Histoire des Dogmes III — La Fin de l’Âge Patristique

10.4 — Constantin Copronyme et le concile d’Hiéria.

Léon l’Isaurien mourut le 18 juin 740. En somme, il n’avait poussé que mollement à la destruction des images et, seules, les provinces d’Asie Mineure, où se trouvait la force du parti iconoclaste, s’étaient, sous son règne, détachées de l’orthodoxie. Mais le fils de Léon, Constantin V surnommé Copronyme, qui lui succéda, était bien décidé à réaliser jusqu’au bout le programme paternel, et à vaincre, coûte que coûte, toutes les résistances. Grâce à son fanatisme, le conflit prit un degré d’acuité atroce : il sembla que, dans l’empire, on était revenu aux plus mauvais jours des persécutions païennes.

Copronyme fut cependant empêché d’abord d’exécuter ses projets par une révolte de son beau-frère Artavasde, qui s’empara momentanément de Constantinople, et rétablit le culte des images (741). Le succès de ce mouvement fit-il comprendre à Constantin qu’il devait ménager un peu l’opinion de ses sujets ? C’est possible ; car, rentré en possession de sa capitale (novembre 742), il maintint jusqu’en 753 la tolérance relative à laquelle son père s’était résigné. Mais en 753, il se mit à l’œuvre de sa réforme.

Il lui parut qu’avant tout — chose négligée jusque-là — il fallait obtenir de l’ensemble de l’épiscopat une décision doctrinale et des anathèmes sur lesquels l’État appuierait ses décrets de répression. Un concile fut convoqué au palais d’Hiéria, qui s’ouvrit le 10 février 753 et compta trois cent trente-huit évêques. Les patriarcats d’Antioche, de Jérusalem et d’Alexandrie non plus que le pape n’y furent pas représentés, ce qui n’empêcha pas l’assemblée de se proclamer œcuménique. Théodose d’Ephèse présidait. Les actes du concile sont perdus ; mais nous avons son ὅρος ou décision finale, suivie des anathématismes, conservés dans les actes du VIIe concile général. On y déclare à la fois impossible et illicite de faire des images religieuses, d’en user et de leur rendre un culte. En ce qui concerne en particulier l’impossibilité de peindre des images de Jésus-Christ, la raison alléguée est celle qui a été rapportée plus haut : car, dit-on, ou bien l’artiste prétend représenter tout Jésus-Christ, homme et Dieu, et alors il circonscrit la divinité et confond les natures ; ou bien il prétend ne représenter que l’humanité, et il divise ce qui doit être uni ; il fait un corps ἀϑέωτον, il tombe dans le nestorianisme, et ceux qui vénèrent cette image partagent son hérésie. L’unique image que le Sauveur nous ait donnée de lui-même est l’eucharistie, le pain et le vin consacrés. Quant aux images de la Vierge et des saints, elles sont interdites par l’Église, qui repousse les idoles et l’idolâtrie. Les saints, d’ailleurs, vivent avec Dieu, et c’est une impiété que d’essayer de prolonger, par les images, leur vie terrestre : c’est les déshonorer que de représenter leurs personnes glorieuses par une vile matière. Suit une série de textes de l’Écriture et des Pères pour appuyer ces raisons. Puis le concile décrète que toute image peinte ou de quelque nature qu’elle soit doit être rejetée de l’Église comme contraire à la foi et abominable ; que si quelqu’un ose en faire, en adorer, en exposer dans l’église ou dans sa demeure ou en cacher, il sera déposé, s’il est évêque, prêtre ou diacre ; il sera excommunié s’il est moine ou laïque. On défend cependant de mettre la main, sous prétexte de détruire les images, sur les vases sacrés et autres objets du culte qui pourraient en porter.

A la suite de ces dispositions viennent les anathèmes du concile qui reproduisent, sous une autre forme, ses décisions doctrinales. Le dernier était porté contre Germain, l’ancien patriarche, Georges de Chypre, un autre défenseur des images, et surtout Mansour, nom que l’on donnait à saint Jean Damascène. Mais, d’autre part, on remarquera que les anathèmes 9, 11 et 12 répondent à des préoccupations différentes des préoccupations iconoclastes. Le neuvième définissait la légitimité de l’invocation et la puissance de l’intercession de la sainte Vierge ; le onzième la légitimité de l’invocation et la puissance de l’intercession des saints ; le douzième la résurrection de la chair, d’éternité des peines et des récompenses finales. Ces définitions parurent nécessaires au concile en face des dispositions inquiétantes dont témoignait l’empereur. Ce n’était pas en effet les images seulement que Copronyme voulait détruire : il aurait voulu qu’on rejetât avec elles le culte des reliques et l’invocation de la Vierge et des saints, et il avait même la pensée, dit Théophane, de nier la maternité divine de Marie. C’en était trop. Les évêques d’Hiéria, pour serviles qu’ils fussent, ne le suivirent pas jusque-là, et osèrent même glisser dans leurs anathèmes un désaveu formel de ses erreurs.

Constantin V n’en possédait pas moins l’arme qu’il avait souhaitée, et il commença aussitôt à s’en servir. Certaines églises furent profanées ; dans les autres, les saintes images furent détruites et remplacées par des peintures de paysages et d’oiseaux qui firent ressembler les oratoires à des vergers ou à des volières. En même temps l’empereur exigeait que les évêques, les moines et même de simples laïcs souscrivissent aux décisions de son concile. Il ne paraît pas avoir rencontré d’opposition dans le clergé séculier. Mais les moines résistèrent avec énergie, et plusieurs préférèrent l’exil à la soumission. Copronyme en conçut contre tout ce qui était moine une haine féroce. En 761, l’ère des martyrs s’ouvrit avec Pierre Calybite, et à partir de 705, la persécution fut portée à son comble. Jean de Monagria, Paul de Crète, saint Etienne le Jeune, bien d’autres encore périrent dans les tourments. On vit à Constantinople et dans les provinces se passer des scènes ignobles. Le lamentable patriarche Constantin lui-même ne put échapper aux caprices sanguinaires du maître et, tombé on disgrâce en 765, fut déposé, exilé et plus tard décapité. On le remplaça par un eunuque, Nicetas.

Lorsque Constantin mourut, le 14 septembre 775, la terreur régnait donc partout dans l’empire ; mais l’orthodoxie, pour autant, n’était pas vaincue. Un synode de Latran, tenu en 769 sous Etienne III, avait, dans sa quatrième session, condamné de nouveau l’erreur iconoclaste ; et, en Orient même, un concile célébré à Jérusalem en 767, et qui représentait les trois patriarcats d’Antioche, de Jérusalem et d’Alexandrie, s’était prononcé dans le même sens. Copronyme disparu, l’espoir de jours meilleurs ne tarda pas à naître.

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