Histoire de la Réformation au temps de Calvin

Chapitre 8
Conversion de Calvin et changement de vocation

(1527)

2.8

Le protonotaire Doullon brûlé vif – La lumière luit dans Calvin – Il tombe aux pieds du Christ – Il ne peut se séparer de l’Église – La doctrine du pape attaquée par ses amis – La papauté devant Calvin – Sa conversion fut-elle subite ? – Époque de cette conversion – Dieu dans la conversion – Regrets du père de Calvin – Gérard destine son fils au droit – Conversion, Christianisme et Réformation

Le royaume de Jésus-Christ est plus confirmé et établi par le sang des martyrs que par la force des armes, » disait un jour le docteur de Noyona. Il put éprouver lui-même à cette époque la vérité de cette pensée.

a – Calvin, Comm. sur s. Jean, XVIII, v. 36.

Un jour de l’an 1527, un homme âgé de 36 ans, de bonne famille, parent de M. de Lude, élevé dans les dignités ecclésiastiques, protonotaire, et muni de plusieurs bénéfices, le sieur Nicolas Doullon, accusé de crime d’hérésie, se trouvait devant l’église Notre-Dame, et une foule immense de bourgeois, de prêtres et de peuple l’entourait. Le bourreau s’était présenté le matin à la prison, avait dépouillé le protonotaire des habits de sa charge, lui avait passé une corde au cou, lui avait mis une torche de cire dans la main, et l’avait ainsi conduit devant l’église de la Vierge. Ce pauvre homme avait vu de beaux jours ; il avait été souvent aux palais du Louvre, de Saint-Germain, de Fontainebleau, au milieu des gentilshommes, près du roi, de sa mère et de sa sœur ; il avait même servi Clément VII comme l’un de ses officiers. Aussi les bourgeois de Paris, que cette exécution avait attirés, et qui contemplaient sa triste figure, se disaient-ils l’un à l’autre : « Il fréquentait la cour du roi, et il a demeuré à Rome au service du papeb. »

bJournal d'un Bourgeois de Paris sous François Ier, p. 317.

Doullon était accusé d’avoir dit un grand blasphème contre la glorieuse mère de notre Seigneur et contre notre Seigneur lui-même ; il avait nié que l’hostie fût Jésus-Christ en personne. Le roi étant absent, le clergé en avait profité, et l’on avait mis dans ce jugement une précipitation inouïe. « Il avait été pris le jeudi de devant, » et quatre jours après il était tête nue, pieds nus, la corde au cou, devant l’église métropolitaine de Paris. Chacun avait l’oreille au guet, pour entendre l’amende honorable qu’il ferait à la Vierge. Mais on écoutait en vain ; Doullon demeura ferme dans sa foi jusqu’à la fin. En conséquence, le bourreau mit de nouveau la main sur lui, et l’ancien protonotaire entouré des sergents, précédé et suivi de la foule du peuple, fut mené sur la place de Grève. Là, Doullon fut attaché sur un bûcher et brûlé vif. Cette exécution d’un prêtre élevé en dignité dans l’Église, fit sensation dans Paris, surtout dans les écoles et parmi les disciples de la Réforme. « Ah ! disait plus tard Calvin, les tourments des saints que la main du Seigneur rend invincibles, doivent nous donner de la hardiesse ; car nous avons ainsi à l’avance le gage de notre victoire, dans la personne de nos frères. »

