Le Réveil dans l’Église Réformée

2.1.4 Quelques pasteurs fidèles.

Gachon. — Lissignol. — Marzials. — André Blanc. — Bonifas. — Soulier. — Chabrand. — Rollin, etc. — Leurs relations avec les Moraves. — Les quakers français.

Il est temps d’en arriver à cette pléiade de pasteurs fidèles, dont nous avons parfois cité les noms au cours de cette histoire, et qui, au dire des hommes du Réveil eux-mêmes, ont été, dans les temps d’indifférence et de sommeil spirituel, le sel de notre Église. On pourrait appliquer à leur ministère ce que Félix Neff disait dans une de ses lettres : « Si l’on voulait combler un lac, ou seulement pratiquer une digue ou une chaussée pour pouvoir le traverser, on y jetterait des pierres pendant longtemps avant de rien connaître de ce travail ; et plusieurs des ouvriers pourraient mourir ou quitter l’ouvrage avant qu’on vît rien sortir de l’eau. Cependant, n’auraient-ils rien fait ? Et, bien qu’on ne voie pas les matériaux qu’ils ont apportés, ne sont-ils pas aussi nécessaires que ceux qui sortent au-dessus de l’eau et forment le chemin ? Ainsi en est-il de l’œuvre de Dieu : c’est un grand abîme que celui de l’incrédulité et de la corruption du monde ; on peut pendant bien longtemps y jeter force paroles, force livres, force prières et force supplications sans que rien paraisse ; et cependant rien n’est perdu. Quand nous mourrions avant de rien voir sortir, nous n’en aurions pas moins travaillé utilement ; ceux qui viendront après nous entreront dans notre travail, et, au grand jour des rétributions, ceux qui auront moissonné et ceux qui auront semé auront ensemble de la joiea. »

a – Félix Neff, Lettres, Il p. 182-183.

Parmi ces humbles serviteurs de Dieu, il faut nommer d’abord André Gachon.

Jean-André Gachon était né à Marsillargues, le 17 mai 1766b. Mort dans la soixante-treizième année de son âge, et dans la cinquante-deuxième de son ministère, il appartenait à la génération de pasteurs qui se rattache à celle des pasteurs sous la croix. Son grand-père, le pasteur Clary, fut condamné au dernier supplice et se sauva par une de ces dispensations providentielles dont l’histoire du temps offre de si remarquables exemples. Gachon père, qui est mort pasteur à Nîmes, après avoir vu des jours plus heureux, fut souvent accompagné et secondé par son fils dans les assemblées du désertc.

b – Nous empruntons ces détails à l’article nécrologique publié sur Gachon par les Archives du christianisme (1839, p. 17-20).

c – Voir ce que nous avons dit de sa conduite pendant la Terreur.

Destiné au ministère évangélique, le jeune Gachon fit ses études, partie à Genève, partie à Lausanne. Il avait alors dix-huit ans, et, à cet âge où l’âme se laisse si facilement envahir par le goût des frivolités et par l’influence des passions, à une époque où un christianisme philosophique avait remplacé jusque dans la chaire le christianisme biblique, André Gachon devint sérieux, profondément chrétien, et revêtit les dispositions qui ont fait pendant toute sa vie le fonds de son caractère. Ayant distingué dans le cercle de ses relations un jeune homme de mœurs douces, d’une piété solide et sans affectation, rempli d’amour pour le Sauveur, il se lia particulièrement avec lui, et, par son moyen, avec la réunion de Moraves établie à Genève et à laquelle appartenait ce jeune chrétien. Telle fut l’origine des relations étroites que Gachon a soutenues avec les frères de l’Unité évangélique, et telle fut, dans les mains du Seigneur qui dirige tout, la cause de son réveil religieux et du caractère de sa vie chrétienne, où dominèrent constamment ces trois dispositions : simplicité, humilité, charité. Nourri de la lecture des classiques grecs et latins, orné des dons de l’imagination et du goût, il eut un penchant décidé pour la littérature, et il serait certainement devenu un prédicateur éloquent, dans le sens le plus étendu de ce mot, s’il n’eût considéré que cela aussi est une vanité.

Toutefois sa prédication n’en était pas moins pleine d’intérêt et de vie, et distinguée par ce caractère d’originalité que portent les compositions de talent.

André Gachon fut successivement suffragant ou pasteur dans les églises de Vallon, de Nages, de Codognan, dans celle de Saint-Hippolyte, qu’il a évangélisée pendant vingt ans, et dans celle de Mazères, où il mourut après vingt-deux ans de service. Pendant ce long cours d’un ministère dont il remplit tous les devoirs avec une inaltérable fidélité, il employait à la prière, à la lecture et à la méditation tous les moments qui lui restaient dans la journée, après l’exercice des fonctions pastorales et l’éducation de quelques élèves qui lui étaient confiés, et dont plusieurs occupèrent un rang distingué parmi les pasteurs français ou dans d’autres vocations. L’intimité seule a connu, parce qu’il était trop humble pour les faire connaître lui-même, ses études, ses travaux exégétiques et théologiques. Il lisait la plume à la main, et il consignait dans ses recueils, sous le titre de Succus theologicus ex variis auctoribus depromptus, et sous la forme soit d’aphorismes, soit de pensées détachées, soit de remarques et d’observations, tant ses propres réflexions que les idées des auteurs dont il faisait son étude.

