 10). Mais Paul dit-il que la loi est coupable d'offrir d'une main la vie en donnant de l'autre la mort ? « Ce qui est bon est-il devenu cause de mort pour moi ? » Est-ce la faute de la loi si je suis mort ? De nouveau la réponse de l'apôtre est un non vigoureux. « C'est le péché : en se servant de ce qui est bon, il m'a donné la mort » (v. 13). En fait, la nature foncièrement perverse du péché se voit dans la manière dont il exploite une bonne chose (la loi) pour de mauvais desseins. Mais nous ne pouvons pas incriminer la loi pour cela, nous devons incriminer le péché.

J'aimerais illustrer cela ainsi : Imaginons un criminel pris en flagrant délit; il a perpétré un crime, il a enfreint la loi. Que va-t-il se passer ? Arrêté, il sera inculpé, jugé et condamné à une peine d'emprisonnement. Pendant qu'il languit dans sa cellule, il est tenté de reprocher son emprisonnement à la loi. Et il est bien vrai que la loi l'a convaincu de crime et l'a condamné. En réalité, il n'a de reproche à faire qu'à lui même et à sa conduite criminelle : il est en prison parce qu'il a commis un crime. Bien sûr, c'est la loi qui l'a condamné, mais il ne peut s'en prendre qu'à lui-même et non à la loi.

Ainsi Paul met la loi hors de cause. La loi révèle le péché, elle provoque le péché, elle condamne le péché. Mais on ne peut la tenir pour responsable de nos péchés ou de notre mort. Comme l'écrit le Professeur F.F. Bruce à propos de ce verset, « le traître dans l'affaire, c'est le péché » — c'est-à-dire le péché qui demeure en nous (la chair), qui est éveillé par la loi. Les « antinomiens » qui prétendent que toutes nos difficultés viennent de la loi ont absolument tort. Notre véritableproblème, c'est le péché et non la loi. C'est donc bien le péché qui demeure en nous, notre « chair » ou notre nature déchue, qui explique l'impuissance de la loi pour nous sauver. La loi ne peut pas nous sauver pour la bonne raison que nous sommes incapables de l'observer, et nous le sommes à cause du péché qui demeure en nous.

III. LA JUSTICE DE LA LOI (7.14 - 8.4)

« Nous savons, certes, que la loi est spirituelle ; mais moi, je suis charnel, vendu comme esclave au péché. Effectivement, je ne comprends rien à ce que je fais : ce que je veux, je ne le fais pas, mais ce que je hais, je le fais. Or, si ce que je ne veux pas, je le fais, je suis d'accord avec la loi et reconnais qu'elle est bonne ; ce n'est donc pas moi qui agis ainsi, mais le péché qui habite en moi. Car je sais qu'en moi — je veux dire dans ma chair — le bien n'habite pas : vouloir le bien est à ma portée, mais non pas l'accomplir, puisque le bien que je veux, je ne le fais pas et le mal que je ne veux pas, je le fais. Or, si ce que je ne veux pas, je le fais, ce n'est pas moi qui agis, mais le péché qui habite en moi. Moi qui veux faire le bien, je constate donc cette loi : c'est le mal qui est à ma portée. Car je prends plaisir à la loi de Dieu, en tant qu'homme intérieur, mais, dans mes membres, je découvre une autre loi qui combat contre la loi que ratifie mon intelligence ; elle fait de moi le prisonnier de la loi du péché qui est dans mes membres. Malheureux homme que je suis ! Qui me délivrera de ce corps qui appartient à la mort ? Grâces soient rendues à Dieu par Jésus-Christ, notre Seigneur !

Me voilà donc à la fois assujetti par l'intelligence à la loi de Dieu et par la chair à la loi du péché.