Tandis que la mort éclaircissait les rangs de l’armée évangélique, de nouveaux soldats venaient prendre la place de ceux qui avaient disparu. Calvin avait erré quelque temps dans les ténèbres, désespérant de se sauver par le chemin du pape et ne connaissant pas celui de Jésus-Christ. Un jour (nous ne savons lequel), il vit poindre la lumière au milieu des ténèbres, et une pensée consolante se glissa soudain dans son cœur. Une nouvelle forme de doctrine s’élève, disait-ilc. Si je m’étais trompé… Si Olivétan, si mes autres amis, si ceux qui donnent leur vie pour maintenir leur foi étaient dans la vérité… S’ils avaient trouvé dans cette voie la paix que la doctrine du pape me refuse… ? » Il commença à faire attention aux choses qu’on lui disait ; il se mit à contempler l’état de son âme. Un rayon l’éclaira et lui dévoila son péché. Son cœur fut troublé ; il lui sembla que toutes les paroles de Dieu qu’il trouvait dans l’Écriture, lui dévoilaient et lui reprochaient ses fautes ; il versa d’abondantes larmes. Certes, dit-il, ces nouveaux prédicateurs ont de quoi aiguillonner ma conscienced. Maintenant que je me suis appareillé à être vraiment attentif, je commence à reconnaître, grâce à la lumière qui m’a été apportée, dans quel bourbier d’erreur je me suis jusqu’à présent vautrée ; de combien de macules (taches), je me suis défiguré… et surtout quelle est la mort éternelle qui me menacef. » Il était dans un grand tremblement ; il parcourait sa chambre comme autrefois Luther le couvent d’Erfurt. Il poussait, nous dit-il, de longs gémissements, et versait des torrents de larmesg. Le poids du péché l’écrasait. Effrayé par la sainteté divine, semblable à une feuille tourmentée par le vent, à un homme épouvanté par la grêle, les éclairs et les tonnerres, il s’écriait : « O Dieu ! tu me tiens enserré comme si tu foudroyais sur ma têteh !… » Alors il tomba aux pieds de l’Éternel en s’écriant : « Seigneur ! je condamne avec larmes ma façon de vivre passée, et je me retire en la tienne. Pauvre, misérable, je me jette dans la miséricorde que tu nous as faite en Jésus-Christ, j’entre dans cet unique port de saluti… O Dieu ! ne me mets pas en compte ce tant horrible abandon et éloignement de ta Parole, dont ta bonté merveilleuse m’a retiréj. »

c – « Interim exercitata est longe diversa doctrinæ forma. » (Calvini Opusc., p. 125.)

d – « Habebant præterea quo conscientiam meam stringerent. » (Ibid., p. 126.)

e – « Animadverti in quo errorum sterquilinio fuissem volutatus. » (Calvini Opusc, p. 126.)

f – « Quæ mihi iraminebat, æternæ mortis agnitione, vehementer consternatus. » (Ibid.)

g – « Non sine gemitu ac lacrymis. » (Ibid.)

hOpusc. franc., p. 172 ; Opusc. lat., p. 126. — Institution, III, 2.

i – « Unicum salutis portum. » (Opusc. lat., p. 114.)

j – « Ne horrendam illam a Verbo tuo defectionem ad calculum revoces. » (Ibid., p. 126.)

Calvin, selon le conseil d’Olivétan, se livra à l’étude de l’Écriture, et partout il trouva Jésus-Christ. « O Père ! disait-il alors, son sacrifice a apaisé ta colère ; son sang a nettoyé mes souillures ; sa croix a porté ma malédiction ; sa mort a satisfait pour moik… Nous nous étions forgé plusieurs inutiles sottisesl… ; mais tu as mis devant moi ta Parole comme un flambeau, et tu as touché mon cœur, afin que j’eusse en abomination tout autre mérite que celui de Jésusm. »

k – « Sacrificio iram Dei placavit, sanguine maculas abstersit ; morte pro nobis satisfecit. » (Opusc. lat., p. 114 ; Opusc. franc., p. 156.)

l – « Multas inutiles nugas. » (Opusc. lat., p. 123.)

m – « Ut pro merito abominarer, animum meum pupugisti. » (Ibid.)

Il y avait néanmoins pour Calvin un dernier combat à livrer. La grande objection pour lui, comme pour Luther, était la question de l’Église. Il avait toujours respecté l’autorité d’une Église qu’il croyait fondée par les apôtres, chargée de rassembler les hommes autour de Jésus-Christ ; et souvent ces pensées le troublaient. « Il y a une chose, disait-il aux évangéliques, qui m’empêche de vous croire, c’est le respect dû à l’Églisen. Il ne faut pas que la majesté de l’Église soit diminuéeo… Je ne puis pas me séparer de l’Église… »

n – « Una præsertim res animum ab illis meum avertebat, Ecclesiæ reverentia. » (Ibid., p. 125.)

o – « Ne quid Ecclesiæ majestati decederet. » (Ibid., p. 126.)

Les amis de Calvin, à Paris, peut-être plus tard Wolmar et d’autres à Orléans et à Bourges, n’hésitaient pas à lui répondrep : Il y a une grande différence, entre se départir de l’Église, et travailler à corriger les vices dont elle est souilléeq… Que de fois des Antechrists ont occupé dans son sein la place qui n’est due qu’aux pasteurs ! »

p – Calvin en mentionnant ceux qui lui firent alors des objections, emploie toujours le pluriel : admonebant, loquebantur, etc.

q – « Multum enim interesse an secessionera quis ab Ecclesia faciat, an vitia corrigera studeat. » (Opusc. lat., p. 126.)

