Histoire de la Réformation au temps de Calvin

Chapitre 11
Les fêtes de Fontainebleau et la vierge de la Rue de des Rosiers

(1528)

2.11

Évangélisation par la reine de Navarre – La reine et un jeune veneur – Ah ! vous êtes mauvais chasseur – Noces de Renée et du duc de Ferrare – Éclats de colère du roi – Image de la Vierge brisée – Douleur et cris du peuple – Efforts pour découvrir le coupable – Immense procession – Miracles opérés par l’image – Le roi lâche les rênes aux persécuteurs

Tout semblait être en France à la paix et à la joie. La cour était à Fontainebleau. Le roi et la duchesse d’Angoulême, le roi et la reine de Navarre, et tout ce que la noblesse avait de plus illustre y étaient réunis pour recevoir le jeune duc de Ferrare qui venait d’arriver, (20 mai 1528), pour épouser Madame Renée, fille de Louis XII et d’Anne de Bretagne. On était donc en fête. François Ier, dont Fontainebleau était la résidence favorite, y avait construit de superbes édifices, établi « de beaux jardins, bosquets, fontaines, et toutes choses plaisantes et récréatives. » Vraiment, disait-on, le roi fait d’un désert la plus belle demeure qui soit en la chrétienté, — si spacieuse, qu’on pourrait y loger tout un petit mondes. » Les étrangers qui y arrivaient étaient frappés de la magnificence de cette demeure et de l’éclat de la cour. Le mariage de la fille de Louis XII s’approchait, il n’y avait que chants et plaisirs. On faisait des parties dans la forêt ; on avait les festins les plus somptueux, et des savants y traitaient à table « des sciences hautes et basses, » dit Brantôme. Mais rien n’attirait l’attention des étrangers comme la reine de Navarre. « Je l’observais, dit un évêque, légat du pape, tandis qu’elle parlait au cardinal d’Este, et j’admirais dans ses traits, dans son expression et dans tous ses mouvements, une harmonieuse union de majesté, de modestie et de bienveillancet. » Telle était Marguerite au milieu de la cour ; la bonté de son cœur, la pureté de sa vie et l’abondance de ses œuvres parlaient avec éloquence, à tous ceux qui l’entouraient, de la divinité de l’Évangile.

s – Brantôme, Mémoires, I, p. 277.

t – Lettre de Pierre-Paul Vergerio, évêque de Capo d’Istria, à Victoria Colonna, marquise de Pescaire. (Life and time of Paleario, by M. Young, II, p. 356.)

Cette princesse, obligée de prendre part à toutes les fêtes, ne perdait pas une occasion d’appeler une âme à Jésus-Christ. Il n’y eut pas au seizième siècle d’évangéliste plus actif qu’elle, au moins parmi les femmes ; c’est là un trait trop important de la Réformation française pour ne pas le signaler. Les filles d’honneur de la duchesse d’Angoulême n’étaient plus les sages demoiselles de la reine Claude. La reine de Navarre, pleine d’une tendre compassion pour ces pauvres jeunes filles, appelait à Christ, tantôt l’une, tantôt l’autre ; elle conjurait sa mie (comme elle les nommait), de ne pas se prendre à des délices qui la rendraient haïe de Dieu.

Adieu, ma mie,
Car je m’en vois
Chercher la vie
Dedans la croix.

Si par la prière
Tirer t’y pouvais,
Certes en arrière
Ne demeurerais ;

Ne tarde, ô mie !
Viens, et me crois,
Chercher la vie
Dedans la croixu.

uLes Marguerites de la Marguerite, I, p. 479.

