Le Réveil dans l’Église Réformée

2.1.3 La Faculté de Montauban. — Daniel Encontre.

Ouverture de la Faculté. — Son enseignement. — Les étudiants. — Nécessité d’un Réveil. — Le professeur Bonnard. — Haldane à Montauban. — Daniel Encontre. — Sa jeunesse. — Ses études. — Sa consécration. — Il quitte le ministère. — Temps de souffrances. — Nomination au Lycée, puis à la Faculté des sciences de Montpellier. — Œuvres diverses. — Appel à Montauban. — Hésitations d’Encontre. — Il accepte. — Son influence à Montauban.

Nous avons eu l’occasion de voir dans quelle situation se trouvait l’Académie de Genève au commencement du siècle et quel rôle important ses professeurs et ses étudiants ont joué dans l’histoire du Réveil.

Or, que se passait-il, à pareille époque, à Montauban ? La Faculté française était-elle le théâtre d’événements analogues ?

La Faculté avait été établie, ou plutôt rétablie, par un décret en date du 17 septembre 1808.

On avait eu un moment la pensée de l’établir à Nîmes plutôt qu’à Montauban (V. Pédézert, Souvenirs et Etudes, Paris, 1888, p. 124) ; quand elle fut créée à Montauban, on espéra quelque temps en obtenir une seconde à Nîmes V. D. Bourchenin, Daniel Encontre, Montauban, 1877, p. 62).

Pendant l’année suivante, on l’organisa ; quatre chaires y furent créées : morale, histoire ecclésiastique, dogme et hébreu ; deux autres professeurs furent nommés « pour préparer aux études de la Faculté par un enseignement analogue à celui des hautes classes du lycée. » Ce fut le 10 janvier 1810 que les cours s’ouvrirent. Trois professeurs seulement étaient à leur poste : le doyen Frossard, professeur de morale ; Bonnard, professeur d’hébreu ; Esaïe Gasc, professeur de philosophie. Ceux qui devaient être leurs collègues dans les autres chaires avaient refusé, pour diverses raisons.

Pendant cette première année scolaire, qui se termina le 13 août, quarante-deux étudiants suivirent les cours des trois professeurs. Daniel Encontre, alors à Montpellier, fit un article inédit pour préconiser l’extrême utilité de cette institution, qui dispenserait les protestants d’aller chercher à l’étranger l’instruction « qu’une patrie autrefois marâtre, aujourd’hui véritable mère, avait cessé de leur refuser. » Il y exprimait, en outre, le vœu qu’on créât, à côté de la Faculté de théologie, une Faculté des lettres et une Faculté des sciences, et qu’on s’efforçât de rendre ces deux nouvelles Facultés essentiellement protestantes. « Nous serions alors organisés, disait-il, comme en Suisse, en Hollande, en Allemagne, et nous n’aurions plus rien à désirer. »

L’installation solennelle de la Faculté eut lieu le 3 novembre 1810 ; au commencement de cette année, Esaïe Gasc quitta la chaire de philosophie pour occuper celle de dogmatique, et un nouveau professeur, Bénédict Prévost, devint titulaire de la chaire de philosophie. En outre, des répétiteurs, pris parmi les étudiants les mieux qualifiés, enseignèrent les langues anciennes, les mathématiques, la rhétorique et la littérature, l’histoire et la géographie, et l’anglais.

Telle était l’organisation extérieure de la Faculté ; quel était son enseignement ?

Nous pouvons en juger, soit par les détails de l’affaire d’Esaïe Gasc, dont nous avons déjà parlé, soit par cette profession de foi trinitaire que la Faculté publia le 19 avril 1817.

Au point de vue de la doctrine, l’orthodoxie la plus stricte était donc l’enseignement officiel de la Faculté.

Examinons enfin un troisième point : où en était la vie religieuse ?

Sur les étudiants, il n’y a pas grand bien à dire. « Pendant les dernières années de l’Empire, ils affluèrent à la Faculté. Plus les temps devenaient durs, plus les vocations au saint ministère devenaient fréquentes. On allait chercher à Montauban non la science, mais la sécurité. La Faculté n’était plus une école, elle était un abri, et un abri d’autant plus sûr qu’il paraissait sacré. Le danger disparu, tous les faux étudiants reprirent le chemin de leur foyer, à la grande joie de la Faculté, délivrée de ce déshonorant fardeaua. » Encontre s’écriait encore, dans une prière qu’il prononçait au commencement de l’année scolaire 1816-1817 :« Notre âme est saisie de tristesse jusqu’à la mort…, à cause de l’état de langueur, de dépérissement, de consomption totale où gémit ton Église ! Hélas ! Seigneur, nous sommes tellement déchus…, que plusieurs même de ceux que tu appelles à dire et à prouver en chaire que l’amour du monde est inimitié contre Toi, ne rougissent pas de paraître dans les lieux spécialement consacrés à la frivolité, à la dissipation, au luxe et aux faux plaisirs du monde. La nature même de la chose, les considérations les plus graves, les exhortations les plus tendres ne suffisent pas pour les en détourner ; il faut des lois, il faut des menaces, il faut des peines. Il faut obtenir de leur intérêt et de leur orgueil ce que la piété et la charité chrétienne auraient vainement sollicité. »

a – Pédézert, Souvenirs et études, p. 124. Le professeur Jalaguier.