Calvin comprit enfin que l’unité de l’Église ne pouvait et ne devait être que dans la vérité. Ses amis, s’en apercevant, lui parlèrent ouvertement contre « le pape de Rome. » — « On le tient pour vicaire de Christ, successeur de saint Pierre, chef de l’Église… Mais ces titres ne sont que de vains épouvantementsr. Les fidèles, loin de se laisser éblouir par ces grands mots, doivent discerner au vrai la chose. Si le pape s’est élevé en une telle hauteur et magnificence, c’est parce que le monde était plongé dans l’ignorance, et frappé d’éblouissements. Ce n’est ni par la bouche de Dieu, ni par une légitime vocation de l’Église, que le pape a été constitué prince et chef de l’Église ; c’est de sa propre autorité, et de son seul vouloir… Il s’est soi-même élut. Pour que le royaume de Christ demeure, il faut que la tyrannie dont le pape oppresse les peuples finisseu. » — Les amis de Calvin, « démolissaient ainsi, nous dit-il, par la Parole de Dieu, la principauté du pape et sa tant grande hautessev. »

r – « Ejus modi titulos inania esse terriculamenta. » (Ibid.)

s – « Cum mundus ignorantia et hebetitudine velut alto sopore oppressus esset. » (Ibid.)

t – « Sed voluntarium et a se ipso lectum. » (Ibid.)

u – « Illam tyrannidem, qua in Dei populum grassans est. » (Ibid.)

v – « Tantam ejus altitudinem, Dei Verbo, demoliebantur » (Ibid.)

Calvin ne se contentant pas de prêter l’oreille aux discours de ses amis, « sondait les Écritures jusqu’au fond » et y trouvait de nombreux témoignages confirmant les choses qui lui étaient annoncées. Il fut convaincu. « Je vois tout clair, dit-il, que l’ordre véritable de l’Église s’est perduw ; que les clefs qui doivent garder la discipline sont fausséesx ; que la liberté chrétienne a été renverséey ; que, lorsque la principauté du pape s’est élevée, le royaume de Christ a été détruitz. » — Ainsi tomba la papauté dans l’esprit du futur réformateur ; et Christ devint pour lui le seul chef et roi tout-puissant de l’Église.

w – « Verum Ecclesiæ ordinem tunc interiisse. » (Opusc. lat, p. 126)

x – « Claves, quibus Ecclesiæ disciplina continetur, fuisse pessime adulteratas. » (Ibid.)

y – « Collapsam christianam libertatem. » (Ibid.)

z – « Prostratum fuisse Christi regnum, cum erectum fuisset hic principatus. » (Ibid.)

Que fit alors Calvin ? Souvent les convertis se croyaient appelés à rester dans l’Église pour travailler à la purifier ; lui, se détacha-t-il de Rome ? — Son ami le plus intime, Théodore de Bèze, dit : « Calvin, ayant été instruit en la vraie religion par un de ses parents, nommé Pierre-Robert Olivétan, et ayant lu avec soin les Livres sacrés, commença d’avoir en horreur la doctrine de l’Église romaine, et fit dessein de renoncer à sa communiona. » Ce témoignage est positif. Cependant Théodore de Bèze dit seulement dans ce passage : il fit dessein ; la séparation ne fut pas alors tranchée et absolue. C’était un acte dont Calvin sentait l’immense gravité. Toutefois il se décida à rompre la catholicité, s’il le fallait pour avoir la vérité. « Je désire concorde et unité, Seigneur ! dit-il, mais l’unité de l’Église que je veux est celle qui prend son commencement en toi, et qui finit en toib ! Si, pour avoir la paix avec ceux qui se vantent d’être les premiers en l’Église, il me fallait l’acheter par l’abnégation de la vérité… alors plutôt me soumettre à tout, que de condescendre à un pacte si exécrablec !… » Le réformateur, son caractère, sa foi, sa décision, toute sa vie se trouvent dans ces paroles. Il essayera de rester dans l’Église ; mais — avec la vérité.

a – Théod. de Bèze, Vie de Jean Calvin, p. 8. Le latin va plus loin : « Ac proinde sese ab illis sacris sejungere cœpisset. »

b – « Illa Ecclesisæ imitas quæ abs te inciperet, ac in te desineret. » (Calvini Opusc., p. 124.)

c – « Quam ut ad nefariam istam pactionem descenderem. (Ibid.)

