Précis de Patrologie

10.5 — Saint Jean Chrysostome.

Saint Jean Chrysostome naquit à Antioche, probablement en 344, d’une famille noble et aisée, et fut élevé d’abord par sa mère Anthuse qui, veuve à vingt ans, refusa de se remarier pour se consacrer tout entière à l’éducation de son fils. Ce fils donna de bonne heure les meilleures espérances. Après avoir suivi les cours du rhéteur Libanius et les leçons de philosophie d’Andragathius, il plaida pendant quelque temps, puis, sur les conseils d’un de ses amis nommé Basile, s’adonna chez lui, et sans quitter sa mère, à la vie ascétique. En 369 ou 370, l’évêque, qui l’avait remarqué, lui conféra le baptême et l’ordre de lecteur.

En 374, il fit dans l’ascétisme un nouveau pas. Sa mère était morte probablement : Jean se retira dans un monastère au penchant d’une montagne près d’Antioche et, quatre ans après, dans une caverne où il vécut seul et redoubla ses austérités. Vers 380, sa santé ne pouvant plus supporter ce régime, il rentra à Antioche.

En 381, il y était ordonné diacre par Mélèce et, en 386, prêtre par Flavien. Alors commença pour lui cette carrière de prédicateur qui devait être si féconde. C’est d’Antioche que datent la plupart de ses discours qui nous sont parvenus. Son éloquence avait rendu Jean célèbre. En 397, Constantinople ayant besoin d’un évêque, le choix d’Arcadius se fixa sur lui. L’honneur était grand, mais la charge lourde et périlleuse pour qui voulait faire tout son devoir. Dans le clergé, dans les monastères, à la cour, parmi le peuple le relâchement était général. Chrysostome n’épargna personne et donna aux plus puissants des avertissements sévères. Une coalition de mécontents ne tarda pas à se former contre lui, favorisée par l’impératrice Eudoxie et comprenant, avec des membres du clergé et de la cour, quelques évêques du dehors. Le chef en fut le patriarche d’Alexandrie, Théophile. Par une procédure des plus illégales, Théophile, venu à Constantinople pour y être jugé, s’érigea en juge de l’archevêque et, sur des motifs controuvés ou futiles, le fit déposer au conciliabule du Chêne, près de Chalcédoine, par quelques prélats complaisants (403). Jean, exilé, dut quitter la ville : ce fut pour y rentrer en triomphe quelques jours après. Le peuple menaçant avait réclamé son archevêque, et la cour effrayée avait dû le rappeler. Malheureusement, cette paix fondée sur la peur dura peu. De nouveaux désordres attirèrent de nouvelles protestations de Jean, et ces protestations amenèrent contre lui de nouvelles mesures. Déposé une seconde fois d’une façon aussi illégale que la première, il fut d’abord exilé, en 404, à Cucuse, dans la vallée du Taurus, puis, en 407, transféré à Arabissus et à Pityus aux pieds du Caucase. Il mourut pendant le voyage, près de Comane, le 14 septembre 407.

Au physique, Chrysostome était d’apparence chétive, petit ; il avait le visage agréable mais émacié, le front ridé, la tête chauve, les yeux profonds, singulièrement vifs et perçants. Ses goûts étaient des plus simples ; sa vie, d’une austérité continue. C’était une nature délicate, sentant vivement les choses et traduisant d’une façon tranchante ses impressions. Gracieux, bon, affectueux et gai avec ses familiers, il restait, dans ses relations extérieures, toujours réservé et un peu froid. En somme, il lui a manqué un peu de sens diplomatique et l’esprit pratique de combativité. Placés dans sa situation, Athanase et Basile se seraient défendus et auraient triomphé de leurs adversaires. Chrysostome attaqué, calomnié, refusa la lutte et aima mieux céder que de combattre. En face d’ennemis sans conscience, il eut des scrupules et ne fit même pas valoir ses droits.

En théologie, saint Chrysostome est avant tout un moraliste qui tire de la doctrine courante les conséquences pratiques qu’elle comporte. Il connaît d’ailleurs très bien cette doctrine et, dans certains discours de controverse, l’a savamment exposée ; mais il ne l’a pas approfondie pour elle-même et n’a pas été mêlé aux discussions théologiques. Son exégèse offre le même caractère. Il recherche d’abord le sens littéral, et ne craint pas de porter en chaire, quand il le faut, des considérations grammaticales et linguistiques pour expliquer un passage difficile ; mais ce n’est là qu’une préparation pour dégager le sens typique ou l’enseignement moral de son texte. L’utilité de ses auditeurs est toujours l’unique fin qu’il se propose.

