Le Réveil dans l’Église Réformée

2.2 Les ouvriers étrangers.

2.2.1 L’œuvre accomplie en France par les évangélistes venus de Genève. — Cette évangélisation en général.

La Société continentale. — Ses agents. — Coulin. — Méjanel. — Porchat. — Barbey. — Vigier. — Petitpierre, etc. — Colporteurs. — La Société évangélique de Genève : son activité missionnaire.

Guers, l’un des pasteurs de l’Église du Bourg-de-Four, raconte qu’il vit une fois en songe une belle étoile, extrêmement brillante qui éclata tout d’un coup en plusieurs petites parcelles lumineuses. Ce songe le frappa vivement ; il y vit le Réveil de Genève qui éclatait en missions.

Sans vouloir lui attribuer une valeur prophétique, Guers avoue que l’œuvre d’évangélisation accomplie par les chrétiens genevois lui a souvent rappelé ce rêve et a de plus en plus confirmé dans son esprit l’impression qu’il en avait reçuea.

a – Guers, Le premier Réveil et la première Église indépendante à Genève, p. 239. Bost rappelle ce fait dans ses Mémoires, I, p. 123.

Il est assez difficile de délimiter exactement le champ de travail que choisit chaque Église ou Société ; sur le terrain de l’évangélisation, en effet, les différences ecclésiastiques s’effaçaient ; bien que les questions d’Église aient agité les esprits dès les premières années du Réveil, l’évangélisation proprement dite resta en dehors de l’influence de ces débats et se borna à la prédication des faits et des doctrines essentielles au salut. Il y eut donc souvent des échanges d’ouvriers qui passaient d’une société à une autre, sans que le caractère de leur œuvre fût en rien modifié.

La première Église indépendante fondée à Genève, celle du Bourg-de-Four, n’aurait pu, par suite de la modicité de ses ressources, subvenir seule aux frais d’une œuvre missionnaire. Ceux de ses membres qui allèrent prêcher l’Évangile hors de la Suisse s’adressèrent le plus souvent soit à des amis dévoués du Réveil, soit à des sociétés établies dans ce but, surtout à la Société continentale de Londres.

C’est cette Société, fondée en 1817 à Genève, sous le patronage d’Henri Drummond, qui peut revendiquer la première idée d’envoyer des évangélistes dans notre pays.

« Le jour de Christ dira tout ce que la Société Continentale a fait pour la gloire du Seigneur. Elle prit, dans la suite, le titre de Société Européenne. Elle n’existe plus maintenant (1850). La première, elle porta, dès 1818, l’Évangile de la grâce dans le nord, puis dans le midi de la France, puis dans l’un des départements du centre. Partout où ses messagers furent envoyés, ils ne trouvèrent que la mort spirituelle la plus complète, et, dans les mains du Seigneur, ils y devinrent, pour un grand nombre, des instruments de vie et de salut. La Société traversa avec courage et avec succès l’âge du jésuitisme en France, cette période de triste mémoire, durant laquelle le gouvernement de Charles X, faisant une guerre sourde au mouvement religieux, travaillait à relever, à planter partout la bannière de Rome. Malgré la difficulté des circonstances, la Société Continentale, la seule alors qui s’occupât de faire évangéliser la France, poursuivit humblement son œuvre sous la protection du Seigneurb. »

b – Guers, Vie de Pyt, p. 295, 296).

Quoique beaucoup de ces évangélistes fussent soutenus et dirigés par des personnes ou des associations étrangères à leur Église, ils ne cessèrent de se considérer comme membres du troupeau dont ils avaient d’abord fait partie, et les premiers noms que nous allons citer sont, en fait, ceux des évangélistes de la première Église indépendante.

Jean-Nicolas Coulin, qu’il ne faut pas confondre avec le prédicateur de ce nom, avait été instituteur à Saint-Hippolyte (Gard) en 1808. Ses relations avec André Gachon et les Moraves l’avaient conduit à la connaissance de l’Évangile. Il se trouvait à Genève au moment du Réveil et fut un des premiers membres de la nouvelle Église. En 1818 il fut envoyé comme évangéliste dans le Jura vaudois, vers Sainte-Croix, l’année suivante dans les vallées vaudoises du Piémont où il fut accueilli fraternellement par les pasteurs ; il y revint en 1820, puis s’achemina vers le midi de la France, visita son ancienne résidence et y poursuivit son œuvre missionnaire.

