Histoire de la Réformation au temps de Calvin

Chapitre 13
Les huguenots proposent l’alliance avec les Suisses, et les mamelouks s’amusent à Turin

(Octobre à décembre 1518)

1.13

Élan de Berthelier – Les membres de Navis et la pomme de Tell – L’évêque et le duc nient le meurtre – Les députés se joignent aux ducaux – L’évêque et le duc demandent dix ou douze têtes – Les chefs huguenots se consultent – Une assemblée demande l’alliance suisse – Marti, de Fribourg, soutient à Genève la liberté – Retour des députés genevois – Le conseil rejette leur demande – Le peuple s’assemble – La lettre ducale est refusée

Le moment était donc venu où les hommes de la première catégorie allaient se mettre à l’œuvre. Les patriotes comprenaient que les desseins envahissants de la Savoie étaient irrévocables, et qu’il fallait par conséquent leur opposer une résistance énergique et inflexible. Berthelier « le grand mépriseur de mort » souriait froidement aux menaces de l’évêque ; magnanime, fier, résolu, il crut voir s’approcher le moment bienheureux où se réaliserait son rêve le plus cher, donner sa vie pour sauver Genève. S’il voulait échapper aux cruautés des princes qui le menaçaient de tous côtés, il devait s’effacer, se retirer, abandonner ses plus nobles projets ; il éloignait avec effroi cette pensée. Résister à la conjuration dirigée contre les libertés de Genève était son devoir ; s’il négligeait de le remplir, il se dégradait à ses yeux, il se livrait aux remords ; tandis que s’il accomplissait ce devoir, il était dans l’ordre, il se sentait à sa place ; il lui semblait qu’il devenait meilleur et plus agréable à Dieu. Mais ce n’était pas seulement le devoir impérieux, invincible, qui le poussait ; c’était encore la passion, la passion la plus noble ; rien ne pouvait calmer les tempêtes qui s’agitaient dans son sein. Il se jeta donc énergiquement au milieu des dangers. En vain Bonivard commençait-il à perdre espérance, et disait-il à son généreux ami dans leurs conférences de Saint-Victor : « Vous le voyez, les pensions et les menaces des princes induisent beaucoup de gens réputés sages à retirer leurs cornes ; » Bonivard ne pouvait arrêter l’élan de Berthelier. Ne se mettant en peine de rien, pas même de sa vie, pourvu qu’il sauvât les libertés de Genève, l’intrépide citoyen parcourait la ville, allait de maison en maison, faisait remontrance aux bourgeois « un par un ; » et prêchait par les chambres et les cabinetsa.

a – Bonivard, Chroniq., II, p. 328.

Ses exhortations n’étaient pas inutiles ; une puissante fermentation commençait à animer les esprits. On se rappelait comment ces Suisses, dont on attendait la délivrance, avaient conquis leur liberté. Un chapeau placé dans Altorf, sur le haut d’une colonne, une pomme mise, par un ordre barbare, sur la tête d’un enfant, furent, selon les antiques traditions de ces peuples, le signal de leur indépendance. Or, le bâtard le cédait-il à Gessler ? Ces deux têtes, ces deux bras, n’étaient-ils pas un signal plus affreux encore ? Les restes de Navis et de Blanchet restèrent longtemps exposés ; en vain le malheureux père, le juge Navis, adressait-il fréquemment à l’évêque de vives instances pour qu’il les fit enlever ; ce prélat prenait plaisir à cette démonstration de son pouvoirb. C’était de sa part un étrange aveuglement. Ces chairs mortes, ces yeux éteints, ces lèvres ensanglantées, criaient aux citoyens qu’il était temps de défendre leurs antiques libertés… Le grand agitateur mettait à profit la cruauté du bâtard, et se servant du langage énergique du temps : « Telle cheville, disait-il, pend au manteau de chacun de nous. Il faut remède de résistance. Unissons-nous ; donnons la main au pays des Ligues, et ne craignons rien, car nul n’ose toucher à leurs alliés.… non pas plus qu’au feu Saint-Antoinec … Aidons-nous et Dieu nous aidera ! »

b – Registres du Conseil du 3 mai 1519.

c – Charbon pestilentiel. (Bonivard, Chroniq., II, p. 327.)