En effet, le 21 avril 1822, le Conseil de la Faculté déclarait de la manière la plus expresse, en confirmant ses arrêtés précédents : « qu’il regardera, comme passibles des peines ci-après, les étudiants qui paraîtront dans les cafés, les billards, la comédie, les bals et les maisons de jeu ; qu’en conséquence, les élèves qui, dans la conscience du Conseil de la Faculté, seront convaincus de s’être livrés à ces désordres, ou à tout autre dérèglement, seront retardés d’un ou de plusieurs trimestres, ou même renvoyés de la Faculté, selon que le Conseil les jugera plus ou moins coupablesb. »

b – Sardinoux, Mémoire universitaire et ecclésiastique sur la Faculté de théologie protestante et le Séminaire de Montauban. Paris, 1888, p. 36 et 37.

Evidemment, les étudiants de Montauban avaient autant besoin d’un Réveil que leurs camarades de Genève. Cependant, pour les uns comme pour les autres, il y avait autour d’eux des hommes qui auraient pu exercer sur leur développement religieux une influence bénie. A Genève, c’étaient Moulinié, Cellérier, Peschier ; à Montauban, c’étaient le pieux pasteur Marzials et le professeur Bonnard, qui furent de véritables précurseurs du Réveil. Bonnard, qui avait été pasteur à Marsillargues (Hérault), avait conservé de son ministère la préoccupation suprême du salut des âmes. Quoique professeur, il continuait à s’occuper de l’œuvre de Dieu dans les Églises. Ce fut lui qui provoqua la fondation de l’Église de Bayonne, où devait aller Pytc ; de même, ce fut lui qui recommanda Félix Neff aux Églises des Hautes-Alpesd, où il avait fait une tournée d’évangélisation…

cArchives du Christianisme, avril 1822, p. 173 et suiv.

dVie de Neff. Toulouse, 1860, p. 63.

Quand il parlait à ses élèves, voici le langage qu’il leur tenait : « Si le sentiment de votre insuffisance personnelle vous touche, si la grandeur de votre tâche vous effraie, que cela vous engage à vous tourner, par vos humbles supplications, vers le divin Maître au service duquel vous voulez vous engager. Votre intention, en aspirant à le servir dans son Église, n’est-elle ni bien pure ni bien sincère ? Quittez, quittez la carrière d’une vocation si sainte, où vous risqueriez trop de trouver une condamnation plus grande… Mais si vous avez un fond intime de persuasion que Dieu, qui sonde les cœurs, voit la sincérité du vôtre et vous appelle au ministère évangélique, reprenez courage, en regardant au Chef et au Consommateur de notre foi ; invoquez-le, et il bénira vos études ; il donnera de l’énergie à votre bonne volonté ; il vous fera la grâce de racheter le temps, de ne pas le prodiguer au monde et à ses vanités ; et, par rapport aux langues, ce grand Dieu, qui donna miraculeusement à ses premiers serviteurs le don de les parler sans les avoir apprises, daignera peut-être vous accorder, pour les apprendre avec succès, une facilité dont vous ne vous croyez pas susceptiblese. »

eArchives, juin 1818, p. 193. Voir aussi le discours qu’il prononça, en 1812, après avoir été nommé docteur en théologie (Archives, avril 1819, p. 117 et suiv.).

Ce dernier trait nous révèle tout un aspect du caractère de Bonnard, un intérêt touchant et affectueux qu’il portait à ses élèves et qui aurait dû gagner leur cœur et les rendre plus accessibles à sa salutaire influence.

Quand il mourut, en 1838, les Archives lui consacrèrent un article dont voici les principaux passages :

« Le 6 de ce mois, à quatre heures de l’après-midi, notre vénéré frère François Bonnard, ministre du saint Evangile et doyen de la Faculté protestante de théologie de Montauban, a été rappelé du champ de travail où il avait montré tant de fidélité, et il est entré dans ce repos éternel que Dieu, dans sa miséricorde, a préparé pour son peuple.