Pierre Méjanel, dont nous avons eu déjà l’occasion de parler, l’un des pasteurs de l’Église du Bourg-de-Four, fut expulsé de Genève en mars 1818. Pendant un séjour à Paris il entra au service de la Société continentale ; en 1822, il visita, dans l’intérêt de cette Société et en annonçant l’Évangile, Lyon, Nîmes, Montpellier, Marseille, Mazamet, Saint-Rome, Milhau, Toulouse, Montauban, Limoges, Orléans. Après des voyages en Écosse, en Irlande, en Angleterre, en Belgique et en Hollande, il revint en France, fit des tournées d’évangélisation dans les départements du Nord et de l’Aisne. Un nouveau séjour en Angleterre et en Écosse l’amena malheureusement à adopter les idées irvingiennes qu’il chercha ensuite à propager à Paris et dans tous les lieux où il avait prêché l’Évangile.

Antoine Porchat, d’abord tailleur, puis régent à Avully, qui fut l’un des premiers membres de l’Église indépendante, devint un de ses évangélistes les plus zélés. Il travailla à l’avancement du règne de Dieu, d’abord dans son école, puis se voua entièrement à la prédication de l’Évangile, et après avoir visité quelques localités de la Suisse, alla rejoindre Méjanel à Paris en 1819. Ils y firent une œuvre commune pendant quelques mois : leur lieu de culte était situé près du jardin du Luxembourg. Sur l’invitation de la Société continentale, au service de laquelle il était aussi entré, Porchat alla en 1821 dans la Beauce aider Pyt dans l’œuvre qu’il y avait entreprise.

En 1822 il partit pour la Picardie et s’établit à Sautain, près de Péronne. Un mouvement de réveil s’y manifesta, ainsi qu’à Hargicourt et à Templeux-le-Guérard. En 1823, Porchat et Méjanel eurent à soutenir un procès, qu’ils perdirent, pour avoir tenu des réunions illicites. Ils furent condamnés à 300 francs d’amende et à trois mois de prison. Ils interjetèrent appel ; la condamnation fut maintenue, moins la prisonc.

c – Voir les détails de ce procès dans les Mélanges de Religion de Samuel Vincent (1823), p. 159, 328.

A côté de ces tracasseries administratives, Porchat eut d’autres désagréments, causés par ses idées baptistes ; il eut à ce sujet des démêlés avec des consistoires et des pasteurs nationaux. En 1828, il quitta la Picardie pour retourner dans la Beauce, et enfin il passa la dernière partie de sa vie au service de la Société évangélique de Paris. Ce fut avec le concours de cette Société qu’il visita le Limousin, la Saintonge, le département de l’Ariège, plus tard celui de la Sarthe et celui de l’Orne. Alençon, où il remplissait les fonctions de pasteur, fut à la fin de sa carrière son séjour principal, et le centre de ses courses d’évangélisation : c’est de là qu’il allait visiter chaque mois les chrétiens de Mamers (Sarthe), et ce fut dans cette dernière ville qu’il mourut en novembre 1865.

Louis Barbey, qui avait été autrefois pasteur dans l’Ardèche et la Haute-Loire, séjourna quelque temps à Genève, s’unit à l’Église du Bourg-de-Four, puis revint dans l’Ardèche, à Saint-Agrève. Il fut obligé de s’en éloigner par suite de l’opposition de l’autorité civile ; après un séjour dans le canton de Vaud, il alla dans le Béarn sur l’invitation de Pyt. En 1831, il fit un voyage d’évangélisation dans le nord de la France. En 1834, il est à Annonay ; en 1840, il revient en Suisse, puis visite le pays de Montbéliard ; enfin, quelques années après, il reprend le chemin du Béarn où il devait terminer sa course terrestre.

Pierre Vigier, évangéliste à Saint-Voy (Haute-Loire) ; Edouard Petitpierre, d’abord envoyé à Saint-Paul-Trois-Châteaux, puis à Tullins, près de Grenoble, enfin pasteur de l’Église indépendante de Neufchâtel, furent aussi deux des ouvriers les plus dévoués envoyés par l’Église du Bourg-de-Fourd.

d – Edouard Petitpierre a publié la Galerie chrétienne, la Vie de Robert et James Haldane, la Vie de Georges Muller.

Ce n’étaient pas d’ailleurs seulement des prédicateurs de l’Évangile que l’Église envoyait, mais aussi des colporteurs ; en même temps que Pyt, en Flandre, et Bost, en Alsace, entreprenaient l’œuvre du colportage, l’Église indépendante de Genève la commençait de son côté. En 1821, Louis Vierne apporte des Nouveaux Testaments et des traités religieux dans le pays de Gex, puis dans l’Isère, où il travaille sous les yeux du pieux pasteur de Grenoble, Bonifas.