La jeunesse, le peuple, tous les cœurs généreux prêtaient l’oreille aux discours de Berthelier ; mais « les gros et les riches, dit Bonivard, étaient en crainte, à cause de leurs richesses qu’ils préféraient à leur vied. » Ces gros et ces riches, Montyon et les ducaux, voyant le danger qui menaçait les princes de Savoie dans Genève, résolurent de leur envoyer une seconde ambassade, avec ordre d’aller cette fois-ci jusqu’à Turin et à Pignerol ; les trois mêmes mamelouks furent chargés de la mission. Les patriotes en furent indignés. « Quoi ! disaient-ils, il s’agit de sauver des brebis, et ce sont des loups que vous choisissez pour le faire ?… — Ne comprenez-vous pas, répondit Montyon, que si l’on veut apprivoiser des princes, il faut se garder de leur envoyer des gens qui leur soient mal agréables ? » Les députés arrivèrent à Turin où se trouvait alors le duc. Ils demandèrent à être admis à présenter leurs hommages à Son Altesse, et comme leur opinion était connue, cette demande leur fut facilement accordée. Ils énoncèrent timidement leurs griefs. « Ce n’est pas moi qui ai fait cela, dit Charles, c’est Monsieur de Genève ; allez à Pignerol vers l’évêque. » Les députés se rendirent en cette ville, située dans le voisinage des schismatiques Vaudois, que le prélat détestait autant au moins que les Genevois. Ayant obtenu audience, les députés récitèrent la leçon qui leur avait été imposée : « La ville s’émerveille grandement, dirent-ils, de ce que vous avez fait écarteler deux de nos citoyens, et envoyé leurs quartiers aux limites de Genève. Si quelque particulier s’était rendu coupable envers vous de quelque méfait, disent nos concitoyens, vous n’aviez qu’à l’accuser, on l’eût puni à Genèvee. — Ce n’est pas moi qui ai fait cela, dit l’évêque, c’est Monseigneur le duc. » Les députés mamelouks étaient fort disposés à admettre la moitié des assertions de ces deux princes, et à croire que probablement le meurtre ne venait ni de Jean, ni de Charles. La mission officielle étant terminée, le prélat, qui savait très bien à qui il avait affaire, ordonna qu’on amusât MM. les ambassadeurs. Ceux-ci ne demandaient pas mieux. L’évêque « les entretenait donc, disent les chroniques, les festoyait, les banquettait et leur faisait bonne chère. » Les parties de plaisir se succédaient rapidement, et les trois mamelouks, oubliant les affaires diplomatiques, dont ils ne se souciaient nullement, trouvaient les vins d’Italie excellents et les grâces du bâtard et de sa cour captivantesf.

dIbid., p. 328.

e – Savyon, Annales, p. 74.

f – Savyon, Annales, p. 75. — Archives de Genève, n° 888.

Cependant toute bonne chère a sa fin ; les politiques de la cour de Turin voulaient profiter de l’ambassade, et tandis qu’elle avait été dirigée contre les usurpations des princes de Savoie, la faire habilement tourner contre les libertés du peuple de Genève. Ce n’était pas difficile, car ses représentants le trahissaient. Les trois ambassadeurs, l’évêque, ses officiers et les conseillers ducaux délibérèrent donc, sur la réponse à faire au Conseil de Genève. Les princes, se confiant dans leurs pensionnnaires, méprisaient le parti libéral. Mais les trois envoyés, le vidame, Nergaz et Déléamont, qui avaient vu de près le danger, loin de faire de même, s’effrayaient de cette insouciance. « Il y a dans Genève, disaient ils, de loyaux sujets ; mais aussi de mauvais garçons, des mutins, des séditieux qui, pour échapper à la punition de leurs méchancetés, bandent le peuple à contracter bourgeoisie avec Fribourg. Le mal est plus grand que vous l’imaginez ; les républiques helvétiques établiront dans Genève leur maudit gouvernement populaire. Il faut donc très aigrement punir les auteurs de tels trafics, et écraser les rebellesg. » Les deux cousins ne demandaient pas mieux ; Charles ne se souciait nullement de voir les principes libéraux se rapprocher de la Savoie, et peut-être de Turin ; mais il préférait ne faire au conseil qu’une réponse orale. Les députés, effrayés de la responsabilité dont ils se trouveraient ainsi chargés, insistèrent pour une réponse écrite ; une lettre fut donc rédigée. Le duc et l’évêque y annonçaient au conseil qu’ils tiendraient les citoyens pour de loyaux sujets, s’ils voulaient aider à irrémissiblement mettre à mort Berthelier et dix ou douze autres qu’ils nommaient. — Nous vous remettons cette lettre, dirent le duc et l’évêque aux députés ; mais vous ne la délivrerez aux syndics et au conseil de Genève que s’ils s’engagent par serment (avant de l’avoir lue) à exécuter sans délai les ordres qui s’y trouvent contenus. » Jamais monarque n’avait affiché des prétentions aussi énormes. Dieu trouble l’esprit de ceux qu’il veut perdre. Les serviles ambassadeurs se gardèrent de rien objecter, et, ravis du beau succès de leur ambassade et surtout des fêtes magnifiques de la cour de Turin, ils partirent avec l’étrange instruction dont les deux princes les avaient chargésh.