En vous annonçant cette perte vraiment grande pour notre Faculté de Montauban et pour toutes nos Églises, mon dessein n’est pas de faire ici l’éloge des qualités éminentes qui distinguaient notre frère, comme chrétien, comme professeur et comme doyen. C’étaient des grâces qui lui avaient été gratuitement données ; et lui-même, dans son humilité si sincère, si vraie et si aimable, nous a constamment appris, pendant sa vie, à en rapporter à Dieu toute la gloire……… permettez qu’en attendant une notice plus étendue, moi, qui, à la faveur d’une douce et chrétienne amitié, ai eu le bonheur, pendant quarante années, de soutenir avec lui des relations intimes, je donne ici essor aux sentiments de mon cœur en rendant à Dieu de vives actions de grâces pour les encouragements et pour les consolations qu’il m’a fait trouver dans mon union avec ce cher et bien-aimé frère ; permettez encore, qu’au nom de nos églises, je rende à Dieu des actions de grâces pour les bénédictions qu’elles ont retirées de la pieuse et vivifiante influence de notre frère sur l’esprit et sur le cœur des nombreux élèves qui, pendant près de trente ans, ont successivement été confiés à sa direction dans l’école de théologie ; permettez enfin que je rappelle le bien qu’il lui a été donné de faire par son humilité, par son désintéressement et par son esprit de prière, pour la prospérité de cette Faculté qu’il a tant aimée, pour laquelle il a tant prié dans des temps difficiles, et aussi pour laquelle il a tant souffert ! … Nul de ceux qui ont connu la foi sincère de ce vrai chrétien ne sera surpris en apprenant que le temps de sa maladie a été simplement un temps de calme et de repos pour son esprit et pour son cœur. Tout, dans l’administration des choses diverses que Dieu lui avait confiées, étant en ordre, il a pu, sans aucune négligence, tourner entièrement ses pensées vers des choses plus élevées. Dès lors, des entretiens doux et religieux avec les membres de la Faculté et avec ses amis, la méditation des déclarations scripturaires de la grâce de Dieu, déclarations qu’il témoignait être suaves à son âme, la considération de l’immutabilité des promesses, dans lesquelles il puisait toujours de nouvelles forces, l’examen attentif des voies de Dieu à son égard, qu’il reconnaissait avoir toujours été miséricordieuses, et au sujet desquelles il le bénissait, des prières ferventes et une constante élévation de son âme vers Dieu, voilà ce qui a rempli le temps de sa maladie, et ce qui a occupé son cœur et son esprit. Nul regret, nul souci, nulle tentation à l’impatience ; il marchait avec Dieu, Dieu était avec lui, et il se plaisait à en rendre le témoignage : Mon cher ami, me disait-il, je suis dans la vallée de l’ombre de la mort, mais je ne crains rien pour cela, parce que Dieu est avec moi : son bâton et sa houlette me rassurent (Archives du Christianisme, 27 octobre 1838. Signé : Le pasteur président du Consistoire de Toulouse, Chabrand).

Haldane fit un séjour de deux années (1817-1819) à Montauban, mais il n’y eut pas le succès qu’il avait eu à Genève. Il s’occupa surtout de la réimpression de la Bible de Martin avec Bonnard et Marzials ; il paraît avoir vivement apprécié ces deux chrétiens, tandis qu’il se montre sévère pour le doyen Frossard, qu’il appelle « un officier du génie de Satan, travaillant à répandre le fatal poison du socinianisme parmi les étudiantsf. »

fR. et J. Haldane, t. II, p. 72.

Ce fut à Montauban qu’Haldane composa son Commentaire français sur l’épître aux Romains, son Evidence du christianisme, que Charles Rieu traduisit, et plusieurs traités. Les deux premiers ouvrages ont été pendant quelque temps donnés à chaque étudiant à la fin de ses étudesg.

gR. et J. Haldane, t. II, p. 60 et 61.

Mais la cause de l’Évangile et du Réveil s’était depuis quelque temps fortifiée par l’arrivée d’un nouvel auxiliaire qu’Haldane trouva à Montauban et qui fut une des gloires de la Faculté et de l’Église, Daniel Encontre.

Daniel Encontre était né le 30 juillet 1762, si nous en croyons l’inscription placée sous son portrait à la Faculté des sciences de Montpellier.

Voir Guizot, Méditations sur l’état actuel de la religion chrétienne. Paris 1866. Le Réveil chrétien, p. 123 et suiv. D. Bourchenin, op. cit. Juillerat, Notice sur la vie et les écrits de M. Daniel Encontre. Ph. Corbière, Daniel Encontre considéré comme savant, littérateur et théologien.

En réalité, cette naissance est entourée d’une certaine obscurité, par suite de l’absence de documents positifs. Un de ses biographes le fait naître à Marsillargues, M. Guizot dans une grotte de la Vaunage. Son père était Pierre Encontre, pasteur du désert, contemporain de Jean Guizot et de Paul Rabaut, ami et compagnon d’œuvre de Jean Gachon. Il eut quatre enfants, dont trois fils, Germain, André et Daniel, qui entrèrent dans la carrière pastorale.

Dès son enfance, Daniel se signala par une intelligence et une persévérance qui sortaient de l’ordinaire : « Né de parents réformés, écrivait-il en 1814, je fus destiné, dès mon enfance, au service de l’Église réformée. Malheureusement, mon père s’étant épuisé pour l’éducation de mes frères aînés, ne put me procurer que quatre mois de leçons de latin, après quoi je fus absolument abandonné à mes propres ressources, ce qui ne m’empêcha pas d’apprendre à peu près ce qu’on exigeait même dans la Faculté de Genèveh. »

h – Bourchenin, op. cit., p. 24.

Cependant, le ministère évangélique n’était pas la carrière qu’il aurait librement choisie. Des aptitudes particulières le poussaient vers les mathématiques, et, dans un moment de découragement, il s’éloigna de ses parents et partit pour la Suisse ; ce voyage, entrepris à pied et sans argent, continué au moyen d’expédients de toute nature, fut un véritable roman. Encontre revint d’ailleurs bientôt à la maison paternelle, et là, sans professeurs, sans livres, il poursuivit ses travaux préférés et parvint jusqu’au calcul infinitésimal, « devinant, comme Pascal, une science de laquelle on lui interdisait l’accès ; il avait alors dix-neuf ans. Quant aux langues mortes, l’hébreu, le grec, le latin, il les posséda rapidementi. »

iIbid., p. 25.