La conversion de Calvin avait été préparée de loin. Et cependant en un sens ce changement fut instantané. « Quand j’étais l’esclave opiniâtre des superstitions de la papauté, dit-il, et qu’il semblait impossible de me tirer d’un bourbier si profond, Dieu, par une conversion subite me dompta et rendit mon cœur docile à sa Paroled. » Lorsqu’une ville est prise, c’est bien en un seul jour et par un seul assaut que le vainqueur y entre et plante son drapeau sur les remparts ; et pourtant depuis des mois, depuis des années peut-être, il en battait en brèche les murailles.

d – « Animum meum subita conversione, ad docilitatem subegit Deus. B (Calvini Prœf. in Psalm.

Ainsi fut accomplie cette mémorable conversion, qui en sauvant une âme, allait devenir pour l’Église et même, nous pouvons le dire, pour l’humanité, le principe d’une grande transformation. Ce n’était alors qu’un pauvre étudiant qui se convertissait dans un collège ; mais à l’heure où nous sommes, la lumière que cet écolier a placée sur le chandelier, est allée jusqu’au bout de la terre, et des âmes d’élite, répandues parmi tous les peuples, reconnaissent dans sa conversion l’origine de la leur.

Ce fut à Paris que Calvin reçut une nouvelle naissance, nous en avons vu la preuve. On ne peut la placer plus tard, comme on a voulu le faire, sans se mettre en opposition avec les témoignages les plus positifs. Calvin, selon Théodore de Bèze fut instruit dans la vraie religion par Olivétan, avant de se rendre à Orléanse ; nous savons de plus que Calvin, soit à Bourges, soit même déjà à Orléans, avança merveilleusement le royaume de Dieuf. Or comment eût-il pu le faire, s’il n’eût pas connu ce royaume ? Calvin, âgé de dix-neuf ans, doué d’une âme profonde et religieuse, entouré de parents et d’amis zélés pour l’Évangile, se trouvant à Paris, au milieu d’un mouvement religieux d’une grande puissance, fut lui-même atteint par l’Esprit de Dieu. Sans doute tout ne se fit pas alors ; quelques-uns des traits que nous avons signalés d’après le réformateur lui-même, peuvent, nous l’avons déjà remarqué, se rapporter à son séjour à Orléans ou à Bourges ; mais l’œuvre essentielle se fit bien en 1527. Telle est la conviction à laquelle nous avons été amené par une élude attentive.

e – « A cognato Olivetano de vera religione admonitus… Profectus ergo Aureliam » (Bezæ Vita Calvini.)

f – Théod. de Bèze, Hist. des Égl. réf., p. 6, 7.

Il est de nos jours des hommes qui regardent la conversion comme un fait imaginaire et disent simplement qu’un homme a changé alors d’avis. On veut bien que Dieu puisse créer un être moral une fois, mais on ne lui accorde pas la liberté de le créer une seconde ; de le transformer. La conversion est toujours une œuvre de Dieu. Il y a des forces qui travaillent dans la nature, et font produire à la terre des fruits ; et l’on prétendrait que Dieu ne peut travailler dans le cœur de l’homme pour y créer un fruit nouveau !… La volonté humaine ne suffit pas pour expliquer les changements qui se manifestent dans l’homme ; il y a là, plus que partout ailleurs, du mystérieux et du divin.

Le jeune homme ne mit point aussitôt sa conversion au grand jour ; il n’y eut qu’un ou deux de ses supérieurs qui eurent connaissance de ses luttes et ils cherchèrent à les cacher aux élèves. Ils aimaient à n’y voir qu’un accès passager de la fièvre, dont tant de gens étaient atteints, et croyaient que le fils du secrétaire épiscopal se rangerait de nouveau docilement sous la houlette de l’Église. Le professeur espagnol, venu d’une contrée, où des passions ardentes éclatent sous un ciel enflammé, et où le fanatisme religieux demande des victimes, fit sans doute une guerre implacable aux nouvelles convictions de l’étudiant. Toutefois les renseignements nous manquent à cet égard. Calvin lui-même cachait soigneusement son trésor ; il se dérobait à ses condisciples, s’enfermait dans quelque retraite, et cherchait la communion avec Dieu seul. « Étant d’un naturel un peu sauvage et honteux, dit-ilg, j’ai toujours aimé requoy (repos) et tranquillité ; aussi je commençai alors à me chercher quelque cachette et moyen de me retirer des gens, en quelque lieu à l’écart. » Cette réserve de Calvin a pu faire croire que sa conversion n’avait eu lieu que plus tard.

g – Préface des Commentaires sur les Psaumes.