gIbid., p. 75.

h – Savyon, Annales, p. 75. — Bonivard, chroniq., II, p. 332. — Manuscrits de Roset et de Gautier. Spon, Hist. de Genève, I, p. 296, 298.

Pendant que les mamelouks et les Savoyards conspiraient à Turin et à Pignerol contre les franchises de la cité, Berthelier et ses amis ne pensaient qu’à les sauver. L’iniquité du duc et de l’évêque leur montrait toujours plus combien l’indépendance était nécessaire. Ils résolurent de faire un pas décisif. Berthelier, Bernard, Bonivard, Lévrier, Vandel, De la Mare, Besançon Hugues et quelques autres, se réunirent « pour aviser. » « Jusqu’à présent, dit Berthelier, c’est seulement dans les chambres et les cabinets que nous avons conseillé l’alliance avec les Suisses ; il faut maintenant la prêcher par-dessus les toits ; de simples conversations ne suffisent plus ; il est temps de prendre une décision commune. Mais, hélas ! où ? quand ? comment ?… Les princes de Savoie nous ont accoutumés à ne nous réunir que pour nos voluptés. Qui pense jamais dans nos assemblées au salut de la ville ?… » Bonivard prit la parole : Ma maison de Saint-Victor, dit-il, et celle de M. de Gingins, nous ont vus souvent en petit nombre pour des conversations familières ; il faut maintenant des salles plus vastes et des réunions plus nombreuses ; voici ma proposition… Messieurs, faisons le bien par le moyen même qui a fait le mal ; profitons des réunions où l’on n’a songé jusqu’à présent qu’au plaisir, pour y délibérer dès cette heure sur le maintien de nos libertés. » Cette proposition trouva un bon accueil.

Depuis le meurtre de Navis et de Blanchet, la tenue de comices huguenots était devenue plus difficile. Les menaces de la Savoie étaient telles qu’on redoutait ce qui pourrait donner prise à des mesures violentes. « Il y a dès les temps anciens à Genève, dit l’un des assistants, une certaine confrérie de Saint-Georges, qui est maintenant abâtardie, mais non anéantie ; restaurons-la, rendons-la utile ; servons-nous-en pour sauver nos franchises menacées par les envahissements des princes savoyardsi. »

i – Bonivard, Chroniq., II, p. 328, 330.

Berthelier, à la sortie de ce conventicule, se mit aussitôt à l’œuvre. Quand il voulait rassembler ses amis, il avait coutume de passer en sifflant sous leurs fenêtres. Il se mit donc à parcourir les rues d’un air indifférent, mais l’œil au guet, et faisant entendre un coup de sifflet chaque fois qu’il se trouvait devant la maison d’un citoyen dévoué. Les huguenots prêtaient l’oreille, reconnaissaient le sifflet du chef, descendaient, s’approchaient ; on leur donnait rendez-vous tel jour, à telle heure. Ce jour arriva.