Deux ans après, il va annoncer l’Évangile avec un autre colporteur, Foulquier, dans le Doubs, où ils sont secondés par le pasteur Jaquet, de Glay. En 1825, Vierne entre dans un Institut fondé à Paris par les soins de Robert Haldane et qui subsista quelques années. Cet Institut, que dirigèrent François et Henri Olivier, était destiné à préparer des ouvriers pour l’évangélisation des pays de langue française. Vierne y fit des études, revint à Genève où il fut consacré dans l’Église du Bourg-de-Four, puis retourna dans le Doubs. Il s’en éloigna pour quelques années, pendant lesquelles il travailla en Belgique, et revint enfin dans ce même département du Doubs où il continua longtemps l’œuvre qu’il y avait commencée dans ses précédents séjours.

A côté de ces colporteurs se trouvaient des artisans missionnaires que l’Église envoyait souvent au loin, dans la Russie méridionale, par exemple, ou encore dans l’Amérique du Nord. Ils étaient, pour la plupart, allemands et allaient porter l’Évangile à leurs compatriotes. L’un d’eux, Jean-Louis Helfenbein, fut chargé par Félix Neff mourant d’aller visiter de sa part les chrétiens de Mens et des Hautes-Alpes pour fortifier leur foi. Peu d’années après, il alla se fixer à Lyon où il accomplit une œuvre spéciale dans les casernes et s’occupa activement de l’évangélisation des soldats.

Tel était l’intérêt que l’Église du Bourg-de-Four portait à l’évangélisation, qu’elle fonda, en 1827, une Société de missions continentales. A cette date, elle avait déjà employé ou aidé dix-huit évangélistes ou colporteurs.

En 1828, on essaya de s’entendre avec les Églises dissidentes des cantons voisins pour donner plus d’extension et de force à l’œuvre de l’évangélisation. En 1829 eut lieu à Lyon une conférence de tous les évangélistes du sud de la France, et, en octobre de la même année, fut fondé l’Institut pour la formation d’instituteurs évangélistes. De cet Institut sortirent : Emmanuel Tanner, d’abord lecteur de la Bible et évangéliste en France, puis pasteur à Montréal ; Abraham Charbonney, d’abord évangéliste dans le midi de la France, puis pasteur de l’Église libre de Clermont-Ferrand ; David Reymond, évangéliste dans le Gard, la Lozère, l’Aveyron, le Tarn, etc., puis pasteur de l’Église libree ; Louis Deluz, instituteur dans le Gard et ailleurs, puis évangéliste à Arles ; Louis Favez, de Vevey ; Ferdinand Gros, de Genève ; Barthélémy Fenouil, des vallées du Piémont, évangéliste dans la Drôme ; Abraham Cellier, aide-missionnaire au Canada ; Jean Nicolet, d’abord évangéliste en France, puis pasteur en Belgique ; Etienne Eymann, pasteur à Milhau, etc.

e – M. Raymond a relaté, dans un ouvrage que nous avons déjà cité : Mes souvenirs, les détails principaux de son ministère, et donné un intéressant aperçu de l’œuvre du Réveil dans la contrée qu’il a évangélisée.

Plusieurs de ces évangélistes étaient soutenus par l’Association missionnaire des Églises indépendantes de la Suisse dont la direction centrale fut longtemps à Genève, dans le sein de l’Église du Bourg-de-Fourf. D’autres étaient soutenus par la Société évangélique de Genève ou par celle de Paris.

f – Cette association fonctionna jusqu’en 1841. Voir Reymond, Mes souvenirs, p. 54.

En 1830, en effet, s’était fondée la Société évangélique de Genève, et l’évangélisation qu’elle entreprit revêtit aussitôt un caractère national : l’un des reproches les plus fréquents que le Réveil a eu à subir, « c’est qu’il trahissait une influence étrangère et que les idées et l’argent des Anglais y jouaient un beaucoup trop grand rôleg. » On désira, par conséquent, que l’œuvre missionnaire devînt de plus en plus une œuvre nationale, et à ce mouvement des esprits répondit l’évangélisation par les agents de la Société évangélique.

g – De Goltz, op. cit., p. 235.

En 1833 fut également créée la Société évangélique de Paris, à laquelle la Société continentale remit toutes ses stations. Nous aurons à revenir sur les motifs de cette décision et les circonstances qui la provoquèrent.

Enfin l’Église du Bourg-de-Four se libéra toujours plus de la dépendance de l’étranger, grâce à la fondation, en 1834, de l’Association missionnaire des Églises indépendantes de la Suisse, qui soutinrent son Institut.