Le moment était alors venu d’entrer au service de l’Église. Encontre fut admis comme proposant, et, pendant deux ans, prêcha dans diverses églises de la Vaunage, à la satisfaction générale. Tout à coup, il repart pour la Suisse, décevant ainsi les espérances qu’on fondait sur lui et mécontentant vivement le synode du bas Languedoc. A Genève, il passe trois ans (1782-1785), immatriculé sur les registres de l’Académie, donnant des leçons dans une famille anglaise, et, en fin de compte, étant « l’honneur de la France dans ces universités étrangèresj. » Il fait, en 1783, un voyage à Paris, où il a l’occasion d’exposer ses idées scientifiques devant un auditoire de savants, à l’Observatoire, et de jeter les bases de sa réputation.

j – Bourchenin, op. cit., p. 27.

Ses convictions religieuses, un moment ébranlées sous l’influence de la philosophie du dix-huitième siècle, se raffermissent dans un séjour qu’il fait à Lausanne en 1788 et 1789. Les professeurs du célèbre séminaire fondé par Antoine Court lui donnent le plus élogieux des certificats, et Encontre est de nouveau accepté comme proposant par le synode des basses Cévennes : il dessert les Églises de Cette et de Pignan. En 1790, le colloque d’Uzès lui fait passer ses derniers examens, qu’il subit avec félicitations de la part de ses juges, félicitations sur lesquelles renchérit le synode de la même ville. Quelques jours après (mai 1790), il est consacré à Lédignan par son père. Aussitôt après, il est nommé à l’Église des Vans, et épouse sa cousine, Elisabeth Lardat.

Il ne resta qu’une année dans le ministère ; soit qu’il fût poussé par des scrupules intérieurs, soit par suite d’une faiblesse physique qui provoqua l’extinction de sa voix, Encontre renonça à la carrière pastorale. Il eut un instant la pensée d’obtenir une place de régent de belles-lettres à Neuchâtel ; mais ce projet n’eut pas de suite. D’autre part, le synode de 1791, ne pouvant se résigner à le voir abandonner tout à fait le service de l’Église, lui accorda un an de congé ; mais, en 1792, Encontre dut définitivement renoncer à la prédication et se tourner vers un autre avenir.

Tout de suite la question matérielle se posa devant lui dans toute sa dureté. Il essaya de donner des leçons dans une maison d’éducation fondée par son frère Germain, à Anduze ; mais l’établissement tomba. Les temps étaient mauvais ; c’était en 1793. Encontre, sa femme, son enfant, souffrirent de la faim ; l’ancien pasteur ne trouvait pas de position ; « on raconte qu’un jour, comme il ne pouvait plus supporter les pleurs de son fils qui demandait du pain, il allait de rue en rue, sans but et presque sans avoir conscience de ses actions, lorsqu’il rencontra un officier à la recherche d’un professeur de mathématiques, qui se décida à sacrifier, pour payer ses leçons, la moitié de sa ration de pain, soit 4 onces par jour. Un maçon, ayant appris qu’Encontre savait quelque chose en géométrie, lui demanda aussi des leçons qu’il croyait grassement rétribuer en lui donnant un morceau de pain, et le futur doyen de deux Facultés accueillit cette aubaine avec des transports de joie ; dès lors l’aisance revint dans le ménage, disait son beau-père, le pasteur Lardat ; bientôt l’on put acheter des œufs, et Daniel Encontre d’un œuf faisait trois repask. »

k – Bourchenin, op. cit., p. 32, 33.

Peu après, inquiété pour cause de religion, il alla à Montpellier où il groupa autour de lui quelques jeunes gens dont il comptait faire l’éducation en même temps que celle de son fils ; toutefois, vers la fin de la Terreur, il donna encore des leçons sur la coupe des pierres aux ouvriers des carrières.

Mais ces désastreuses époques prirent fin, et bientôt Encontre renoua la chaîne de ses succès scientifiques. Il s’associa activement à la fondation d’une Société de sciences et de belles-lettres, qui succédait à la Société royale des sciences ; puis à la formation de l’École centrale de Montpellier, où il concourut pour les deux chaires de mathématiques et de belles-lettres, obtint les deux, et opta pour la seconde, à la suite de circonstances particulières. En 1804, il était nommé à la chaire de mathématiques du Lycée de Montpellier, et, le 25 juillet 1809, appelé au décanat de la Faculté des sciences, dont il était déjà professeur pour la chaire de mathématiques transcendantes.