Cependant ce mérite qui s’ignorait lui-même, cette érudition théologique dont les intimes amis de Gachon avaient seuls le secret, fut mise en lumière dans une circonstance remarquable. La chaire de théologie, vacante dans la Faculté de Montauban par le décès de Daniel Encontre, devait être donnée au concours. Vivement pressé par ses amis, Gachon surmonta ses répugnances, et il vint, lui, l’homme humble, disputer cette chaire contre un jeune compétiteur, M. Alard, avec lequel il partagea les suffrages des huit juges du concours. Cette lutte fit connaître Gachon sous d’autres rapports que celui d’une foi simple et d’une douce piété. Une tâche à huis-clos écrite dans une élégante latinité, ses leçons sur le dogme de la Providence, traité philosophiquement d’après les idées de Leibnitz, et théologiquement d’après la Bible, ses leçons d’exégèse sur le Psaume 22, où, en discutant le texte hébreu, il sut associer des détails pleins d’édification aux élucidations de la critique, toutes ces différentes épreuves montrèrent au public religieux, comme aux juges du concours, que Gachon n’était pas moins propre à l’enseignement de la théologie qu’à la prédication de la Parole de Dieu ; et ce résultat confirmait ce que Daniel Encontre disait familièrement à quelques amis : « Nous avons un maître en théologie, c’est le frère Gachond. »

d – Ce fut pourtant son compétiteur qui fut nommé.

Après ce concours, si honorable pour lui, Gachon revint dans l’Église de Mazères reprendre ses travaux de prédilection, et il les continua paisiblement jusqu’à ce que Dieu le prit dans son repos, le 29 décembre 1838.

[Le même article, qui est une relation de ses funérailles, contient l’hommage qui fui rendu par ses collègues au pasteur défunt, particulièrement à sa foi, à son esprit de prière, à son humilité, à sa charité chrétienne. Voir aussi Encyclopédie des sciences religieuses, art. Gachon.]

Cette piété de Gachon, ce zèle pour l’avancement du règne de Dieu, étaient appréciés par tous ceux qui avaient des relations avec lui ou qui avaient entendu parler de son œuvre. Guers, par exemple, donnant des détails sur l’instituteur Coulin, reconnaît qu’il avait été amené à l’Évangile lors de son séjour à Saint-Hippolyte, en 1808, par le ministère du pasteur Gachon, « de bienheureuse mémoire, » et qu’il avait là appris à connaître et à aimer les frères moraves, à qui Gachon lui-même était profondément attaché ; et, un peu plus loin : « Coulin s’achemina, en 1820, vers le midi de la France : il visita de nouveau, le cœur plein de joie, ces mêmes lieux où il avait appris à connaître le Seigneur et exercé pendant sept ans les fonctions d’instituteur primaire, sous le pastorat de l’excellent André Gachon, l’un des hommes les plus vénérables du protestantisme français : il y rendit témoignage à la vérité, tant du haut des chaires que dans les maisons particulières. C’était le temps où le digne Boissier, de Boissières, allait visiter les petits troupeaux naissants et encourager les âmes réveillées dans le Gard, et où Charles Cook y débutait dans la prédication de l’Évangile, avec ce zèle et ce dévouement tout apostoliques qu’il devait déployer en tant de lieux jusqu’à la fin de sa carrièree. »

e – Guers, Le premier Réveil, p. 249, 251.

Dans l’Appendice du même ouvrage. Guers transcrit un cantique inédit de Gachon, dans lequel sont dépeintes en de touchants accents la misère du pécheur et sa réconciliation avec Dieu par le sang de la croixf.

fIbid., p. 367.

Henri Pyt témoignait aussi la plus grande confiance à Gachon. Au cours d’un voyage qu’il fit dans l’Ariège, il eut l’occasion de le voir : « A Mazères, dit-il, le cher frère Gachon croît en grâce à mesure qu’il croît en âge ; il entend par expérience le plan du salut : que d’édification j’ai reçue de lui en l’entendant donner essor au sentiment qu’il a de la grâce du Seigneur ! Nul pasteur en France ne comprend aussi bien la doctrine de la justification par la foi ; il en parle comme Luther ; cependant, les fruits de sa prédication sont encore en germe ; mais un si fidèle disciple du Sauveur, un sarment si uni au cep, ne saurait demeurer sans fruit. Il exerce une heureuse influence sur quelques jeunes étudiants, qui garderont, je l’espère, malgré leurs études théologiques, malgré la Faculté, quelques impressions béniesg. »

g – Guers, Vie de Pyt, p. 152-153.

De semblables appréciations se trouvent encore dans la biographie de Robert Haldaneh, dans celle de Charles Cooki, etc.

hRobert et James Haldane, t. II, p. 73.

iVie de C. Cook, p. 60, 63.

Evidemment, de pareils témoignages, rendus par les hommes du Réveil, ne sont pas suspects et corroborent les jugements portés sur Gachon par ses compatriotes ou ses collègues dans le ministère.

A côté de Gachon, nous trouvons son ami, le pasteur Marzials, de Montauban ; il avait été l’un des premiers chrétiens qui se vouèrent au ministère au sortir des temps de désorganisation religieuse de la Révolution. Après avoir été pasteur dans plusieurs églises, il fut appelé à Montauban en 1816 ; nous avons eu l’occasion de parler de ses relations avec Encontre et Bonnard, de l’accueil qu’il fit à Haldane, de son zèle pour l’œuvre du Réveil. M. le professeur Pédézert caractérisa, le jour de ses obsèques, son ministère par ces simples paroles : « Il était pasteur comme il était homme ; il a prêché en tout temps et pendant tout son temps : aussi, entouré de ses enfants et petits-enfants, s’est-il éteint en priant, en bénissant et en espérantj. »

j – Voir le journal L’Evangéliste, 1861, p. 76 ; le journal L’Espérance, 1861, p. 100

Chabrand, de Toulouse, fut aussi un vrai précurseur du Réveil. Charles Cook parle de lui comme d’un fidèle serviteur de Dieuk. L’intérêt qu’il portait à l’œuvre des missions, au développement des écoles du dimanche, et à tout ce qui pouvait, directement ou indirectement, contribuer à l’avancement du règne de Dieu, confirment cette appréciation formulée sur Chabrand par le biographe d’Haldane : « C’était une lumière brillante dans un lieu obscur. » Chabrand eut d’ailleurs avec Haldane des rapports fréquents et pleins de cordialitél.

kVie de C. Cook, p. 58-59.

lRobert et James Haldane, t. II, p. 75.