Plus tard, en 1840, cette Église se sépara, pour diverses raisons, de l’Association, tout en déclarant « qu’elle continuerait à prendre part, dans la mesure de ses ressources, à toute œuvre d’évangélisation que la commission lui indiquerait, mais directement et d’une manière entièrement indépendante. »

Quant à la Société évangélique de Genève, elle choisit pour champ de travail les populations catholiques, au milieu desquelles elle envoya dos colporteurs chargés d’y vendre des Bibles de la version de Sacy. Sept colporteurs furent envoyés dans la première année, dix dans la seconde, et on vendit 355 Bibles et 9476 Nouveaux Testaments. Au milieu de toutes sortes de difficultés, suscitées soit par l’opposition des prêtres et des autorités locales, soit par l’indifférence et le sommeil spirituel des populations, l’œuvre prit cependant des proportions toujours plus considérables. Un historien du Réveil écrit, en 1862, qu’« on calculait dernièrement qu’à cette heure il n’est guère de village, dans tout le vaste territoire de la France, où un colporteur n’ait déjà porté la Bible. »

[De Goltz, op. cit., p. 407. Remarquons qu’il ne s’agit pas seulement des colporteurs de la Société évangélique de Genève, mais aussi de ceux de la Société évangélique de Paris, et de toutes les œuvres de colportage en général. Un cardinal romain disait « qu’il n’avait pas peur des prédicateurs protestants, mais bien de leur colportage de Bibles. »]

En 1840, la Société évangélique employait quarante-huit colporteurs ; en 1841, soixante, dont quelques-uns faisaient aussi œuvre d’évangélistes. C’était non seulement la Bible qu’on distribuait, mais aussi des traités religieux de toute espèce, et on fonda, avec l’aide de la Société des traités de Londres, des bibliothèques circulantes de bons ouvrages religieux.

Presque tous ces ouvriers, qui avaient été d’abord des Suisses, se recrutèrent ensuite parmi les chrétiens français.

Mais l’évangélisation entreprise par la Société évangélique ne se borna pas là. Dès sa troisième année, elle fonda des stations fixes, d’abord dans Saône-et-Loire, à Tournus, à Mâcon et à Châlonsh ; elle y établit des écoles évangéliques, et de petites communautés s’y formèrent. L’Église romaine employa tous les moyens pour entraver cette œuvre, et, grâce à l’aide de l’autorité civile, elle fit intenter un procès aux évangélistes ; mais ceux-ci, l’ayant gagné, purent reprendre paisiblement la suite de leurs travaux.

h – MM. Hoffmann, Achard et Zipperlin.

De nouvelles stations s’établirent à Châlons, à Louhans et à Givry, puis dans le Jura français.

En 1840, une nouvelle direction fut donnée à l’activité de la Société évangélique : elle se chargea de quatre stations que la Société continentale abandonnait, dans le département de la Drôme, entre le Rhône et les Alpesi, d’une dans l’Isèrej et d’une à Lyonk ; de plus, sur la demande de quelques pasteurs français, elle envoya un évangéliste à Gray, et un autre à Tullins, et la conversion d’un prêtre romainl et d’une grande partie de ses paroissiens l’amena à fonder une station dans les Pyrénées.

i – Montmeyran (M. Laügt), Vaugelas (M. Bréguet), Barcelone (M. Vernier), Livron (M. Fenouil).

j – Saint-Jean-d’Héran (M. Masson).

k – M. Helfenbein.

l – M. Maurette, à Serre (Ariège).

Dès lors, la Société évangélique eut à s’occuper des populations protestantes, et non plus seulement des masses catholiques, comme elle en avait dès l’abord formé le projet. C’était d’ailleurs dans des milieux protestants que s’étaient établies les stations de la Société continentale, dans un but de réveil ; mais, soit par suite de cette circonstance, soit par principe, cette œuvre avait revêtu un caractère dissident. Quand la Société évangélique recueillit ces stations, elle se vit exposée à des attaques de la part de pasteurs nationaux, tandis que, d’un autre côté, le mouvement darbyste tendait à diviser les nouvelles communautés. Ces entraves, provenant de deux influences directement opposées, enrayèrent un peu l’œuvre de l’évangélisation. Cependant, en 1848, treize pasteurs et douze évangélistes étaient encore employés par la Société évangélique (1), et, en présentant l’exposé de l’œuvre missionnaire à la séance annuelle de la Société, le rapporteur pouvait remercier Dieu pour les encouragements reçus et espérer de nouvelles bénédictions pour la continuation de ces travaux.

(Rapport de la Société évangélique de 1849). Voir aussi : Récits et souvenirs de la Société Evangélique, Genève, 1882.

Parmi tous ces chrétiens appartenant à des Églises ou à des sociétés genevoises, il en est trois qui méritent une mention particulière et dont les travaux doivent faire l’objet d’une étude spéciale et détaillée, Henri Pyt, Ami Bost et Félix Neffm.

m – Nous ne reviendrons pas sur l’œuvre accomplie en France par C.Malan.

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