Il n'y a donc, maintenant, plus aucune condamnation pour ceux qui sont en Jésus-Christ. Car la loi de l'Esprit qui donne la vie en Jésus-Christ m'a libéré de la loi du péché et de la mort. Ce qui était impossible à la loi, car la chair la vouait à l'impuissance, Dieu l'a fait : en envoyant son propre Fils dans la condition de notre chair de péché, en sacrifice pour le péché, il a condamné le péché dans la chair, afin que la justice exigée par la loi soit accomplie en nous, qui ne marchons pas sous l'empire de la chair mais de l'Esprit. »

Nous avons considéré la loi dans sa rigueur, ses commandements inflexibles, dont nous avons, été délivrés par la mort de Christ, de telle sorte que nous ne sommes plus sous la loi. Nous avons aussi considéré la loi dans sa faiblesse, qui ne tient pas à la loi elle-même, mais à nous,. à notre chair. A présent nous allons envisager la loi dans sa justice. En effet, nous verrons comment le chrétien prend d'abord plaisir à la loi par son intelligence et comment il accomplit ensuite sa justice par la puissance de l'Esprit qui demeure en lui.

1. La question de l'expérience de Paul

Avant d'analyser le texte en détail, il nous faut examiner un des problèmes importants qu'il pose. En effet, on remarque d'emblée deux changements à partir du verset 14.

1. Un changement du temps des verbes. Dans le paragraphe précédent (7-13) les versets sont presque tous au passé (aoriste) et semblent donc se rapporter à l'expérience passée de Paul. Par exemple : « le péché a pris vie et moi je suis mort » (v. 9); « le péché ... m'a donné la mort » (v. 11) ; « Ce qui est bon est-il devenucause de mort pour moi? Certes non ! Mais c'est le péché... » (v. 13). Au contraire, à partir du verset 14 les verbes sont au présent et semblent donc se référer à l'expérience présente de Paul : « Je suis charnel » (v. 14) ; « ce que je veux, je ne le fais pas, mais ce que je hais, je le fais » (v. 15).

2. Un changement de situation. Dans le paragraphe précédent Paul décrit comment le péché a pris vie en lui à cause de la loi et lui a apporté la mort. Au contraire, dans ce paragraphe-ci il décrit le combat acharné et sans relâche contre le péché, dans lequel, en combattant actif, il refuse la défaite.

Or, ces deux changements nous suggèrent d'emblée que dans les versets 7-13 Paul décrit sa vie avant d'être chrétien, et dans les versets 14 et suivants sa vie de chrétien. Quelques commentateurs (et ceci depuis l'époque des Pères de l'Eglise) ont rejeté ce point de vue. Ils ne peuvent concevoir qu'un croyant et encore moins un croyant de la maturité de Paul, puisse décrire son expérience chrétienne dans les termes d'une lutte aussi acharnée — et en vérité si acharnée qu'il découvre qu'il n'en sortira pas vainqueur. C'est pourquoi ils disent que ce texte ne peut que décrire le conflit que Paul avait connu avant d'être chrétien.

Mais le portrait que l'apôtre trace de lui-même dans ces versets présente deux caractéristiques qui ont conduit les Réformateurs et, depuis eux, la plupart des commentateurs protestants, à affirmer que Paul décrit bel et bien sa vie présente de chrétien. La première de ces caractéristiques est son opinion sur lui-même, et la seconde, son opinion sur la loi.

a) L'opinion de Paul sur lui-même. « Je sais qu'en moi — je veux dire dans ma chair — le bien n'habite pas » (v. 18). « Malheureux homme que je suis ! » (v. 24) et il appelle à grands cris la délivrance. Qui peut penser et parler ainsi de lui-même, si ce n'est un croyant adulte ? L'incroyant est caractérisé par la propre justice et n'admettrait jamais qu'il puisse être une misérable créature. Le chrétien jeune dans la foi est caractérisé par une confiance en soi et ne se demande pas qui le délivrera. Seul le croyant adulte parvient au dégoût et au désespoir de soi. Lui seul reconnaît avec une parfaite lucidité qu'il n'y a rien de bon dans sa chair. Lui seul accepte sa misère et réclame avec foi la délivrance. Voilà ce que Paul pense de lui-même.

b) L'opinion de Paul sur la loi. Tout d'abord il appelle la loi de Dieu « bonne » (v.16), ou « le bien que je veux » (v. 19). Autrement dit, il reconnaît que la loi est bonne en elle-même, et de tout son être il aspire à lui obéir. « Au fond de moi-même, je prends plaisir à la loi de Dieu » (BNA v. 22). Un incroyant ne parlerait certainement pas comme cela. Son attitude à l'égard de la loi est décrite en Romains 8 .7, où il est dit que « la chair », notre nature irrégénérée, est en révolte contre Dieu ; elle ne se soumet pas à la loi de Dieu, elle ne le peut même pas ». Par contre, loin d'être hostile à la loi de Dieu, Paul dit qu'il l'aime. Et s'il est hostile, c'est à l'égard de ce qui est mauvais. Voilà ce qu'il déclare haïr. Mais ce qui est bon, il l'aime et y prend plaisir.