Un de leurs dignes compagnons d’œuvre était Lissignol, de Montpellier. Nous avons eu plusieurs fois l’occasion de le nommer dans les pages qui précèdent et nous ne saurions mieux résumer son activité qu’en citant la notice nécrologique que les Archives du christianisme lui consacrèrent :

« Cette mort est une grande perte pour l’église de Christ, et en particulier pour celle de Montpellier, que M. Lissignol a desservie et édifiée pendant plus de quarante-deux ans. Il laisse sa famille et ses amis dans une profonde affliction. Cette affliction sera bien adoucie pour sa famille par les espérances qui ont soutenu et consolé notre cher frère, dans sa cruelle maladie et à sa dernière heure. Il a servi avec fidélité son Maître pendant un long ministère, qui a été béni pour bien des âmes qu’il a vu déloger dans la paix du Seigneur et avec l’assurance de leur réconciliation avec Dieu par le sang de la croix. Les regrets qui suivent dans sa tombe ce vénéré pasteur sont partagés par tous les membres du troupeau qu’il a nourri de la Parole sainte. Ils le seront aussi au loin, partout où son nom était connu ; partout il comptait de nombreux amis. Les regrets et l’estime dont il jouissait dans son Église ont été manifestés hier, jour de son ensevelissement, par un immense concours de personnes qui accompagnaient sa dépouille mortelle à son lieu de repos. Sa mémoire ne s’effacera pas de longtemps. Il laisse des souvenirs précieux et des fruits bénis de son ministère. Que Dieu fasse croître la semence que son serviteur a abondamment répandue ! Il a combattu le bon combat, il a achevé sa course, il a gardé la foi, il recevra la couronne de justice que le Seigneur juste juge donnera à tous ceux qui auront aimé son avènementm. »

mArchives du christianisme, 12 janvier 1852. Voir aussi, dans Archives, 1828, p. 80, l’appréciation du sermon de Lissignol : Les fruits de notre communion avec Christ.

Tout à fait dans les premières années du siècle, il faut citer le pasteur Gonthier, qui exerça son ministère à Nîmes de 1805 à 1812. « Il était remarquable par sa douce et persuasive éloquence, par la grâce de son esprit et par l’extraordinaire richesse de son cœurn. » On l’a quelquefois comparé à Fénelon. Il est surtout connu par les ouvrages d’édification qu’il a laissés à l’Église (Lectures chrétiennes ; Mélanges évangéliques ; Lettres chrétiennes, etc.)

nEncyclopédie des sciences religieuses, art. Gonthier. Voir aussi de Montet, Dictionnaire des Genevois et des Vaudois ; Archives du christianisme, 1834 ; Bibliothèque universelle, 1861 ; Borrel, Histoire de l’Église chrétienne réformée de Nîmes. Nîmes, 1844, p. 234 et suiv.

Et à côté de Gonthier, mentionnons aussi Adrien Soulier, l’ancien pasteur des Vans, de Saint-Jean-de-Marvéjols et d’Uzès, qui, après la tourmente révolutionnaire, était allé se fixer à Paris, et avait, de concert avec les pasteurs Marron, Monod père et Rabaut, fondé l’Agence ecclésiastique, sorte de bureau de correspondance destiné à assurer l’exécution des lois, décrets et arrêtés concernant notre Église. Beaucoup d’Églises lui durent l’érection de leur temple et l’augmentation du nombre de leurs pasteurs. Adrien Soulier fut un des fondateurs des Archives du christianisme, et participa à la création de toutes les sociétés religieuses qui se fondèrent alors à Paris. En 1830, il se retira à Milhaud (Gard), où il vécut encore douze ans, rendant témoignage au Sauveur et heureux de seconder ses collègues de Nîmes, en mettant ses dernières forces au service du Maîtreo.

o – Voir Borrel, op. cit., p. 330 et suiv. — Archives du christianisme, 1843, p. 22.

Dans l’Isère, André Blanc, l’ami et le collègue de Félix Neff à Mens, prit sa part de tous les travaux et de toutes les joies qui signalèrent dans cette ville le ministère du pieux évangéliste. C’est encore dans une notice nécrologique que nous trouvons quelques détails concernant son œuvre.

« L’Église de Mens, les Églises de l’Isère, sont dans un deuil profond : M. le pasteur Blanc, président du Consistoire, vient de succomber, au bout d’un mois environ, aux suites d’une attaque de paralysie. Au deuil des Églises de l’Isère s’associeront, nous en sommes convaincus, tous ceux qui ont eu le bonheur de connaître M. Blanc ou d’avoir des rapports avec lui ; et si toutes nos Églises l’avaient connu de près, elles partageraient aussi la douleur de l’Église de Mens, sur une perte aussi grande et aussi prématurée. Quant au soussigné, qui a eu le bonheur d’être son collègue pendant près de vingt-cinq ans, qui a pu le voir à l’œuvre et le suivre de si près, qu’il lui soit permis de faire connaître, trop brièvement sans doute, quel pasteur Mens et l’Isère, quel homme l’Église viennent de perdre et quel modèle aussi les ministres de Christ !

M. le pasteur Blanc était certainement un de ces hommes rares, capables d’exercer une grande influence partout où ils sont, et qui, lorsque la crainte et l’amour de Dieu les animent, ne manquent jamais de faire un grand bien autour d’eux et dans le pays qu’ils habitent.

