Le Réveil dans l’Église Réformée

Introduction

On a un peu abusé de la fin du siècle et des idées que ces trois mots suggèrent.

En réalité, lorsqu’une période se termine, on est presque irrésistiblement porté à établir son bilan. Coureurs dans cette arène dont parle l’Apôtre, nous jetons un coup d’œil en arrière pour mesurer la distance franchie. La fin d’un siècle nous fait songer à ses débuts. Le crépuscule nous rappelle l’aurore.

Pour notre Église, cette aurore, ce fut le Réveila. On sait ce qu’était le protestantisme français après la Révolution. Samuel Vincent en a tracé le tableau dans une page célèbre : « Après la Révolution, les protestants de France étaient arrivés à un repos profond qui ressemblait beaucoup à l’indifférence. La religion n’occupait qu’une bien faible place dans leurs idées, comme dans celles du plus grand nombre des Français. Pour eux, comme pour beaucoup d’autres, le dix-huitième siècle durait encore. La loi du 18 germinal an X, en les dispensant, eux et leurs pasteurs, de toute sollicitude pour l’entretien de leur culte, était venue consolider ce repos, en écartant la cause la plus prochaine du trouble, et par conséquent du Réveil. Les prédicateurs prêchaient ; le peuple les écoutait ; les consistoires s’assemblaient ; le culte conservait ses formes. Hors de là, personne ne s’en occupait, personne ne s’en souciait, et la religion était en dehors de la vie de tousb. »

a – L’Église catholique a eu aussi son Réveil au commencement du siècle. Voir Guizot, Méditations sur l’état actuel de la religion chrétienne. Paris, 1866. Le Réveil chrétien en France au 19e siècle.

b – S. Vincent, Du Protestantisme en France, 2e édit. Paris, 1859. Méthodisme, p. 456.

Si nous considérons, au contraire, le protestantisme français vers 1850, nous nous trouvons en face d’un tout autre spectacle : la vie religieuse s’est développée ; le zèle de tous, pasteurs et laïques, s’est accru ; les cultes ont pris de l’entrain et de la vie ; de nombreuses sociétés d’évangélisation, d’instruction, de bienfaisance se sont fondées ; les discussions dogmatiques et ecclésiastiques sont à l’ordre du jour. On sent que si, au commencement du siècle, « la religion était en dehors de la vie de tous, » maintenant elle est devenue, pour beaucoup, un intérêt primordial et un objet de constante sollicitude.

On a donné à l’évolution qui s’est ainsi accomplie le nom de Réveil, et c’est cette période de notre histoire ecclésiastique que nous voudrions retracer.

Mais, à côté de l’Église réformée de France, il y a une autre Église, dont les destinées ont toujours été étroitement liées aux nôtres, l’Église de Genève. Genève a été de même le théâtre d’un Réveil au commencement du dix-neuvième siècle, et, comme ce Réveil a exercé sur notre pays une influence considérable, il serait aussi impossible de parler du Réveil en France sans retracer d’abord celui de Genève, que de faire l’histoire de la Réformation française sans parler de Calvin.

De plus, le Réveil a relevé et prêché de nouveau d’anciennes doctrines qui étaient tombées dans un discrédit plus ou moins grand ; il les a même parfois exagérées, et en a altéré par suite le vrai sens. Cette théologie du Réveil mérite aussi de faire l’objet d’un examen spécial.

Enfin, de nouvelles idées ecclésiastiques, de nouvelles formes de culte, des œuvres nouvelles ont fait leur apparition lors du Réveil et sous son influence.

Genève, la France, la théologie, l’Église, telles sont donc les divisions que nous adopterons.

Mais, outre l’intérêt historique et dogmatique qui s’attache à cette étude, n’y a-t-il pas aussi ce qu’on pourrait appeler un intérêt d’actualité ?