La nouvelle de ce qui se passait à Paris, arriva dans la petite ville de Picardie, où Calvin était né. Il serait précieux d’avoir les lettres qu’il écrivit à son père dans ce temps de luttes, et même celles d’Olivétan ; mais on n’a ni les unes ni les autres. On apprend à Noyon les rapports de Jean avec Olivétan ; les opinions hérétiques du jeune curé de Saint-Martin de Motteville, sont hors de doute… Quelle douleur pour la famille, et surtout pour le notaire épiscopal ! Être obligé de renoncer à voir un jour son fils, vicaire général, évêque, peut-être cardinal, était désolant pour ce père ambitieux. Toutefois il se décida promptement, et comme l’important pour lui était que Calvin fût quelque chose, il donna une autre direction à ses désirs immodérés d’honneurs. Il se dit qu’en lui faisant étudier la jurisprudence, il lui ferait passer peut-être ses nouvelles idées ; et qu’en tout cas, l’étude du droit était un chemin tout aussi sûr, plus sûr même, pour parvenir à la richesse et à une situation élevéeh. — Duprat, d’abord simple jurisconsulte, puis président du parlement, n’est-il pas, pensait-il, chancelier de France et le premier personnage du royaume après le roi ? Gérard, dont l’esprit était fertile en moyens de réussir pour lui et pour les autres, continua à bâtir des châteaux en Espagne à l’honneur de son fils ; seulement il changea de terrain, et au lieu de les placer dans le domaine de l’Église, il les éleva dans celui de l’État.

h – « Quod jurisprudentiam certius iter esse ad opes et honores videret. » (Beza Vita Calvini.)

Ainsi, tandis que le fils avait une nouvelle foi et une nouvelle vie, le père avait un nouvel avis. Théodore de Bèze a signalé cette coïncidence. Après avoir parlé de la vocation de Calvin à l’état ecclésiastique, il ajoute qu’un double changement, qui s’accomplit alors dans l’esprit du père et du fils, fit remplacer cette résolution par une autrei. La coïncidence frappa Calvin lui-même, et ce fut sans doute lui qui la signala à son ami, à Genève. Ce ne fut donc pas cette résolution de Gérard Cauvin qui décida de la vocation de son fils, comme on l’a cru. Les deux décisions semblent au premier coup d’œil indépendantes l’une de l’autre ; mais il me paraît probable, que ce fut le changement du fils qui amena celui du père, et non le changement du père qui amena celui du fils. Le jeune homme se soumit avec joie à l’ordre qu’il recevait. Gérard, en ôtant son fils aux études théologiques, voulait l’éloigner de l'hérésie ; mais il se trompait. Luther n’avait-il pas d’abord étudié le droit à Erfurt ? Calvin ne se préparerait-il pas, par cette étude, mieux que par la prêtrise, à la carrière de réformateur ?…

i – « Sed hoc consilium interrupit utriusque mutatus animus. » Vita Calvini.)

La conversion est le fait fondamental de l’Évangile et de la Réforme, Leur œuvre est une conversion en grand. C’est de la transformation opérée dans l’individu que doit résulter la transformation dans le monde. Ce fait, qui dans quelques-uns est de très courte durée et aboutit promptement à la foi, dure très longtemps chez d’autres ; la puissance du péché se renouvelle toujours chez eux, sans que ni l’homme nouveau, ni l’homme ancien puissent de longtemps parvenir à une victoire décisive. C’est là l’image du christianisme. Il est la lutte de l’homme nouveau contre l’homme ancien, lutte qui dure depuis plus de dix-huit siècles. Le nouveau gagne sans cesse du terrain ; l’ancien s’affaiblit et recule ; mais l’heure du triomphe n’a pas encore sonné. Toutefois cette heure est assurée. La Réformation du seizième siècle, comme l’Évangile du premier (pour employer les paroles de Jésus-Christ lui-même), est semblable au levain qu’une femme met dans trois mesures de farine, « jusqu'à ce que la pâte soit toute levée. » Toutes les races de la terre ont déjà reçu ce levain céleste. Il y travaille ; il y fermente ; et toute la pâte lèveraj.

jMatthieu 13.33.

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