Mais, sous le savant, l’ancien pasteur reparaissait souvent et, au péril de sa vie, célébrait des baptêmes, bénissait des mariages, donnait des instructions religieuses, en un temps où le ministère était aboli. En janvier 1795, il demande le rétablissement du culte et la liberté religieuse ; quelques semaines après, le 21 février 1795, cette liberté est accordée, mais les pasteurs manquent, les troupeaux sont froids et indifférents, les temples ne sont pas rebâtis et les édifices qui les remplaceront ne sont pas prêts : « Allons donc à la campagne, écrit Encontre à un de ses collègues de la Faculté des sciences ; mettons-nous sous l’ombre d’un chêne ou à l’abri d’un mur. C’est ainsi qu’en usaient nos pères. Rougirions-nous de les imiterl ? »

l – Bourchenin, op. cit., p. 39.

Mais l’ardeur d’Encontre trouvait peu d’écho. Ce ne fut que lors de la loi de germinal que les relations de l’Église avec l’État furent fixées, les cultes organisés, les consistoires créés ; Encontre devint membre du consistoire de Montpellier, et l’Église des cordeliers de l’Observance ayant été achetée fut transformée en temple protestant ; on l’inaugura le 20 novembre 1803.

En 1807, on commença à s’occuper de la révision des psaumes ; Encontre prit à ce travail une grande part ; il avait déjà traduit en vers le psaume 122. Mais il avait à cœur une œuvre autrement considérable, la révision et la réédition de la Bible de Martin ; il en parla à son ami Bonnard qui était alors à Marsillargues, et qui applaudit à ce projet.

Enfin il restait en relations avec ceux de ses anciens élèves qui étudiaient la théologie, et l’on a des lettres de lui à tel d’entre eux qui lui demandait des conseils et des directions.

Du reste ses travaux scientifiques eux-mêmes avaient parfois un caractère théologique et religieux, par exemple, sa Dissertation sur le vrai système du monde comparé avec le récit que Moïse fait de la création, étude lue, le 26 novembre 1807, à la Société des sciences et belles-lettres et dans laquelle il s’efforçait de prouver la conformité du récit de la Genèse avec les découvertes scientifiques.

Mais il allait être plus directement encore mêlé à l’histoire de la théologie et de l’Église. Dès la formation de la Faculté de Montauban, on lui offre une chaire. De tous côtés, on lui demande d’accepter. Des pourparlers délicats s’engagent au sujet du choix des nouveaux professeurs. Sur ces entrefaites, Encontre est nommé doyen de la Faculté des sciences de Montpellier. Son hésitation est très grande à ce moment ; finalement, il semble se décider pour Montauban, par fidélité à l’Église. On lui donne la chaire de philosophie ; le décret paraît même le 5 septembre 1809. Mais ses amis de Montpellier veulent à toute force le retenir ; on tente auprès de lui, auprès des pouvoirs publics, toutes sortes de démarches. Une véritable lutte s’engage autour de sa personne. Encontre finit par s’en remettre à la volonté du grand maître de l’Université, Fontanes ; celui-ci, circonvenu par les Montpelliérains, maintient Encontre à la Faculté des sciences.

C’est une vraie désolation pour Montauban. Le président du consistoire, Méjanel (celui qui fut plus tard pasteur à Genève, puis agent de la Société continentale), écrit une lettre désespérée, disant que la Faculté a perdu son ange tutélaire. Les consistoires de Montauban, de Toulouse, ceux de l’Ariège et des Pyrénées tentent un suprême effort ; mais la situation était définitivement réglée, au moins pour quelque temps.

Pendant les années qui suivent, Encontre s’occupe de la réorganisation de l’Église, envoyant une note à Rabaut-Pommier, qui la remet à l’inspecteur Pictet, qui lui-même la donne à Lacépède, archi-chancelier et ministre d’État. Plus tard, en 1814, il réclame le rétablissement des synodes, souhaite la réunion des deux Églises réformée et luthérienne, va même jusqu’à demander pour notre Église une constitution épiscopale.

Dans le courant de cette année 1814, le 2 août, l’assemblée des présidents, pasteurs et anciens, réunis à Montauban pour la consécration des candidats, arrête un projet de réorganisation des Églises réformées, projet dans lequel était introduite, entre autres choses, l’institution d’inspecteurs ecclésiastiques. La plupart des consistoires consultés repoussent cette innovation ; puis surviennent les Cent Jours ; et les événements politiques, les changements de gouvernement ont vite fait de balayer tous ces plans. Mais l’heure approchait où Daniel Encontre allait jouer un véritable rôle dans les destinées de l’Église et entrer dans cette Faculté où l’on désirait si ardemment sa nomination. Il n’avait d’ailleurs jamais cessé de s’intéresser à tout ce qui la concernait, et avait su lui prouver son attachement en intervenant dans deux circonstances graves.

La première fut l’affaire du professeur Combes-Dounous. C’était un lettré d’une érudition remarquable, un des hellénistes les plus distingués de l’époque ; malheureusement il était absolument sceptique à l’égard du christianisme ; pour lui, le christianisme n’était qu’un produit de l’hellénisme et du judaïsme ; au premier, il avait emprunté les idées, au second les mythes. Cette théorie était exposée dans un Essai historique sur Platon. Aussi, dès que sa nomination à Montauban eut été signée par le grand maître de l’Université, les pasteurs de Nîmes écrivirent-ils au professeur une lettre où ils faisaient appel à sa loyauté et à son honneur, lui demandant s’il se trouverait à sa place dans une Faculté de théologie. Fût-ce ce scrupule qui le décida, ou toute autre raison, toujours est-il que Combes-Dounous n’accepta pas de chaire à Montauban.