De ces deux traits particuliers nous déduisons que celui qui parle dans la dernière partie du chapitre 7 est un chrétien adulte dans la foi, qui a été amené à une juste compréhension et de sa nature pécheresse et de la loi sainte de Dieu. Sa conviction, c'est qu'en lui-même il n'y a rien de bon, tandis que la loi de Dieu est le bien qu'il désire. Le verset 14 le résume ainsi : « La loi est spirituelle ; mais moi je suis charnel. »

Il est utile de noter le fait que « la loi est spirituelle ». Nous ne devons jamais présenter la loi et l'Esprit comme deux termes opposés et contradictoires. Ils ne le sont pas. En effet, Le Saint-Esprit écrit la loi dans nos coeurs. Ce que Paul oppose à l'Esprit qui habite en nous, ce n'est pas la loi, mais la « lettre », c'est-à-dire la loi perçue simplement comme un code extérieur. J'aimerais cependant insister sur le fait que celui qui discerne la nature spirituelle de la loi de Dieu et sa propre nature charnelle est un chrétien qui est parvenu à une certaine maturité.

Si cela est vrai, alors pourquoi Paul décrit-il son expérience comme un combat, certes, mais dont l'issue est une défaite ? Pourquoi dit-il que d'une part il veut faire le bien, et que d'autre part il ne le fait pas et ne peut pas le faire ?

La réponse est sûrement la suivante. Dans ce qui précède (v. 7-13) il a montré que comme incroyant, il était incapable d'observer la loi. Ici (v. 14 et ss.) il montre que, tout croyant qu'il est, il reste incapable par lui-même de l'observer. Il est capable de reconnaître que la loi est bonne, d'y prendre plaisir et de tendre de tout son être à l'observer, toutes choses impossibles quand il était incroyant. Car sa chair, sa nature déchue, qui causait sa défaite avant sa conversion parce qu'elle le menait au péché et à la mort, causera encore sa défaite après sa conversion, à moins qu'elle ne soit soumise à la puissance du Saint-Esprit. Ce point est plus développé dans le chapitre 8.

En vérité, reconnaître avec honnêteté et humilité que notre chair est irrémédiablement mauvaise, même après la nouvelle naissance, voilà le premier pas vers la sainteté. Disons-le franchement, certains d'entre nous ne mènent pas une vie sainte pour la bonne raison qu'ils ont une trop haute opinion d'eux-mêmes. Et nous ne crierons au secours tant que nous n'avons pas vu notre propre misère. Autrement dit, le seul chemin pour par venir à la foi en la puissance du Saint-Esprit passe par un profond désespoir de soi. Il n'existe pas d'expédient qui permette de régler ce problème une fois pour toutes. La chair est tellement puissante et subtile que nous n'avons pas le droit de nous reposer un instant. Notre seul espoir est d'être, sans relâche, vigilants et dépendants du Saint-Esprit.

Ainsi, les deux parties envisagées ici mettent en lumière — que nous soyons croyants ou incroyants — le fait que le péché en nous, la chair, reste notre gros problème et qu'il est la cause de l'impuissance de la loi pour nous aider.

2. Examen détaillé du texte

Versets 14-20. Il est utile de remarquer que dans ce passage Paul redit par deux fois exactement la même chose, sans aucun doute pour l'appuyer fortement : d'abord en 14-17, ensuite en 18-20. Comme ces deux sections sont pratiquement parallèles, nous pouvons les traiter ensemble.

1. Chaque section commence par un aveu sans détours de notre condition, de ce que nous sommes en nous-mêmes et de ce que nous savons sur nous mêmes.