Souvent François Ier, amateur de la chasse, se lançait dans la forêt et courait le lièvre et le daim pendant plusieurs jours, suivi de ses jeunes seigneurs. Ceux-ci aimaient à raconter leurs prouesses aux dames de la cour, ou à s’exciter entre eux à qui tuerait le plus beau cerf… La reine de Navarre entrait quelquefois avec naturel dans la conversation ; elle appelait en riant ces étourdis de mauvais chasseurs, et les exhortait « à se mettre en chasse pour quelque chose de meilleur. »

Voici l’une de ces conversations de Fontainebleau qu’elle nous raconte elle-même :

Un jeune veneur demandait
A une femme heureuse et sage,
Si, la chasse qu’il désirait,
Pourrait trouver dans tel bocage…
Et qu’il avait bien bon courage
De gagner cette venaison !
La dame lui dit : Monseigneur,
De la prendre, il est bien saison…
Mais… vous êtes mauvais chasseur.
Ce que cherchez est dans le bois
Où ne va personne infidèle ;
Dans l’âpre buisson de la croix,
Qui est chose au méchant cruelle ;
Mais bons veneurs la trouvent belle,
Et son tourment leur est plaisir.
Ah ! si vous aviez le désir
D’oublier tout pour cet honneur,
Autre bien ne voudriez choisir…
Mais… vous êtes mauvais chasseur !
Lors quand le veneur l’entendit,
Il mua toute contenance,
Et comme courroucé lui dit :
Vous parlez par grande ignorance
Il faut que je détourne et lance
Le cerf et que je courre après.

marguerite

Seigneur, le cerf est de vous près,
Mais… vous êtes mauvais chasseur.
S’il vous plaisait seoir et poser
Dessus le bord d’une fontaine,
Là, corps et esprit reposer,
Puisant de l’eau très vive et saine,
Certes sans y prendre autre peine,
Le cerf viendrait tout droit à vous,
Se prendre aux rets de votre cœur…
Mais… vous êtes mauvais chasseur.

le jeune veneur

Non, Madame, je ne crois pas
Que l’on acquiert soit bien, soit gloire,
Sans travailler, ni faire un pas…
De l’eau vive ne veux point boire.

marguerite

Ah !… vous êtes mauvais chasseur.

Le jeune veneur comprend enfin ce qu’on veut lui dire, et après quelques autres conversations avec la dame, il s’écrie :

De la foi mon âme est saisie,
J’abandonne ma fantaisie,
Oyant la voix de mon Sauveur.

marguerite

Vous n’êtes plus mauvais chasseurv !

vLes Marguerites de la Marguerite, I, p. 483.

Ce récit et d’autres semblables que nous trouvons dans les Marguerites, ont été sans doute des faits avant que de devenir des poèmes. Ces petites feuilles circulaient dans toute la cour ; chacun voulait lire les traités de la reine, et plusieurs des nobles de France, qui embrassèrent plus tard la cause de la Réforme, durent ainsi à Marguerite leurs premiers sentiments religieux.

Pour le moment, la grande pensée qui occupait les esprits à Fontainebleau, c’étaient les noces de « très prudente et magnifique Madame Renée. » Les gentilshommes de France et ceux de Ferrare paraissaient à la cour triomphalement décorés. Les pierreries brillaient sur la personne des princes et des princesses ; les salles et les galeries étaient tendues de riches tapis.

Dansez, ballez, solemnisez la fête
De celle en qui votre amour gît si fortw !

w – Chant nuptial de Madame Renée. (Chronique de François Ier, p. 72)

Tout à coup, le lendemain de Pentecôte, tombe au milieu de cette compagnie brillante et bruyante un message qui y cause la plus vive émotion. On remet une lettre au roi, et l’effet qu’elle produit est semblable à celui d’un coup de tonnerre dans le jour le plus serein. François qui tenait à la main la lettre fatale était pâle, agité, presque tremblant, comme un homme qui vient de recevoir l’offense la plus mortelle. Bientôt son courroux éclata, et l’on eût dit une montagne qui vomissait des torrents de lave. Ce prince se livrait au plus furieux emportement et jurait d’exercer une cruelle vengeance. Marguerite, bouleversée par la colère de son frère, n’ouvrit pas la bouche, et se retira effrayée dans le silence et la prière ; à peine osait-elle en sortir pour apaiser l’émotion de François. Le roi, dit le chroniqueur, courroucé et marri, pleurait très fortx. » Toutes les fêtes de la cour furent interrompues ; les courtisans, se mettant au diapason du maître, demandèrent à grands cris des mesures violentes, et François Ier partit subitement pour Paris. Qu’était-il donc arrivé ?

xJournal d'un Bourgeois de Paris sous François Ier, p. 347.