Mais encore fallait-il laisser sans réponse l’Essai historique sur Platon ? Encontre ne le pensa pas, et dans une lettre restée fameuse, il réfuta les arguments du détracteur du christianisme (1811).

La seconde occasion dans laquelle Encontre s’occupa des intérêts de la Faculté fut l’affaire d’Esaïe Gasc ; il écrivit le 29 novembre 1812 au professeur incriminé une lettre célèbre dans laquelle il le suppliait de reconnaître ses torts et de modifier sa théologie dans l’intérêt de la paix de l’Église ; de plus, il était en correspondance avec les pasteurs de Genève que l’on priait d’agir auprès de Gasc, avec les Églises du Midi, pour les presser d’envoyer leurs protestations, puis avec l’inspecteur général des Universités, Pictet, pour s’étonner du revirement produit à Genève en faveur de Gasc. Après la conclusion de l’incident, il écrivit à Vaucher, de Genève, une sorte de mémoire justificatif de sa conduite et de celle de ses amis.

La mort de Gasc, en octobre 1813, laissait une chaire vacante : on pensa aussitôt à Encontre. Des pourparlers analogues à ceux de 1809 eurent lieu ; divers noms furent mis en avant, entre autres celui de Samuel Vincent. Mais tout dépendait de la réponse d’Encontre : s’il acceptait, sa nomination était certaine. Cette fois les circonstances n’étaient plus celles de 1809, la situation était grave, des débats dogmatiques venaient d’avoir lieu ; Encontre comprit que c’était un devoir pour lui d’aller à Montauban ; il répondit donc affirmativement aux propositions qui lui étaient faites, et le 19 juillet 1814 fut nommé professeur de dogme.

Dix-huit mois après sa nomination, il fut appelé au décanat, à la place de Frossard qu’on relevait de cette fonction, pour diverses raisons politiques ou ecclésiastiquesm.

m – Voir article Frossard de l’Encyclopédie des sciences religieuses.

Encontre n’accepta qu’à son corps défendant, déplorant de prendre ainsi la place d’un collègue qui avait rendu de si grands services à la Faculté ; dans la cérémonie d’installation du nouveau doyen (6 février 1816), celui-ci fit le plus grand éloge de son prédécesseur et insista sur sa propre insuffisance pour lui succéder.

Cependant le passage d’Encontre au décanat devait être signalé par d’heureuses innovations ; d’abord il exigea le baccalauréat ès lettres et le baccalauréat en théologie pour les futurs pasteurs ; en réalité, la loi de germinal ne demandait qu’un certificat d’études, capacité et bonnes mœurs, délivré par le séminaire, tandis que le décret du 17 mars 1808, qui accordait aux protestants une Faculté de théologie, prescrivait l’obtention des deux baccalauréats pour l’exercice du ministère. Encontre fit cesser cette contradiction en obtenant des pouvoirs publics la mise en vigueur sur ce point du décret du 17 mars 1808. La conséquence fut que le niveau des études se releva sensiblement.

Une seconde réforme opérée par Encontre touche à la question de moralité et de sérieux des étudiants ; nous en avons dit déjà quelques mots : il faut ajouter que la résistance des étudiants fut telle, que le doyen donna sa démission plutôt que de céder. Le préfet fut obligé d’intervenir, les rebelles se soumirent et sur les sollicitations du préfet, Encontre consentit à retirer sa démission.

Cependant ce n’était pas seulement sous le rapport des mœurs que les étudiants donnaient peu de satisfaction au doyen. Dans un Rapport sur la discipline et l’état des études pendant le premier trimestre 1816-1817, nous voyons qu’ils sont « faibles dans les langues anciennes, plus faibles dans la philosophie, presque nuls dans la théologie et dans la critique sacrée. » Il s’agit là des étudiants venus de Genève, donc de ceux qu’on pouvait regarder comme les plus avancés.

Mais si Encontre était ainsi sévère et exigeant pour les études et le sérieux de la vie, cela ne veut point dire qu’il n’eût pas de sollicitude et d’affectueux intérêt pour ses élèves. Un jour, par exemple, il fait de vifs reproches aux membres du consistoire, à cause de leur négligence dédaigneuse à l’égard des étudiants qui prêchent pour rendre service aux pasteurs, et à qui on n’offre pas même un verre d’eau pour se rafraîchir !

Il organisa un plan d’études pour alléger le travail de chaque jour ; on n’aurait, il est vrai, qu’un mois de vacances au lieu de trois, mais les leçons seraient moins nombreuses…

Dans l’Église, Encontre continuait à jouer un rôle actif ; il restait en correspondance suivie avec nombre de pasteurs, était consulté sur des cas difficiles, s’occupait de la réédition de la Bible de Martin, s’intéressait à tout ce qui, de près ou de loin, pouvait contribuer au progrès de l’Évangile.