Ainsi au verset 14 ; « nous savons » — alors que la loi est spirituelle — « ... que moi je suis charnel, vendu comme esclave au péché ». Tout chrétien que je suis, voilà ce que je suis en moi-même. La chair habite en moi et m'assaille, et moi, je ne suis pas de taille à lutter avec elle. Bien plus, par moi-même et livré à moi même, je suis son esclave, qui se rebelle et résiste, mais esclave tout de même. Egalement au verset 18 : « Je sais qu'en moi — je veux dire dans ma chair — le bien n'habite pas. »

Voici donc ce que je sais de moi, parce que le Saint Esprit me l'a montré : La chair demeure encore en moi, il n'y a rien de bon en elle et, si je suis livré à moi-même, elle me tiendra captif, même en tant que chrétien.

2. Chaque section continue par une description réaliste du conflit qui découle de cet état : « Mes propres actes, je ne les reconnais pas, ma façon d'agir me paraît étrangère à moi-même » — c'est-à-dire que j'agis contre ma volonté, je fais ce que je ne peux approuver en tant que chrétien — « car je fais, non ce que ma volonté a décidé, mais ce que je déteste » (v. 15-16, LPNT). La même pensée sera encore renforcée aux versets 18 et 19 : « Vouloir le bien est à ma portée, mais non pas l'accomplir, puisque le bien que je veux, je ne le fais pas et le mal que je ne veux pas, je le fais. »

Je voudrais insister une fois de plus sur le fait qu'il s'agit bien là du conflit d'un chrétien qui, tout en connaissant la volonté de Dieu, l'aimant, la désirant et aspirant à y obéir, découvre qu'il reste incapable par lui-même de l'accomplir. De tout mon être, intelligence et volonté, il est attaché à la volonté et à la loi de Dieu. Il désire ardemment faire le bien. Il déteste faire le mal et le hait d'une sainte haine. Mais s'il se livre au péché, c'est contre son intelligence et contre sa volonté. Et c'est tout à fait contraire au véritable sens de sa vie. Voilà en quoi consiste le conflit du chrétien.

3. Chaque section se termine par une conclusion exprimée en termes identiques, dans laquelle Paul traite de la cause de l'incapacité morale du chrétien en lui même, sans l'aide du Saint-Esprit : « Si ce que je ne veux pas je le fais, » — situation que l'on peut ramasser en ces mots : volonté, mais incapacité — alors je ne peux évidemment accuser la loi de mon inconduite, parce que « je reconnais que la loi est bonne ». On ne peut pas vraiment dire que c'est « moi qui agis ainsi », parce que je ne le fais pas volontairement, mais plutôt contre mon gré. C'est « le péché qui habite en moi » qui agit de la sorte (v. 16 et 17). Ou encore : « Si ce que je ne veux pas, je le fais, ce n'est pas moi qui agis, mais le péché qui habite en moi » (v. 20).

Nous résumerons ainsi l'enseignement de ces deux sections parallèles. Tout d'abord notre condition : Je sais que la chair habite en moi, qu'il n'y a rien de bon en elle et qu'elle me tient captif si je suis livré à moi-même. Ensuite le conflit qui en découle : Je ne peux pas faire ce que je veux, mais je fais ce que je déteste. Enfin la conclusion : Si mes actions vont contre ma volonté, c'est à cause du péché qui habite en moi. Tout au long de cet exposé, Paul veut mettre en évidence qu'il n'y a rien de bon dans notre chair, afin de nous convaincre que seul le Saint-Esprit peut nous en délivrer.

Versets 21-25. Dans ce passage, l'apôtre fait un pas de plus dans son argumentation. Après avoir décrit sa condition et son conflit en termes directs, il va les exprimer d'une façon plus théorique, en termes de « lois » ou de « principes » agissant dans sa vie. Le principe général est exposé au v. 21 : « Je constate donc » — c'est-à-dire que je tire de mon expérience une conclusion logique — « Je constate donc cette loi : c'est le mal qui est à ma portée. »