Si d’abord nous considérons M. Blanc comme homme public, capacité, intelligence remarquable des affaires, sagesse dans les conseils, fermeté, résolution unie à la prudence, activité prodigieuse, zèle, persévérance infatigable à poursuivre la réalisation de ses utiles projets et à accomplir tous ses devoirs publics, M. Blanc réunissait à un haut degré toutes ces qualités qui font les hommes distingués et les rendent utiles à la société. On peut dire qu’après que le bienheureux Neff eut été forcé par les circonstances de quitter Mens, M. Blanc sut continuer l’impulsion que ce fidèle missionnaire avait donnée à l’œuvre de Dieu dans ces contrées bénies, et qu’il sut marcher sur ses traces pour la gloire de son Maître et pour la cause de son Évangile. Il a provoqué ou appuyé et soutenu tout ce qui pouvait tendre au véritable avancement du règne de Dieu. Dans ce but, en particulier, il a doté non seulement le pays de Mens, mais nos Églises de France d’une école normale pour les instituteurs primaires, école dont il fut nommé directeur par le ministre de l’instruction publique, et où, de toutes les parties de la France, on envoyait des élèves. Dans ses fonctions de président du consistoire, M. Blanc n’avait peut-être pas son égal pour le zèle actif et paternel avec lequel il veillait aux intérêts de la consistoriale, qui embrasse toutes les petites Églises dispersées dans ce vaste département. Il a contribué à faire élever des temples dans tous les lieux où la population protestante le permettait, et il a fait sensiblement augmenter le nombre des pasteurs de la consistoriale. En ce qui concernait l’expédition des affaires, la réponse à toutes les lettres, la conduite, en un mot, de tout ce qui appartenait à sa charge de président, il était d’une activité, d’une ponctualité remarquables, et bien digne de servir de modèle à tous nos présidents. Outre les soins multiples que ses devoirs de président lui imposaient, surtout dans une telle consistoriale, une correspondance étendue (car on avait souvent recours à sa prudence, à son esprit de lumière et de discernement pour avoir son avis) venait ajouter encore à ses travaux de cabinet. A cet égard aussi, il était un modèle remarquable par l’empressement et la ponctualité avec lesquels il répondait à quiconque lui écrivait.

Sous le point de vue de ses travaux, dans l’intérêt de l’Église en général, tout le monde connaît le talent et le succès avec lesquels M. Blanc a défendu la cause de la Réformation et les doctrines de l’Église réformée contre les attaques de l’Église romaine qui commencèrent dans l’Isère par les accusations calomnieuses de missionnaires fanatiques qui étaient venus prêcher à Grenoble. J’ai entendu dans cette ville des catholiques appartenant au barreau, hommes habiles et instruits qui avaient lu les brochures de M. Blanc, me dire : « Il est certain qu’il est difficile aux prêtres de se mesurer avec un homme comme M. Blanc. » Mais ce n’est pas seulement l’Église qui pleure le serviteur de Dieu, zélé, pieux, dévoué à tousses devoirs, le ferme et habile défenseur de la Réformation, ses concitoyens, la commune, tout le pays regrettent profondément la perte prématurée de l’homme distingué qui, par son amour pour le bien public, par la lucidité de son jugement, par la sagesse de ses conseils s’était rendu précieux dans ces contrées, et s’était attiré la confiance et la haute estime de l’administration locale et du pays entier. Que de détails intéressants n’offrirait pas sur ce rapport une biographie plus complète que cette notice destinée au cadre étroit d’un journal ! Après avoir vu dans M. Blanc, l’homme public, le pasteur de l’Église, le citoyen plein d’influence, si nous cherchons en lui l’homme privé, le disciple de Christ, que de nobles et touchantes qualités se révèlent dans ce chrétien ! Quel zèle, quel empressement pour se rendre utile ! Qui pourrait compter les services qu’il a rendus, soit à ses paroissiens, soit aux habitants du pays, sans distinction de culte, au près et au loin.

Mais le trait le plus saillant et le plus aimable du caractère de M. Blanc, le trait aussi le plus intime et le plus caché, c’était son cœur d’ami. Jamais cœur ne fut plus aimant que le sien, ni plus touché de l’affection qu’on lui témoignait. Quel ami fidèle et sûr ! Oui, l’on pouvait compter sur une telle amitié, forte, dévouée à toute épreuve. Moi qui ai eu le bonheur de vivre avec lui dans l’intimité des rapports affectueux, moi qui ai connu tous les épanchements de ce cœur dans l’abandon d’une active correspondance, plus qu’aucun autre j’ai pu apprécier tout ce qu’il y avait de vie dans ce cœur, de dévouement touchant et admirable, je puis le dire, pour ses amis. Et moi qui ai eu le bonheur d’être son ami, j’ai plus fait que de l’apprendre par des lettres, j’ai plus d’une fois, et dans des occasions importantes, éprouvé la puissance de cette amitié généreuse, de cette amitié sublime. Que les lecteurs des Archives me pardonnent de me livrer ici à un témoignage qu’ils trouveront peut-être trop expansif et trop personnel. Il n’y a au fond rien ici qui ne puisse édifier, puisque je présente un modèle réel, et trop rare de nos jours, de la vraie amitié ; et d’un autre côté ce témoignage public, et dans une si douloureuse occasion, était un besoin pour mon cœurp… »

pArchives du christianisme il avril 1846. L’article est signé : C. Bonifas, professeur à la Faculté de théologie de Montauban.

L’auteur lui-même de cet article, César Bonifas, l’ancien auditeur d’Haldane à Genève, avait aussi demandé à Félix Neff de le remplacer à Grenoble pendant une absence qu’il avait à faire. Nous voyons sans cesse le nom de Bonifas revenir dans toutes les occasions où il est question des progrès de l’Évangile ; il assiste, par exemple, avec André Blanc, à cette conférence de 1829 à Lyon, où quelques chrétiens se concertèrent pour s’occuper d’évangélisation, et qui eut pour résultat la création de l’Institut du Bourg-de-Four.

Il devait être plus tard professeur à Montauban (1844) et y continuer, sous une autre forme, son ministère fidèle et bienfaisant.

Dans le Nord, nous trouvons Rollin, de Caen, qui accueille les wesleyens avec joie, et qui est heureux de les avoir pour auxiliairesq.

q – Voir Vie de C. Cook, p. 38 et suiv.

Et, à côté de tous ces serviteurs de Dieu, dont l’activité et le dévouement nous sont assez connus, que d’autres qui ne sont, pour ainsi dire, nommés qu’en passant, dans les ouvrages relatifs à cette époque, mais dont la piété et le zèle sont suffisamment caractérisés par les quelques mots qui leur sont consacrés.