Ce savant illustre, dont Foureroy disait « qu’il avait trouvé en France deux ou trois têtes pareilles à la sienne, aucune qui lui fût supérieure », était, en même temps, le plus humble des chrétiens. Il fut en relations intimes avec les Moraves. Leurs conférences pastorales témoignent de la plus vive sympathie à son endroit, et Gachon parle quelque part de la joie que ses lettres leur donnaientn. Ses meilleurs amis sont les pasteurs fidèles de l’Église, Lissignol, Bonnard, Gachon ; en Angleterre, sa nomination à Montauban est vivement appréciée ; on la considère comme un sérieux succès pour l’avancement du règne de Dieu. Lorsque Haldane vient à Montauban, leurs rapports sont très fraternels, malgré quelques divergences théologiques. Encontre publia, dans les Archives du christianisme (février 1818) un article sur l’ouvrage du pieux Ecossais : Emmanuel ou vues scripturaires sur Jésus-Christ ; il en recommandait la lecture, tout en contestant sa valeur scientifique.

n – Bourchemin, op. cit., p. 81.

Dans le même journal (mars 1818), nous trouvons des extraits d’un sermon qu’il prononça en 1816 (qui fut traduit en anglais), et où il dépeignait le caractère du vrai et du faux pasteur, avec une vigueur qui ne put qu’émouvoir ses jeunes auditeurs.

Ce fut lui qui introduisit l’usage du culte qui est célébré tous les matins à la Faculté dans l’auditoire.

Nous avons enfin une prière qu’il écrivit dans un des moments les plus pénibles de sa carrière, lorsqu’il songeait à donner sa démission de doyen ; elle nous en apprend davantage sur l’histoire intime de cette âme que ne le feraient beaucoup de témoignages extérieurs. On croirait lire l’acte de consécration d’Oberlin : il y a même des phrases qui sont absolument identiques :

« O Dieu béni éternellement ! C’est avec la plus profonde humilité et en me rabaissant jusque dans la poussière, que je me prosterne aux pieds de ta majesté souveraine. Je reconnais, Seigneur, combien un coupable vermisseau de terre tel que je suis est indigne de paraître en ton adorable présence, surtout dans la vue de traiter alliance avec toi, ô Roi des rois, et Seigneur des seigneurs ! Mais c’est toi-même qui as daigné former le plan de cette alliance. C’est ta miséricorde qui nous l’a communiquée par l’entremise de ton propre Fils et c’est ta grâce qui a disposé mon cœur à le recevoir. Je viens à toi confessant que j’ai été et que je suis encore un ouvrier d’iniquité, frappant ma poitrine, et disant avec l’humble péager : O Dieu ! sois apaisé envers moi qui suis pécheur ! Je viens, invité par ton cher Fils et me confiant uniquement en sa parfaite justice, te supplier de me pardonner mes offenses pour l’amour de lui et de ne plus te souvenir de mes transgressions. Veuille recevoir en grâce ta créature rebelle qui connaît les droits sacrés que tu as sur elle et qui ne désire rien tant que de t’appartenir.

C’est aussi solennellement qu’il m’est possible que je me donne aujourd’hui à toi. Je renonce aux autres maîtres qui me tyrannisent. Je te consacre les facultés de mon esprit, les affections de mon cœur, les membres de mon corps, mes biens temporels, le temps que j’ai encore à passer sur la terre, tout ce que je suis, tout ce que je possède, et je ne souhaite, ou du moins je ne veux souhaiter de vivre que pour obéir à tes commandements. Accepte la résolution que je forme d’être à toi dès maintenant et à jamais.

J’acquiesce à toutes les dispensations de ta miséricordieuse providence. Dispose, Seigneur, de ma personne et de tout ce que je puis appeler mien, selon que ton infinie sagesse le jugera plus convenable à l’avancement de ton règne.

Je remets avec confiance mon sort entre tes mains paternelles, disant du cœur comme de la bouche : Non point ce que je veux, mais ce que tu veux, et me réjouissant d’être soumis avec tout l’univers à un empire qui doit faire la consolation et le bonheur de toutes les créatures intelligentes.

Je te supplie, ô Dieu ! de me rendre capable de te glorifier ici-bas. Regarde-moi comme faisant partie de ton peuple particulier. Lave mes péchés dans le sang de ton Fils. Revêts-moi de sa parfaite justice. Transforme-moi de plus en plus à son image. Répands sur moi, par lui, les dons si nécessaires de son esprit de sainteté, de sagesse, de force, de joie et comme mon Dieu et mon Père, fais-moi la grâce de passer le reste de ma vie sous ta conduite et à la clarté de ta face.