La fête de la Pentecôte avait été célébrée le 30 mai (1528) avec beaucoup de pompe ; mais la plupart des dévots, oubliant le Père, le Fils et surtout le Saint-Esprit, n’avaient dans ce jour pensé qu’à adorer la Vierge et ses images. Dans le quartier Saint-Antoine, à l’angle que forment encore maintenant la rue des Rosiers et celle des Juifs, au coin de la maison du sire Loys de Harlay, se trouvait une image de la Vierge tenant l’enfant Jésus dans ses bras. Des dévots et des dévotes venaient chaque jour en grand nombre s’agenouiller devant cette figure. La foule avait redoublé pendant la fête, et les fidèles, prosternés devant l’image, lui avaient donné les noms les plus pompeux : « O sainte Vierge ! ô médiatrice des hommes ! ô pardon des pécheurs ! Auteur de la justice qui nous lave de nos crimes ! Refuge de tous ceux qui retournent à Dieuy !… » Ces superstitions avaient fort navré ceux qui se rappelaient cet ancien commandement : « Tu adoreras le Seigneur ton Dieu et tu le serviras lui seul. »

y – « Mediatrix hominum, ablatrix criminum, peccatorum venia !… »

Le lundi matin, lendemain de la fête, des passants crurent apercevoir quelque désordre à la place où se trouvait l’image ; ils ne voyaient ni la tête de la Vierge ni celle de l’enfant. Ces bourgeois s’approchèrent et, en effet, les têtes avaient été enlevées ; ils les cherchèrent et les trouvèrent cachées derrière quelques pierres amassées près de là ; ils ramassèrent dans le ruisseau la robe de Notre-Dame déchirée, et, à ce qu’il semblait, foulée aux pieds. Ces gens, dévots catholiques, furent effrayés ; ils recueillirent respectueusement les deux têtes et les portèrent au lieutenant criminel. Le bruit de cet événement étrange se répandit dans tout le quartier. Les moines, les prêtres se mêlaient à la foule et racontaient l’acte commis sur la statuette. Hommes, femmes, religieux, enfants, entouraient l’image mutilée ; les uns pleurant, les autres criant, tous maudissant le sacrilège. Une complainte du temps nous a transmis les cris du peuple :

Hélas ! n’est-ce pas grande pitié,
Et une chose irréparable !…
Commettre telle iniquité,
Envers la dame vénérable
Qui est aux pécheurs amiablez

zChronique du roi François Ier, p. 67 ; pour les complaintes, p. 446 à 464. — Journal d'un Bourgeois de Paris sous François Ier, p. 347.

Tels étaient les sentiments des bons catholiques qui, l’œil morne et le cœur agité, contemplaient l’image brisée.

D’où provenait cette mutilation ? On n’a jamais pu le savoir. On a dit que les prêtres alarmés des progrès de la Réformation et des dispositions du roi, avaient commis cet acte, afin de s’en faire une arme contre les luthériens. Cela est possible ; de telles choses se sont vues. Je suis pourtant plus porté à croire que quelque enfant terrible du parti évangélique, indigné de ce qu’on attribuait à la Vierge ce qui n’appartient qu’à Jésus-Christ, avait brisé l’idole. Quoi qu’il en soit, le parti fanatique résolut de profiter de ce sacrilège, et il y réussit. François Ier, le plus susceptible et le plus irritable des princes, vit dans cet acte de violence un attentat à sa dignité et à son pouvoir. Étant arrivé à Paris, il fit aussitôt tout ce qu’il put pour découvrir le coupable. Pendant deux jours, des hérauts parcoururent la ville et s’arrêtant aux carrefours, appelèrent le peuple au son de la trompe et crièrent : « Que si on sait, qui a ce fait, on le annonce et dise à la justice et au roi. Le prévôt de Paris lui donnera mil escus d’or au soleil. Et si le délateur a fait quelque mal, le roi lui fera grâce de tout. Et qu’on se garde bien de le celer ! » La foule écoutait ; puis se dispersait ; tout fut inutile ; on ne put rien savoir. « Eh bien, dit le roi toujours plus irrité, j’ordonne que des commissaires aillent par toutes les maisons faire enquête. » Les commissaires partirent, frappèrent à toutes les portes, interrogèrent l’un après l’autre chaque habitant du quartier ; mais le résultat était toujours le même : « Nul n'en sait rien savoir. »

On ne se contenta pas de ces publications. Dès le mardi 2 juin et pendant les autres jours de la semaine, le clergé de Paris se mit en mouvement et il y eut de constantes processions de toutes les églises de la ville, qui se rendaient audit lieu. Huit jours après, le mardi 9 juin, cinq cents étudiants, tenant chacun un cierge allumé, tous les docteurs, les licenciés, les bacheliers de l’université, partirent de la Sorbonne, pour l’endroit du désastre. Devant eux marchaient les quatre ordres mendiants.