C’est, par exemple, Vergé, de Saverdun, auprès duquel Pyt alla comme suffragant. Dès leur première rencontre, une véritable sympathie s’établit entre eux : « Nous nous embrassâmes, dit Pyt, comme de vieilles connaissances, et peu à peu mes idées devinrent moins sombres ; la simplicité et la franchise de ce frère me réjouissaientr. »

r – Guers, Vie de Pyt, p. 42.

Cook vient en 1819 dans le Midi. A Lourmarin il trouve le pasteur Lourde, et dit que c’est le premier pasteur vraiment converti qu’il ait encore rencontré dans l’Église réformée. « Je lui demandai, ajoute-t-il, s’il aimerait être aidé par un missionnaire méthodiste dans son Église ; à quoi il répondit qu’il en serait très reconnaissant. Je lui donnai une courte esquisse de nos doctrines qu’il parut approuver, et je lui dis qu’il obtiendrait peut-être un missionnaires. »

sVie de C. Cook, p. 53-54.

Il se trouva de même en communion d’idées avec Lissignol, Chabrand, Gachon, les deux pasteurs Martin (de Bordeaux), Boissier (de Boissières), Tachard (de Nîmes), Soulier (d’Anduze). Ce dernier, en particulier, s’associa de grand cœur à ses projets d’évangélisation et eut même à supporter à ce sujet quelques désagréments. Nous aurons à en reparler. Soulier était d’ailleurs positivement évangélique. On raconte qu’il était accusé par ses collègues de prêcher des « nouveautés. » Un jour, dans une réunion pastorale, à Lasalle, il occupait la chaire, et, après sa prédication, il se vit en butte toujours à ce même reproche. Il écouta patiemment les récriminations, puis dit simplement à ses collègues : « Le sermon que j’ai prêché n’est pas de moi. — Et de qui donc ? demandèrent-ils. — De notre pieux Drelincourt. » Et, en disant cela, il leur présenta le volume renfermant le discours textuel. Il n’y avait rien à répliquer.

Gardes, de Nîmes, fut aussi « l’un des amis les plus dévoués des méthodistest. »

t – Lelièvre, Vie de Rostan, p. 157, note.

Au milieu de son voyage dans le Midi, en 1819, Cook écrivait de Bordeaux la lettre suivante au Comité des missions de Londres, pour rendre compte de ses impressions et pour faire connaître l’état religieux du pays qu’il venait de traverser : « Un réveil religieux a commencé dans le midi de la France, et j’ai fait la connaissance des pasteurs qui en ont été les principaux instruments… M. Lissignol a fondé, en 1815, une Société de traités qui a publié 150 000 traités. M. Gachon a été pasteur dans l’Ariège, et on m’a assuré qu’il a été le moyen de la conversion de plus de trois cents personnes. Il y a dans le midi de la France au moins une douzaine de pasteurs qui prêchent la justification par la foi, et qui ont fait l’heureuse expérience de cette doctrineu. »

uVie de C. Cook, p. 60.

Le 4 novembre 1823 se tint à Montpellier la première Union pastorale réformée, dans le but de travailler au réveil et au relèvement de l’Église. Plusieurs pasteurs du Midi y assistaient, et on décida de se réunir tous les mois, de tenir les réunions alternativement chez chacun de ceux qui feraient partie de l’Union, et d’entendre une prédication par l’un des frères sur un sujet qui se rapporterait aux devoirs du pasteur. D’après l’ordre du jour généralement adopté, chacun devait parler de son expérience chrétienne et pastorale, de l’œuvre de Dieu dans les cœurs, faire connaître les faits qui témoignent de la puissance de l’Évangile dans les Églises ; on pouvait s’entretenir ensuite de quelque doctrine importante, et enfin des moyens à employer pour hâter l’avancement du règne de Dieuv.

vVie de C. Cook, p. 230-233.

Dans le récit, publié récemment, de l’activité dans le Gard, l’Aveyron et le Tarn, d’un évangéliste venu de Genève vers 1830w, nous trouvons aussi de nombreuses indications qui montrent que notre Église comptait encore un certain nombre de pasteurs fidèles. Sans revenir sur ceux que nous avons déjà nommés, nous y voyons que l’auteur a eu d’excellents rapports avec les pasteurs Béziès (de Saint-Jean-du-Gard), Laune (de Mialet), Pradel (de Puylaurens), Moziman (de Sablayrolles), Blanc et Castel (de Vabre), Bogue (de Lacaze), Chabal (de Saint-Agrève), etc. Tous ces serviteurs de Dieu accueillirent fraternellement l’évangéliste étranger et travaillèrent avec lui.

w – Reymond, Mes souvenirs. Lacaune (Tarn), 1891.

Et n’y en a-t-il pas d’autres dont les noms ne sont pas parvenus jusqu’à nous, mais dont le travail humble et persévérant apparaîtra aux yeux de tous quand viendra le grand jour des rétributions ? Ils ont, suivant la belle image de Félix Neff, jeté dans l’abîme de l’incrédulité force livres, force paroles, force prières, et qui sait si ce n’est pas grâce à leur foi et à leur vie que le Réveil de notre Église a été possible ? Qui sait même si, sans l’arrivée des chrétiens étrangers, le Réveil n’aurait pas eu lieu, comme cela se fût du reste produit à Genève dans des circonstances analogues ? Qui sait si ce Réveil n’aurait pas eu alors un caractère plus français, n’aurait pas moins prêté à des reproches que son origine, en apparence étrangère, lui a souvent attirés ?