Lorsque l’heure de mon départ viendra et que toutes mes espérances et mes joies terrestres s’évanouiront, puissé-je me souvenir de ton alliance bien établie et assurée comme étant mon salut et tout mon plaisir. Daigne aussi t’en souvenir, Seigneur ! Jette, ô mon Père céleste, un regard de compassion sur ton enfant abattu et expirant ! Que ta droite puissante me soutienne. Remplis de force et de confiance mon âme prête à quitter sa prison ! Et reçois-la dans l’heureux séjour qu’habitent ceux qui dorment en Jésus pour y attendre en paix l’accomplissement de la grande promesse que tu as faite à tous tes enfants : savoir leur résurrection glorieuse et une félicité éternelle en ton adorable présence. Enfin, si ce mémorial des engagements solennels que j’ai contractés avec toi tombe après ma mort entre les mains de mes amis, puisse t-il les porter à l’adopter eux-mêmes, et veuille leur faire part de tous les bénéfices de ton alliance par Jésus qui en est le grand médiateur, auquel, comme à toi, ô Père ! et à ton Saint-Esprit, louanges immortelles soient rendues par toutes les âmes que tu auras ainsi rachetées et par toutes les intelligences célestes, au bonheur et aux occupations desquelles tu daigneras les associer. Amen.

Renouvelé à Montauban, en la sainte présence du Seigneur, aux pieds duquel je signe cet acte.

Ce 9 mars 1819,

Signé : D. Encontre.o »

o – Bourchemin, op. cit., p. 245 et suiv.

Que n’aurait pas pu faire un tel chrétien pour l’avancement spirituel des étudiants et le bien de l’Église ! Mais sa brillante carrière allait être arrêtée par la maladie et bientôt brisée par la mort.

Sa constitution, qui ne fut jamais bien robuste, avait été minée par les préoccupations et les soucis de tout genre. Dans le courant de l’année 1818, il quitta Montauban pour aller chercher à Montpellier un air plus favorable à sa santé ruinée. Quatre mois de souffrances précédèrent pour lui la fin, qui arriva le 16 septembre 1818. Ce fut une catastrophe pour la Faculté et pour l’Églisep ; les professeurs et les étudiants prirent le deuil, et leur seule consolation fut de voir le fils de Daniel Encontre, Pierre-Antoine Encontre, occuper la chaire de belles-lettres latines et grecques, où il avait été installé dès 1816.

p – Voir : Ode sur la mort de M. Encontre (Archives du Christianisme, septembre 1818, p. 421).

Après la mort d’Encontre et jusque vers 1830, nous ne trouvons, dans l’histoire de la Faculté de Montauban, aucun fait particulièrement intéressant au point de vue religieux. En 1828, un arrêté modifia encore l’organisation universitaire de la Faculté. Dans le courant de la même année, le septième rapport de la Commission consistoriale de Montauban relative à la Faculté de théologie, fut publié et envoyé aux Églises. La conduite des étudiants, qui étaient fort nombreux (147), n’avait pas dû beaucoup se modifier, puisqu’il y est dit : « Nous prions qu’on informe les parents de tous les jeunes gens qu’on envoie à la Faculté, qu’en vertu d’un arrêté de notre grand-maître, du 22 janvier dernier, nos étudiants ne peuvent plus paraître en public qu’en habit noir. Il est bien expliqué que toutes les parties de l’habillement, quelle qu’en soit la forme, pourvu qu’elle soit décente, doivent être de couleur noire, et que ce vêtement doit être porté toutes les fois que l’élève sort de la maison où il loge, et dans les auditoires qui sont censés lieux publics. La cravate doit être noire pour l’ordinaire ; la blanche est permise quand on s’habille plus proprement ; celles de toute autre couleur sont interdites. — Ce costume, sagement prescrit à nos élèves, doit être assez imposant pour leur inspirer une sorte de retenue, et assez distinctif pour que ceux dont le devoir est de les surveiller puissent les suivre en quelque sorte de l’œil et les reconnaître plus aisément dans le monde. Son principal objet est de les empêcher de fréquenter les cafés, les spectacles et autres réunions peu conformes à leur état. Comme, en le portant, ils professent aux yeux du public à quelle sainte vocation ils aspirent, ils doivent aussi manifester, sans affectation et sans hypocrisie, un caractère honnête et modeste, en harmonie avec cette honorable professionq. »

qArchives, 1er octobre 1828, p. 468.

Quelle devait donc être la situation à laquelle voulaient remédier un pareil règlement et de pareils moyens !

D’ailleurs, un ouvrage que nous avons eu déjà l’occasion de citer ne nous donne pas une haute idée de ce qu’était alors la Faculté, et explique jusqu’à un certain point ce qui nous étonnerait dans le règlement de 1828r.

r – Martin-Dupont, Mes impressions, p. 109 et suiv.

Il faut aller jusqu’aux années 1834 et suivantes pour trouver vraiment les beaux jours de la Faculté, avec des professeurs qui s’appelleront Jalaguier, Adolphe Monod, de Félice, et avec des étudiants dont la vocation, née sous l’influence du Réveil, viendra s’affermir et s’éclairer aux leçons de pareils maîtres.

En résumé, il ne s’est pas produit, à la Faculté de Montauban, de mouvement semblable à celui qui, agita la Faculté de Genève.

Et pourtant la cause du Réveil était bien plaidée à Montauban par Bonnard, par Encontre, par Marzials !

S’il ne se produisit pas, malgré ces circonstances favorables et ces pieux désirs, c’est qu’en réalité l’homme n’est pas le maître de réveiller et de sauver les âmes : c’est l’Esprit qui souffle où il veut, parfois en déroutant nos calculs, souvent en dépassant nos espérances.

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