Belle chose était à voir
Une si belle compagnie !
Car ils furent, moine blanc, gris et noir,
A passer deux heures et demie.

La réaction était complète. Il n’était plus question ni des lettres, ni de l’Évangile ; on ne pensait qu’à honorer la sainte Vierge. François Ier, le duc de Ferrare, le duc de Longueville, le duc de Vendôme et même le roi de Navarre, voulurent rendre grand honneur à Marie, et, le jeudi 11 juin, jour de la Fête-Dieu, une immense procession partit du palais des Tournelles :

Torches y ardaient,
Qui devant étaient
En grand’quantité ;
Les enfants venaient,
Doucement chantaient,
Par suavité,
Les prêtres suivant
Doucement chantant.

Puis après venait
Celui qui portaita
Le corps de Jésus…

Le roi de Navarre
Un beau ciel portait ;
Le duc de Ferrare
Le ciel soutenait ;
Vendôme y était,
Longueville aidait.

Le roi les suivait
Nue-tête avait ;
Un flambeau tenait,
Qui couvert était,
Comme il me semblait,
De velours plaisant.

a – L’évêque de Lisieux.

Les diverses corporations, cours souveraines, évêques, ambassadeurs, grands officiers de la couronne, princes du sang, nul n’y manquait. Tous marchaient au son des hautbois, clairons et trompettes, jouant avec grande mélodie. Le cortège, étant arrivé au lieu néfaste, le roi s’approcha dévotement, se mit à genoux, fit sa prière, se leva, reçut des mains de son grand aumônier une statuette de la Vierge, d’argent doré, la mit pieusement à la place de l’ancienne, et déposa son cierge devant l’image comme hommage de sa foi. Tous les assistants firent de même, en défilant au son des trompettes. Le peuple manifestait sa joie par ses acclamations :

Vive le roi de fleur de lys,
Et toute sa noble alliance !

Bientôt l’image mutilée, transportée dans l’église de Saint-Germain, opéra des miracles. Quatre jours après, un enfant mort étant venu au monde dans le quartier,

La mère pleure, se détort,
Elle gémit amèrement ;
Elle souhaite que la mort
La vienne saisir promptement ;
Elle démène tel tourment,
Que les femmes illic étant,
Pleuraient toutes abondamment,
Grosses larmes des yeux jetant.
L’une conseilla sagement
Qu’on le portât légèrement
A la Reine du firmament,
Ce que l’on fit dévotement.

L’enfant changea de couleur, ajoute la chronique, il fut baptisé, et après qu’il eut rendu l’âme à Dieu, il fut enterréb. Le miracle, on le voit, ne dura pas longtemps.

bChronique du roi François Ier, p. 459 à 464.

Au milieu de ces cierges, ces prodiges, ces fanfares, le roi était encore ému. Ni lui ni les fanatiques n’étaient satisfaits. Le rouge qu’on avait cru voir sur les joues de la pauvre petite créature, ne suffisait pas ; il en fallait de l’autre, — du sang. Duprat, la Sorbonne et le Parlement se disaient que le maître était enfin revenu à la raison et qu’il fallait en profiter. François Ier, qui tenait fermement les rênes, avait contenu jusqu’à cette heure les coursiers attachés à son char. Mais, maintenant irrité, enflammé, il se penchait en avant, il jetait la bride sur leur cou, il les excitait même de la voix. Ces chevaux fougueux et sauvages allaient fouler aux pieds ceux qu’ils rencontreraient en leur chemin, et les roues du char écrasant ces malheureux, feraient jaillir le sang jusque sur les vêtements du prince.

En effet la persécution commença.

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