Précis de Patrologie

10.6 — Théodoret et le groupe des Orientaux.

La condamnation de Nestorius à Éphèse, on le sait, ne rallia pas tous les suffrages. Bon nombre des évêques du patriarchat d’Antioche, des Orientaux (du diocèse civil d’Orient) comme on les appelait, restèrent fidèles au condamné quelque temps encore. Le plus illustre de tous fut l’évêque de Cyr, Théodoret.

Théodoret était né à Antioche, vers 393, d’une famille riche et fit, semble-t-il, ses études dans les écoles monastiques de cette ville ou des environs. Théodore de Mopsueste fut son maître en exégèse et Nestorius son condisciple. Il était depuis sept ans au monastère de Nicerte quand on vint le chercher pour le faire évêque de Cyr dans la Syrie euphratésienne. Le diocèse était grand, peuplé en partie de païens, de juifs et d’hérétiques : le nouvel évêque s’appliqua avec ardeur à leur conversion, n’interrompant son labeur que pour venir, chaque année, porter à Antioche l’éclat de sa parole. Quand Nestorius fut condamné par le pape, Théodoret se joignit d’abord à Jean d’Antioche pour lui conseiller la soumission ; mais la publication des anathématismes de saint Cyrille le révolta. Persuadé qu’ils contenaient l’apollinarisme, il les attaqua avec violence, et conserva, vis-à-vis de leur auteur, même après que celui-ci se fut expliqué, des préventions qui ne tombèrent jamais complètement. A Éphèse, il fut naturellement dans le camp de Jean d’Antioche contre Cyrille, refusa d’abord de souscrire à l’union de 433, bien que le symbole de cette union fût son œuvre, et ne s’y rangea en 435 qu’avec l’expresse réserve de ne pas condamner Nestorius. En 438, on le voit reprendre la plume pour défendre, contre les attaques de Cyrille et de Rabulas, la mémoire de Théodore de Mopsueste. Il avait espéré que la mort de Cyrille en 444 donnerait la paix à l’Église. L’éclat d’Eutychès et le brigandage d’Éphèse le détrompèrent cruellement. Déposé par les partisans de Dioscore et traité comme un excommunié à éviter, il fut interné dans son monastère de Nicerte comme dans une prison. Mais il en avait appelé au pape saint Léon. En 450 tout changea. Convoqué au concile de Chalcédoine, il y fut reçu malgré l’opposition des évêques d’Egypte et de Palestine : toutefois il dut nettement anathématiser Nestorius. Il put alors rentrer dans son diocèse et y finir tranquillement sa vie. Gennadius le fait vivre jusqu’en 457 ou 458 : Tillemont met sa mort au plus tard en 453.

Théodoret avait une âme droite, un caractère sympathique. Pieux, modeste, aimant naturellement le silence et la paix, dévoué à son peuple, il serait honoré par l’Église comme un de ses saints les plus authentiques, s’il n’avait poussé à l’excès son attachement à Nestorius. Cette fidélité dans l’amitié — honorable en soi — troubla parfois la rectitude de son jugement et le jeta dans de regrettables écarts de conduite. Au point de vue littéraire, Théodoret est le dernier des grands écrivains de l’Église grecque. Il a passé pour un des meilleurs orateurs de son temps, et ses commentaires « excellents de fond et de forme, de concision et de clarté » feraient de lui le prince des exégètes s’ils n’étaient en somme, comme il le dit lui-même, une compilation de ce que l’école d’Antioche avait produit de mieux avant lui. Sa mémoire, comme celle de ses maîtres Diodore et Théodore, a souffert de l’âpreté des luttes théologiques. Cependant le concile de 553, qui a condamné quelques-uns de ses écrits, n’a pas flétri sa personne ni contesté la sincérité intime de ses vues.

Dans les ouvrages de Théodoret on trouve des écrits exégétiques, — apologétiques, — dogmatiques et polémiques, — historiques, — et enfin des discours et des lettres.

I. Exégèse.

L’œuvre exégétique de Théodoret comprend d’abord une série d’explications détachées sur les passages les plus difficiles du Pentateuque, de Josué, des Juges, de Ruth, des quatre livres des Rois et des Paralipomènes. L’auteur y procède par questions et par réponses et les a écrites vers la fin de sa vie. Elle comprend, en second lieu, un commentaire suivi sur le Cantique, qui est de 425 ; un autre sur les Psaumes, qui est de 433-445 ; un troisième sur les Prophètes grands et petits (le commentaire sur Daniel est de 426) ; et enfin un quatrième sur les épîtres de saint Paul, qui date de 431-434.