« Nous ne devons pas méconnaître, dit un des historiens du réveil vaudois, l’influence que des éléments étrangers peuvent exercer sur la vie religieuse d’un peuple. L’histoire de l’établissement du christianisme est là pour nous instruire sur ce point. Le salut venant des Juifs, apporté par des Juifs aux Grecs et aux Latins, a démontré l’impuissance du génie naturel des peuples les plus civilisés et de la raison humaine en général pour arriver à la découverte de la vérité absolue. Voilà bien l’élément étranger, l’influence étrangère évidente et indispensable. Mais qu’un peuple devenu chrétien soit tombé dans un état de langueur spirituelle, de sommeil religieux, nous disons alors que l’élément étranger tout seul ne suffira pas pour le réveiller. C’est en lui-même, c’est dans son propre fonds que ce peuple doit retrouver cette vie qui semble disparue et éteinte. Le réveil d’un peuple, pour être réel, profond, durable, doit être conforme au génie national de ce peuple, à ce que nous pourrions appeler sa ligne spirituelle. Il en est de ceci comme d’un fleuve qui peut, sans inconvénient, grossir jusqu’à remplir tout son lit, mais qui ne déborde jamais sans laisser des traces funestes de son passage. Dans un réveil religieux, tout ce qui est étranger au génie national et aux traits généraux du caractère d’un peuple n’amène aucun résultat permanent ou ne produit que des effets fâcheux et regrettables. Il faudra donc que le fleuve rentre un jour ou l’autre dans son lit, pour qu’il ait toute son utilité. Ce qui est conforme à l’esprit national sera conservé : ce qui est étranger sera rejeté peu à peux. »

x – J. Cart, Histoire du mouvement religieux dans le canton de Vaud, 1798-1830, 6 vol., t. I., p. 78.

Cependant, quoique le Réveil français, considéré à ce point de vue, soit dû à des influences françaises, il ne faudrait pas passer sous silence l’action exercée sur lui, comme sur celui de Genève, par les Moraves.

Les Moraves ont soutenu, fortifié, souvent ranimé la foi de ces fidèles pasteurs dont nous venons de parler.

Leur intervention dans l’histoire de notre Église remonte jusqu’au milieu du dix-huitième siècle. Ils envoyèrent en 1737 et 1746 des missionnaires dans le midi et l’ouest de la France ; ils eurent des relations avec l’Église du Désert qu’ils contribuèrent à encourager. Plus tard encore, des évangélistes d’Herrnhut vinrent visiter notre Église, et ce fut alors qu’ils entrèrent en rapports avec Lissignol, Vergé, Gachon, Bonnard, Chabrand, etc.y.

y – Voir Revue chrétienne, 1er novembre 1891. Les premiers missionnaires moraves en France, par Daniel Benoit.

En 1806, Gachon, Dilly (de Lunel), Marzials (alors à Saint-Laurent d’Aigouze), Gautier (revenu de son apostasie), Bonnard (alors à Marsillargues), écrivirent à la communauté de Herrnhut une touchante lettre dans laquelle ils lui témoignaient une profonde affection chrétiennez.

z – D. Benoit, Du caractère huguenot et des transformations de la piété protestante. Rapport présente aux conférences de Montpellier en novembre 1891.

Gachon demanda pour Saint-Hippolyte un ouvrier morave, et de 1820 à 1870, il y a eu, presque sans interruption dans cette contrée, un évangéliste ou pasteur morave, prêchant dans beaucoup de temples du Gard, de l’Hérault, de la Lozère, etc. Le premier de ces évangélistes organisa à Saint-Hippolyte une Société fraternelle formée des hommes et des femmes converties par le ministère de Gachon et par le sien. Cette Société religieuse, petite Église dans la grande, a subsisté pendant un demi-siècle.

On comprend alors que dans certaines localités du Gard ou de la Lozère on donne encore le nom de morave comme sobriquet aux personnes pieusesa.

a – Voir Christianisme au 19e siècle, 24 décembre 1891. Quelques mots sur le premier Réveil, par C. Chante. Reymond, op. cit., p. 17, 61.

M. Borrel, parlant de l’arrivée des méthodistes à Nîmes en 1821 et de leurs premières tentatives d’évangélisation, remarque que les wesleyens trouvèrent surtout accès auprès de quelques âmes pieuses, lesquelles avaient depuis longtemps pris l’habitude de se réunir pour s’édifier ensemble.

« Ces réunions, ajoute-t-il, avaient été formées il y environ cent ans, par des membres des Églises des Frères Unis d’Allemagne, qui visitaient alors, comme ils le font encore à présent, les chrétiens d’Angleterre et de France pour les fortifier dans la foi au Seigneur Jésus. La simplicité et l’onction avec lesquelles ils annoncent Christ et Christ crucifié les rendent intéressants aux personnes qui cherchent la vie religieuse et pratique. Plusieurs chrétiens de Nîmes ont gardé un précieux souvenir du vénérable Boukman et du charitable Jacques Mérillat, qui sur la demande du doyen Encontre finit par se fixer à Montauban. Les réunions religieuses établies à Nîmes par ces Frères de l’Unité, ont subsisté à travers les orages de la révolution de 1789. A cette époque d’incrédulité, lorsque la multitude reniait Dieu et sa providence, sa parole était lue, ses louanges psalmodiées, et son nom invoqué par quelques âmes pieuses, qui le plus souvent se cachaient dans les caves pour se mettre à l’abri de la persécutionb. »

b – Borrel, Notice historique sur l’église de Nîmes, 1837, p. 166.

Samuel Vincent caractérise ainsi l’influence morave : « On vit paraître, de distance en distance, quelques hommes qui avaient puisé des croyances et surtout des émotions religieuses plus profondes dans les sociétés des frères moraves répandues en Allemagne. C’étaient en général des gens paisibles et inoffensifs, qui dogmatisaient peu, qui plaçaient la religion dans l’amour, surtout dans l’amour pour Jésus, qui se réunissaient en petit nombre, sans éclat, sans prétention, avec un prosélytisme très doux et très modéré, qui ne cessèrent jamais de se joindre au culte de notre Église, et qui n’affectèrent jamais d’en dire du mal. Dans leurs réunions, ils suivaient quelques-unes des formes du culte morave ; ils chantaient les cantiques de cette société, où le défaut le plus apparent est de faire parler à l’amour céleste le langage de l’amour sensuel, et de s’arrêter au médiateur, sans oser, ce semble, s’élever jusqu’au père. Beaucoup d’endroits ont possédé de telles sociétés sans en avoir connaissance, ou du moins sans en éprouver ni trouble, ni inquiétude. Le bien qu’elles produisaient était borné sans doute, mais il faut dire aussi que le mal, s’il y en avait, était à peu près nul, et le danger bien peu prochain. La secte était empreinte de l’esprit contemplatif et doux du pays qui l’avait vu naîtrec. »

cVues sur le protestantisme : méthodisme, p. 457.