Ce principe général est ensuite subdivisé en deux lois ou forces distinctes et opposées, appelées « la loi de mon intelligence » et « la loi du péché »(v.  23). « La loi de mon intelligence » fait que « je prends plaisir à la loi de Dieu, en tant qu'homme intérieur » (v. 22). « La loi du péché » s'exerce « dans mes membres » et, dit l'apôtre, « combat contre la loi que ratifie mon intelligence ; elle fait de moi son prisonnier. » « La loi de mon intelligence » est une force qui agit dans mon « homme intérieur », mon intelligence et ma volonté, et qui aime la loi de Dieu. Mais la « loi du péché » est une force qui agit « dans mes membre », dans ma chair, et qui hait la loi de Dieu. Voici donc la logique qui se dégage de la vie chrétienne : notre expérience nous apprend que le bien que nous voulons, nous ne le faisons pas, tandis que le mal que nous haïssons, nous le faisons. Le principe sur lequel tout repose, c'est qu'il existe deux lois opposées, la loi de mon intelligence et la loi du péché. Ou, plus simplement, mon intelligence et ma chair ; mon intelligence renouvelée et ma chair non renouvelée et impossible à renouveler. Ce combat est bien réel, il est acharné et sans rémission. Tout chrétien en fait l'expérience. Par son intelligence il prend plaisir à la loi de Dieu et aspire à l'accomplir, mais sa chair est hostile et refuse de se soumettre à la loi (cf. 8.7).

C'est ce conflit qui ne cesse de nous faire pousser ces deux cris apparemment contradictoires : « Malheureux homme que je suis ! Qui me délivrera... ? » et « Grâces soient rendues à Dieu par Jésus-Christ notre Seigneur ! » (v. 24 et 25). Le premier est un cri de désespoir, le second un cri de triomphe. Mais les deux sont l'expression d'un croyant adulte qui déplore la profonde corruption de sa nature et soupire après la délivrance, mais qui exulte aussi en Dieu par Jésus-Christ, son seul et unique Libérateur. Bien plus, la libération qu'il réclame n'est pas seulement une maîtrise de soi pour le temps présent, c'est aussi à l'heure de la mort puis, au dernier jour, lorsqu'il revêtira un corps nouveau et glorieux, une délivrance (littéralement « hors de ») « de ce corps qui appartient à la mort ».

Personnellement je ne crois pas que, dans cette vie, le chrétien passe, à un moment donné, définitivement d'un cri à l'autre, de l'expérience de Romains 7 à celle de Romains 8, du désespoir à la victoire.* Non !

* Ceux qui croient que le plan de Dieu pour nous est d'échanger le conflit de Romains 7 contre la victoire de Romains 8 doivent se heurter à la dernière phrase du chapitre 7. En effet, immédiatement après le cri de triomphe et de reconnaissance, Paul revient au conflit et conclut en le résumant : « Me voilà donc à la fois assujetti par l'intelligence à la loi de Dieu et par la chair à la loi du péché. »

Il ne cessera à la fois d'appeler au secours et d'exulter toujours en son Libérateur.

Chaque fois que nous prenons conscience des désirs dépravés de notre nature déchue et du conflit irréductible entre elle et notre intelligence, il nous tarde d'être débarrassés du péché et de la corruption qui habitent en nous. Alors nous crions : « Malheureux homme que je suis ! » — C'est bien ce que nous sommes et resterons — « Qui me délivrera de ce corps qui appartient à la mort ? » Mais aussitôt, nous répondons à notre question angoissée et, dans un cri de triomphe, nous remercions notre Dieu pour son grand salut. Car nous savons qu'il est Celui qui peut vaincre dès à présent notre nature humaine par son Esprit et que c'est lui qui, au dernier jour, à la résurrection, nous donnera un corps nouveau, libéré du péché.

Dans le dernier verset (25) Paul résume de façon admirablement nette la double sujétion du chrétien. Par mon intelligence — de tout mon coeur et de toute mon âme, pourrait-on dire — je sers la loi de Dieu, mais dans ma chair — à moins qu'elle ne soit soumise par l'Esprit — je sers la loi du péché. Or, nul ne peut servir deux maîtres à la fois, et savoir si je servirai la loi de Dieu ou la loi du péché, dépend de qui exercera l'autorité : mon intelligence ou ma chair. Alors se pose la question : comment l'intelligence peut-elle prendre de l'influence sur la chair ?