II. Apologie.

L’apologétique doit à Théodoret la dernière et la plus complète des apologies qu’ait produites l’Église grecque : Guérison des maladies des Grecs (Graecarum affectionum curatio) en douze livres. L’auteur y compare entre eux les enseignements païens et les enseignements chrétiens pour conclure à la vérité de ceux-ci. L’écrit est de 429-437. A ce grand ouvrage il faut ajouter dix discours Sur la Providence que l’on croit avoir été prononcés à Antioche avant 431. Un traité contre les Mages de Perse est perdu : d’un autre Contre les juifs on possède un fragment.

III. Dogme et polémique.

En tête des écrits polémiques de Théodoret, il faut mentionner sa réfutation des anathématismes de saint Cyrille, qui est de 430, et qui a été conservée (en entier probablement) dans la réponse de l’évêque d’Alexandrie. Elle fut suivie d’assez près par le Pentalogium de incarnatione, composé vers 432 et dont on a seulement des fragments en grec et en latin : la théologie cyrillienne y était aussi attaquée. Puis, entre 431 et 435, Théodoret donna deux ouvrages, Sur la sainte et vivifiante Trinité et Sur l’incarnation du Seigneur, imprimés tous deux parmi les œuvres de saint Cyrille (P. G., lxxv, 1147-1190 ; 1419-1478) et qu’il faut restituer à son adversaire. Enfin dans un dernier et plus considérable écrit, il revint sur la question christologique. Cet écrit est l’Eranistes (le Mendiant ou le Versatile) en quatre livres (447), dans lesquels, l’auteur établit successivement contre les eutychiens que le Verbe est resté, dans l’incarnation, sans changement (ἄτρεπτος), sans mélange (ἀσύγχυτος) et impassible (ἀπαϑής), le quatrième livre résumant les trois premiers. Quant à la Lettre à Sporacius ou Libellus contra Nestorium, son authenticité est fort douteuse.

IV. Histoire.

Théodoret a écrit trois ouvrages historiques : 1° Une Histoire ecclésiastique (vers 450) en cinq livres, qui raconte les faits de la période 323-428. Outre Eusèbe, l’auteur a utilisé Socrate, Sozomène et probablement Rufin. 2° Une Histoire religieuse, série de notices sur les moines les plus célèbres de l’Orient, composées vers 440, et auxquelles un petit écrit Sur la divine et sainte charité sert de complément. 3° Enfin une Histoire abrégée des hérésies (Haereticarum fabularum compendium) en cinq livres, qui est de 453. La partie qui concerne Nestorius à la fin du livre iv est peut-être interpolée. Le livre v est rempli par un exposé de la doctrine orthodoxe.

V. Discours et Lettres.

En dehors des sermons sur la Providence dont il a été ci-dessus question, on ne possède que quelques fragments ou citations des discours de Théodoret. Mais on a de lui environ deux cent trente lettres du plus haut intérêt historique et dogmatique, et qui révèlent au mieux le talent et les qualités d’âme de leur auteur. Sur le nombre quarante-huit ont été éditées seulement en 1885.

Parmi les Orientaux qui ont mené, avec Théodoret, la lutte contre Cyrille, quelques-uns ont laissé des écrits. Nommons d’abord l’évêque d’Antioche, Jean, chef officiel du parti, dont il reste plusieurs lettres ; puis l’évêque de Samosate, André, qui attaqua, au nom du groupe, les anathématismes de saint Cyrille : des fragments de son écrit ont été conserves dans la réplique du patriarche d’Alexandrie. On a également de lui quelques lettres. Faisait aussi partie de ce groupe Paul, évêque d’Émèse, qui, en 433, négocia l’accord entre Cyrille et Jean d’Antioche : il a laissé une lettre et des homélies. Enfin il faut signaler l’évêque d’Édesse, Ibas, dont la fameuse lettre à Maris d’Ardaschir date probablement de 433. Elle était violemment injurieuse pour Cyrille et fut condamnée au concile de 553.

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