Au point de vue de l’éloquence, il a dépassé tous les Pères grecsa ; mais, comme sa théologie et son exégèse, son éloquence a été éminemment populaire et pratique. Il connaissait admirablement les règles de l’art oratoire, et aucun écrivain grec chrétien ne saurait lui être comparé pour la pureté de la langue. Toutefois, cette pureté n’est jamais du purisme, et c’est avec la plus grande liberté qu’il applique les règles du bien dire. Rien en lui qui sente le rhéteur ou qui rappelle l’école. Dans ses discours, peu de philosophie, de raisonnements abstraits, mais plutôt des images, des comparaisons, des arguments familiers. Comme il connaît à fond la vie de son peuple, ses tableaux de mœurs n’ont rien d’artificiel et de forcé. C’est un père qui cause avec ses enfants et qui, avec abandon, les instruit, les corrige, les encourage. Cette causerie se prolonge parfois longtemps : Chrysostome a déjà quelque chose de la prolixité asiatique : ceci tient à la richesse même de sa veine oratoire et aussi au genre adopté pour ses discours. Comme ils ont ordinairement pour objet l’explication d’une partie de l’Écriture, la matière ne faisait jamais défaut, et l’orateur ne s’arrêtait que lorsqu’il le jugeait bon. Aussi faut-il nous garder d’apprécier les sermons de saint Chrysostome d’après nos méthodes et nos goûts d’occidentaux et de latins. Au regard de nos règles, ces sermons manquent d’unité et de proportion : on y trouve traités plusieurs sujets différents et leur longueur est démesurée. Les auditeurs de Chrysostome cependant n’étaient point choqués de ces défauts : ils suivaient sans fatigue cette parole harmonieuse et claire qui les entraînait doucement, et dont l’intelligence ne leur demandait point d’effort.

a – Le surnom de Chrysostome (Bouche d’or) ne lui a cependant pas été donné avant le vie ou le viie siècle.

Aucun Père grec — sauf peut-être Origène — n’a laissé un héritage littéraire aussi étendu que saint Chrysostome. Encore sommes-nous certains de ne pas avoir tout ce qu’il a produit. Plusieurs de ses écrits ou se sont perdus, ou sont à démêler parmi d’autres qu’on lui a faussement attribués. De longtemps encore on n’aura pas de ses œuvres une édition vraiment complète.

On peut distinguer dans ces œuvres les homélies exégétiques, — les discours indépendants, — les traités — et les lettres.

I. Homélies exégétiques.

Saint Chrysostome n’a pas commenté l’Écriture autrement que dans ses homélies. De celles-ci on peut compter plus de six cent quarante, consacrées à expliquer soit l’Ancien soit le Nouveau Testament. Elles se répartissent ainsi :

Entre toutes ces homélies les plus remarquables sont les homélies sur les Psaumes et celles sur l’Épître aux Romains.

II. Discours indépendants.

Nous appelons ainsi les discours qui ne font point partie d’une série suivie d’homélies sur l’Écriture : ils dépassent sensiblement la centaine, et forment diverses catégories. La plupart sont des sermons moraux et ascétiques, tels que les sermons Sur les kalendes, Contre les jeux du cirque et les théâtres, Sur l’aumône, etc. D’autres sont dogmatiques et polémiques, tels que les douze homélies Contre les anoméens et les huit Contre les Juifs. Distinguons encore les Sermons pour les fêtes chrétiennes (Noël, l’Épiphanie, la Passion, Pâques, etc.) ; les panégyriques de saints de l’Ancien et du Nouveau Testament (Job, Éléazar, Romanus, Ignace, Babylas, etc.) : les plus remarquables sont les sept discours Sur les louanges de saint Paul ; enfin les discours de circonstance, au premier rang desquels il faut mettre les vingt et un discours Sur les statues prêchés en 387.

III. Traités.

Outre cette œuvre oratoire, saint Chrysostome a laissé un certain nombre de traités généralement assez courts et destinés à la lecture.

Deux ont un caractère apologétique : l’un, Contre les Juifs et les Gentils sur la divinité du Christ, est une démonstration, par les prophéties, de la divinité de Notre-Seigneur ; l’autre Sur saint Babylas, écrit vers 382, est dirigé contre Julien l’Apostat et les païens.

Deux sont des écrits disciplinaires qui datent probablement de 397 : Adversus eos qui apud se habent virgines subintroductas et Quod regulares feminae (αί κανονικαί) viris cohabitare non debeant.

Quatre traitent de la vie monastique : les deux Paraeneses ad Theodorum lapsum, écrites en 369 ou entre 371-378, et dont la dernière se présente comme une lettre ; les deux livres De la componction, qui sont de 375-376 ou de 381-385 ; les trois livres Contre les ennemis de la vie monastique, composés en 376 ou 381-385 ; et l’opuscule Comparaison du roi et du moine qui les a suivis de près.

Trois s’occupent de la virginité et de la continence : le livre De la Virginité, écrit à Antioche ; l’épître consolatoire A une jeune veuve, composée vers 380, et le De non iterando conjugio, probablement du même temps.

Sur le sacerdoce on a les six livres De sacerdotio, en forme de dialogue, un des écrits les plus cités de l’auteur, et qui est de 381-385. Sur l’éducation des enfants, on a le traité De la vanité, et comment les parents doivent élever leurs enfants. Et enfin sur l’utilité des souffrances, on a d’abord les trois livres Ad Stagirium a daemone vexatum (de 381-385), puis les deux petits écrits Quod nemo laeditur nisi a seipso et Ad eos qui scandalizali sunt ob adversitates, qui sont du temps de l’exil (405-406).

IV. Lettres.

Il reste de saint Chrysostome environ deux cent quarante lettres, généralement courtes, et qui datent toutes du second exil. La plupart sont adressées à des amis pour leur donner des nouvelles de l’exilé et relever leur courage. Quelques-unes s’occupent de la situation de l’Église dans telle ou telle contrée, et traitent de l’évangélisation des païens. Entre ces lettres il faut distinguer les deux lettres au pape Innocent I, écrites en 404 et 406, et les dix-sept lettres à la diaconesse Olympias qui exaltent surtout la vertu sanctificatrice de la souffrance : nulle part mieux que là ne se révèlent la profondeur de la foi et l’éminente sainteté de Chrysostome.

chapitre précédent retour à la page d'index chapitre suivant