Ceci nous conduit au début du chapitre 8 qui traite du bienheureux ministère du Saint-Esprit qui, bien que présent à l'arrière-plan, n'a guère été nommé au chapitre 7. Voici comment progresse la pensée d'un chapitre à l'autre : à la fin de Romains 7, le conflit se situe entre ma chair et mon intelligence ; au début du chapitre 8 il se situe entre la chair et le Saint-Esprit qui vient à mon secours, s'allie à mon intelligence, l'intelligence renouvelée qu'il m'a donnée et soumet ma chair. C'est le même conflit, mais il est envisagé d'une tout autre manière et il a une tout autre issue. D'après Romains 7.221 le croyant prend plaisir à la loi de Dieu, mais ne peut de lui-même la mettre en pratique à cause du péché qui demeure en lui. D'après Romains 8.4 cependant, il y prend non seulement plaisir, mais il l'accomplit grâce à l'Esprit qui habite en lui.

Chapitre 8. 1-4 Aux versets 1 et 2 l'apôtre fait un pas en arrière et embrasse d'un regard tout le panorama de la vie chrétienne. Il dépeint les deux grandes bénédictions du salut que nous recevons si nous sommes « en Jésus-Christ » : « En Jésus-Christ il n'y a plus de condamnation » ; et « En Jésus-Christ la loi de l'Esprit qui donne la vie... m'a libéré de la loi du péché et de la mort. » En d'autres termes, le salut appartient à ceux qui sont en Jésus-Christ, qui lui sont unis de façon vitale par la foi, et le salut est la libération de la condamnation et de l'esclavage du péché. En outre, quand l'apôtre écrit qu'il n'y a pas de condamnation pour ceux qui sont en Christ parce que l'Esprit les a affranchis de la loi, il ne considère pas notre sanctification comme la source ou le fondement de notre justification, mais plutôt comme son fruit nécessaire. Il dit en quelque sorte : « Nous savons qu'en Christ nous ne sommes plus condamnés, mais justifiés, parce qu'en Christ nous avons aussi été libérés. » Les deux choses sont inséparablement liées.

Mais comment ce double effet du salut est-il mis à notre portée ? La réponse se trouve dans la suite. Les versets 1 et 2 exposent l'étendue du salut : ni condamnation, ni esclavage ; les versets 3 et 4 développent le chemin du salut : la manière dont Dieu l'accomplit.

En vérité, la première chose à remarquer c'est que Dieu en est l'auteur. Remarquez le verset 3 : « Ce qui était impossible à la loi, car la chair la vouait à l'impuissance, Dieu l'a fait. » Tout au long du chapitre 7 nous avons vu que l'impuissance de la loi ne lui est pas inhérente. La faiblesse n'est pas en elle, mais en nous, à cause de notre chair. Oui, à cause de notre chair nous ne pouvons pas observer la loi. Et parce que nous ne pouvons pas l'observer, elle ne peut nous sauver. Elle ne peut ni nous justifier, ni nous sanctifier. Donc, « ce qui était impossible à la loi, car la chair la vouait à l'impuissance, Dieu l'a fait ».

Comment l'a-t-il réalisé ? Par son Fils (v. 3) et par son Esprit (v. 4). Par la mort de son Fils incarné, Dieu nous justifie ; par la puissance de son Esprit qui habite en nous, il nous sanctifie.

Nous devons examiner de plus près ce merveilleux ministère du Fils de Dieu et de l'Esprit de Dieu. Tout d'abord Dieu a envoyé son Fils, « son propre Fils ». L'expression « dans une chair semblable à celle du péché » (cf. versions Segond, de Jérusalem) est très importante. Ce n'est pas « avec une chair de péché », parce que Jésus était sans péché, ni « dans la ressemblance de la chair », parce que Jésus était réellement homme, mais « dans une chair semblable à celle du péché », parce que Jésus était réellement incarné et sans péché.

Dieu a aussi envoyé son Fils « pour le péché » (peri harmartias). On peut comprendre cette expression d'une manière générale, dans le sens que Christ est venu pour s'occuper du problème du péché. Ou bien on peut le comprendre dans un sens plus précis, par référence à sa mort « en sacrifice pour le péché », puisqu'elle a fréquemment ce sens dans la version de l'Ancien Testament.