On le voit, en France, comme à Genève, c’est aux Moraves qu’il faut faire remonter les premières influences qui provoquèrent le Réveil.

Si nous ne les avons pas classées parmi les influences étrangères, c’est que cette œuvre s’est tellement confondue avec celle des pasteurs nationaux, qu’il serait bien difficile de faire un départ équitable et rigoureux de ce qui est dû à chacun.

Mais nous ne devons pas moins garder à l’Église de l’Unité une sincère et chrétienne reconnaissance pour ce que ses évangélistes ont fait au milieu de notre peuple ; — reconnaissance d’autant plus profonde que leur œuvre a été la plupart du temps ignorée. Mais s’ils ont jeté la semence ou posé les fondements, leurs efforts ont été aussi nécessaires et aussi bénis que le fut le travail de ceux qui ont récolté la moisson ou construit l’édifice.

Enfin, parmi ces précurseurs du Réveil, il faut mentionner ceux qu’on a appelés les Quakers français. Nous trouvons quelques détails sur cette secte curieuse dans l’Histoire des sectes, de Grégoire : « Depuis près d’un siècle, il existe quelques familles de quakers, formant environ deux cents individus, dans le département du Gard, non loin de Nîmes, à Congénies, Saint-Ambroix, Saint-Gilles, et quelques autres villages de la Vaunage. Rabaut Saint-Etienne m’assurait que c’était un reste des fanatiques des Cévennes ; Boissy-d’Anglas était d’un avis contraire. Lequel a raison ? Il est permis de rester dans le doute, d’après cette divergence d’opinions de deux protestants du pays.

Il y a, dit-on, environ quatre-vingt-dix ans que deux femmes veuves, à Congénies, faisaient profession d’une espèce de quakérisme différent de celui d’aujourd’hui. Elles correspondaient avec quelques personnes des Cévennes, qui venaient de temps en temps les visiter. A leur tour, elles faisaient des courses fréquentes dans les villages circonvoisins, chez des personnes de leurs opinions. Une de ces veuves se mêlait de faire des prédictions qui lui procuraient quelque profit.

Il y a quatre-vingts ans, à peu près, que les protestants du voisinage s’étant réunis pour faire la Cène dans un lieu situé entre Junas, Aujargues et Sommières, cette assemblée fut dénoncée à l’autorité civile, et les protestants de Junas, Aubais et Congénies furent condamnés à une amende de 1500 fr. ; mais trois ou quatre chefs de familles de Congénies réclamèrent devant le subdélégué de Nîmes, en déclarant qu’ils n’allaient point aux assemblées ; dès lors s’opéra leur séparation, et ils furent désignés sous les noms de confiaires, poufaires, souffleurs ou trembleurs. Depuis environ trente ans ils n’ont fait aucun prosélyte. Il est remarquable qu’à cette dernière époque quelques calvinistes réunis à eux supportèrent avec beaucoup de patience les avanies et les huées qu’ils eurent à essuyer de la part des autres protestants.

Ces séparatistes, qu’on a depuis quelque temps appelés quakers, faisaient bénir leurs mariages par les curés, après avoir subi certaines épreuves ; ils faisaient également baptiser leurs enfants à l’Église, se soumettant à la loi, disaient-ils, par principe de conscience. Mais leur soumission était plutôt l’effet de la crainte que leur imprimaient les lois intolérantes du temps. Ces actes extérieurement religieux n’étaient à leurs yeux que des actes civils.

Avant que Louis XVI, par son édit de 1787, rendit l’état civil aux protestants, les assemblées de ces séparatistes étaient très secrètes. On était parvenu néanmoins à savoir ce qui s’y passait. Ils gardaient le silence, s’excitaient à l’inspiration par des soupirs, des larmes, par certains mouvements du corps, souvent même par des hurlements sourds, suivis de citations entrecoupées, prises çà et là dans l’Écriture sainte, et répétées d’un ton prophétique. Cependant, en général, ils n’attachent pas un sens prophétique au mot inspiration. Ils entendent par là les mouvements intérieurs de la grâce. Quelquefois tout le temps de la réunion s’écoulait dans un silence non interrompu.

Vers l’an 1788, sept quakers, dont quatre hommes et trois femmes, venus des îles britanniques et de l’Amérique, parurent à Congénies, y séjournèrent plusieurs semaines et répandirent quelques livres de morale et de piété rédigés d’après leurs principes. Ils trouvèrent fort mal que les assemblées eussent lieu les portes fermées. Eux-mêmes en tinrent auxquelles furent invitées toutes sortes de personnes. Ils recommandèrent à leurs adhérents de ne point ôter leur chapeau en saluant, de tutoyer, de porter des vêtements d’une couleur modeste. Dociles à ces leçons, les quakers français donnèrent à leur chevelure la même forme que ces étrangers, prirent des habits de couleur brune ; les femmes adoptèrent la couleur violette, renoncèrent aux dentelles et aux parures. Ils prirent aussi l’habitude de se tutoyer entr’eux, quoique rarement ils se permettent de tutoyer les personnes respectables qui ne sont pas de leur secte ; pour les saluer ils n’ôtent pas leur chapeau ; quelques-uns cependant le font mais avec un certain air de contrainte.

Au commencement de la révolution plusieurs refusèrent de prendre les armes ; ils faisaient les patrouilles avec des bâtons ; cela dura peu de temps.

Ils virent avec plaisir l’abolition du culte extérieur, l’offre faite aux administrations par les clubs des vases sacrés et des ornements d’église. Cependant si l’un d’entre eux pérora en faveur de la substitution du décadi au dimanche, si quelques-uns même, comme on l’assure, prirent part à la dévastation des églises, les torts des individus n’inculpent pas la communauté. A ces faits on peut en opposer d’un autre genre.