L’aurore de ce siècle, avons-nous dit, ce fut le Réveil ; et le crépuscule ne sera-t-il pas aussi le Réveil ?

Comme dans ces pays du Nord où le soleil, à certaines époques, ne disparaît pas de l’horizon, et recommence à minuit sa course radieuse, il semble que le soleil spirituel ne se couchera pas en ce siècle pour notre Église, et que, tandis que l’influence bienfaisante du premier Réveil se fait encore sentir, le souffle d’un Réveil nouveau a déjà passé sur nous.

Dans l’Église, c’est l’évangélisation qui est à la première place ; nos synodes l’inscrivent en tête de leurs délibérations ; les sociétés qui s’en occupent spécialement reçoivent une impulsion nouvelle ; il est facile de voir que ce qui préoccupe les esprits, c’est la recherche des meilleurs moyens pour réveiller notre peuple.

Hors de l’Église, des symptômes non moins encourageants se manifestent ; dans la littérature, dans les rangs de la jeunesse universitaire, il y a je ne sais quel trouble intérieur, quelles aspirations vers de meilleures choses que le grossier matérialisme d’hier. Que dire aussi de ces tentatives isolées de revenir à l’idéal chrétien, par exemple de cette religion du comte Tolstoï qui, malgré bien des lacunes, prouve encore, par les résultats obtenus, la vérité de cette parole : « Si vous aviez de la foi gros comme un grain de sénevé, vous diriez à cette montagne : Jette-toi dans la mer, et elle s’y jetterait. »

« Il semble, dit quelque part Jules Lemaître, qu’un attendrissement de l’âme soit en train de se produire dans cette fin de siècle, et que nous devions assister bientôt, qui sait ? à un réveil de l’Évangile. »

Et ce mot de réveil ramène alors notre pensée à ce commencement du siècle, à cette époque bénie où notre Église retrouvait la foi et la vie des jours d’autrefois. Nous voulons nous « enquérir de ces sentiers des siècles passés, » y chercher des encouragements et des exemples.

Michelet s’écriait de même pour justifier au dix-neuvième siècle l’étude du quatorzième : « Adressons-nous aux siècles antérieurs ; épelons, interprétons ces prophéties du passé : peut-être y distinguerons-nous un rayon matinal de l’avenir ! Hérodote nous conte que je ne sais quel peuple de l’Asie, ayant promis la couronne à celui qui, le premier, verrait poindre le jour, tous regardaient vers le levant ; un seul, plus avisé, se tourna du côté opposé ; et, en effet, pendant que l’Orient était encore enseveli dans l’ombre, il aperçut, vers le couchant, les lueurs de l’aurore qui blanchissait déjà le sommet d’une tourc ! »

cRevue des Deux-Mondes, 15 janvier 1834. Le XIVe siècle.

Nous ne pouvons songer à donner une liste complète des ouvrages que nous avons consultés pour celle étude : au reste, ils seront indiqués dans les notes, au fur et à mesure des sujets traités.

Nous ferons cependant deux exceptions : la première, pour une collection de brochures parues lors du Réveil, et données par M. le pasteur Frédéric Monod à la bibliothèque de la Société d’histoire du protestantisme français. Nous saisissons cette occasion d’exprimer toute notre reconnaissance à cette Société, qui a bien voulu mettre cette collection à notre disposition et nous fournir ainsi des sources de première main.

La seconde exception est pour trois ouvrages : Genève religieuse au XIXe siècle, par le baron de Goltz, traduit de l’allemand par C. Malan (Genève et Bâle, 1802) ; — Le premier Réveil et la première Église indépendante à Genève, par E. Guers (Genève, 1872) ; — La vie et les travaux de C. Malan, par un de ses fils (Genève, 1869). Ces trois ouvrages exposant d’une manière, on peut dire définitive, la partie du Réveil qu’ils retracent, nous leur avons fait de fréquents emprunts, parfois sans mettre d’indication spéciale.

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