La mort de Jésus-Christ « en sacrifice pour le péché » est expliquée dans la phrase suivante qui est remarquable : « Dieu a condamné le péché dans la chair. » C'est dans la chair de Jésus — réellement incarné et sans péché, cependant fait péché par nos péchés (cf. 2 Corinthiens 5.21) — que Dieu a condamné le péché. Il a condamné nos péchés dans la chair sans péché de son Fils qui s'en est chargé.

Et pourquoi l'a-t-il fait ? Non seulement pour notre justification (bien qu'en vérité il n'y ait maintenant plus aucune condamnation pour ceux qui sont en Jésus-Christ, parce qu'en Jésus-Christ Dieu a condamné le péché), mais plus encore « pour que la justice exigée par la loi soit accomplie en nous, qui ne marchons pas sous l'empire de la chair mais de l'Esprit » (v. 4). Ce verset est d'une importance capitale pour la compréhension de la doctrine chrétienne de la sanctification. Il nous enseigne en tout cas trois vérités essentielles :

1. La sainteté est le but de l'incarnation et de la mort de Christ. Il nous est dit expressément que Dieu a envoyé son Fils dans une chair semblable à la chair de péché (l'incarnation) et a condamné le péché dans la chair (l'expiation). Cela pour que la justice de la loi puisse être accomplie en nous. Dieu a condamné le péché en Christ, afin que la sainteté puisse se manifester en nous.

2. La sainteté se trouve dans la justice, « une vie juste, conforme aux exigences de la loi » (LPNT). Si elle est ainsi nommée, ce verset 4 devient l'un des versets les plus embarrassants du Nouveau Testament pour les tenants de la Nouvelle Morale qui prétendent que pour le chrétien la notion de loi est abolie. Mais au lieu d'abolir la loi, Dieu a envoyé son propre Fils avec le dessein d'accomplir sa justice en nous. Ainsi l'obéissance à la loi, qui n'est ni ne peut être le fondement de notre justification, apparaît comme son fruit.

3. La sainteté est l'oeuvre du Saint-Esprit, car « la justice exigée par la loi » est réalisée en nous uniquement quand « nous marchons... selon l'Esprit » (version Segond). Nous avons vu que presque tout Romains 7 est consacré au thème de notre impuissance à observer la loi à cause de notre « chair ». Ainsi, le seul moyen d'accomplir la loi, c'est que nous « marchions non plus sous l'empire de la chair, mais de l'Esprit », par sa puissance et sous son contrôle.

Ces trois vérités capitales concernant la sanctification du chrétien nous apprennent pourquoi nous devons être saints, quelle est cette sainteté et comment nous pouvons y parvenir. Le fondement de la sainteté, c'est la justice de la loi, la conformité à la volonté de Dieu révélée dans la loi. Le moyen de parvenir à la sainteté, c'est la puissance du Saint-Esprit.

Pour conclure, il nous faut jeter un coup d'oeil rétrospectif sur l'ensemble de ce chapitre long et compliqué. Je l'ai intitulé « la libération de la loi ». J'aurais tout aussi bien pu l'appeler « l'accomplissement de la loi », puisqu'il nous enseigne ces deux vérités. Il commence par la déclaration que le chrétien est dégagé de la loi : « Maintenant, nous avons été affranchis de la loi » (7 .6). Il termine par la déclaration que le chrétien a le devoir de l'observer : « Pour que la justice exigée par la loi soit accomplie en nous » (8 .4). De plus, notre libération et notre devoir ont tous deux leur cause dans la mort de Christ (7.4 et 8.3 -4) !

« Mais c'est une contradiction inadmissible » peut-on objecter. « Comment puis-je être à la fois libéré de la loi et contraint à l'observer ? » Le paradoxe n'est pas difficile à résoudre. Nous sommes libérés de la loi comme moyen qui nous permet d'être acceptés par Dieu, mais nous avons le devoir d'obéir à la loi comme moyen de progresser dans la sainteté. Nous ne sommes plus liés à la loi comme fondement de notre justification : « Nous ne sommes plus sous la loi, mais sous la grâce. » Mais nous sommes encore liés à la loi comme norme de conduite et, si nous marchons selon l'Esprit, nous chercherons à l'accomplir. La suite du chapitre 8 que nous allons étudier nous apprend ce que signifie marcher selon l'Esprit.

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