A une époque dont le souvenir est affligeant pour les âmes honnêtes, des catholiques, membres du conseil général de la commune, tentèrent de vexer des prêtres de l’ordre de Malte, qui desservaient une collégiale à Saint-Gilles. Le petit nombre d’hommes sages qui voulaient écarter ces tracasseries, se renforcèrent des suffrages de deux quakers, membres comme eux du conseil qui devait prononcer sur cette affaire ; par leur concert, ces ecclésiastiques en furent quittes pour une légère amende que deux conseillers municipaux payèrent à leur décharge.

Quoique ces quakers se soient un peu relâchés sur l’observation du dimanche, leurs assemblées ont lieu ce jour-là, les portes ouvertes, et depuis dix ans ils en ont eu régulièrement les jeudis, indépendamment des assemblées périodiques et non publiques auxquelles tous sont admis.

Dans leur réunion, qui dure une ou deux heures, jamais on ne chante. En y entrant, ils observent un profond silence, assis dans une posture humiliée et dans l’attente des mouvements intérieurs de l’esprit. Tel qui se croit inspiré se lève, dit quelques phrases pour l’édification des assistants, et cède la parole à un autre qui se croit également inspiré. Les femmes ont le droit de prêcher. Quoique moins rigoureux sur leur costume que les quakers anglais, leur doctrine est la même.

Leurs livres sont la Bible et quelques ouvrages de la secte traduits en français, spécialement ceux de Robert Barclay et de Guillaume Penn.

Leurs mariages sont célébrés dans l’assemblée générale. Ceux d’Angleterre répugnent à épouser hors de leur secte. Les quakers français, au contraire, s’allient avec les protestants ; quelquefois même, mais plus rarement, avec des catholiques. Ces mariages mixtes résultent en grande partie de leur petit nombre et de leur répugnance à s’allier entre trop proches parents.

En général, ils sont charitables, surtout à l’égard de leurs coreligionnaires.

Presque tous cultivateurs ou manufacturiers, très soigneux de conserver et d’accroître leur fortune, ils sont généralement reconnus pour gens de bien et d’un commerce sûr.

On remarque partout, dans les filles quakeresses, un éloignement des danses et autres divertissements publics.

Il paraît qu’originairement cette petite secte avait, non pas un système de culte bien déterminé, mais seulement une propension vers le quakérisme, dont elle a progressivement adopté les maximes et les usages par le moyen des visites que lui ont faites des quakers anglais et américains. Ces visites se sont multipliées dans ces dernières années.

Le célèbre quaker Bénézet, originairement calviniste, était de Saint-Quentin ; Grelet, quaker, est de Limoges. A cela près, on ne remarque pas que la Société des amis fasse des prosélytes en France ; il est douteux qu’elle puisse en faire beaucoupd. »

dHistoire des sectes religieuses, par M. Grégoire, ancien évêque de Blois. Paris, 1828, t. II, p. 120-125.

Les Mémoires de Mme Majolier-Alsop confirment ces détails. D’après cet ouvragee, les quakers de Congénies et du voisinage descendaient des prophètes camisards ; ils étaient moins exaltés qu’eux (quoiqu’ils eussent adopté certaines de leurs idées), plus religieux que les protestants qui les entouraient. Ils professaient, sur la spiritualité de l’économie chrétienne, le ministère et le culte, des principes très semblables à ceux des Amis, avant de connaître l’existence de cette Société. Ils se réunissaient en silence pour adorer Dieu et attendaient l’influence du Saint-Esprit avant de rien dire ; ils estimaient que, de même que le saint ministère est reçu gratuitement, il faut l’exercer gratuitement.

eMémorial of Christine Majolier-Alsop. London, 1881, p. 97, 115, 139, 241, passim.

Contrairement à la pratique de leurs ancêtres qui s’étaient défendus si furieusement contre les armées de Louis XIV, ils condamnaient la guerre. Ils connurent l’existence de la Société des Amis d’une manière tout à fait fortuite, et entrèrent en relations avec elle. Ce fut en 1788 qu’eut lieu la première visite de quakers anglais à Congédies, à Fontanès, à Quissac et à Calvisson. En 1797, d’autres Amis se rendirent dans le midi de la France, et enfin, dans les premières années du siècle, en 1807, Etienne de Grellet vint visiter ces intéressantes communautés.

« Il y a, dit-il, dans ces contrées, un petit noyau qui se rattache aux Amis. Il paraît qu’ils sont groupés depuis longtemps et qu’ils avaient embrassé nos principes avant de savoir qu’il existât une secte telle que la nôtre. » De Grellet visita Codognan, Saint-Gilles, Vauvert, Fontanès, Ganges : dans cette dernière localité, « il y eut, dit-il, un meeting si nombreux que les rues avoisinantes étaient remplies d’une foule recueillie. C’est une soirée dont le souvenir me reviendra jusqu’à la fin de mes jours, car l’Évangile coulait comme un fleuve, les cœurs étaient ouverts pour le recevoir, la grâce du Seigneur se manifestait et plusieurs le reconnurent avec larmes. » A Saint-Hippolyte, à Quissac, il parle devant des assemblées extraordinairement nombreuses, quinze-cents personnes environ. « L’Éternel, dit-il, se manifestait à son peuple d’une manière spéciale, l’Évangile descendait sur lui comme la rosée sur l’herbe nouvelle. Le Seigneur a là une moisson choisief. »

fVie d’Etienne de Grellet, traduite par Mme Abric-Encontre, Paris, 1873, p. 45.

L’heure du Réveil était donc bien sur le point de sonner.

En France, comme à Genève, les symptômes favorables se multipliaient : on peut même dire que l’œuvre était commencée, et il nous semble légitime d’appliquer au Réveil français ce que Bost disait du Réveil de Genève : « Le Réveil était déjà avancé avant que parussent parmi nous aucune des personnes auxquelles on l’a quelquefois attribué. »

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