« Nous nous trouvâmes, dit Bonivard, environ soixante. » C’était peu ; mais on n’avait pris que les hommes de cœur et d’exécution. Ce n’était point une assemblée de conspirateurs. Les hommes les plus sages du peuple s’étaient réunis et ne pensaient nullement à sortir des droits que la constitution leur accordait. En effet, Berthelier et Besançon Hugues proposèrent simplement l’alliance avec les Suisses. « Cette pensée n’est point une imagination sortie d’un cerveau creux, dirent-ils ; les princes de Savoie eux-mêmes nous y obligent. En nous enlevant nos foires, en foulant les lois aux pieds, en rompant nos rapports avec les autres peuples, ils nous contraignent à nous unir aux Suisses. » En voyant la Savoie rompre violemment les branches de l’arbre, s’efforcer même de le déraciner, ces patriotes étaient décidés à l’enter sur l’arbre antique et plus vigoureux des libertés helvétiquesj.

j – Bonivard, Chroniq., II, p. 330. — Galiffe, Matériaux pour l’histoire de Genève, II, p. 32. — Spon, Hist. de Genève, I, p. 299.

Le bruit de cette décision, que l’on s’efforça pourtant de tenir secrète, arriva à Turin. Rien au monde ne pouvait causer tant de colère et tant d’effroi à l’évêque et au duc. Ils répondirent immédiatement le 13 octobre, en envoyant l’ordre de faire juger Berthelier le mois suivant par des commissaires épiscopaux ; c’était le livrer à la mort. Aussitôt, le conseiller Marti, de Fribourg, homme brusque, mais intelligent, chaud, dévoué, prompt, instruit de ce qui se passait, arriva à Genève. L’amitié la plus sainte s’était formée entre lui et Berthelier, lorsque assis au même foyer, ils avaient conversé ensemble sur Genève et la liberté. La pensée que la mort pourrait, d’un jour à l’autre, frapper un homme si cher et si précieux, remuait profondément Marti. Il se rendit à l’hôtel de ville, où le conseil des Cinquante s’était réuni, et s’y montra à la fois plein de tendresse pour Berthelier, et de menaces pour ses adversaires. « Messieurs, dit-il brusquement, c’est la cinquième fois que je viens ici pour la même affaire ; je demande que ce soit la dernière. Protégez Berthelier, ainsi que le demandent les franchises de la ville, ou prenez garde ! Fribourg a toujours voulu votre bien ; ne l’obligez pas à changer d’avis… Ne clochez pas toujours des deux côtés ; décidez-vous pour les uns ou pour les autres. Le duc et l’évêque disent une chose et ils en font toujours une autre. Ils ne pensent qu’à perdre vos libertés, et Fribourg ne pense qu’à les défendre. » Le conseil, qui trouvait plus commode de donner la droite aux uns et la gauche aux autres, qui voulait ménager Fribourg et l’évêque, trouva ce discours un peu rude. Il remercia toutefois Marti ; mais il ajouta que pour lui faire une réponse précise, il devait attendre le retour des députés envoyés à l’évêque et au duc. Néanmoins, dirent les syndics, nous maintiendrons à l’égard de Berthelier les libertés de la villek. »

k – Registres du Conseil des 10 et 11 novembre 1518.

Les députés qu’on attendait de Turin, Nergaz, Déléamont et le vidame, ne tardèrent pas en effet à arriver. En rentrant dans la libre cité, ils étaient encore tout éblouis des pompes de la cour piémontaise et tout remplis des idées que les partisans du pouvoir absolu leur avaient inculquées. « Tout est dans le prince, leur avait-on dit, et le peuple ne doit pas avoir d’autre volonté que la sienne. » Ne pensant donc qu’à réclamer pour l’évêque une autorité absolue, ils parurent le 29 novembre devant le petit conseil, et lui dirent d’une voix impérative : « Nous avons ordre de Monseigneur l’évêque, de ne nous acquitter de notre mission, qu’après que vous vous serez adjoint vingt autres citoyens des plus éminents. » Les princes de Savoie voulaient ainsi s’assurer la majorité ; le conseil consentit à cette demande. « Nous demandons, ajouta le syndic Nergaz qu’ils prêtent serment en notre présence de ne rien révéler de ce qu’ils entendront. — Qu’est-ce donc que tout ce mystère ? » se demandait-on ; toutefois le serment fut prêté. Alors les ambassadeurs faisant un pas de plus, dirent : « Voici la lettre où Monseigneur fait connaître sa souveraine volonté, mais avant de l’ouvrir, vous devez vous engager par serment à exécuter tous les ordres qui s’y trou vent. » Un morne silence accueillit cette demande étrange ; un despotisme si franc étonnait non seulement les amis de la liberté, mais encore les mamelouks eux-mêmes. « Remettez-nous la lettre qui nous est adressée, afin que nous la lisions, » dirent Besançon Hugues et les autres membres indépendants du conseil. « Non, reprit Nergaz ; d’abord le serment et ensuite la lettre. » Quelques partisans de Savoie eurent l’impudence d’appuyer cette requête ; mais les amis de l’indépendance s’y opposèrent fermement, et la séance fut levée. « Il doit y avoir dans cette lettre quelque secret nuisible au peuple, » disait-on. On résolut de réunir le conseil général pour que les ambassadeurs lui fissent eux-mêmes leur message. Cet appel au peuple déplaisait fort aux trois députés ; toutefois ils s’encouragèrent à remplir jusqu’au bout leur missionl.

l – Registres du Conseil des 29 novembre et 2 décembre 1518. — Savyon. Annales, p. 78. — Manuscrits de Roset et de Gautier.

Le dimanche 5 décembre, le son de trompe se fit entendre ; la grosse cloche de la cathédrale sonna à toutes volées ; les citoyens ceignirent l’épée, et la grande salle de Rive fut « toute pleine de peuple. » « Acquittez-vous de votre message, » dit-on aux trois députés. « Notre message se trouve dans la lettre, dit Nergaz, et notre seule instruction est que les conseils de Genève avant que de l’ouvrir s’engagent par serment à faire ce qu’elle commande. » Ces paroles excitèrent parmi le peuple une immense agitation. « Nous avons un si bon conducteur, disait-on avec ironie, que nous devons le suivre les yeux fermés, sans craindre de tomber avec lui dans la fosse ! Comment douter que le secret contenu dans ce papier mystérieux soit un secret de justice et d’amour ?… S’il y a des sceptiques parmi nous, qu’ils aillent au noyer du pont d’Arve, où sont encore les membres de nos amis… — Messieurs, dirent les hommes les plus graves, nous vous rendons la lettre close et vous prions de la renvoyer à ceux qui vous l’ont baillée. » Alors Nergaz irrité s’écria âprement : « Je vous avertis que M. de Savoie a beaucoup de troupes en campagne, et que si l’on n’exécute pas les ordres contenus dans cette lettre, aucun homme de Genève ne sera plus en sûreté dans ses États. Il l’a dit et je l’ai entendu. » Le peuple oyant cela, fut moult irrité. « Vraiment, s’écria-t-on, si nous ne jurons pas à l’avance de faire une chose sans même la connaître, ceux d’entre nous qui possèdent des terres en Savoie ou qui y voyagent, seront traités comme Navis et Blanchet !… » Alors plusieurs citoyens se tournant vers les trois députés : « Avez-vous demeuré cinq ou six semaines de là les monts, leur dirent ils, banquetant, vous divertissant, triomphant et faisant grande chère, pour nous apporter de telles dépêches !… Au Rhône ! au Rhône, les traîtres !… » Les trois mamelouks tremblaient devant la colère du peuple ; allait-on vraiment les jeter dans les eaux du fleuve, pour les laver des souillures qu’ils avaient contractées dans les fêtes de Turin ?… Lévrier, Besançon Hugues et « autres gens d’étoffe » apaisèrent les citoyens, et les serviles députés en furent quittes pour la peur. Le calme s’étant rétabli, les conseillers rendirent la lettre des princes à Nergaz et à ses deux collègues, en leur disant : « Nous ne voulons pas l’ouvrir. » On craignait l’influence des créatures de Savoie qui étaient en bon nombre dans le grand conseil. Nous appelons ainsi le corps établi en 1457, qui ne fut d’abord que de cinquante personnes, et qui souvent augmenté, donna plus tard naissance au conseil des Deux-Cents. Le peuple retira donc à cette assemblée un privilège qu’il lui avait donné en 1502, et arrêta que le conseil général seul déciderait dorénavant de tout ce qui regardait les libertés de Genèvem.

m – Registres du Conseil du 5 décembre 1518. — Savyon, Annales, p. 77. — Manuscrits de Berne, V, 12.

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